Beaucoup et peu, et pourtant plus que suffisamment de tout

Beaucoup et peu, et pourtant plus que suffisamment de tout

« Pleine lune. Une pièce de Pina Bausch »

Ils ne pouvaient pas être plus différents – mais pas plus complémentaires non plus. La « pleine lune » – présentée sur la grande scène du Burgtheater par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch – était pleine de « magie théâtrale ». La pièce, créée il y a 16 ans, nécessite un total de 12 danseurs, un équipement scénique capable de faire pleuvoir et d’inonder une partie du sol de la scène. Bausch commence par une ambiance de nuit d’été étouffante, dans laquelle de jeunes hommes et femmes interagissent dans une succession constante de courtes scènes. Au cours de ces échanges, quelques phrases sont prononcées en direction du public, généralement assaisonnées d’une fine pointe d’humour.

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« Pleine lune » (photo : © yako.one)

La chorégraphie, tout comme les costumes, est ainsi construite sur une dualité de genre. Tandis que les hommes, principalement vêtus de pantalons longs et torse nu, font une démonstration de force allant de la danse à l’acrobatie, on peut reconnaître le répertoire de mouvements typique de Bausch chez les femmes, avec des cheveux qui leur tombent sur les hanches et des robes souples et fluides. Elles oscillent entre des gestes de prise de contact souhaitée et d’autres où le repli sur soi est toujours bien visible. La visualisation des états d’âme est beaucoup plus fréquente chez les danseuses que chez leurs collègues masculins. Les rencontres entre les sexes sont souvent marquées par des moments de tension. S’aimer et se détester, ne pas pouvoir se quitter et punir l’autre par le mépris, sont visualisés tout comme les moments où les femmes dominent les hommes. Jusqu’à une instruction sur la manière de dégrafer au plus vite le soutien-gorge d’une femme pour ne pas perturber le moment palpitant de l’attente érotique.

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« Pleine lune » (photo : © yako.one)

Malgré un travail chorégraphique intense qui demande des efforts extrêmes à l’ensemble, il y a cependant un autre acteur sur scène, muet et immobile, qui attire tout autant l’attention du public. Il s’agit d’un imposant rocher creusé par un cours d’eau. L’eau s’écoule sur la scène presque sans interruption, comme une pluie continue, en particulier dans la deuxième partie après l’entracte, et devient même à un moment donné une star inconditionnelle de la scène. Puisée à la pièce dans des seaux par les hommes, elle est projetée de tous les côtés contre le rocher en de puissants coups. L’attrait visuel qui en résulte peut aisément être décrit comme un « feu d’artifice aquatique », sans pour autant ouvrir une contradiction. En effet, les cascades d’eau explosives ressemblent visuellement à celles des fusées qui, une fois explosées, s’écrasent vers le sol en une fine pluie de feu. Cette scène visuellement forte a un caractère addictif et se grave dans la mémoire au même titre que les costumes détrempés des danseurs, formant ensemble un couple de reconnaissance indélébile.

« Dances for an actress »

Si Bausch travaillait dans sa pièce avec des moyens techniques extrêmement importants, « Dances for an actress » se contente de la consommation électrique d’un aspirateur qui fonctionne pendant 1 heure. C’est du moins ce qu’a raconté l’actrice belge Jolente De Keersmaeker, sœur de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, qui est souvent invitée à Vienne avec ses chorégraphies. Jolente a été convaincue par Jérôme Bel de travailler sur une pièce de danse. Tous ceux qui ont déjà vu des œuvres de Bel savent qu’il ne s’agit pas d’une pièce habituelle. La perfection et les belles apparences, voilà ce que Bel n’exige pas de ses artistes. En revanche, il lui faut une bonne dose de courage pour se montrer imparfait et révéler au public ses capacités comme ses échecs. Le chorégraphe français est en quelque sorte un précurseur dans son domaine. Il réfléchit à ce qui fait bouger la société et s’interroge sur la signification des thèmes sociopolitiques pour la pratique de la représentation.

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« Dances for an actress » (Photo : Herman Sorgeloos)

L’exemple actuel est le refus, actuellement généralisé, d’imprimer les programmes. Pour des raisons écologiques, ceux-ci sont actuellement supprimés dans les spectacles du monde entier, voir aussi « Wiener Festwochen » – Bel a trouvé sa propre méthode pour donner malgré tout au public un petit aperçu de ce qui se passe. Par une introduction orale de Jolante elle-même, qui a raconté au public ce qui était normalement imprimé, y compris la liste des sponsors et des partenaires. Inévitablement, cela s’est accompagné d’une énorme dose d’humour, d’un signe distinctif, mais aussi d’une remarque subtile sur le fait que cette pratique, qui est en train d’éclore, n’est pas vraiment la panacée, même pour Bel.

Après ce prologue, déclenché par le désastre écologique général auquel nous ne pouvons échapper pour le moment, l’actrice dansante a présenté une longue scène dans laquelle elle a donné des échantillons de son répertoire de ballet classique. Elle a puisé dans le répertoire de mouvements qu’elle a appris lors de ses cours de ballet entre 6 et 14 ans. On voit encore aujourd’hui que cette période n’a pas dû être une partie de plaisir pour elle. Les pas de danse sont exécutés avec une grande concentration, les sauts sont effectués de manière à éviter tout risque de blessure et la maîtrise du corps fait que danser n’est pas un plaisir mais plutôt une souffrance – tout cela peut être considéré comme la preuve que Jolante n’a pas choisi la profession de danseuse.

À partir de ces premières impressions, elle couvre un large éventail d’improvisations de différents grands noms de la chorégraphie et de la danse du XXe siècle. Elle commence par un prélude de Chopin, initialement chorégraphié et dansé par Isadora Duncan. A travers cet exemple, elle montre également l’une des méthodes qui permettent aux danseurs de mémoriser les séquences de mouvements. La verbalisation des séquences de mouvements est un moyen encore utilisé aujourd’hui pour mémoriser des séquences de pas et de mouvements.

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« Dances for an actress » (Photo : Herman Sorgeloos)

Le passage à une improvisation de Pina Bausch, inspirée de son travail « Café Müller » de 1978, l’introduit en se débarrassant silencieusement de ses vêtements. L’immersion dans cette figure fragile qui danse nue devant le public au son de « Didos lament » d’Henry Purcell est l’un des moments les plus impressionnants de toute la performance. Rendre visible et perceptible à la fois la fragilité du corps humain et de son âme déploie une incroyable magie émotionnelle. Quelle différence avec la pièce pompeuse « Vollmond » de la même chorégraphe ! Si l’on voulait expliquer clairement que l’utilisation de la technique ne doit pas être en corrélation avec le mouvement émotionnel du public, ces deux pièces seraient des cas d’école.

Quelle belle et grande idée de remplacer cette chorégraphie Bausch par la chanson « Diamond » de Rihanna. Dotée d’un rythme vibrant et d’un drive qui affirme la vie, la musique à elle seule emporte le public en quelques instants. Le corps toujours nu n’a plus rien de fragile, il rayonne d’une énergie vitale pure, d’une joie de vivre indomptable et d’une puissance de danse à l’état pur. A tel point que l’on a envie de danser avec lui.

Après une étude intensive des mimiques, dédiée au grand maître du butho Ono Kazuo, qui permet à la performeuse de montrer son énorme force d’expression mimique, elle atterrit dans la performance de danse contemporaine. Pour ce faire, elle décrit, assise sur scène avec un ordinateur portable sur les genoux, une vidéo YouTube dont elle ne fait que reproduire littéralement le contenu. Toutefois, « Dances for an actress » ne serait pas une production de Jérôme Bel si, avec le « numéro de John Travolta » à venir, il ne répondait pas lui-même avec beaucoup d’humour à la restitution de la danse, purement verbale et réflexive. La manière dont Jolente De Keersmaeker commence lentement à danser la fameuse « scène du Saturday Night Fever » pendant sa description, en s’y impliquant constamment, est tout simplement époustouflante de drôlerie.

Le fait qu’elle ajoute à la fin une chorégraphie qu’elle a elle-même créée sur une musique de la Renaissance au rythme fort et répétitif et à l’ambiance méridionale complète la performance de manière réussie et, une fois de plus, très intelligente. Comme on peut ressentir le contraste entre l’improvisation classique du ballet de Keersmaeker au début et sa propre chorégraphie, puissante et joyeuse, à la fin de « Dances for an actress » ! Avec cette chorégraphie personnelle, elle est visiblement arrivée à un point où l’on peut croire que la danse est quelque chose qu’elle aime aussi, qu’elle a même manifestement dans le sang. La pièce de Bel, par l’intermédiaire de sa géniale protagoniste Jolente De Keersmaeker, révèle un fait profondément simple : la danse est une forme d’expression humaine que chacun peut et doit façonner selon ses besoins. Qu’il s’agisse de reproduire exactement une chorégraphie donnée, de danser une improvisation sur celle-ci ou de réaliser ses propres idées, tout est possible, tout est souhaité, rien n’est interdit. Quelle merveilleuse prise de conscience, même pour des personnes qui travaillent depuis des décennies avec ce média. Merci Jolente et chapeau Jérôme.
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Cet article a été traduit automatiquement avec deepl.com
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Un mélange excitant

Un mélange excitant

Bouchra Ouizguen fait partie depuis quelques années du programme des tournées des partenaires de la danse contemporaine. La France et la Belgique y jouent un rôle prépondérant, mais l’idée de soutenir des productions à l’échelle internationale trouve de plus en plus d’écho dans le monde des festivals de notre pays.

Bien qu’elle en soit aujourd’hui à sa septième production, elle est une frontalière dans le domaine de la danse contemporaine. Dans les interviews, elle raconte régulièrement que ni elle ni ses danseurs n’ont suivi de formation correspondante. Ce qui caractérise son travail, ou plutôt le début de son travail sur ce projet, c’est la recherche de personnes qui maîtrisent encore les formes traditionnelles de la chanson et de la danse.

Dans « Elephant », Ouizguen s’est fixé pour objectif de faire monter la danse et la musique marocaines sur scène pour les arracher à l’oubli et à la disparition. Pour ce faire, elle a choisi comme métaphore l’éléphant, une espèce menacée qui aura peut-être déjà disparu au siècle prochain.

Avec trois autres protagonistes – une jeune femme et deux femmes plus âgées qui ont déjà collaboré avec Ouizguen – elle a présenté le résultat de ses recherches musicales et dansées dans le cadre du programme des Wiener Festwochen à l’Odéon. Chez elle, le matériel trouvé est transformé de manière intuitive et créative en une pièce d’une heure. Une pièce qui ne se contente pas de montrer la tradition, mais qui l’enveloppe d’un nouveau manteau.

Mais avant que leur spectacle ne commence par la danse, le sol de la scène est d’abord nettoyé par deux femmes à l’aide de grands draps de sol. Ensuite, elles montent sur scène avec deux autres danseuses, non plus comme des femmes de ménage mais en tenue de cérémonie, pour nettoyer l’espace à l’aide d’encens. Il est clair que ce qui va être montré se déroule en partie dans le domaine rituel. En effet, un être dansant apparaît, coiffé d’un couvre-chef multicolore dont le pourtour est garni de cordes de raphia clair. Bientôt, il virevolte à travers la pièce.

Contrairement au tout début, la musique n’est pas enregistrée. Ce sont désormais les femmes elles-mêmes qui chantent en direct sur scène. Des litanies aux multiples strophes forment l’essentiel de l’action musicale. Elles trouvent un écho chez les autres, à partir d’une chanteuse principale, et sont rythmées par elles à l’aide de djenbes, des petits tambours de bongo. Ce cadre musical reste le même pendant toute la représentation, mais les différentes scènes dansées changent. On assiste à un intermède soliste, présenté par la plus jeune femme, qui, fouettée par la musique qui s’accélère, s’effondre, épuisée. Mais les femmes se produisent également dans une impressionnante chorégraphie de groupe.

Elle constitue le point culminant artistique de la performance. Conçue comme une improvisation de contact, elle est pourtant tout sauf improvisée. Après avoir tiré des vêtements hors champ – ce qui peut être compris comme une métaphore saisissante de la mort humaine – et entonné une litanie de lamentations, les trois danseuses se regroupent en un seul organisme. Elles le déplacent à travers la salle dans des combinaisons sans cesse renouvelées à l’aide de techniques de levage. On a ainsi l’impression qu’elles se tiennent l’une l’autre dans leur tristesse et leur douleur et qu’elles ne se laissent jamais tomber. Il s’agit d’une scène très émotionnelle et parlante. Elle montre des personnes dans une situation exceptionnelle qu’elles ne peuvent surmonter qu’en se soutenant mutuellement. La manière dont ils se lient les uns aux autres, dont ils se laissent tomber dans les autres, dont ils sont tirés ou poussés par eux, dont ils ne tombent pas à terre dans leur douleur articulée à haute voix, mais dont ils se soutiennent et se tiennent mutuellement encore et encore, est également à lire au plus haut degré de manière métaphorique.

Le mélange de musique traditionnelle et de nouvelle chorégraphie ne semble pas artificiel à ce moment-là, mais tout à fait naturel. Il permet au public de réfléchir bien au-delà de ce qui se passe dans la danse. Le fait que le travail de Bouchra Ouizguen se retrouve presque automatiquement dans un contexte culturel et historique plus large rend son œuvre intéressante pour d’autres disciplines comme la musicologie, l’anthropologie culturelle ou la sociologie.

Cet article a été traduit automatiquement par deepl.com.
 

Musique et danse sans temps ni espace

Musique et danse sans temps ni espace

C’est un scintillement et un bourdonnement, un chant et un balancement. C’est une célébration et un deuil, une pause et une course. C’est hier et aujourd’hui, le rêve et la réalité. C’est féminin et masculin et tout ce qui se trouve entre les deux, l’été et l’hiver, l’intérieur et l’extérieur.

Tout cela, c’est TUMULUS – une collaboration artistique entre le chorégraphe, danseur et auteur François Chaignaud et le chef d’orchestre Geoffroy Jourdain. Les Wiener Festwochen 2022 ont débuté avec ce projet transgenre dans le Museumsquartier, qui réserve un défi particulier à l’ensemble, puisque les danseurs sont également des chanteurs. Certes, ces derniers sont habitués à utiliser leur corps dans des conditions extrêmes lors de productions scéniques, par exemple lorsqu’ils doivent chanter en hauteur ou dans des positions inhabituelles. Mais dans la production française, le chant et la danse se côtoient et s’affrontent de manière équivalente.

La scène est dominée par un tumulus, une tombe en forme de colline, qui présente au centre deux petites entrées. (Scène Matthieu Lorry Dupuy) Cette architecture de tumulus est conquise de temps à autre avec élan et en courant, mais aussi de manière réfléchie au pas de charge cérémoniel. Les gens en descendent en glissant avec plaisir, comme le font les enfants qui se balancent sur les pentes en plein air. Mais les corps roulent aussi de la colline, comme s’ils étaient inanimés, pour atterrir ensuite sur le sol de la scène, immobiles.

Les scènes ne se distinguent pas seulement par des chorégraphies et des musiques différentes. À l’exception de la « Musique pour la fin » de Claude Vivier datant de 1971, Geoffroy Jourdain utilise de la musique Renaissance de Jean Richafort et William Byrd, ainsi qu’un Dies Irae d’Antonio Lotti et de la musique de Josquin Desprez, tous deux intelligemment adaptés par Jourdain pour la pièce de danse. La musique sacrée choisie crée en soi un ton méditatif, qui atteint toutefois un sommet sensuel avec Claude Vivier. Dans sa pièce, l’ensemble est assis face au public, en ligne le long du bord avant de la scène. Petit à petit, un chœur de voix délicates se développe avec un texte répétitif. La microtonalité utilisée et les passages de texte répétitifs provoquent un état d’expérience flottant. Il s’ensuit un sentiment de perte de temps, une oscillation entre un hier, un aujourd’hui et un demain inconnu. L’accompagnement rythmique se fait par des trépignements et des claquements de mains, par des claquements de doigts ou de langue, mais aussi par des bruits de respiration très audibles. De cette manière, on ne ressent jamais le besoin d’un accompagnement orchestral. Ce qui est produit en direct sur scène par l’ensemble contient tout ce qui est nécessaire pour une expérience musicale satisfaisante.

La sensation que l’action ne peut être classée dans aucune époque particulière, qu’elle a plutôt une validité intemporelle, est également renforcée par les costumes. Romain Brau utilise aussi bien des éléments à la mode actuelle comme des manteaux et des capes surpiqués que des hauts simplement drapés, à l’aspect archaïque, ou des lacets de jambes. Une procession qui défile sur la colline se distingue par des couvre-chefs originaux et oscille, par ses poses, entre les danseuses de temple asiatiques, les représentations égyptiennes de rites funéraires tels qu’on les connaît dans les pyramides et un répertoire de mouvements de danse contemporains. Le dernier spectacle, où les torses sont présentés nus, fait ressentir la vulnérabilité des personnes. Le fait d’être à la merci de son environnement, mais aussi de son destin, dont l’issue est toujours fatale, suscite des sentiments de besoin de protection et d’empathie.

Le concept de Tumulus crée un équilibre constant entre les époques, qui se retrouve dans la musique, la danse et le décor. Cela confère à la production son propre charme et son caractère. Sans parler des belles voix qui sont utilisées dans un voicing finement harmonisé et qui constituent en soi une expérience de concert.

Lors des applaudissements, le public viennois a pu applaudir tous les participants et, grâce à l’apparition de François Chaignaud, il a également eu un petit aperçu de la façon dont sa personnalité résonne dans Tumulus. Son impressionnant coup de chapeau imaginaire pendant sa révérence – un geste de respect autrefois réservé à la cour – a fait l’effet de la dernière pièce du puzzle qui couronne le travail collectif intense accompli auparavant.

Sur scène, on a dansé et chanté : Simon Bailly, Mario Barrantes, Florence Gengoul, Myriam Jarmache, Evann Loget-Raymond, Marie Picaut, Alan Picol, Antoine Roux-Briffaud, Vivien Simon, Maryfé Singy, Ryan Veillet, Aure Wachter, Daniel Wendler

Texte traduit automatiquement avec deepl.com

Tempest – without a body

Tempest – without a body

TEMPEST 16 21

Tempest – without a body (c) Maillon- Pôle-Sud

La lumière s’éteint. Au même moment un vacarme terrifiant sort des haut-parleurs et effraie le public. Cet enfer acoustique sans fin met l’auditoire dans une incertitude émotionnelle pour un temps certain. Doucement la lumière revient sur la scène. L’effroi éprouvé par tous est encore présent, se dissipe peu à peu mais reviendra – mais on verra plus tard.
Ils viennent d’un autre continent, d’une culture différente. Ils nous montrent dans une espèce de condensé métaphorique la disparition de leur culture, mais quelque part le public sent que ce jeu effrayant le concerne aussi.
« Ils » ce sont les acteurs maoris de la troupe MAU sous la direction de Lemi Ponifasio.

La troupe est composée de 10 hommes et une femme qui montrent à l’aide d’images marquantes et dans un tempo très lent à leur public ce que celui-ci n’a aucune envie de voir la plupart du temps : la destruction d’une culture par des facteurs extérieurs, mais la destruction de cette même culture aussi de l’intérieur, causée par l’ignorance. Une destruction totale, jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus rien que des débris. C’est un spectacle, à une exception près, sans mots, avec un caractère plutôt muséal que théâtral. Les images qu’il évoque sont si marquantes – certains acteurs bougent avec une telle lenteur – que le spectateur perçoit ce qu’il voit comme un ralenti ou bien elles s’ancrent à force de répétition définitivement dans sa tête. Ainsi par exemple l’apparition de l’homme-animal à quatre pattes. Il arrive lentement sur la scène, tout comme un fauve qui se faufile à travers la jungle. Le dos de ses mains lui sert d’appui, les genoux restent raides. Ses pas exagérément lents et son regard perçant font oublier qu’il s’agit d’un être humain qui bouge sur la scène. Plusieurs fois il trace de grands cercles, jette des regards insistants dans le public, ce qui a un effet indéniablement effrayant et finit par s’allonger par terre pour mourir. Le petit oiseau féminin ou l´ange du temps, qui pouvait jusque là être considéré comme inoffensif, s’accapare du corps sans vie, l’éloigne du faisceau du projecteur et le fait disparaitre de la scène.

Au début de la représentation les cris avaient effrayé le public. Mais les spectateurs ont fini par se calmer en pensant qu’il s’agissait d’un mode d’expression propre à une certaine espèce. Mais ce n’est pas le seul facteur de perturbation dont le jeune metteur en scène Lemi
Ponifasio se sert. Il fait avancer un homme nu à reculons tel une chenille sur une rampe de verre écla rée de l’intérieur. Ses mouvements sont presque imperceptibles. Cet homme a un corps superbe, mais ce n’est pas sa beauté qu’on perçoit mais sa détresse qui le fait finalement glisser vers la mort. Quand on le tire du podium en verre dans le néant noir, l’image reste gravée dans la tête comme une photographie surdimensionnée qu’on aurait vue dans un musée d’art contemporain. Une métaphore très forte qui représente l’humanité dans son ensemble et non seulement les maoris.

Tempest – without a body – est une apocalypse en gris et noir avec la mémoire temporaire du sang. Cela devient visible, quand l’immense cadre tendu de soie grise suspendu au dessus des têtes des acteurs comme un tableau sans image, se teint brutalement en rouge-sang. De son coté, le petit oiseau féminin ou l´ange qui apparaît de temps à autre pour traverser le terrain à pas lent a levé sa main blessée, ou plutôt ses griffes, comme une mise en garde. Mais l’image qui évoque le sang et la destruction n’est pas encore arrivée à son paroxysme. Des hommes vêtus de noir continuent à courir à travers la scène à tout petits pas rapides pour danser de façon mécanique leurs danses rituelles. Ils restent jusqu’à la fin l’élément continu qui traverse l’action tel un fil noir. Rien ne leur fait perdre leur équilibre, mais ils ne remarquent rien non plus. Quand Tame Iti un maori âgé et très impressionnant entre en scène, ils disparaissent et font place à son chant. Les yeux maquillés en rouge, affublé d’un costume gris d’homme d’affaires, il ressemble à une sorte d’hermaphrodite constituée de deux cultures. Sa litanie accompagnée par un gestuel impressionnant évoque un autre temps, des évènements d’un passé lointain de ce peuple qui depuis longtemps – et le costume le montre plus que clairement – a intégré la civilisation occidentale.
Avec Tame Iti, Ponifasio a réussi à faire participer un personnage à son spectacle qui en Nouvelle Zélande figure au premier rang dans la lutte pour l’indépendance des Maoris. Une autorisation spéciale lui permet d’aller en tournée avec la troupe. Le fait d’avoir tiré avec une carabine à plombs sur le drapeau néozélandais lui a valu d’être accusé de terrorisme ce qui implique automatiquement l’interdiction de quitter le territoire. Ceci montre aussi le fond politique explosif derrière cette représentation. « Tempest » est la réponse probante de Lemi Ponifasion natif Samoa à la question : comment peut-on rendre visible la misère d’une culture en voie de disparition ? Avec ses images métaphoriques, profondément ancrées dans sa propre culture, il attire l’attention sur ce qui a existé pendant des millénaires et qui est perdu pour toujours. Même des rituels très stricts comme ceux des Haka maoris n’y changent rien. Après l’entrée en matière acoustique plus que dramatique et les cris d’oiseaux stridents, c’est un grand Maori qui vers la fin de la pièce fait encore une fois régner la peur. Il soulève tout doucement une grande plaque blanche jusqu’à ce qu’elle se trouve au dessus de sa tête. D’un mouvement brusque, il la casse sur son crâne rasé en mille morceaux. D’une seconde à l’autre, tout est couvert d’un blanc surnaturel. Ceci déchaîne les danseurs rituels : les uns après les autres, ils apportent d’autres plaques de plâtre sur la scène et comme dans un furieux final destructeur ils les cassent de toutes leurs forces jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des débris. Seulement quand le chaos est total ils se figent. La consternation et l’égarement restent.

Ponifasio a réussi faire régner un sentiment de destruction qui ne concerne pas seulement les Maoris mais toutes les cultures sur notre terre, y compris la notre. Les Maoris ne peuvent trouver meilleurs ambassadeurs pour défendre leur cause que Tame Iti et toute la troupe. Ils réussissent à montrer le statu quo de la situation très précisément, sans l’embellir, sans sentimentalisme, et sans index levé.
Une pièce extrêmement complexe et très, très simple à la fois. Elle nous touche profondément et nous fait réfléchir. Lemi – go on and touch the world as hard as you can!

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

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