Visuellement, ils sont le contraire de Don Quichotte et de Sancho Pansa, car physiquement ils sont à l’antipode des deux personnages: Le violoncelliste Alexander Somov, le Don Quichotte dans l’œuvre de Richard Strauss est robuste, pourtant plutôt grand. Sancho Pansa avec son alto, lui, est très grand et élancé. Leurs tempéraments respectifs permettent en revanche effectivement un certain rapprochement avec les personnages littéraires dans les écrits de Miguel Cervantès. Il est bien connu, que l’auteur faisait livrer un certain nombre de combats légendaires aux personnages principaux de son ouvrage en l’honneur – d’une petite servante paysanne, Dulcinée.
Les deux jeunes musiciens jouent ensemble à l’OPS depuis 2006. Sous la direction de Marc Albrecht ils ont été soudés tous deux pour former un couple qui musicalement suit ses rêves, ses hallucinations et affronte les différents défis qu’il se lance lui-même.
Strauss n’a pas choisi les chapitres les plus difficiles pour sa composition. Mais il y a malgré tout des passages qui sondent le caractère de Don Quichotte très, très profondément, jusqu’aux abîmes les plus sombres. « C’est là où je peux effectivement m’identifier avec lui » définit Alexander Somov son rôle.
Né en Bulgarie, le premier violoncelliste de l’OPS a fait ses études à Sofia. Pendant ses études, en 1995, il a été appelé par Stefan Popov pour intégrer la Guildhall School of Music and Drama à Londres. Popov, un celliste mondialement connu et une véritable légende vivante dans son pays, était toujours à la recherche de nouveaux talents.
Hirtz en revanche, après avoir suivi sa formation au conservatoire à Strasbourg, est parti pour Paris ou il étudiait le violon et la musique de chambre auprès de Patrice Fontanarosa et Jean Mouillère. Et malgré tout, les deux ont atterri à Strasbourg dans un orchestre qui de toute évidence était suffisamment intéressant à leurs yeux pour y postuler.
« Pour moi, ce n’était pas très difficile d’étudier à Paris » raconte Hirtz en parlant de son séjour dans la capitale française dès l’âge de 16 ans. « J’y avais beaucoup d’amis. Ma vie était différente, bien plus libre qu’avant. Mais ce qui s’est passé à mon retour à Strasbourg est toujours comme un rêve pour moi. J’ai postulé à deux endroits en tant que violoniste, mais aucune des deux démarches n’a abouti. Et là, Claude Ducrocq, à l’époque soliste à l’alto m’a informé qu’à l’OPS justement on cherchait un remplaçant pour lui. Il m’a vivement encouragé de travailler pour cela. C’est ce que j’ai fait et qui plus est avec une étonnante facilité. Mais que l’on m’engage du premier coup, c’était pour moi tout bonnement incroyable. »
En revanche, qu’il détenait déjà un certain nombre de prix et de récompenses à cette époque-là, Hirtz n’en pipe pas mot.
On apprend de la part de Somov, que pour lui son séjour à Londres était très pénible au début.
« Moi aussi, je n’avais que 16 ans. J’étais tout seul dans un pays étranger. C’est dans les nombreux Pubs que j’ai noué des contacts. C’était très important pour moi car c’est par là que passait mon intégration par la suite. Mais le temps que j’ai passé à Londres était aussi indispensable pour ma carrière professionnelle. En 2000, j’avais la chance d’être engagé comme soliste au violoncelle à la Northern Sinfonia Newcastle qui à l’époque était sous la direction de Thomas Zehetmair. »
Et à partir de cette année-là, il a donné des concerts en tant que soliste, invité par le « London Philharmonic Orchestra », la « London Symphony » le « Scottish Chamber Orchestra » ou alors le « English Chamber Orchestra ».
Mais pour quelle raison les deux ont-ils fini à Strasbourg?
« Londres est une ville culturelle avec beaucoup d’orchestres. Mais quand ma compagne attendait notre premier bébé, nous étions à la recherche d’un autre environnement pour y voir grandir notre enfant. Strasbourg nous paraissait être l’endroit idéal. De plus l’orchestre jouissait d’une excellente réputation. Par ailleurs, le répertoire du « Chamber Orchestra » a commencé à être répétitif, ce qui malgré tout est normal pour un orchestre de musique de chambre. » Voilà les raisons pour le déménagement de Somov.
« J’ai posée ma candidature pour des postes à pourvoir ici, dans ma ville natale, car à Paris il y a beaucoup trop de musiciens sur le marché. » explique Hirtz.
Le fait que les deux enseignent depuis plusieurs années déjà au conservatoire de musique est lié à leur contrat. Tout musicien membre de l’OPS y est obligé. A la question s’il est difficile d’enseigner étant soi-même si jeune, les deux répondent unanimement dans un premier temps :
« Mais non, pas du tout ! Nous connaissons le programme solo que tous doivent apprendre par cœur. On a dû l’apprendre nous aussi » dit Somov. Hirtz relativise néanmoins : « Tout dépend des élèves et du niveau où on veut situer son enseignement. Personnellement, j’ai à faire à beaucoup d’élèves très jeunes. Là, le défi consiste à les motiver pour travailler régulièrement. Ils ont tous beaucoup à faire à l’école. Ils doivent faire leurs études et quand ils rentrent à la maison ils déclarent ne pas avoir de temps à consacrer à leur instrument. Chez ceux qui souhaitent faire une carrière dans la musique, je suis bien obligé de serrer la vis par moment. » Somov fait remarquer : « Ce dont on a besoin avant tout, c’est de la patience ! » « C’est tout à fait exact » répond son vis-à-vis « mais dans ce domaine-là j’ai encore pas mal de choses à apprendre. Le plus important dans un premier temps c’est la technique, sans ça, rien n’est possible. » Somov : « Exact. On peut faire des comparaisons avec un serveur. Lui aussi doit apprendre avant tout, comment servir. S’il trébuche par maladresse, tout est perdu. »
Hirtz souligne cette comparaison avec une petite pantomime. Il est très intéressant de voir, comment les deux musiciens se passent le relais pendant cet entretien, comme s’ils étaient en train de jouer un morceau à deux voix, dont la mélodie ne doit être interrompue sous aucun prétexte. La question, si l’OPS d’après eux avait une caractéristique qui le différencie des autres orchestres les fait brièvement réfléchir malgré tout.
« Je pense que la sonorité d’un orchestre de nos jours n’est plus aussi spécifique qu’à l’époque. C’est très certainement dû au fait que la collaboration avec les chefs d’orchestre ne dure plus aussi longtemps qu’avant et que le niveau des musiciens a énormément progressé. Mais ne serait-ce qu’au niveau du programme, l’OPS se distingue bel et bien des autres orchestres français » explique Somov, qui – ayant joué dans plusieurs d’entre eux – sait certainement de quoi il parle. « C’est absolument juste » rajoute Hirtz « ici à Strasbourg nous jouons un programme très germanophile. Nous jouons souvent les œuvres de Mahler, de Bruckner, de Brahms et aussi de Strauss. Moi, j’en suis ravie, car j’aime cette musique par-dessus tout. D’après les collègues qui sont ici depuis plus longtemps, Marc Albrecht a du procéder à pas mal de changements. Dans la mesure où je n’ai travaillé ici que sous sa direction, je ne peux pas vraiment porter de jugement. »
Par ailleurs j’aimerais savoir si le fait d’être dirigés par des invités leur apporte quelque chose.
Cela dépend du chef d’orchestre, de sa personnalité et de ses connaissances. Les deux sont d’accord pour déclarer que leur favori parmi les différents chefs d’orchestre est Gennadi Rozhdestvensky. « Chez lui, un seul regard suffit pour nous renseigner. Ce ne sont pas les grands gestes et les mouvements amples qui définissent un bon chef d’orchestre. C’est peut-être intéressant pour le public, mais pour nous musiciens, ça n’a aucune importance. Par contre ce qui nous importe avant tout, c’est qu’ils soient vraiment calés. Aujourd’hui, beaucoup de solistes prennent la baguette pour diriger. Mais le fait est, qu’ils ne possèdent absolument pas les connaissances des chefs d’orchestre dont c’est le métier » déclare Somov. « On distingue immédiatement un vrai maestro quand il entre dans la pièce. Sa façon de se tenir et son aura sont d’emblé déterminants pour la collaboration, comme c’est le cas chez Haitink et Collin Davis » selon Hirtz.
Petit à petit l’évidence que le concert en vue sera harmonieux et équilibré s’impose. Les deux sont ou parfaitement d’accord l’un avec l’autre ou alors ils se complètent merveilleusement bien.
« Pendant les études, tout le monde se doit rêver être soliste un jour » là aussi, ils sont unanimes « il faut ‘voir grand’ au départ, car de toutes les manières, la dure réalité vous rattrape assez vite. « C’est presque une pensée philosophique dont Somov nous fait part ici. Interrogé à nouveau au sujet de Don Quichotte, il pense que ce qui est vraiment beau chez ce personnage, ce sont ses idéaux nobles naïfs à la fois Sa pureté, sa douleur et son coté poignant le touchent profondément. Et Hirtz s’extasie sur les thèmes qui lui permettent de caractériser Sancho Pansa grâce à son alto. « Mais même si le plus beau solo pour alto jamais écrit en fait partie, je dois jouer pour Don Quichotte et le servir. Sinon, je ne serais pas à ma place.
Déjà avant de toucher le public avec son jeu sublime, Hirtz sait émouvoir avec sa façon d’être, sa grande modestie.
A la question, s’ils veulent faire part d’une chose ou d’une autre aux lecteurs, les réponses sont également complémentaires :
« Oui, avec plaisir. Je voudrais dire aux gens, que la musique est quelque chose qui peut guérir. C’est une chose qui agit au niveau spirituel et c’est ce dont on a besoin aujourd’hui plus que jamais. De nos jours, tout est orienté vers le profit économique. L’esprit en revanche est complètement négligé. La musique agit comme un médicament – et en plus sans effets secondaires ! » Voilà comment Alexander Somov fait don de son travail spontanément.
« Au fond, on ne peut plus rien dicter à personne de nos jours. Chacun fait ce qu’il veut. Je ne peux pas dire ‘va au concert’ et m’attendre à ce que les gens le fassent aussi. Je vois cela plutôt comme une proposition pour laquelle ça vaut la peine de se battre. Peut-être l’accès à la musique est-il un peu plus compliqué aujourd’hui – tant l’offre est énorme par ailleurs. Mais la musique est là pour tout le monde et à quelque chose à offrir à chacun de nous » rajoute Harold Hirtz après un petit délai de réflexion.
Somov et Hirtz, les deux jeunes musiciens ont pris ensemble le chemin de Don Quichotte et de Sancho Pansa. Mais de toutes les façons, d’autres aventures passionnantes sont d’ores et déjà programmées.
L’interview a été réalisée le 2 décembre par Dr. Michaela Preiner à Strasbourg
Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker
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