A l’occasion de sa prestation avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui a joué le Messie de Händel pour la première fois depuis 20 ans, le chef d’orchestre américain John Nelson a accordé une interview.
Monsieur Nelson, combien de fois avez-vous déjà travaillé avec l’OPS ?
Oh, il faut que je réfléchisse un peu. C’est la troisième fois. Je ne suis pas très fort pour compter les années, mais la première fois doit bien remonter à 15 ans, la dernière à 8 ans.
Pendant les 8 dernières années, l’orchestre a changé dans sa configuration bien entendu. Vous voyez la différence ?
Non, je ne la vois pas. Car je ne peux comparer des pommes avec des poires. Cette fois-ci je travaille avec un petit ensemble baroque, les deux dernières fois c’était un grand orchestre.
La musique baroque est nouvelle pour l’OPS et je suis impressionné par sa flexibilité. Il y a beaucoup de jeunes musiciens et musiciennes dans l’orchestre. Déjà après la première répétition ils ont merveilleusement réagi. Il s’agit d’adapter leur technique: Ils doivent tenir l’archet plus court, par conséquence ils doivent tenir leur instrument plus haut. C’est ainsi que le ton change. A l’époque, les instruments étaient plus petits, joués différemment. Pas comme aujourd’hui avec le vibrato de la main gauche. On pourrait faire une comparaison comme celle entre le tennis et le ping-pong par exemple. Au ping-pong on utilise des raquettes beaucoup plus petites. Le jeu est plus rapide. On a besoin d’avantage d’énergie et d’une vitesse plus importante.
On jouait un ton plus sobre, sans vibrato. C’est pour cette raison que la main droite doit compenser ce vibrato. Les musiciens de l’orchestre perçoivent cette différence de son rapidement et adaptent leur jeu grâce à l’archet qu’ils tiennent plus court. Mais ce qui est le plus important pour moi ce n’est pas la technique. Je dis toujours: Ce qui est important c’est que jouez avec plaisir. Il vaut mieux jouer avec vibrato que sans plaisir. Sans plaisir rien n’est possible. Et ces musiciens jouent tous avec grand plaisir – vous pouvez certainement le voir très facilement.
Pensez-vous que faire de la musique avec plaisir est une façon typiquement américaine de s’intéresser à ce sujet ?
Non, là je ne suis pas forcément d’accord. A toutes les époques, que ce soit à la renaissance, au baroque ou au rococo, peu importe, il y a eu et il y a toujours les mêmes émotions: la colère, le bonheur, la mélancolie, la joie. Il faut juste trouver la façon dont on s’est exprimé musicalement aux différentes époques. Donc, je ne pense pas que le plaisir ou la joie soient une approche typiquement américaine. La joie est visible sur chacun des visages. Quand les musiciens et musiciennes jouent avec plaisir ils sont plus heureux et plus épanouis.
Vous avez à faire parfois à des musiciens ou musiciennes qui jouent sans plaisir ?
Et comment ! Malheureusement très souvent. Ils viennent à l’orchestre et font simplement leur travail. Et voilà. J’ai pitié de ces gens qui au fond n’ont pas envie de jouer. C’est dommage, car ils interprètent mal leur rôle. L’orchestre se trouve entre le public et le compositeur. Il faut qu’il saisisse l’esprit du compositeur et qu’il trouve la magie qui s’en dégage. Je dis toujours aux musiciens que les gens qui viennent pour les entendre jouer, paient très cher. Rien que cela doit être une motivation suffisante pour jouer sans s’ennuyer. Faites les sortir de leurs mondanités avec votre interprétation !
Pour vous en quoi consiste votre tâche principale en tant que chef d’orchestre ?
D’enthousiasmer ! C’est simple et compliqué à la fois. Les musiciennes et musiciens sont des gens intelligents et bien formés. Que voulez-vous que je leur raconte ? Ce que je peux faire, c’est de les rendre enthousiastes. C’est le premier de mes devoirs. Et non pas celui d’être correct ou fondamentaliste, sans vie ! J’essaie continuellement de m’améliorer avec les musiciennes et musiciens. Hier, je suis allé à Colmar. J’ai visité le musée « Unter den Linden » où j’ai vu un autel superbe, une œuvre de Matthias Grünewald. J’étais enthousiaste. Hier, c’était notre répétition générale, mais je sais qu’aujourd’hui, riche de ce souvenir de l’autel, je dirigerai le « Messie » certainement encore autrement. Le Messie raconte une histoire. Pour l’exprimer correctement, les musiciennes et musiciens doivent l’aimer. Avec les membres de l’orchestre j’évoque toujours l’idée qui se cache derrière les notes. Je regrette que les musiciens ne chantent pas. Les chanteurs et cantatrices travaillent automatiquement avec le texte, avec l’idée et les histoires. Les concerts d’orchestre expriment tout cela uniquement en musique. C’est pour cette raison, qu’il est important d’exprimer l’idée qui se trouve derrière tout cela très clairement. Le premier mouvement du Messie porte l’indication « grave ». Et qu’est-ce qu’on entend souvent ? Un thème léger et dansant. Mais c’est faux. Le premier mouvement parle du destin de l’être humain le plus innocent de cette terre, de sa solitude et de sa tristesse. Il faut le jouer « grave ». C’est après seulement que les choses deviennent plus légères – car finalement l’histoire connaît une fin heureuse. Pendant la répétition je parlais avec les musiciens de théologie et de la résurrection pour qu’ils puissent véritablement ressentir l’histoire.
Le sous-titre de l’organisation « Soli Deo Gloria » que vous avez fondée est le suivant : « musique sacrée pour un monde assoiffé » Qu’est-ce que vous voulez dire avec « soif » ici ? La soif de spiritualité, de religiosité ?
Je ne dirais pas religieux. De nos jours, ce terme a une connotation négative. Le sacré ou le spirituel se trouve en dehors de notre monde aujourd’hui. Ce n’est plus parmi nous, mais cela existe. Grünewald par exemple a créé quelque chose d’extraordinaire. Ce que nous voyons, ce que nous pouvons voir, ce n’est pas ce que c’est vraiment. Ce n’est que l’image de quelque chose de magnifique. Quand on regarde les clochers des églises ou les minarets des mosquées, il faut les voir comme des symboles. Comme des symboles de quelque chose qui existe au dessus de nous, qui est fantastique. L’organisation à laquelle vous faites allusion a trois objectifs: Premièrement, l’organisation commande des compositions de musique sacrée. Dans le passée on a écrit de la musique sacrée. Nous voulons faire perdurer cette tradition qui est à l’origine de tant de créations magnifiques. Ensuite, nous organisons des concerts dans des pays pauvres. Les chefs d’orchestre et parfois aussi les solistes renoncent à cette occasion à leur cachet. Uniquement les frais engagés sont remboursés. En moyenne, je participe 2 fois par an à ce genre de concert. Nous avons commencé en Chine il y a 18 ans. Nous avons joué le premier requiem de Brahms qui n’avait encore jamais été joué dans ce pays. Il était retransmis dans tout le pays. Pour les cantatrices et les chanteurs cela a été extrêmement difficile, car ils n’avaient pas l’habitude de ces harmonies. Ils ont chanté en chinois, et bien que ce soit un travail très difficile pour eux, ils ont tous été ravis. Depuis cette représentation je me rends tous les deux ans en Chine. J’ai joué « Elias », le « Messie », mais aussi les « quatre saisons » ou alors le Requiem de Berlioz. Tant et si bien que maintenant je suis connu là-bas comme « le chef d’orchestre religieux d’Amérique ». Mais nous avons donné des concerts également en Sibérie, à Kiev, en Roumanie ou en Arménie. Cette année j’ai dirigé à Costa Rica. L’orchestre là-bas est très pauvre, et la collaboration avec l’orchestre et le chœur avait une signification tout à fait particulière. Nous avons travaillé la messe en b mineur de Bach. C’était la première fois que l’on a joué cette œuvre dans toute l’Amérique latine. Ce travail a changé certains qui ont participé à cette aventure pour toujours. J’ai reçu des lettres de quelques membres du chœur qui disaient en somme, que ce travail avait changé leur vie et qu’ils ne seraient plus jamais pareils qu’avant. Et le maître de concert de l’orchestre m’a dit : « L’histoire de la musique à Costa Rica peut désormais être scindée en deux périodes : Celle d’avant la représentation de la messe de Bach, et celle d’après. » C’était quelque chose de très spécial. Et troisièmement « Soli Deo Gloria » enregistre de la musique sacrée. Nous sommes à l’origine d’un enregistrement de la « Missa solemnis » sur DVD et nous avons un projet identique concernant « la création ». Cela demande des moyens financiers importants qui sont apportés par de diverses donations.
Quand vous dirigez, vous donnez. Est-ce que l’orchestre vous rend quelque-chose ?
Quand je suis invité, comme par exemple ici à Strasbourg, je n’en parle pas beaucoup à l’orchestre. Mais à « mon » orchestre, « l’Ensemble Orchestre de Paris » je dis de façon très directe : « vous devez me rendre autant que je vous donne pour que cela puisse fonctionner.»
Hier, pendant la répétition générale j’ai dit par exemple : « vous m’avez donné quelque chose de très particulier.» Quand je dirige cette même pièce en Angleterre, les musiciens disent : « que c’est ennuyeux ! On connaît le Messie par cœur ! »
Ici, ils n’ont pas joué le Messie depuis 20 ans. Ils le jouent avec une telle fraîcheur, avec une telle émotion et avec un esprit tout à fait particulier. Oui, je pense qu’ils en sont tombés amoureux ! C’est magnifique ! J’aime travailler en Europe. Contrairement aux Etats Unis, la plupart des orchestres sont conventionnés par l’état. En Amérique ce sont des gens riches qui donnent de l’argent pour cela. Mais ce n’est pas la bonne façon de faire. De nos jours, la musique classique perd continuellement du terrain en Amérique. Elle souffre de la situation économique mais aussi de la globalisation. La télévision qui elle est financée par la publicité se situe sur un niveau très bas parce qu’elle montre ce que le plus grand nombre de gens veulent voir.
Voulez-vous faire passer un message personnel à nos lecteurs ?
Oui, avec plaisir ! Notre société a besoin de musique. La musique classique est la meilleure chose jamais créée ! Elle n’est pas seulement une distraction mais elle est la nourriture de notre public que nous sommes sur le point de perdre et que nous devons conserver à tout prix.
Mais je voudrais aussi inviter le public à écouter de la musique contemporaine. Beaucoup de choses sont formidables ! Ce que l’OPS joue en musique contemporaine est ce qu’il y a de meilleur. On peut en être sur, sinon, elle ne serait pas représentée ici. Ce que je vais dire vous paraîtra peut-être un peu bizarre : Je pense qu’il faut grand ouvrir les oreilles pour pouvoir se plonger dans le monde de l’art contemporain.
Je vous remercie vivement pour cet entretien.
L’interview a été réalisée le 17 décembre par Dr. Michaela Preiner à Strasbourg
Un bruit de sabots, des clochettes tintinnabulent et le voilà le carrosse qui prend le virage. Sur la plateforme à l’aire libre se serrent les passagers, tous bien emmitouflés dans leurs manteaux et leurs vestes bien chauds. Les têtes se tournent de droite à gauche et vice versa. Le froid ne semble pas gêner le cocher sur son siège muni d’une cravache d’une longueur exceptionnelle. Avec une voix tonitruante, il raconte à chaque halte des faits historiques intéressants de la ville, tout en se servant de sa cravache comme pour prolonger son index. Il raconte surtout comment était Strasbourg dans le temps.
Actuellement, la ville distinguée de Strasbourg, « la capitale secrète de l’Europe » – ainsi elle aime à s’intituler – comme tous les ans au mois de décembre se transforme en un gigantesque théâtre de noël vivant. Sur 11 places en tout de petits chalets aux toits pointus se serrent les uns aux autres. On y vend de l’artisanat aussi bien que de petits sablés et du vin chaud. Mais aussi des guirlandes de noël multicolores qui clignotent furieusement et des bonnets du père noël équipés d’une étoile électrique au bout – un succès énorme cette année – sont proposés à la vente. Strasbourg semble être en ébullition. Les autochtones réfléchissent par deux fois en ce qui concerne leurs itinéraires pour contourner ce fourmillement dans lequel ils risquent de rester bloqués. Après leur travail en revanche ils aiment se mêler aux nombreux étrangers pour se réchauffer autour d’un punch. Mais justement à cette époque Strasbourg montre un héritage culturel d’un niveau exceptionnel à ses visiteurs. Celui-ci est bien moins connu que le « Christkindelsmärik » le fameux marché de noël.
Ce n’est pas spectaculaire du tout, mais ça vous coupe le souffle : entre les piliers de la nef de la cathédrale de Strasbourg sont suspendues les 14 tapisseries baroques qui racontent la vie de la Vierge Marie dans ses étapes les plus importantes. Ceux qui connaissent la cathédrale de Strasbourg et qui voient cet accrochage pour la première fois peuvent être un peu décontenancés. Les tapisseries flottent contrairement à ce que l’on voit habituellement très haut au dessus des têtes et forment une espèce de couloir qui mène de la nef jusqu’au chœur. Il faut renverser la tête complètement en arrière pour pouvoir admirer les tissages superbes. Et on en a l’occasion uniquement pendant la période de l’avent et à Noël. Depuis l’achèvement des travaux de restauration en 1999, les tapisseries sont à nouveau visibles tous les ans pendant ces quelques semaines.
Tapisserie Darbringung im Tempel (Foto: MP)
Pour en savoir plus sur elles, il faut se plonger dans la littérature spécialisée ou alors avoir la chance, comme moi, de rencontrer monsieur Xibaut, le chancelier de l’archevêque et de l’écouter parler de leur histoire mouvementée. « Pendant longtemps, nous ne savions pas non plus grand-chose concernant le passé des tapisseries » avoue-t-il ouvertement et sans détour. Ce sont les travaux et les recherches de ces dernières années qui ont apporté un éclairage dans ce noir historique. A l’époque de l’achat, en l’an 1739, il s’agissait d’une œuvre très moderne. Aujourd’hui il s’agit d’une rareté historique précieuse. La mode est un phénomène qui a une courte durée de vie. Ce qui est à la mode au printemps, passe pour de la ringardise en automne. Au 17e et 18e siècle, les choses étaient différentes, car, d’après le chancelier, quand les œuvres tissées sont arrivées à Strasbourg elles avaient déjà l’âge plus que respectable d’une centaine d’années. Et malgré ça, elles passaient pour être modernes. Elles étaient considérées comme précurseur d’un nouveau style – parisiennes somme toute. A l’origine, elles ont effectivement été créées pour Paris, plus exactement pour la cathédrale de « Notre-Dame » qui à l’époque était LA cathédrale française par excellence. En 1638, trois semaines avant la naissance de son premier enfant, Louis XIII avait fait un serment lourd de conséquences : Il voulait dédier la France toute entière à la Vierge Marie au cas où naîtrait un héritier mâle pour le trône. Que c’est effectivement arrivé est de notoriété publique. Que la vénération de la Vierge Marie a connu de la sorte son apogée en France est moins connu. En son honneur, il y eu un agrandissement du chœur de la cathédrale parisienne avec comme conséquence, que les 14 tapisseries n’avaient plus tout à fait les dimensions requises par l’architecture du passage. Mais le clergé parisien avait le sens des affaires. De plus, il tenait à renforcer le règne du roi béni par l’église, donc approuvé par dieu, à travers tout le pays. C’est la raison pour laquelle les seigneurs du chapitre de Strasbourg, tous issus de la noble famille des Rohan décidèrent spontanément d’acheter les tapisseries pour leur propre église. Accessoirement ils avaient l’ambition de faire de Strasbourg la deuxième ville de France après Paris. Pour y parvenir, suivre le goût dominant en matière de culture était à l’époque indispensable. Peu importe qu’il s’agisse des beaux arts, de littérature ou d’architecture – les Rohan voulaient à tout prix imiter les rois de France. « Cette acquisition était également motivée par des réflexions politiques » explique Xibaut cet achat quasiment stratégique. Les tapisseries n’avaient pas non plus les dimensions idéales pour le chœur de la cathédrale de Strasbourg – celui-ci était trop petit pour contenir les 14 œuvres d’un très grand format. Mais on a transformé cet inconvénient en avantage : on mettait les tapisseries, tout comme aujourd’hui dans la longue nef de la cathédrale, là ou se rassemblaient les croyants. De cette façon on opérait même un certain rapprochement avec le peuple, car ce qui à Paris n’était visible que pour les dignitaires du clergé pouvait être admiré par le commun des mortels à Strasbourg.
Les courants des différentes modes n’étaient pas aussi éphémères que de nos jours, mais ils étaient néanmoins soumis aux changements tout aussi inévitables. Et ainsi, ces images saintes étaient un jour considérées comme surannées et peu adaptées. On s’est souvenu des beautés architecturales de la cathédrale et on ne voulait plus les cacher avec les tapisseries baroques. Au moins pendant la plus grande partie de l’année.
Comme l’alsace lui-même, ces œuvres voyaient leur appartenance partagée entre l’Allemagne, la France, encore l’Allemagne et à nouveau la France. Pendant l’occupation par les nazis qui considéraient les tapisseries comme un bien culturel de premier ordre, elles couraient le risque d’être sorties d’Alsace. Par chance et grâce à l’engagement des chanoines de l’époque cela a pu être empêché. Après avoir été entreposées au couvent de Saint Odile sur les hauteurs des Vosges, les tapisseries ont pu réintégrer la cathédrale de Strasbourg sans encombre. Ainsi on peut à nouveau les admirer à loisir. Comme l’adoration des rois, par exemple, où on peut apercevoir des rois orientaux dans leur vêtements somptueux ainsi une partie de leur suite à dos de cheval avec leurs bannières dans le vent. Semblable à toutes les tapisseries, l’action est située au milieu d’un paysage architectural antique délabré. Ceci constitue déjà un indice sur le contexte historique de l’évènement. Au 17e siècle on était très, très loin d’une interprétation contemporaine.
J’apprends aussi que 2 à 3 millions de personnes visitent tous les ans la cathédrale de Strasbourg. Un comptage plus précis n’existe pas. « Mais en décembre, la foule est particulièrement nombreuse. En janvier, les gens qui s’occupent du ravitaillement en matière de bougies pour la cathédrale sont épuisés » remarque Monsieur le chancelier pour clore notre entretien.
Et en effet. Après le 6 janvier, le jour des rois mages, le calme revient. Les tapisseries sont remisées dans l’entrepôt, les marchés de noël ont disparus et les deux chevaux du carrosse à la double-plateforme peuvent prendre leur repos bien mérité – jusqu’en décembre prochain!
Visuellement, ils sont le contraire de Don Quichotte et de Sancho Pansa, car physiquement ils sont à l’antipode des deux personnages: Le violoncelliste Alexander Somov, le Don Quichotte dans l’œuvre de Richard Strauss est robuste, pourtant plutôt grand. Sancho Pansa avec son alto, lui, est très grand et élancé. Leurs tempéraments respectifs permettent en revanche effectivement un certain rapprochement avec les personnages littéraires dans les écrits de Miguel Cervantès. Il est bien connu, que l’auteur faisait livrer un certain nombre de combats légendaires aux personnages principaux de son ouvrage en l’honneur – d’une petite servante paysanne, Dulcinée.
Les deux jeunes musiciens jouent ensemble à l’OPS depuis 2006. Sous la direction de Marc Albrecht ils ont été soudés tous deux pour former un couple qui musicalement suit ses rêves, ses hallucinations et affronte les différents défis qu’il se lance lui-même.
Strauss n’a pas choisi les chapitres les plus difficiles pour sa composition. Mais il y a malgré tout des passages qui sondent le caractère de Don Quichotte très, très profondément, jusqu’aux abîmes les plus sombres. « C’est là où je peux effectivement m’identifier avec lui » définit Alexander Somov son rôle.
Né en Bulgarie, le premier violoncelliste de l’OPS a fait ses études à Sofia. Pendant ses études, en 1995, il a été appelé par Stefan Popov pour intégrer la Guildhall School of Music and Drama à Londres. Popov, un celliste mondialement connu et une véritable légende vivante dans son pays, était toujours à la recherche de nouveaux talents.
Hirtz en revanche, après avoir suivi sa formation au conservatoire à Strasbourg, est parti pour Paris ou il étudiait le violon et la musique de chambre auprès de Patrice Fontanarosa et Jean Mouillère. Et malgré tout, les deux ont atterri à Strasbourg dans un orchestre qui de toute évidence était suffisamment intéressant à leurs yeux pour y postuler.
« Pour moi, ce n’était pas très difficile d’étudier à Paris » raconte Hirtz en parlant de son séjour dans la capitale française dès l’âge de 16 ans. « J’y avais beaucoup d’amis. Ma vie était différente, bien plus libre qu’avant. Mais ce qui s’est passé à mon retour à Strasbourg est toujours comme un rêve pour moi. J’ai postulé à deux endroits en tant que violoniste, mais aucune des deux démarches n’a abouti. Et là, Claude Ducrocq, à l’époque soliste à l’alto m’a informé qu’à l’OPS justement on cherchait un remplaçant pour lui. Il m’a vivement encouragé de travailler pour cela. C’est ce que j’ai fait et qui plus est avec une étonnante facilité. Mais que l’on m’engage du premier coup, c’était pour moi tout bonnement incroyable. »
En revanche, qu’il détenait déjà un certain nombre de prix et de récompenses à cette époque-là, Hirtz n’en pipe pas mot.
On apprend de la part de Somov, que pour lui son séjour à Londres était très pénible au début.
« Moi aussi, je n’avais que 16 ans. J’étais tout seul dans un pays étranger. C’est dans les nombreux Pubs que j’ai noué des contacts. C’était très important pour moi car c’est par là que passait mon intégration par la suite. Mais le temps que j’ai passé à Londres était aussi indispensable pour ma carrière professionnelle. En 2000, j’avais la chance d’être engagé comme soliste au violoncelle à la Northern Sinfonia Newcastle qui à l’époque était sous la direction de Thomas Zehetmair. »
Et à partir de cette année-là, il a donné des concerts en tant que soliste, invité par le « London Philharmonic Orchestra », la « London Symphony » le « Scottish Chamber Orchestra » ou alors le « English Chamber Orchestra ».
Mais pour quelle raison les deux ont-ils fini à Strasbourg?
« Londres est une ville culturelle avec beaucoup d’orchestres. Mais quand ma compagne attendait notre premier bébé, nous étions à la recherche d’un autre environnement pour y voir grandir notre enfant. Strasbourg nous paraissait être l’endroit idéal. De plus l’orchestre jouissait d’une excellente réputation. Par ailleurs, le répertoire du « Chamber Orchestra » a commencé à être répétitif, ce qui malgré tout est normal pour un orchestre de musique de chambre. » Voilà les raisons pour le déménagement de Somov.
« J’ai posée ma candidature pour des postes à pourvoir ici, dans ma ville natale, car à Paris il y a beaucoup trop de musiciens sur le marché. » explique Hirtz.
Le fait que les deux enseignent depuis plusieurs années déjà au conservatoire de musique est lié à leur contrat. Tout musicien membre de l’OPS y est obligé. A la question s’il est difficile d’enseigner étant soi-même si jeune, les deux répondent unanimement dans un premier temps :
« Mais non, pas du tout ! Nous connaissons le programme solo que tous doivent apprendre par cœur. On a dû l’apprendre nous aussi » dit Somov. Hirtz relativise néanmoins : « Tout dépend des élèves et du niveau où on veut situer son enseignement. Personnellement, j’ai à faire à beaucoup d’élèves très jeunes. Là, le défi consiste à les motiver pour travailler régulièrement. Ils ont tous beaucoup à faire à l’école. Ils doivent faire leurs études et quand ils rentrent à la maison ils déclarent ne pas avoir de temps à consacrer à leur instrument. Chez ceux qui souhaitent faire une carrière dans la musique, je suis bien obligé de serrer la vis par moment. » Somov fait remarquer : « Ce dont on a besoin avant tout, c’est de la patience ! » « C’est tout à fait exact » répond son vis-à-vis « mais dans ce domaine-là j’ai encore pas mal de choses à apprendre. Le plus important dans un premier temps c’est la technique, sans ça, rien n’est possible. » Somov : « Exact. On peut faire des comparaisons avec un serveur. Lui aussi doit apprendre avant tout, comment servir. S’il trébuche par maladresse, tout est perdu. »
Hirtz souligne cette comparaison avec une petite pantomime. Il est très intéressant de voir, comment les deux musiciens se passent le relais pendant cet entretien, comme s’ils étaient en train de jouer un morceau à deux voix, dont la mélodie ne doit être interrompue sous aucun prétexte. La question, si l’OPS d’après eux avait une caractéristique qui le différencie des autres orchestres les fait brièvement réfléchir malgré tout.
« Je pense que la sonorité d’un orchestre de nos jours n’est plus aussi spécifique qu’à l’époque. C’est très certainement dû au fait que la collaboration avec les chefs d’orchestre ne dure plus aussi longtemps qu’avant et que le niveau des musiciens a énormément progressé. Mais ne serait-ce qu’au niveau du programme, l’OPS se distingue bel et bien des autres orchestres français » explique Somov, qui – ayant joué dans plusieurs d’entre eux – sait certainement de quoi il parle. « C’est absolument juste » rajoute Hirtz « ici à Strasbourg nous jouons un programme très germanophile. Nous jouons souvent les œuvres de Mahler, de Bruckner, de Brahms et aussi de Strauss. Moi, j’en suis ravie, car j’aime cette musique par-dessus tout. D’après les collègues qui sont ici depuis plus longtemps, Marc Albrecht a du procéder à pas mal de changements. Dans la mesure où je n’ai travaillé ici que sous sa direction, je ne peux pas vraiment porter de jugement. »
Par ailleurs j’aimerais savoir si le fait d’être dirigés par des invités leur apporte quelque chose.
Cela dépend du chef d’orchestre, de sa personnalité et de ses connaissances. Les deux sont d’accord pour déclarer que leur favori parmi les différents chefs d’orchestre est Gennadi Rozhdestvensky. « Chez lui, un seul regard suffit pour nous renseigner. Ce ne sont pas les grands gestes et les mouvements amples qui définissent un bon chef d’orchestre. C’est peut-être intéressant pour le public, mais pour nous musiciens, ça n’a aucune importance. Par contre ce qui nous importe avant tout, c’est qu’ils soient vraiment calés. Aujourd’hui, beaucoup de solistes prennent la baguette pour diriger. Mais le fait est, qu’ils ne possèdent absolument pas les connaissances des chefs d’orchestre dont c’est le métier » déclare Somov. « On distingue immédiatement un vrai maestro quand il entre dans la pièce. Sa façon de se tenir et son aura sont d’emblé déterminants pour la collaboration, comme c’est le cas chez Haitink et Collin Davis » selon Hirtz.
Petit à petit l’évidence que le concert en vue sera harmonieux et équilibré s’impose. Les deux sont ou parfaitement d’accord l’un avec l’autre ou alors ils se complètent merveilleusement bien.
« Pendant les études, tout le monde se doit rêver être soliste un jour » là aussi, ils sont unanimes « il faut ‘voir grand’ au départ, car de toutes les manières, la dure réalité vous rattrape assez vite. « C’est presque une pensée philosophique dont Somov nous fait part ici. Interrogé à nouveau au sujet de Don Quichotte, il pense que ce qui est vraiment beau chez ce personnage, ce sont ses idéaux nobles naïfs à la fois Sa pureté, sa douleur et son coté poignant le touchent profondément. Et Hirtz s’extasie sur les thèmes qui lui permettent de caractériser Sancho Pansa grâce à son alto. « Mais même si le plus beau solo pour alto jamais écrit en fait partie, je dois jouer pour Don Quichotte et le servir. Sinon, je ne serais pas à ma place.
Déjà avant de toucher le public avec son jeu sublime, Hirtz sait émouvoir avec sa façon d’être, sa grande modestie.
A la question, s’ils veulent faire part d’une chose ou d’une autre aux lecteurs, les réponses sont également complémentaires :
« Oui, avec plaisir. Je voudrais dire aux gens, que la musique est quelque chose qui peut guérir. C’est une chose qui agit au niveau spirituel et c’est ce dont on a besoin aujourd’hui plus que jamais. De nos jours, tout est orienté vers le profit économique. L’esprit en revanche est complètement négligé. La musique agit comme un médicament – et en plus sans effets secondaires ! » Voilà comment Alexander Somov fait don de son travail spontanément.
« Au fond, on ne peut plus rien dicter à personne de nos jours. Chacun fait ce qu’il veut. Je ne peux pas dire ‘va au concert’ et m’attendre à ce que les gens le fassent aussi. Je vois cela plutôt comme une proposition pour laquelle ça vaut la peine de se battre. Peut-être l’accès à la musique est-il un peu plus compliqué aujourd’hui – tant l’offre est énorme par ailleurs. Mais la musique est là pour tout le monde et à quelque chose à offrir à chacun de nous » rajoute Harold Hirtz après un petit délai de réflexion.
Somov et Hirtz, les deux jeunes musiciens ont pris ensemble le chemin de Don Quichotte et de Sancho Pansa. Mais de toutes les façons, d’autres aventures passionnantes sont d’ores et déjà programmées.
L’interview a été réalisée le 2 décembre par Dr. Michaela Preiner à Strasbourg
Actuellement et jusqu’au 30 novembre se déroule la foire d’art contemporain à Strasbourg. 80 galeries de 12 pays sont représentées, la plupart d’entre elles sont françaises. Comparé aux foires précédentes on constate que l’offre des galeries est en nette baisse, ce qui est certainement en rapport direct avec la crise financière actuelle. La foire, nouvellement sous la direction de l’historien d’art Patrick-Gilles Persin cherche à attirer le public cette année avec le thème particulier « l’art d’Istanbul » L’exposition « Rencontrer l’Europe – Istanbul » organisée par la société pour l’échange culturel européen « Apollonia » présente les débuts, l’évolution et les tendances actuelles de l’art vidéo contemporain. Malheureusement, Strasbourg n’a réussi à faire venir que trois galeries de la capitale turque. Ceci est du à l’agenda surchargé des galeries, qui devront être présentes à Istanbul même à partir du 3 décembre à l’occasion d’une foire.
La promenade à travers les différents stands confirme plusieurs tendances qui s’étaient déjà annoncées les années précédentes. L’art de la photo dans des formats géants, artificiellement gonflés est inexistant. La peinture – et plus exactement la peinture figurative a le vent en poupe. Une exception à la règle très agréable est la galerie Frank Pages, qui se démarque avec les travaux de l’autrichien Peter Weibel. Dans une petite série de photos, l’artiste passe la crise financière actuelle au crible « satirique ». On aperçoit la banque nationale autrichienne. Devant l’immeuble est garée une voiture de police. Au dessus de l’escalier qui mène à l’entrée on peut lire une banderole avec l’inscription : »interdiction d’entrer, scène de crime ». Weibel continue avec cette œuvre des travaux qui posent la question de l’absurdité des autorités.
« Das Dach der Welt » est une grande installation au milieu du stand de Pages. Il s’agit d’une grande table en verre posée sur un socle très large qui lui est constitué d’annuaires téléphoniques de Karlsruhe. De l’un et de l’autre coté de la table sont posées deux assiettes. A la place du fond, elles ont un écran qui montre des images d’Afrique et d’Europe vues du ciel. Les deux cuillères, dont les manches sont aussi longues que la table, montrent que l’on peut se nourrir uniquement avec l’aide de la personne en face. Un travail complexe qui fait allusion aussi bien à la mondialisation qu’au conflit nord-sud. Weibel, détenteur de nombreux prix et distinctions enseigne depuis 1999 comme professeur au Musée d’art contemporain à Karlsruhe. C’est étonnant que malgré cette charge, il trouve encore le temps pour de nouvelles créations.
Une autre œuvre qui devrait trouver sa place dans un musée est le « Revolutionstisch » – la « table de la révolution, une plastique sociale – Leipzig 1989 » – créé par Edith Tar et Radjo Monk. C’est un « Ready-made ». C’est la table autour de laquelle étaient réunies 13 personnes au moment de la chute du mur. Elles discutaient de l’ouverture de l’Allemagne de l’est et des conséquences qui allaient en résulter. Frank Pages a pris un très grand risque en présentant ce programme. Sa présence à la foire est d’autant plus admirable.
Abstraction faite du funambule Pages quelques autres prises de positions se font remarquer, comme celle de la galerie parisienne Dufay/Bonnet : l’artiste Anne-Valérie Dupond montre des bustes d’hommes célèbres comme par exemple Beethoven ou alors d’hommes politiques. Ces bustes sont cousus en tissu blanc avec de grosses surpiqures en fil noir. Ces créations ont quelque chose de vivant, quelque peu démoniaque et invitent à réfléchir sur la fonction des monuments.
La Casart Gallery de Paris représente l’artiste belge Pierre Devreux, dont les sculptures sont des bleus de travails rembourrés et apprêtés. Son meilleur travail est sans aucun doute la mise en scène de deux petites tenues d’enfants posées sur un socle, face à trois dessins traitant du thème de l’habillement. Merci de me permettre ici de faire remarquer que l’autrichien Erwin Wurm avait déjà démontré à quel point l’approche de cette matière par un artiste ayant comme point de départ l’habit peut être intelligente.
La galerie coréenne « Han » montre l’œuvre silencieuse et très esthétique de Kim Eungki. Il met son écriture réduite aux traits noirs et aux points de couleurs sur des agrandissements d’encyclopédies d’art. On a donc du mal à reconnaître que dans le descriptif retravaillé par Kim Eungki il s’agit en fait d’informations concernant Matthias Grünewald.
Le mélange d’une peinture parcimonieuse et d’un fond d’histoire de l’art européen dérange, tout en étant apaisant. C’est la preuve, si besoin était, que les foires d’art permettent régulièrement de faire des découvertes qui en valent la peine.
L’entreprise Coop dans une démarche qui s’apparente au mécénat veut montrer cinq artistes alsaciens. Le tout est lié à un projet social. Chacun et/ou chacune des cinq artistes ont créé un motif pour un sac de courses en toile de jute. Ce sac est en vente à la foire ainsi qu’aux supermarchés « COOP » au prix de 5 €. Le résultat de cette vente est reversé pour financer des projets au bénéfice des chômeurs. Dans ce cas précis, l’art travaille main dans la main avec l’économie. C’est toujours louable quand cela a un sens.
Un jeune artiste prometteur qui doit être cité est Pierre Laurent à qui on a décerné à juste titre le « Prix des amis des Arts et des musés » Ses petits travaux en béton rappellent des détails d’architecture avec des volées d’escaliers qui montent et qui descendent. Son œuvre a une très grande valeur esthétique. Peut-être aura-t-on de ses nouvelles dans un avenir pas trop lointain.
A l’occasion de sa prestation en tant qu’invité par l’OPS en novembre 2009 à Strasbourg.
Timothy Brock (c) Timothy Brock
Monsieur Brock, où avez-vous grandi et quel chemin avez-vous parcouru pour arriver à la musique?
Je suis né à l’Ohio. Mon père était prédicateur et nous avons fait beaucoup de musique à la maison, mais uniquement à un niveau amateur. Mais avant même de savoir lire, je savais déchiffrer une partition et lire les notes des chants que nous chantions. Ceux composés par Charles Ives m’ont particulièrement marqué.
Où est-ce que vous avez fait vos études de musique ?
Je n’ai pas fait d’études à l’université, mais j’ai reçu un enseignement privé à partir de l’âge de 16 ans. Bernstein et Copland m’ont beaucoup influencé. C’était une période difficile pour moi, car quand j’ai commencé à étudier la composition, je n’avais que 16 ans, ce qui est très jeune.
Vous avez écrit vos premières compositions à 17 ans, entre autres des symphonies, des concerts, un requiem et deux opéras. Comment définiriez-vous votre style ?
C’est difficile pour moi d’exprimer cela verbalement, mais je dirais que mes compositions ont un son américain, tout en étant influencées par la musique européenne.
Y a-t-il des CDs de ces œuvres ?
Non, plus maintenant. Ces enregistrements ont effectivement existé, mais pour le moment ils ne sont plus disponibles dans le commerce. Mais de nouveaux enregistrements sont prévus dans peu de temps.
Avez-vous arrêté de composer ?
Non, à vrai dire, je compose quotidiennement. Un compositeur on ne doit jamais arrêter de travailler la composition. Il faut écrire un peu tous les jours, ce que je fais. Actuellement je m’ intéresse particulièrement à la musique de chambre.
Vous étiez directeur musical du « Olympia Chamber Orchestra ». Quel était défi pour vous dans l’exercice de cette fonction ?
Au niveau du répertoire, l’orchestre se positionnait tout à fait au 20e siècle. C’était un orchestre en constante progression. Nous jouions beaucoup de premières et nous accompagnions également beaucoup de projections de films. Ou alors, nous nous produisions carrément avec un répertoire de musique de films. A son époque, l’OCO était le seul orchestre de ce genre. Quand je l’ai quitté, c’était au moment où le gouvernement George W. Bush est arrivé au pouvoir, il commençait à péricliter, car sans les subventions que l’administration Bush refusait de continuer à verser, il était impossible de le maintenir.
Du temps du « OCO », comme vous l’aviez déjà souligné, vous vous êtes beaucoup intéressé à la musique du 20e siècle. Y avait-il d’autres pôles d’intérêt à part les partitions de film ?
Vous savez, en Amérique, en particulier à cette époque, un concert sans répertoire classique n’était tout simplement pas un bon concert aux yeux du public. Donc, j’étais obligé d’imaginer des combinaisons : Nous jouions par exemple Brahms et un compositeur inconnu. J’ai toujours considéré qu’il était de mon devoir de faire connaître des compositeurs très peu connus ou inconnus. Il y a tant de compositeurs, comme par exemple Alexander von Zemlinsky que l’on joue beaucoup trop rarement. Nous jouions aussi des pièces de Bartok restées inconnues ou alors des œuvres comme «Egmont » dans sa totalité et pas seulement l’ouverture. Et j’aime aussi faire entendre de la « musique dénaturée », donc la musique qui était interdite du temps du régime Nazi.
Comment trouvez-vous les partitions ? Cela ne doit pas toujours être évident!
C’est exact. Mais de nos jours, la situation s’est bien améliorée. Beaucoup de choses ont été étudiées par des chercheurs et sont donc accessibles. Mais quand j’ai commencé à m’y intéresser, le chemin jusqu’aux partitions était souvent semé d’embuches. J’ai un très bon ami danois qui est compositeur lui aussi. Je lui ai confié un jour, que j’aimerais beaucoup jouer une certaine œuvre de Leo Schmidt, mais que la partition était introuvable. Il s’est rendu dans le centre culturel juif et en effet, c’est là qu’il a mis la main sur le seul exemplaire de cette symphonie en C, que nous avons copiée et dont je pouvais me servir par la suite. C’était aussi difficile pour trouver des œuvres de Hans Krása ou Victor Uhlmann, dont on a joué « L’empereur d’Atlantis ». Les deux ont été à Theresienstadt, mais quand j’ai fait mes recherches, les archives n’étaient pas encore totalement explorées. Schulhof est également un compositeur totalement oublié de nos jours. Mais à mon avis, il faut les faire connaître, pour faire savoir ne serait-ce qu’ils ont vécu. J’aimerais avoir plus souvent l’occasion de jouer la musique de cette période et la faire connaître auprès d’un large public. Pour le moment, je ne dirige que 25 – 30 % de concerts en dehors de mon activité autour du film muet. Mais j’aimerais que cela change. Peut-être aurai-je à l’avenir la possibilité de collaborer de façon pérenne avec un orchestre. De cette façon, je pourrais me concentrer davantage sur cette musique.
Vous avez fait des allusions à la musique que l »LCO » a jouée pour accompagner des films. De quelle façon êtes-vous entré en contact pour la première fois avec la musique de films ?
Ca s’est passé très tôt. A partir de l’âge de 10 ans, j’accompagnais des films muets tous les samedis au piano. Il s’agissait souvent de films de Stan Laurel et Oliver Hardy, ou alors de Buster Keaton. J’étais également en charge du choix des films, ce qui n’était pas chose facile à cet âge-là. Je n’étais pas très organisé, et j’allais souvent emprunter des films à la vidéothèque municipale au tout dernier moment. Mais parfois ils ne restaient que des films que personne n’avait envie de regarder. Et dans la mesure où nos projections du samedi après-midi devaient avoir lieu, quoi qu’il arrive, j’étais bien obligé de prendre ce qui restait. Et du coup, il m’arrivait d’accompagner des documentaires sur les castors sauvages au piano ! A 22 ans j’ai été confronté pour la première fois avec la restauration de partitions de films, grâce à un vieil historien. Il avait des contacts dans l’industrie du film et connaissait beaucoup de monde. Dans les années quarante, il avait rencontré David Raskin par exemple. Raskin avait assisté Chaplin pour la partition du film « Les temps modernes ». Et en 1998, les Chaplin ont fait appel à moi pour que j’apporte ma contribution à la restauration de la partition des « Temps modernes ».
Comment peut-on imaginer la restauration d’une partition ?
C’est un processus très long. Chaplin jouait du violon et du piano, mais seulement à l’oreille. Il aimait beaucoup chanter aussi. Quand il avait une mélodie en tête, il avait besoin de quelqu’un à coté de lui, capable de noter ses idées. Les différentes parties étaient ensuite orchestrées et enregistrées par petit bout sur des rouleaux. Chaplin écoutait ensuite le résultat et changeait les choses qui ne lui convenaient pas. Tout ce qui a jamais été enregistré ou noté est archivé, mais pour une partition existent parfois 5 – 6 boites d’archives dans lesquelles on trouve non seulement le matériel de son mais aussi des factures ou des sous-verres sur lesquels on avait noté des idées. Après avoir tout vu et entendu une première fois, je décide quelles versions me semblent les meilleures et je fais les arrangements musicaux – de la flute « piccolo » jusqu’à la contrebasse. Ensuite je réfléchis sur l’interprétation et j’appose les indications adéquates : glissando, vibrato ou alors l’usage de la sourdine pour les trompètes. Ce n’est pas évident, car dans le temps on travaillait avec toute une panoplie de sourdines, une quinzaine. De nos jours, on se contente en général de trois. Bien entendu, j’essaie de rendre la partition aussi « jouable » que possible et il peut arriver que je procède au changement d’un instrument. Par exemple, pour « Lumières de la ville », j’ai changé un saxophone-basse contre une clarinette-basse.
Mais est-ce que cela ne signifie pas en même temps un changement de son ?
Bien sur. Aujourd’hui, le son est différent par rapport à celui des années vingt ou trente. Les musiciens de l’époque qui sont encore en vie aujourd’hui se plaignent souvent en disant : Vous ne le jouez pas comme on l’a joué, nous. Mais il faut prendre plusieurs choses en considération : Les enseignants de l’époque n’existent plus, et la façon dont on pratique la musique a changé elle aussi. Le suis convaincu, que nous ne jouons pas non plus le requiem de Verdi comme il a été joué en son temps. Naturellement, j’essaie de coller autant que possible au son original, mais je suis conscient, que ce n’est que partiellement possible.
Avez-vous le sentiment d’être obligé de passer outre votre propre musicalité quand vous restaurez une partition?
Non, en fait, pas du tout. J’aime ce travail. Il est exigeant, il faut être précis et j’adore ça. Je trouve cette obligation d’être si précis merveilleuse.
Combien de temps mettez-vous pour la restauration totale d’une œuvre ?
C’est variable. Ca peut aller de 8 mois – c’est le temps que j’ai mis pour « Lumières de la ville » – jusqu’à 14 mois.
Du temps du film muet, il y avait beaucoup de musiciens, qui accompagnaient les films au cinéma, dont des pianistes. Est-ce que l’accompagnement orchestral était encore d’usage, à partir du moment où la « bande son » a fait son entrée ?
Oui, absolument. Dans les grandes villes américaines c’étaient même de grands orchestres qui étaient chargés de l’accompagnement musical des films. A Chicago par exemple, certains membres de l’orchestre symphonique jouaient aussi au cinéma. Pour donner un exemple, le «Roxy Theater » à New York employait 45 musiciens. Un accompagnateur au piano qui faisait l’illustration sonore notamment des films de Chaplin était Chostakovitch. Mais pas pour très longtemps, car le directeur du cinéma l’a mis à la porte. Tout en jouant, Chostakovitch a éclaté de rire à plusieurs reprises, ce qui n’a pas plu du tout au directeur, qui déclara qu’il le payait pour jouer et non pas pour rire….. Chostakovitch prenait les choses avec beaucoup de détachement et constata : « Ce n’est pas plus mal. Ce job n’était pas pour moi de toutes les façons… ! »
Auriez-vous envie d’écrire de la musique de film pour une œuvre contemporaine ?
Non, pas du tout !
Et pourquoi ?
Parce que dans ce cas-là vous êtes en contact avec beaucoup de gens qui ne connaissent rien à la musique et qui veulent tous avoir leur mot à dire. Je trouve ce genre de travail très ennuyeux. Cela n’est pas un défi pour moi. Quand j’étais jeune, j’ai fait une fois une musique horrible pour la maison Disney. Cela m’a suffi. J’ai également collaboré avec Bertolucci, sans que mon nom soit cité. Je l’ai conseillé pour lui éviter de commettre des erreurs.
Les films muets de Chaplin connaissent un succès qui va en crescendo. Cela signifie que vous êtes de plus en plus présent dans ce créneau ?
Oui, c’est juste. J’aimerais bien diriger autre-chose de temps à autre. Mais j’ai la chance d’être invité par les orchestres avec lesquels j’ai travaillé sur les films muets pour d’autres concerts. Ce qui est passionnant, c’est de voyager à travers le monde entier. Je fais des expériences intéressantes, comme par exemple en Corée, où l’on a projeté un film de Chaplin pour la toute première fois, ou alors aussi à Moscou, en Nouvelle Zélande ou à Abu Dhabi. Il y a quelques années, nous avons accompagné une projection d’un film de trois heures au Caire. Ce genre de spectacle ramène de public dans les salles de concert. C’est la raison pour laquelle les organisateurs programment de plus en plus souvent ces évènements musicaux. Ils offrent tout simplement la possibilité aux gens d’écouter un orchestre en espérant que ce spectacle leur donne envie d’assister à d’autres concerts.
Avez-vous constaté des différences entre les diverses formations que vous dirigez pour les mêmes œuvres ?
Oui, immédiatement après les premières mesures j’entends le positionnement de l’orchestre. Il y a d’énormes différences qui peuvent être d’ordre national voir international. Ma résidence principale est à Bologne, où l’on restaure justement les films de Chaplin. Je constate, qu’il y a des différences notables entre les orchestres du nord et ceux du sud – parfois ces différences sont affreuses !
Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire à nos lecteurs ?
Oui, volontiers : Si vous allez voir une projection de film avec un accompagnement orchestral, ne portez pas votre attention sur la musique. La musique ne sert qu’à emmener le spectateur plus loin dans le film. Mais vous constaterez que le son que nous produisons à cette occasion est incroyable. Il faut se laisser emporter et simplement profiter du spectacle.
Merci infiniment pour cette interview !
C’est moi qui vous remercie.
Cette interview du 13 novembre 2009 était accordée à Michaela Preiner
A l’occasion de sa prestation en collaboration avec l’OPS, l’orchestre philharmonique de Strasbourg, le chef d’orchestre finlandais, John Storgårds a accordé une interview exclusive.
Pour vous faire connaître davantage par nos lecteurs, il serait intéressant de savoir, si vous avez été marqué musicalement parlant par votre contexte familial.
Dans ma famille, il n y avait pas de musicien professionnel. La musique était du domaine du loisir. Je suis le seul parmi les 5 enfants qui ai fait de la musique sa profession. A la maison, on jouait de la musique, mais je n’ai pas vraiment eu de modèle à suivre. J’ai reçu des leçons de violon à partir de l’âge de 7 ans.
Vous étiez violoniste soliste avant de réussir comme chef d’orchestre ?
Ceci n’est pas tout à fait exact. Je continue à jouer du violon et je me produis également en tant que soliste. Je travaille 3 à 5 nouveaux morceaux par an pour élargir mon répertoire. Je fais énormément de musique de chambre. Là est en fait mon origine artistique. Au début de ma carrière, j’étais chef de musique de l’orchestre symphonique de la radio suédoise. Je trouve que jouer du violon tout en dirigeant un orchestre est une très bonne combinaison, oui, j’ai besoin de jouer du violon. Cela m’aide à avancer. Actuellement je joue de la musique de chambre avec différents ensembles ; essentiellement dans le cadre de festivals.
Qu’est-ce qui vous a conduit vers la direction d’orchestre ? Etait-ce une sorte de nécessité intérieure ?
Cela s’est fait naturellement en quelque sorte. Mes collègues avec qui je faisais de la musique de chambre m’ont demandé de les diriger. Ce que j’ai fait – directement à partir du violon.
Tout comme c’était d’usage lors des représentations à l’époque ?
Absolument, comme Haydn ou Mozart dirigeaient leurs orchestres. Pour moi, d’une certaine façon, c’était une évidence. Mais quand on m’a demandé en 1992 prendre la direction de l’orchestre de l’université d’Helsinki, je ne pouvais relever ce défi qu’à condition d’avoir la formation requise. Donc, j’ai repris des études. Ainsi, après mes études de violon, j’ai appris à diriger un orchestre. L’orchestre universitaire d’Helsinki est un orchestre d’amateurs. Néanmoins, c’est un grand et très bon orchestre et je manquais tout simplement de certaines techniques et d’outils pour être un chef d’orchestre valable. Grâce aux études j’ai acquis ces connaissances et la faculté de réussir en tant que chef d’orchestre. Diriger des musiciens signifie les guider et mener l’ensemble acoustique. C’est également un défi d’ordre physique qu’il faut apprendre à gérer. Si l’on a des doutes concernant l’interprétation d’une partition, les conséquences sur le résultat sont immédiates : Les musiciens sentent la moindre hésitation ce qui peut être source de malentendus. C’est la raison pour laquelle je regrette que nombre d’instrumentalistes dirigent de nos jours des orchestres, sans avoir eu la formation spécifique qui s’impose.
Au regard des publications de disques qui sont les vôtres, on note que vous portez un intérêt tout particulier à la musique finlandaise ou plutôt scandinave. Parmi les 26 titres, 15 sont dédiés à des compositeurs nordiques. Vous vous voyez comme une sorte d’ambassadeur de cette musique ?
En Scandinavie, on trouve quantité de bons compositeurs, particulièrement des compositeurs contemporains, qui composent une musique d’excellente facture. J’estime que cette musique doit être diffusée autant que possible. Mais je n’aimerais pas avoir une étiquette de spécialiste de musique scandinave. A mon sens, ce serait trop restrictif. J’essaie de tendre vers un équilibre dans la présentation. Je trouve que des combinaisons très différenciées dans un répertoire rendent celui-ci particulièrement intéressant. Mais j’aime tout autant donner des morceaux connus de Beethoven ou Bruckner par exemple.
Vous collaborez beaucoup avec des compositeurs contemporains finlandais. Avez-vous fait le constat qu’il existe une différence parmi les compositions contemporaines qui pourrait trouver son explication dans l’origine du compositeur en question ?
Non, plus maintenant. Aujourd’hui on ne peut plus guère dire en écoutant un morceau de musique, s’il s’agit d’un morceau danois, finlandais ou allemand. Mais bien entendu, un finlandais porte en lui certains éléments dont on ne peut faire abstraction. Je pense par exemple aux différentes conditions climatiques dans de nombreux pays. Quand quelqu’un a grandi en Finlande, tout comme moi, il a eu à faire à des hivers interminables, sans soleil, froids et très enneigés. Ceci influe évidemment sur le caractère de l’individu. Des éléments comme celui-ci, comme tant d’autres, font partie de sa personnalité, ce qui se reflète dans sa façon de composer.
Mais ne ce sont pas aussi les différentes influences musicales auxquelles nous sommes exposés dès notre tendre enfance et que nous gardons en nous toute notre vie qui nous font finalement agir différemment ?
Oui, très certainement. Si un jour vous assistez à un mariage en Finlande et que l’on chante, vous pouvez être sure et certaine que toutes ces chansons sont en mode mineur. Je pense que vous en tant qu’Autrichienne avez d’autres traditions.
Oui absolument. Les mariages sont des fêtes pleines de gaieté, accompagnées par une musique joyeuse !
C’est intéressant. Parce que bien que ces marquages dont on ne peut faire abstraction existent, les œuvres de nos jours sont d’une certaine manière globales. Et en même temps je pense que c’est très bien comme ça.
Combien de concerts donnez-vous par an ?
Une cinquantaine, je pense, mais je ne les ai pas comptés. Un par semaine – non ce n’est pas correct, ce sont bien plus. Rien que pendant les festivals je donne parfois deux par jour !
Et avec tout cela il vous reste du temps pour étudier de nouvelles partitions ?
Je travaille de nouvelles partitions en permanence, plusieurs mois en amont en fait avant de diriger un nouveau morceau. La plupart du temps ce sont 1 à 2 œuvres par mois.
C’est considérable !
Oui, c’est vrai, mais j’aime travailler !
Dans quel domaine avez-vous plus de facilités : En travaillant des compositions contemporaines ou alors celles qui, faisant partie du répertoire d’orchestre sont déjà très connues ?
Je n’ai pas peur de travailler des œuvres contemporaines. D’une certaine façon je pense même que les choses sont plus faciles, parce que l’on a bien plus de libertés. Beaucoup de ces œuvres sont représentées pour la première fois ce qui signifie qu’il n y pas de base de comparaison. Donc, l’interprétation peut être totalement libre, sans influence aucune due à des habitudes qui auraient pu être prises. Quand je m’approche de Bruckner c’est tout en ayant conscience que tellement de chef d’orchestres ont dirigé ses ouvres avant moi. Tellement de versions sont déjà dans nos oreilles. Dans ce cas-là, il faut que j’étudie la partition de très près pour y trouver des éléments que je pourrais exprimer différemment, à ma façon. Cela peut être bien plus laborieux que la représentation d’une composition totalement nouvelle. Même la collaboration avec les orchestres quand il s’agit de travailler un morceau trop bien connu s’en ressent : Il y a des formations qui ont joué certains morceaux tellement souvent, qu’elles les connaissent par cœur et les jouent à leur manière – toujours la même ! Là, il faut parfois tout arrêter et expliquer : « S’il vous plaît ! A cet endroit pas « diminuendo »……. et il peut arriver qu’il faut répéter plusieurs fois pour éliminer les habitudes. Une ouvre contemporaine en revanche est très souvent assez vite assimilée.
Vous travaillez dans le monde entier et vous connaissez différents orchestres. Ces orchestres ont tous des sons caractéristiques. Comment définiriez-vous le son de l’orchestre philharmonique d’Helsinki, que vous dirigez depuis la saison 2008/2009 ?
Je pense que les orchestres dans le monde ne sont pas si éloignés que cela en ce qui concerne leur son, comparé à la situation il y a encore quelques dizaines d’années. Tous jouent à un niveau très élevé et par ce fait, ils se sont rapprochés les uns des autres. Mais malgré tout, il y a d’infimes différences : L’orchestre philharmonique d’Helsinki a un corps particulièrement plein dans le son symphonique. C’est une excellente base qu’ont su lui donner mes prédécesseurs, notamment Leif Segerstam et Paaqvo Borglund. En ce qui me concerne, j’aimerais mettre l’accent sur une plus grande flexibilité et une balance plus poussée des nuances. J’adore travailler tous ces petits détails, faire sortir des balances. Et cela non seulement en regardant le détail en question, mais tout dans son ensemble.
Nikolaus Harnoncourt avec sa façon de lire les partitions a démontré qu’il est très important de s’occuper justement des détails. Est-ce votre méthode de travail ?
Nikolaus Harnoncourt est un chef d’orchestre que j’estime énormément. Sa façon de travailler une partition, totalement révolutionnaire il y a encore 30 ou 40 ans, est devenue une sorte de standard pour traiter une partition. De nos jours, c’est une espèce de norme pour s’approprier une œuvre. Aucun étudiant en musique ne peut se soustraire à cette approche de l’interprétation. Dans ces domaines il y a eu des avancés notables. Harnoncourt a initié tout un style. C’est pour cette raison qu’actuellement existe une conscience bien plus grande des styles musicaux. Il est d’une certaine façon possible de passer du style « Mozart » au style « Schumann » ou à celui de Schostakowitsch, parce que l’on sait pertinemment comment positionner l’archet pour satisfaire aux exigences du style an question. Mais c’est également une question de génération, car à l’époque, l’interprétation des ouvres était en général plus contrasté, « noir et blanc » en quelque sorte, sans s’attarder trop sur les choses fines et nuancées. Mais ne serait-ce que le fait que dans le temps, les chefs d’orchestre étaient en charge d’une formation pendant des dizaines d’années, marquait les formations durablement et de façon significative. Ce genre de collaboration pendant autant d’années n’existe plus de nos jours. Les orchestres ont à faire à un grand nombre de chefs d’orchestres différents, comme par exemple ici à Strasbourg où passent de nombreux d’invités durant une seule saison.
Combien de temps encore êtes-vous sous contrat avec l’orchestre philharmonique d’Helsinki ? Avez-vous des projets que vous souhaitez réaliser durant votre direction d’orchestre ?
J’ai signé pour 4 ans, mais je ne connais pas la suite. Ceci ne signifie pas forcément que ma collaboration avec l’orchestre se limite à ces quatre années. Une chose qui est sur, en revanche, c’est le déménagement de la salle de concert en 2011. Cette nouvelle salle disposera d’une acoustique phénoménale et de par ce fait, beaucoup de choses bougeront et changeront. Dans l’orchestre même il y a actuellement un changement de générations important, sachant que les jeunes musiciens qui arrivent veulent toujours faire mieux que les précédents.
Quel répertoire présentez-vous principalement à Helsinki ?
Nous jouons de la musique finlandaise, par exemple d’Armas Launis, Jukka Tiensuu, Leevi Madetoja oder Selim Palmgren et Jean Sibelius bien entendu. Mais aussi les œuvres d’Esten Erkki-Sven Tüür ou du suédois Anders Hillborg. Mais comme je l’ai déjà dit précédemment, je tiens également à un équilibre avec d’autres compositeurs. Donc nous jouons aussi Strausz, Brahms, Beethoven, Dvorak ou Moussorgski pour en citer quelques-uns.
Dans cette programmation on sent une orientation très forte vers la musique contemporaine. Est-ce une particularité en Scandinavie ?
Oui, je le crois. Le public scandinave est habitué à écouter des morceaux contemporains. Cela fait tout simplement partie de sa culture. C’est différent qu’en Europe centrale où les organisateurs sont bien plus prudents concernant le choix des œuvres. Donc, les habitudes du public sont différentes. Ce qui est monnaie courante en Scandinavie, relève de l’exception en Europe centrale. Je le constate bien en observant le public qui réagit avec beaucoup plus de retenue quand il s’agit de musique contemporaine.
Comment avez-vous déterminé le programme que vous avez dirigé à Strasbourg. Était-ce une demande de l’organisateur ou alors avez-vous choisi les morceaux ?
Dans ce cas bien précis, c’était une combinaison des deux. La 6e symphonie de Bruckner était mon souhait, la collaboration avec le flûtiste Emmanuel Pahud avec qui j’ai travaillé pour la première fois à cette occasion était une suggestion de l’organisateur. Je suis ravi d’avoir l’occasion de jouer une pièce d’Alfred Alissandrescu en début de concert. J’en suis reconnaissant envers l’OPS, car il s’agit d’un morceau qui n’est que très rarement joué et du coup pratiquement inconnu. Cette composition date de 1910, mais en l’écoutant on a l’impression qu’elle bien antérieure. C’est une œuvre romantique – quoique un peu tardive – elle est calme et simple, mais incroyablement belle. Je suis sur que le public l’appréciera. En fait c’est une honte qu’Alessandrescu soit tombé totalement dans l’oubli. De son temps, il était tout de suite après George Enescu, le plus éminent compositeur roumain à l’époque, le deuxième homme le plus important en Roumanie. Il était une célébrité – contrairement à aujourd’hui. J’ai découvert cette partition en fouillant dans un magasin de musique parisien en 1994 et depuis, je l’ai jouée déjà plusieurs fois en Laponie avec mon orchestre de chambre. Elle s’accorde harmonieusement avec la 6e de Bruckner et s’appelle « automne tardif ». Donc, cette période de l’année se prête aussi pour l’interpréter. Cette composition ressemble beaucoup à celles de Joseph Suk, le compositeur tchèque. Ibert qui suit est en quelque sorte son contraire, de caractère pétillant ce qui forme un beau contraste. Concernant la 6e de Bruckner, je la vois plutôt apparentée au morceau d’Alessandrescu. On ne joue la 6e symphonie de Bruckner pas souvent, bien qu’elle en vaille la peine. Bien sur, le principe de la composition de Bruckner est toujours le même, mais malgré tout, il y a quelque chose de nouveau à y découvrir. Elle porte beaucoup d’espace en elle et elle est pleine de lumière. Ce sont ses caractéristiques les plus importantes. Elle n’est pas difficile et ressemble à une sérénade. Le deuxième mouvement lent et l’un des plus beaux que je connaisse.
L’une de vos collaborations les plus remarquables est celle avec le BBC Symphony Orchestra. Est-ce que cette collaboration va continuer ?
Oui et je suis enchanté d’être invité si souvent. La prochaine collaboration est programmée pour la saison 2011/2012. J’aime travailler avec cet orchestre qui peut se montrer extrêmement flexible et dispose de beaucoup de facultés. Cet orchestre pense comme moi. Il aime la combinaison entre tradition et modernité. Les musiciens sont extraordinairement virtuoses.
Avez-vous des souhaits personnels pour l’avenir ? Y a-t-il des orchestres avec lesquelles vous aimeriez travailler ?
Oui, bien sur que j’ai des souhaits et des envies. Mais je ne veux pas en parler.
Aimeriez-vous dire quelque chose à nos lectrices et lecteurs ?
Oh, je n’avais pas envisagé cette possibilité. Mais oui, il y a quelque chose qui me soucie beaucoup et dont je voudrais bien parler. Il s’agit de l’avenir de notre travail. Nous vivons à une époque paradoxale. La formation dans le domaine de la musique s’améliore sans cesse. La qualité des orchestres n’a jamais été aussi bonne qu’actuellement. Et malgré cela, le public nous fait défaut. Nous constatons, que les traditions, qui nous ont transmis la musique depuis des centaines d’années, se meurent. Dans les écoles, l’enseignement de la musique est réduit au strict minimum, ce qui est très regrettable. Sans les décisions importantes qui s’imposent, nous perdrons tout simplement notre public pour écouter le fruit de notre travail.
La musique est une partie indispensable de notre culture et absolument nécessaire. J’appelle à tous ceux qui ont la possibilité d’agir. Je demande instamment aux responsables politiques de faire leur possible pour soutenir et promouvoir cette culture. Ils n’ont pas le droit d’enlever la musique aux hommes ! Au contraire, c’est à eux de faire en sorte que les concerts retrouvent leur public et qu’ils soient retransmis à la radio ainsi qu’à la télévision. Ces médias qui jouent un rôle tellement important de nos jours.
Merci infiniment pour cet entretien et beaucoup de succès pour la suite de votre travail !
Cette interview du 27 octobre 2009 était accordée à Michaela Preiner