HAMLET – DANS LES PLIS DU TEMPS

HAMLET – DANS LES PLIS DU TEMPS

Hamlet, le prince danois de Shakespeare, se promène sur la scène du ‘Volkstheater’ à Vienne en jeune femme intelligente qui traverse les époques. La metteuse en scène d’origine brésilienne Christiane Jatahy, qui s’est déjà fait un nom aussi bien au théâtre qu’au cinéma, éclaire le drame avec un fort accent féminin.

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HAMLET – DANS LES PLIS DU TEMPS (Foto: Simon Gosselin)

Clotilde Hesme a su rendre compréhensible la pensée de Hamlet, malgré les violents méandres du temps. La metteuse en scène, qui a également créé un décor impressionnant dans lequel l’ensemble live se mêle habilement aux enregistrements cinématographiques, voit Hamlet au féminin et confie ce rôle à Hesme de manière plus qu’idéale. Vêtue d’un pantalon noir stylé, elle revendique sa féminité dans son apparence androgyne, sans que cela n’ait d’autres conséquences sur la suite des événements. Qu’il s’agisse d’elle ou de lui, la tristesse, la colère et la volonté de justice restent les mêmes, quel que soit le sexe qui vit ces sentiments, et ce message est bien exprimé dans la transcription du rôle de Jatahy.

Hamlet transmet sa douleur et sa colère pour le meurtre de son père dans sa famille de manière si radicale qu’il n’en reste finalement pas une seule pierre debout. Furieuse, grandiose, intense, vulnérable et blessante en même temps, cette jeune femme, dans son implacable emportement, se pose pourtant à plusieurs reprises la question la plus importante pour elle : pour être juste, faut-il être cruel ? Par ses débordements émotionnels, elle ne se contente pas de tendre un miroir à la société pourrie et chic qui l’entoure. Elle accuse et menace, elle est impardonnable, mais en dernier ressort, elle se retourne contre elle-même.

Ophélie, Isabel Abreu, semble dès le départ extrêmement menacée par sa frêle silhouette. Elle est d’autant plus surprenante qu’elle affirme à plusieurs reprises que l’image imposée de la femme qui souffre a fait son temps et qu’elle ne sera plus une victime. Elle est déjà morte trop souvent lors des derniers siècles, maintenant, c’est assez, postule-t-elle avec assurance pour réinterpréter son rôle. Abreu allie de manière particulière autant la force qu’un rayonnement très éthéré. Comme Hamlet, elle n’est pas prête à accepter la société telle qu’elle est. La seule qui n’est pas consciente que la génération qui la suit veut changer la façon dont le monde est organisé par le patriarcat, c’est Gertrude, la mère de Hamlet.

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HAMLET – DANS LES PLIS DU TEMPS • Hamlet – in den Falten der Zeit (Foto: Simon Gosselin)

Servane Ducorps joue une épouse et surtout une reine matrone dont le mari vient de décéder. Elle ne peut et ne veut apparemment rien imaginer d’autre que de continuer à jouer ce rôle, même si elle doit désormais le faire aux côtés de son ancien beau-frère. On remarque que c’est avec Gertrude que la réalisatrice a le moins de points de contact, car elle reste pâle dans ses motivations, à l’exception de celles liées au maintien de son statut, et n’arrive pas à la cheville de Hamlet ou d’Ophélie, ni émotionnellement ni intellectuellement.

Tom Adjibi (Güldenstern), David Houri (Rosenkranz), Tonan Quito (Polonius), Matthieu Sampeur (Claudius) et Loïc Corbery, qui apparaît au début de manière fantomatique dans une vidéo comme père de Hamlet, constituent la distribution masculine. Tous ne se rendent pas compte qu’ils sont toujours au pouvoir, mais qu’ils l’exercent d’une manière dépourvue de tout sens moral. Cette société d’hommes agit comme elle l’a toujours fait : prendre le pouvoir et le garder, quel qu’en soit le prix, même si cela implique des milliers de vies humaines. Des images d’actions guerrières, comme celles qui se déroulent actuellement en Ukraine, et des images connues de récentes inondations, ainsi que le lieu lui-même – un grand salon avec une kitchenette ouverte de luxe et une vue à travers d’imposantes baies vitrées sur le jardin adjacent avec de vieux arbres – placent également la tragédie de Shakespeare à notre époque

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HAMLET – DANS LES PLIS DU TEMPS • Hamlet – in den Falten der Zeit (Foto: Simon Gosselin)

La réalisatrice demande beaucoup à sa troupe, mais tout autant à son public. Sans connaître l’œuvre originale, certains peineront à suivre l’action. Mais, les personnes averties pourront se réjouir des nombreuses réinterprétations scéniques. Le fait que le texte reste en grande partie dans son diktat d’origine crée simultanément une tension et un pont entre les siècles. Présenté en français et en portugais, surtitré en allemand et en anglais, il n’en acquiert pas moins des nouvelles nuances, intéressantes et inédites. Les intermèdes musicaux de Gertrude et de Hamlet sont divertissants. Des tubes de Sinéad O’Connor, Nina Simone ou Gilbert Bécaud viennent étayer les propos avec une atmosphère de spectacle et, simultanément, de nombreux clins d’œil. Le fait que Hamlet doive accepter à un moment donné un jeu de mots sur l’omelette, le plat à base d’œufs cassés, fait également partie de l’humour contemporain qui, à certains moments, éclipse la tragédie. C’est ce qui se passe à chaque fois que Hamlet fait entendre sa voix comme Dark Vador, au grand désarroi de sa famille, mais pour le plus grand plaisir du public.

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HAMLET – DANS LES PLIS DU TEMPS (Foto: Simon Gosselin)

La référence habituelle actuelle qui consiste à faire référence au théâtre lui-même dans le théâtre, n’est pas non plus absente chez Christiane Jatahy. L’idée de faire jouer la famille de Hamlet et leurs amis Güldenstern et Rosenkranz sur scène, dans leur cage dorée, comme une troupe d’acteurs, est amusante. Malgré les nombreuses idées de mise en scène inhabituelles, ou plutôt à cause de cette multitude, l’étincelle d’implication émotionnelle ne se propage pas réellement au public. Le sentiment que la réalisatrice s’est trop effilochée — comme on dit en Autriche — n’apparaît pas seulement à la fin. Il y a trop souvent des niveaux méta qui détournent l’attention de l’action et qui empêchent de se sentir vraiment concerné par le destin des personnes.

Mais, il y a aussi des exceptions temporaires. Clotilde Hesme, Isabel Abreu et, dans l’une de ses dernières apparitions, Matthieu Sampeur (Polonius) nous touchent par l’intensité de leur jeu. Ce dernier convainc par son attaque irascible, presque physique, contre Hamlet, dans laquelle il apparaît explicitement qu’il ne peut rien contre la perspicacité de la jeunesse et ses exigences de vérité et de justice. Au contraire, celui-ci lui inspire une peur dont il ne peut plus se défendre. La coproduction avec l'<em>Odéon</em>-<em>Théâtre</em> de l’Europe de Paris, malgré toutes les critiques que l’on peut faire à la mise en scène, laisse une nouvelle vision de la tragédie de Shakespeare. Pas seulement une vision légitimement plus féminine. Au contraire, Jatahy montre de manière impérativement logique que Hamlet est un personnage qui, malgré une capacité de réflexion maximale, ne peut pas échapper à ses pulsions intérieures, voire les utilise, doit consciemment les utiliser contre lui-même et la société. Le public l’a remercié par des applaudissements adéquats : pas exubérants, mais pas non plus avares.

Ce texte a été traduit automatiquement en utilisant deepl.com
Jouer du piano avec un équipement d’alpiniste

Jouer du piano avec un équipement d’alpiniste

« IX KLA VIER E », tel était le nom de la performance d’environ une demi-heure de Nick Acorne, pour laquelle 3×3 pianos avaient été montés les uns sur les autres dans l’antichambre. Devant eux s’étendait un échafaudage qu’Acorne pouvait escalader d’un pas rapide. Équipé d’un casque et d’une ceinture à laquelle étaient accrochés toutes sortes d’ustensiles de cuisine, contre-assuré par une corde, il se balançait non pas de branche en branche, mais de piano en piano, pour jouer de courts passages sur chacun d’eux. Tous donnaient lieu à une composition vraiment époustouflante, mais d’abord pour le pianiste lui-même. Il devait à chaque fois franchir quelques mètres de hauteur, aussi bien vers le haut que vers le bas, ou se faufiler sur les entretoises métalliques pour atteindre l’instrument suivant. Les pianos eux-mêmes étaient préparés et présentaient des caractéristiques sonores différentes.

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« IX Kla vier e »

L’essentiel de toute leçon de piano – la bonne position assise et la bonne position des mains – s’est révélé absurde lors de cette performance. Dans les régions les plus élevées, Acorne a dû se suspendre à la corde ou s’agenouiller devant les pianos, parfois dans la partie la plus basse. Ce qui était étonnant, c’est que malgré les difficultés sportives, il en résultait une composition improvisée qui pouvait être entendue même sans escalade. Le fait que chaque représentation – il y en avait trois au total – ait été différente est évident au vu du concept. L’artiste, qui avait auparavant suivi un cours d’escalade pour débutants, a constaté dans une interview avec Daniela Fietzek qu’il ne sous-estimait pas l’effort physique, « mais je sais de moi-même que dès qu’il s’agit d’art, je trouve toujours des ressources dans mon corps ».

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« IX Kla vier e » (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Les chaussettes de couleurs différentes lors de la 2e représentation – l’une était jaune, l’autre bleue – ainsi que le bref rappel – suspendu à l’envers dans la corde – en disaient long.

S’il convient d’apprécier la performance physique et artistique de Nick Acorne, il ne faut pas oublier que ses activités sont également teintées d’une grande dose d’humour. Le rire et l’étonnement étaient tout aussi permis.

Quatre femmes et un homme

Quatre femmes et un homme

La première représentation de « canvas » de la compositrice slovène Nina Šenk et de la librettiste Simona Semenič a été présentée. Šenk a reçu après la représentation le prix du concours de composition d’opéra Johann-Joseph-Fux qu’elle avait remporté avec cet opéra.

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« canvas » (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Le film raconte l’histoire de quatre femmes qui, sans le savoir, aiment le même homme. Celui-ci passe de l’une à l’autre comme bon lui semble et tente de manœuvrer et de retenir les femmes dans des dépendances affectives. Ingo Kerkhof – professeur de KUG en représentation dramatico-musicale (interprétation scénique) a assuré la mise en scène, Katharina Zotter s’est occupée des décors et Gerrit Prießnitz était responsable de la direction musicale.

L’orchestre était placé contre le mur gauche de la salle, le chef d’orchestre était dos au mur et avait ainsi une vue sur l’ensemble instrumental ainsi que sur les chanteuses. Une plate-forme tournante carrée, recouverte de tissu blanc et haute de quelques centimètres, marquait la zone sur laquelle on jouait et chantait. De plus, les chanteuses agissaient à tour de rôle à un bureau situé sur le bord droit de la scène, face au public.

Les étudiantes se sont glissées dans différents rôles et ont notamment mimé une partie d’ouvrières d’usine. Dès le début, une jeune fille a vécu sa mort tragique sur une civière d’hôpital. Son alter-ego a chanté ce processus comme si la mourante se regardait mourir. Les circonstances exactes qui ont conduit à cette mort n’ont pas été élucidées – les spéculations à ce sujet peuvent clairement être individuelles.

Le livret séduisant, composé de phrases courtes et concises, avec des répétitions et des expressions parfois grossières, a offert à la compositrice une grande quantité de nourriture émotionnelle qu’il s’agissait de transposer sur le plan sonore. Šenk a réussi à faire entendre les voix au premier plan et à n’utiliser la partie instrumentale qu’en soutien.

L’orchestre ne joue un rôle beaucoup plus important que dans un passage où il est question d’un abus sexuel. Dans cette partie, le texte est en grande partie parlé et l’acte de violence est illustré par la fureur des instruments qui produisent des bruits de craquement et de cliquetis. Dans cette scène, toutes les femmes se tiennent immobiles, vêtues de noir, sur l’estrade et attendent dans cette position jusqu’à ce que l’une d’elles murmure : « I have to be quiet when it’s time to be quiet ». Cette phrase est reprise par les autres, qui la transforment en un chant chuchoté qui se glisse sous la peau.

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« canvas » (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Les différents personnages ont été bien mis en valeur – des femmes mariées qui ont peur que leur liaison soit découverte, une jeune fille qui demande à Dieu de la délivrer, une ouvrière d’usine qui voit dans l’homme l’accomplissement suprême, une dame qui commence à se sentir à nouveau jeune grâce au bonheur d’aimer. Le womanizer lui-même – également représenté par l’une des femmes – n’entre que brièvement en jeu et n’est montré ni séduisant ni violent. Seule une femme se trouve en dehors de la spirale de l’amour. Elle est annoncée comme une grosse Italienne qui arrive sur scène sans chanter et repart. C’est la seule qui ne semble pas être dépendante sur le plan émotionnel, mais qui, au vu de la description de son corps, devrait exercer une forte attirance sexuelle.

La compositrice utilise des quatuors, mais aussi des arias en solo, et a marqué les changements de scène par de forts bruits de respiration, amplifiés par microphone. C’est l’équilibre particulièrement réussi entre la parole et la musique qui rend cette représentation si particulière. La projection du texte anglais sur un grand écran derrière les chanteuses a été utile, mais aussi bien gérée d’un point de vue esthétique. De plus, ces dernières, étudiantes à l’université de musique de Graz, étaient toutes parfaitement disposées.

Melis Demiray, Lavinia Husmann, Laure-Cathérine Beyers, Marija-Katarina Jukić, Ellen Rose Kelly, Christine Rainer et Ana Vidmar peuvent être félicitées pour leur magnifique prestation.

Un grand nombre de musiciens pour le musikprotokoll au Steirischer Herbst 23.

Un grand nombre de musiciens pour le musikprotokoll au Steirischer Herbst 23.

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Marin Alsop und das RSO (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Pour commencer, Sappho / Bioluminescence de Liza Lim était au programme. Dans sa composition, elle a voulu « ouvrir un espace de spéculation », ce qui est facile au vu du titre. Lim parle à la fois de l’écrivaine antique, dont nous soupçonnons plus que ce qui nous est parvenu d’elle, mais aussi d’une pieuvre capable de se transformer en un ciel étoilé pour tromper ses ennemis. Un frémissement dans les flûtes, qui se fond dans l’orchestre, marque le début. Bientôt, on entend une succession harmonieuse dans les voix des vents, qui rappelle fortement la pratique de la musique de film. Les acteurs principaux sont toujours les cors, qui se détachent de manière bien audible de l’orchestre.

Ce qui est également frappant et caractéristique, c’est que l’ensemble de l’instrumentarium agit presque en permanence. Des coups de cloches, des violons scintillants et une interruption brutale des harpes – que l’on entendra encore plusieurs fois – se succèdent. Mais c’est à nouveau une mélodie des vents qui se détache du reste de l’action. Après un son orchestral majestueux et des cordes sphériques, le frémissement que l’on entendait au début retentit à nouveau. Les cuivres et les bois ont chacun leur rôle à jouer, et les instruments ne cessent de résonner. Mais un petit solo de violon peut également se présenter, soutenu par de petites touches de harpe. La beauté dans laquelle on se laisse volontiers aller est sans cesse interrompue par des sons plus durs et inattendus, comme ceux d’un xylophone, d’un vibraphone ou de harpes. Le fait qu’une sorte d’état de suspension soit décrit à la fin s’intègre bien et logiquement à ce que l’on a entendu auparavant. Une belle œuvre qui donne envie d’entendre davantage de la compositrice.

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Karl Heinz Schütz en soliste à la flûte (photo : ORF musikprotokoll/Martin Gross)

Le deuxième point du programme « making of – intimacy » est signé Clemens Gadenstätter et a été écrit pour flûte solo et orchestre. Karl-Heinz Schütz a pris en charge la partie soliste exigeante et a exploité une large palette sonore de son instrument. L’ensemble de l’orchestre débute simultanément dans un ductus agité et rapide. La flûte, qui se fait entendre peu après, est rapidement utilisée par le grand appareil sonore pour y répondre. Ce jeu entre prétexte et réaction se répétera bientôt à l’inverse, après un interlude sauvage sans flûte.

Autant le début était intense, autant un solo de flûte s’installe peu après de manière mélancolique, dont la plainte est à nouveau reprise par l’ensemble de l’instrumentarium. L’atmosphère de ce qui était encore une tristesse se transforme en une révolte. Des coups et des cuivres bruyants, un rugissement et des tambours puissants marquent cette partie. Comme précédemment, l’action change complètement et, sur des chuchotements, la flûte douce reste longtemps sur une note. Ce long passage calme est également marqué par un solo délicat, que le flûtiste accompagne également vocalement pendant qu’il joue. Pendant ce temps, l’orchestre agit comme un animal endormi, réagissant à la dynamique d’une intervention de Schütz en anche battante et à ses courses. La densification sonore qui s’ensuit, avec un engagement complet de l’orchestre, se transforme en un état de rugissement bouleversant, comme celui d’un animal blessé par la chasse. C’est maintenant à la flûte de prendre le relais de l’orchestre dans ses montées et descentes, puis de lui laisser à nouveau la scène. Des cloches, des cymbales, des cuivres rugissants, des coups violents et des battements marquent ce passage violent, qui est à nouveau suivi d’un long passage silencieux avec des souffles vocaux. Comme précédemment, l’action s’enflamme à nouveau pour se calmer rapidement. On entend à présent des voix, des cuivres sombres et une flûte vacillante – jusqu’à ce que tout se transforme en un long passage calme qui se dissipe lentement. C’est un flux et un reflux, une plainte et un rugissement émotionnels tout autant qu’un recueillement mélancolique, transformé en langage musical de Gadenstätter. Dans cette œuvre, les émotions audibles occupent la première place. Des émotions que le public peut interpréter de manière similaire, mais pas identique, et qui laissent à chacun et chacune une marge d’interprétation suffisante.

strange bird – no longer navigating by a star » de Clara Iannotta, décrit également des états émotionnels dans lesquels est intégrée la métaphore d’un oiseau étrange, battant des ailes, « dont le tournoiement sans but est la source des cris qui résonnent sur une place vide » – selon la compositrice. Son matériel sonore n’est pas toujours définissable avec précision, une guitare électrique est souvent utilisée comme instrument rythmique, des archets de violon effleurent des cymbales, des bourdonnements de cuivres profonds marquent une impression générale lugubre. On entend régulièrement des gazouillis excités et des états dans lesquels on a l’impression que le temps s’est arrêté. La commande de composition 2023 d’Emil Breisach s’achève sur des cris d’oiseaux et laisse l’impression d’avoir brièvement contemplé un abîme psychique à l’aide de la musique.

La série de concerts s’est terminée par « Scorching Scherzo », un concerto pour piano de Bernhard Gander. L’œuvre est typiquement « Gander » : Intense, pulsant, fouettant, furieux. Et il laisse le piano dans son état d’origine, sans préparation ni possibilités d’extension rythmique. Celles-ci ne sont d’ailleurs pas nécessaires, tant la partie qui lui est dévolue est en grande partie furieuse.

Jonas Ahonen a besoin de force et d’endurance pour opposer à l’orchestre les successions rapides d’accords de manière à ce qu’ils s’arrêtent à la pointe du son et ne soient pas étouffés par les instruments. Un rythme jazzy fouettant, accompagné de timbales et de basses au début, ainsi que des courses ascendantes et répétitives qui se terminent par des accords de basse, accrochent immédiatement l’oreille. La sauvagerie, qui a déjà montré son visage au début, revient sans cesse et ne se désagrège à un moment donné que dans la partie solo du piano. Celui-ci reprend les courses ascendantes des vents que l’on entendait au début, jusqu’à ce que l’orchestre revienne en force.

Un nouveau solo avec de brèves poussées laisse apparaître une structure harmonique du 19e siècle, à nouveau interrompue par de brèves poussées, mais avec une mélodie intercalée. Les cordes s’y ajoutent de biais, avec un timbre néanmoins suave, et connaissent avec les violoncelles et les timbales endiablées un nouveau départ vers une partie furieuse. Un rythme endiablé, précipité et essoufflé s’empare de l’orchestre et s’abat sur le piano, qui n’est plus guère audible. L’action se déroule dans une partie marquée par les basses, les cuivres profonds et les bois, qui constituerait à elle seule une œuvre impressionnante. Vers la fin de la composition, des successions d’accords sauvages avec des courses identiques, soutenues à nouveau par l’ensemble de l’orchestre, constituent un autre point culminant qui se termine abruptement et débouche sur une partie variée et tendre portée par le piano et les violons. Ce ne sont plus des spirales ascendantes, mais des spirales descendantes dans un ton majeur clair qui apportent une nouvelle couleur à l’action. L’idée de faire résonner à nouveau dans le final les courses que l’on entendait au début dans la basse du piano, mais cette fois dans l’aigu, constitue une magnifique parenthèse sur laquelle se termine le concert.

C’est la combinaison de la sauvagerie entraînante de la partie de piano techniquement exigeante et des citations de la littérature romantique pour piano qui a extrêmement enthousiasmé le public. A quatre reprises, il a fait revenir Gander, Alsop et Ahonen sur scène pour les acclamer. Un fait qui constitue une exception absolue dans les représentations de musique contemporaine.

Avec cette soirée, le protocole musical a offert une opulence sonore qui a également démontré que les compositions pour grand orchestre n’ont rien perdu de leur fascination. Pour le plus grand plaisir de l’auditoire.

Le son de la nature dans la salle de concert

Le son de la nature dans la salle de concert

Le protocole musical a présenté au public de Steirischer Herbst un programme tellement dense par soirée que de nombreuses personnes ont quitté le lieu de représentation à peu près à la mi-temps. Cela est peut-être moins dû à un manque d’intérêt qu’à un trop-plein de choses entendues et vues. A cela s’ajoute le fait que la salle List, dans laquelle se sont déroulées trois soirées consécutives, n’est desservie par le tramway en direction du centre-ville que jusqu’à 23h15. Malheureusement, de nombreux spectateurs n’ont pas eu l’occasion d’écouter ce qui aurait pu être entendu. Comme ce soir-là l' »Aria » de Beat Furrer, à la représentation duquel nous n’avons pas pu assister.

La soirée a été brillamment ouverte par le « Piano Concerto » de Kristine Tjøgersen. Au piano, Ellen Ugelvik, n’a pas fait résonner le piano à partir des touches. Au contraire, au fur et à mesure que l’orchestre jouait, elle a intégré dans la caisse de résonance une forêt de petits arbres, comme on en voit dans les décors des trains miniatures. La compositrice est fascinée par la communication des arbres, qui se déroule de manière invisible sous terre, et a ainsi trouvé une transposition adéquate de la visualisation. Outre les sons, ce sont surtout des bruits, comme des crépitements et des crépitements, mais aussi des bruissements, des bruits de vent ou le bourdonnement des abeilles, que l’on pouvait entendre à côté de lignes de basse répétitives et descendantes, mais aussi de petits fragments de mélodies. Une fois la construction de la forêt artificielle terminée, la performeuse s’est occupée d’un enregistrement vidéo en direct qui a été projeté sur le grand écran derrière l’orchestre. La tâche que la compositrice s’était fixée pour ce concert, à savoir donner une voix à la nature dans la salle de concert, a été effectivement réalisée par elle de manière audible et visible dans ce setting.

Madli Marje Gildemann s’intéresse aux oiseaux nocturnes et a essayé de se mettre à la place de ces animaux en les observant. Dans sa composition « Nocturnal Migrants », elle produit un son flottant qui s’enfle et se dégonfle et se répète dans une exécution similaire, mais pas identique. Un gazouillement affolé trahit un malheur à un moment de la composition, tout comme une partie de couleur très sombre qui apparaît dans la basse du piano après les sons de peur des oiseaux. Le ton général est dominé par une excitation, une tension permanente qui ne s’apaise que lorsque la musique s’éteint à la fin de la composition. Son travail porte sur la force d’attraction de la lumière exercée sur les oiseaux, qui peut finalement avoir des conséquences fatales. Mais elle décrit elle-même ce phénomène « comme une métaphore des comportements impulsifs et compulsifs des gens… qui ont peu d’idée des motifs qui les animent ».

« if left to soar on winds wings » de Karen Power a été créé, outre la partie live du Klangforum, à partir de sons enregistrés que la compositrice a collectés tout autour du globe. Elle se rend de préférence dans des endroits où il y a peu de monde, mais constate à chaque fois qu’il n’y a plus d’endroits dans le monde où l’homme n’est pas déjà passé et n’a pas laissé de traces. Ce que l’on entend partout comme une constante, c’est le vent – même si c’est sous différentes formes. C’est d’ailleurs ce phénomène naturel que l’on entend dès le début de leur composition. Des bruits de stridulation et des chants d’oiseaux apparaissent également dans son œuvre, mais l’élément déterminant reste le vent, auquel on peut même attribuer la fonction de basse continue. « Comme beaucoup de mes œuvres, « …if left to soar on winds wings… » invite chaque performeur et spectateur à écouter tous les sons simplement comme une musique que nous n’avons jamais entendue auparavant. Je nous demande à tous d’ouvrir nos oreilles et de nous reconnecter à notre environnement, comme quelque chose qui nous unit plutôt que de nous diviser, et de reconsidérer notre pouvoir et notre influence sur tout ce qui nous entoure ». – déclare Karen Power dans sa déclaration, que l’on peut lire dans le programme.

La représentation d' »Exercises in Estrangement II – L’animal que donc je suis » de Sandeep Bhagwati a fait preuve d’originalité.

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« Exercises in Estrangement II – L’animal que donc je suis » (photo : ORF musikprotokoll/Martin Gross)

L’ensemble a ainsi pu se déplacer sur scène de manière chorégraphique et s’est retrouvé dans des constellations toujours nouvelles. Agenouillés au début, puis marchant ou tournant autour de leur propre axe, les musiciens ont offert dans leur action non seulement une nourriture pour l’oreille, mais aussi pour les yeux. Le point de départ de l’œuvre était un livre de Jacques Derrida, dans lequel il explore les liens étroits entre l’animal et l’homme. Les musiciens se sont glissés à plusieurs reprises dans le rôle de différents animaux et ont communiqué entre eux en permanence. Associés à des voix enregistrées, dont le texte est parfois volontairement incompréhensible, il en résulte un réseau animal, humain et auditif dont les différentes composantes ne constituent plus un centre de gravité. Des chants d’oiseaux, des rugissements d’éléphants ou des grésillements de cigales, c’est tout cela que l’on a pu entendre grâce à la mise en œuvre d’instruments individuels mais aussi à l’utilisation active de la voix.

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Schallfeld Ensemble (Foto: ORF musikprotokoll/Martin Gross)

En deuxième partie de soirée, l’ensemble Schallfeld a interprété « My fake plastic love » de Sehyung Kim, Dune de Carlo Elia Praderio et Katharina Klements « Monde II ». Cette dernière œuvre a connu une sorte de « pratique d’exécution historique » avec deux machines de mélange remises en état, puisque ces deux machines avaient déjà été utilisées dans un travail antérieur de Klement.

En raison de grandes similitudes, ou plutôt de grandes parentés dans certaines parties des compositions, on peut qualifier la programmation de cette suite de concerts de très cohérente en soi. Toutes étaient caractérisées par des concentrations de sons récurrentes ainsi que par une diminution opposée. Sehyung Kim travaille avec les timbres les plus divers des instruments et, vers la fin, avec des intervalles de plus en plus étroits. La composition de Praderio est minimaliste, contemplative et sombre dans son ensemble. Klement utilise des sons de cloches fréquents qui contrastent avec les bruits des machines de mixage. Des inserts électroniques élargissent son univers sonore, qui se caractérise également par des passages récurrents.

Une soirée de concert remplie jusqu’à la corde, qui a offert de la nouveauté, mais aussi la possibilité de faire des comparaisons entre certaines compositions.

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