A l’occasion de sa prestation avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui a joué le Messie de Händel pour la première fois depuis 20 ans, le chef d’orchestre américain John Nelson a accordé une interview.
Monsieur Nelson, combien de fois avez-vous déjà travaillé avec l’OPS ?
Oh, il faut que je réfléchisse un peu. C’est la troisième fois. Je ne suis pas très fort pour compter les années, mais la première fois doit bien remonter à 15 ans, la dernière à 8 ans.
Pendant les 8 dernières années, l’orchestre a changé dans sa configuration bien entendu. Vous voyez la différence ?
Non, je ne la vois pas. Car je ne peux comparer des pommes avec des poires. Cette fois-ci je travaille avec un petit ensemble baroque, les deux dernières fois c’était un grand orchestre.
La musique baroque est nouvelle pour l’OPS et je suis impressionné par sa flexibilité. Il y a beaucoup de jeunes musiciens et musiciennes dans l’orchestre. Déjà après la première répétition ils ont merveilleusement réagi. Il s’agit d’adapter leur technique: Ils doivent tenir l’archet plus court, par conséquence ils doivent tenir leur instrument plus haut. C’est ainsi que le ton change. A l’époque, les instruments étaient plus petits, joués différemment. Pas comme aujourd’hui avec le vibrato de la main gauche. On pourrait faire une comparaison comme celle entre le tennis et le ping-pong par exemple. Au ping-pong on utilise des raquettes beaucoup plus petites. Le jeu est plus rapide. On a besoin d’avantage d’énergie et d’une vitesse plus importante.
On jouait un ton plus sobre, sans vibrato. C’est pour cette raison que la main droite doit compenser ce vibrato. Les musiciens de l’orchestre perçoivent cette différence de son rapidement et adaptent leur jeu grâce à l’archet qu’ils tiennent plus court. Mais ce qui est le plus important pour moi ce n’est pas la technique. Je dis toujours: Ce qui est important c’est que jouez avec plaisir. Il vaut mieux jouer avec vibrato que sans plaisir. Sans plaisir rien n’est possible. Et ces musiciens jouent tous avec grand plaisir – vous pouvez certainement le voir très facilement.
Pensez-vous que faire de la musique avec plaisir est une façon typiquement américaine de s’intéresser à ce sujet ?
Non, là je ne suis pas forcément d’accord. A toutes les époques, que ce soit à la renaissance, au baroque ou au rococo, peu importe, il y a eu et il y a toujours les mêmes émotions: la colère, le bonheur, la mélancolie, la joie. Il faut juste trouver la façon dont on s’est exprimé musicalement aux différentes époques. Donc, je ne pense pas que le plaisir ou la joie soient une approche typiquement américaine. La joie est visible sur chacun des visages. Quand les musiciens et musiciennes jouent avec plaisir ils sont plus heureux et plus épanouis.
Vous avez à faire parfois à des musiciens ou musiciennes qui jouent sans plaisir ?
Et comment ! Malheureusement très souvent. Ils viennent à l’orchestre et font simplement leur travail. Et voilà. J’ai pitié de ces gens qui au fond n’ont pas envie de jouer. C’est dommage, car ils interprètent mal leur rôle. L’orchestre se trouve entre le public et le compositeur. Il faut qu’il saisisse l’esprit du compositeur et qu’il trouve la magie qui s’en dégage. Je dis toujours aux musiciens que les gens qui viennent pour les entendre jouer, paient très cher. Rien que cela doit être une motivation suffisante pour jouer sans s’ennuyer. Faites les sortir de leurs mondanités avec votre interprétation !
Pour vous en quoi consiste votre tâche principale en tant que chef d’orchestre ?
D’enthousiasmer ! C’est simple et compliqué à la fois. Les musiciennes et musiciens sont des gens intelligents et bien formés. Que voulez-vous que je leur raconte ? Ce que je peux faire, c’est de les rendre enthousiastes. C’est le premier de mes devoirs. Et non pas celui d’être correct ou fondamentaliste, sans vie ! J’essaie continuellement de m’améliorer avec les musiciennes et musiciens. Hier, je suis allé à Colmar. J’ai visité le musée « Unter den Linden » où j’ai vu un autel superbe, une œuvre de Matthias Grünewald. J’étais enthousiaste. Hier, c’était notre répétition générale, mais je sais qu’aujourd’hui, riche de ce souvenir de l’autel, je dirigerai le « Messie » certainement encore autrement. Le Messie raconte une histoire. Pour l’exprimer correctement, les musiciennes et musiciens doivent l’aimer. Avec les membres de l’orchestre j’évoque toujours l’idée qui se cache derrière les notes. Je regrette que les musiciens ne chantent pas. Les chanteurs et cantatrices travaillent automatiquement avec le texte, avec l’idée et les histoires. Les concerts d’orchestre expriment tout cela uniquement en musique. C’est pour cette raison, qu’il est important d’exprimer l’idée qui se trouve derrière tout cela très clairement. Le premier mouvement du Messie porte l’indication « grave ». Et qu’est-ce qu’on entend souvent ? Un thème léger et dansant. Mais c’est faux. Le premier mouvement parle du destin de l’être humain le plus innocent de cette terre, de sa solitude et de sa tristesse. Il faut le jouer « grave ». C’est après seulement que les choses deviennent plus légères – car finalement l’histoire connaît une fin heureuse. Pendant la répétition je parlais avec les musiciens de théologie et de la résurrection pour qu’ils puissent véritablement ressentir l’histoire.
Le sous-titre de l’organisation « Soli Deo Gloria » que vous avez fondée est le suivant : « musique sacrée pour un monde assoiffé » Qu’est-ce que vous voulez dire avec « soif » ici ? La soif de spiritualité, de religiosité ?
Je ne dirais pas religieux. De nos jours, ce terme a une connotation négative. Le sacré ou le spirituel se trouve en dehors de notre monde aujourd’hui. Ce n’est plus parmi nous, mais cela existe. Grünewald par exemple a créé quelque chose d’extraordinaire. Ce que nous voyons, ce que nous pouvons voir, ce n’est pas ce que c’est vraiment. Ce n’est que l’image de quelque chose de magnifique. Quand on regarde les clochers des églises ou les minarets des mosquées, il faut les voir comme des symboles. Comme des symboles de quelque chose qui existe au dessus de nous, qui est fantastique. L’organisation à laquelle vous faites allusion a trois objectifs: Premièrement, l’organisation commande des compositions de musique sacrée. Dans le passée on a écrit de la musique sacrée. Nous voulons faire perdurer cette tradition qui est à l’origine de tant de créations magnifiques. Ensuite, nous organisons des concerts dans des pays pauvres. Les chefs d’orchestre et parfois aussi les solistes renoncent à cette occasion à leur cachet. Uniquement les frais engagés sont remboursés. En moyenne, je participe 2 fois par an à ce genre de concert. Nous avons commencé en Chine il y a 18 ans. Nous avons joué le premier requiem de Brahms qui n’avait encore jamais été joué dans ce pays. Il était retransmis dans tout le pays. Pour les cantatrices et les chanteurs cela a été extrêmement difficile, car ils n’avaient pas l’habitude de ces harmonies. Ils ont chanté en chinois, et bien que ce soit un travail très difficile pour eux, ils ont tous été ravis. Depuis cette représentation je me rends tous les deux ans en Chine. J’ai joué « Elias », le « Messie », mais aussi les « quatre saisons » ou alors le Requiem de Berlioz. Tant et si bien que maintenant je suis connu là-bas comme « le chef d’orchestre religieux d’Amérique ». Mais nous avons donné des concerts également en Sibérie, à Kiev, en Roumanie ou en Arménie. Cette année j’ai dirigé à Costa Rica. L’orchestre là-bas est très pauvre, et la collaboration avec l’orchestre et le chœur avait une signification tout à fait particulière. Nous avons travaillé la messe en b mineur de Bach. C’était la première fois que l’on a joué cette œuvre dans toute l’Amérique latine. Ce travail a changé certains qui ont participé à cette aventure pour toujours. J’ai reçu des lettres de quelques membres du chœur qui disaient en somme, que ce travail avait changé leur vie et qu’ils ne seraient plus jamais pareils qu’avant. Et le maître de concert de l’orchestre m’a dit : « L’histoire de la musique à Costa Rica peut désormais être scindée en deux périodes : Celle d’avant la représentation de la messe de Bach, et celle d’après. » C’était quelque chose de très spécial. Et troisièmement « Soli Deo Gloria » enregistre de la musique sacrée. Nous sommes à l’origine d’un enregistrement de la « Missa solemnis » sur DVD et nous avons un projet identique concernant « la création ». Cela demande des moyens financiers importants qui sont apportés par de diverses donations.
Quand vous dirigez, vous donnez. Est-ce que l’orchestre vous rend quelque-chose ?
Quand je suis invité, comme par exemple ici à Strasbourg, je n’en parle pas beaucoup à l’orchestre. Mais à « mon » orchestre, « l’Ensemble Orchestre de Paris » je dis de façon très directe : « vous devez me rendre autant que je vous donne pour que cela puisse fonctionner.»
Hier, pendant la répétition générale j’ai dit par exemple : « vous m’avez donné quelque chose de très particulier.» Quand je dirige cette même pièce en Angleterre, les musiciens disent : « que c’est ennuyeux ! On connaît le Messie par cœur ! »
Ici, ils n’ont pas joué le Messie depuis 20 ans. Ils le jouent avec une telle fraîcheur, avec une telle émotion et avec un esprit tout à fait particulier. Oui, je pense qu’ils en sont tombés amoureux ! C’est magnifique ! J’aime travailler en Europe. Contrairement aux Etats Unis, la plupart des orchestres sont conventionnés par l’état. En Amérique ce sont des gens riches qui donnent de l’argent pour cela. Mais ce n’est pas la bonne façon de faire. De nos jours, la musique classique perd continuellement du terrain en Amérique. Elle souffre de la situation économique mais aussi de la globalisation. La télévision qui elle est financée par la publicité se situe sur un niveau très bas parce qu’elle montre ce que le plus grand nombre de gens veulent voir.
Voulez-vous faire passer un message personnel à nos lecteurs ?
Oui, avec plaisir ! Notre société a besoin de musique. La musique classique est la meilleure chose jamais créée ! Elle n’est pas seulement une distraction mais elle est la nourriture de notre public que nous sommes sur le point de perdre et que nous devons conserver à tout prix.
Mais je voudrais aussi inviter le public à écouter de la musique contemporaine. Beaucoup de choses sont formidables ! Ce que l’OPS joue en musique contemporaine est ce qu’il y a de meilleur. On peut en être sur, sinon, elle ne serait pas représentée ici. Ce que je vais dire vous paraîtra peut-être un peu bizarre : Je pense qu’il faut grand ouvrir les oreilles pour pouvoir se plonger dans le monde de l’art contemporain.
Je vous remercie vivement pour cet entretien.
L’interview a été réalisée le 17 décembre par Dr. Michaela Preiner à Strasbourg
Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker
Dieser Artikel ist auch verfügbar auf: Allemand