A l’occasion de sa prestation en collaboration avec l’OPS, l’orchestre philharmonique de Strasbourg, le chef d’orchestre finlandais, John Storgårds a accordé une interview exclusive.
Pour vous faire connaître davantage par nos lecteurs, il serait intéressant de savoir, si vous avez été marqué musicalement parlant par votre contexte familial.
Dans ma famille, il n y avait pas de musicien professionnel. La musique était du domaine du loisir. Je suis le seul parmi les 5 enfants qui ai fait de la musique sa profession. A la maison, on jouait de la musique, mais je n’ai pas vraiment eu de modèle à suivre. J’ai reçu des leçons de violon à partir de l’âge de 7 ans.
Vous étiez violoniste soliste avant de réussir comme chef d’orchestre ?
Ceci n’est pas tout à fait exact. Je continue à jouer du violon et je me produis également en tant que soliste. Je travaille 3 à 5 nouveaux morceaux par an pour élargir mon répertoire. Je fais énormément de musique de chambre. Là est en fait mon origine artistique. Au début de ma carrière, j’étais chef de musique de l’orchestre symphonique de la radio suédoise. Je trouve que jouer du violon tout en dirigeant un orchestre est une très bonne combinaison, oui, j’ai besoin de jouer du violon. Cela m’aide à avancer. Actuellement je joue de la musique de chambre avec différents ensembles ; essentiellement dans le cadre de festivals.
Qu’est-ce qui vous a conduit vers la direction d’orchestre ? Etait-ce une sorte de nécessité intérieure ?
Cela s’est fait naturellement en quelque sorte. Mes collègues avec qui je faisais de la musique de chambre m’ont demandé de les diriger. Ce que j’ai fait – directement à partir du violon.
Tout comme c’était d’usage lors des représentations à l’époque ?
Absolument, comme Haydn ou Mozart dirigeaient leurs orchestres. Pour moi, d’une certaine façon, c’était une évidence. Mais quand on m’a demandé en 1992 prendre la direction de l’orchestre de l’université d’Helsinki, je ne pouvais relever ce défi qu’à condition d’avoir la formation requise. Donc, j’ai repris des études. Ainsi, après mes études de violon, j’ai appris à diriger un orchestre. L’orchestre universitaire d’Helsinki est un orchestre d’amateurs. Néanmoins, c’est un grand et très bon orchestre et je manquais tout simplement de certaines techniques et d’outils pour être un chef d’orchestre valable. Grâce aux études j’ai acquis ces connaissances et la faculté de réussir en tant que chef d’orchestre. Diriger des musiciens signifie les guider et mener l’ensemble acoustique. C’est également un défi d’ordre physique qu’il faut apprendre à gérer. Si l’on a des doutes concernant l’interprétation d’une partition, les conséquences sur le résultat sont immédiates : Les musiciens sentent la moindre hésitation ce qui peut être source de malentendus. C’est la raison pour laquelle je regrette que nombre d’instrumentalistes dirigent de nos jours des orchestres, sans avoir eu la formation spécifique qui s’impose.
Au regard des publications de disques qui sont les vôtres, on note que vous portez un intérêt tout particulier à la musique finlandaise ou plutôt scandinave. Parmi les 26 titres, 15 sont dédiés à des compositeurs nordiques. Vous vous voyez comme une sorte d’ambassadeur de cette musique ?
En Scandinavie, on trouve quantité de bons compositeurs, particulièrement des compositeurs contemporains, qui composent une musique d’excellente facture. J’estime que cette musique doit être diffusée autant que possible. Mais je n’aimerais pas avoir une étiquette de spécialiste de musique scandinave. A mon sens, ce serait trop restrictif. J’essaie de tendre vers un équilibre dans la présentation. Je trouve que des combinaisons très différenciées dans un répertoire rendent celui-ci particulièrement intéressant. Mais j’aime tout autant donner des morceaux connus de Beethoven ou Bruckner par exemple.
Vous collaborez beaucoup avec des compositeurs contemporains finlandais. Avez-vous fait le constat qu’il existe une différence parmi les compositions contemporaines qui pourrait trouver son explication dans l’origine du compositeur en question ?
Non, plus maintenant. Aujourd’hui on ne peut plus guère dire en écoutant un morceau de musique, s’il s’agit d’un morceau danois, finlandais ou allemand. Mais bien entendu, un finlandais porte en lui certains éléments dont on ne peut faire abstraction. Je pense par exemple aux différentes conditions climatiques dans de nombreux pays. Quand quelqu’un a grandi en Finlande, tout comme moi, il a eu à faire à des hivers interminables, sans soleil, froids et très enneigés. Ceci influe évidemment sur le caractère de l’individu. Des éléments comme celui-ci, comme tant d’autres, font partie de sa personnalité, ce qui se reflète dans sa façon de composer.
Mais ne ce sont pas aussi les différentes influences musicales auxquelles nous sommes exposés dès notre tendre enfance et que nous gardons en nous toute notre vie qui nous font finalement agir différemment ?
Oui, très certainement. Si un jour vous assistez à un mariage en Finlande et que l’on chante, vous pouvez être sure et certaine que toutes ces chansons sont en mode mineur. Je pense que vous en tant qu’Autrichienne avez d’autres traditions.
Oui absolument. Les mariages sont des fêtes pleines de gaieté, accompagnées par une musique joyeuse !
C’est intéressant. Parce que bien que ces marquages dont on ne peut faire abstraction existent, les œuvres de nos jours sont d’une certaine manière globales. Et en même temps je pense que c’est très bien comme ça.
Combien de concerts donnez-vous par an ?
Une cinquantaine, je pense, mais je ne les ai pas comptés. Un par semaine – non ce n’est pas correct, ce sont bien plus. Rien que pendant les festivals je donne parfois deux par jour !
Et avec tout cela il vous reste du temps pour étudier de nouvelles partitions ?
Je travaille de nouvelles partitions en permanence, plusieurs mois en amont en fait avant de diriger un nouveau morceau. La plupart du temps ce sont 1 à 2 œuvres par mois.
C’est considérable !
Oui, c’est vrai, mais j’aime travailler !
Dans quel domaine avez-vous plus de facilités : En travaillant des compositions contemporaines ou alors celles qui, faisant partie du répertoire d’orchestre sont déjà très connues ?
Je n’ai pas peur de travailler des œuvres contemporaines. D’une certaine façon je pense même que les choses sont plus faciles, parce que l’on a bien plus de libertés. Beaucoup de ces œuvres sont représentées pour la première fois ce qui signifie qu’il n y pas de base de comparaison. Donc, l’interprétation peut être totalement libre, sans influence aucune due à des habitudes qui auraient pu être prises. Quand je m’approche de Bruckner c’est tout en ayant conscience que tellement de chef d’orchestres ont dirigé ses ouvres avant moi. Tellement de versions sont déjà dans nos oreilles. Dans ce cas-là, il faut que j’étudie la partition de très près pour y trouver des éléments que je pourrais exprimer différemment, à ma façon. Cela peut être bien plus laborieux que la représentation d’une composition totalement nouvelle. Même la collaboration avec les orchestres quand il s’agit de travailler un morceau trop bien connu s’en ressent : Il y a des formations qui ont joué certains morceaux tellement souvent, qu’elles les connaissent par cœur et les jouent à leur manière – toujours la même ! Là, il faut parfois tout arrêter et expliquer : « S’il vous plaît ! A cet endroit pas « diminuendo »……. et il peut arriver qu’il faut répéter plusieurs fois pour éliminer les habitudes. Une ouvre contemporaine en revanche est très souvent assez vite assimilée.
Vous travaillez dans le monde entier et vous connaissez différents orchestres. Ces orchestres ont tous des sons caractéristiques. Comment définiriez-vous le son de l’orchestre philharmonique d’Helsinki, que vous dirigez depuis la saison 2008/2009 ?
Je pense que les orchestres dans le monde ne sont pas si éloignés que cela en ce qui concerne leur son, comparé à la situation il y a encore quelques dizaines d’années. Tous jouent à un niveau très élevé et par ce fait, ils se sont rapprochés les uns des autres. Mais malgré tout, il y a d’infimes différences : L’orchestre philharmonique d’Helsinki a un corps particulièrement plein dans le son symphonique. C’est une excellente base qu’ont su lui donner mes prédécesseurs, notamment Leif Segerstam et Paaqvo Borglund. En ce qui me concerne, j’aimerais mettre l’accent sur une plus grande flexibilité et une balance plus poussée des nuances. J’adore travailler tous ces petits détails, faire sortir des balances. Et cela non seulement en regardant le détail en question, mais tout dans son ensemble.
Nikolaus Harnoncourt avec sa façon de lire les partitions a démontré qu’il est très important de s’occuper justement des détails. Est-ce votre méthode de travail ?
Nikolaus Harnoncourt est un chef d’orchestre que j’estime énormément. Sa façon de travailler une partition, totalement révolutionnaire il y a encore 30 ou 40 ans, est devenue une sorte de standard pour traiter une partition. De nos jours, c’est une espèce de norme pour s’approprier une œuvre. Aucun étudiant en musique ne peut se soustraire à cette approche de l’interprétation. Dans ces domaines il y a eu des avancés notables. Harnoncourt a initié tout un style. C’est pour cette raison qu’actuellement existe une conscience bien plus grande des styles musicaux. Il est d’une certaine façon possible de passer du style « Mozart » au style « Schumann » ou à celui de Schostakowitsch, parce que l’on sait pertinemment comment positionner l’archet pour satisfaire aux exigences du style an question. Mais c’est également une question de génération, car à l’époque, l’interprétation des ouvres était en général plus contrasté, « noir et blanc » en quelque sorte, sans s’attarder trop sur les choses fines et nuancées. Mais ne serait-ce que le fait que dans le temps, les chefs d’orchestre étaient en charge d’une formation pendant des dizaines d’années, marquait les formations durablement et de façon significative. Ce genre de collaboration pendant autant d’années n’existe plus de nos jours. Les orchestres ont à faire à un grand nombre de chefs d’orchestres différents, comme par exemple ici à Strasbourg où passent de nombreux d’invités durant une seule saison.
Combien de temps encore êtes-vous sous contrat avec l’orchestre philharmonique d’Helsinki ? Avez-vous des projets que vous souhaitez réaliser durant votre direction d’orchestre ?
J’ai signé pour 4 ans, mais je ne connais pas la suite. Ceci ne signifie pas forcément que ma collaboration avec l’orchestre se limite à ces quatre années. Une chose qui est sur, en revanche, c’est le déménagement de la salle de concert en 2011. Cette nouvelle salle disposera d’une acoustique phénoménale et de par ce fait, beaucoup de choses bougeront et changeront. Dans l’orchestre même il y a actuellement un changement de générations important, sachant que les jeunes musiciens qui arrivent veulent toujours faire mieux que les précédents.
Quel répertoire présentez-vous principalement à Helsinki ?
Nous jouons de la musique finlandaise, par exemple d’Armas Launis, Jukka Tiensuu, Leevi Madetoja oder Selim Palmgren et Jean Sibelius bien entendu. Mais aussi les œuvres d’Esten Erkki-Sven Tüür ou du suédois Anders Hillborg. Mais comme je l’ai déjà dit précédemment, je tiens également à un équilibre avec d’autres compositeurs. Donc nous jouons aussi Strausz, Brahms, Beethoven, Dvorak ou Moussorgski pour en citer quelques-uns.
Dans cette programmation on sent une orientation très forte vers la musique contemporaine. Est-ce une particularité en Scandinavie ?
Oui, je le crois. Le public scandinave est habitué à écouter des morceaux contemporains. Cela fait tout simplement partie de sa culture. C’est différent qu’en Europe centrale où les organisateurs sont bien plus prudents concernant le choix des œuvres. Donc, les habitudes du public sont différentes. Ce qui est monnaie courante en Scandinavie, relève de l’exception en Europe centrale. Je le constate bien en observant le public qui réagit avec beaucoup plus de retenue quand il s’agit de musique contemporaine.
Comment avez-vous déterminé le programme que vous avez dirigé à Strasbourg. Était-ce une demande de l’organisateur ou alors avez-vous choisi les morceaux ?
Dans ce cas bien précis, c’était une combinaison des deux. La 6e symphonie de Bruckner était mon souhait, la collaboration avec le flûtiste Emmanuel Pahud avec qui j’ai travaillé pour la première fois à cette occasion était une suggestion de l’organisateur. Je suis ravi d’avoir l’occasion de jouer une pièce d’Alfred Alissandrescu en début de concert. J’en suis reconnaissant envers l’OPS, car il s’agit d’un morceau qui n’est que très rarement joué et du coup pratiquement inconnu. Cette composition date de 1910, mais en l’écoutant on a l’impression qu’elle bien antérieure. C’est une œuvre romantique – quoique un peu tardive – elle est calme et simple, mais incroyablement belle. Je suis sur que le public l’appréciera. En fait c’est une honte qu’Alessandrescu soit tombé totalement dans l’oubli. De son temps, il était tout de suite après George Enescu, le plus éminent compositeur roumain à l’époque, le deuxième homme le plus important en Roumanie. Il était une célébrité – contrairement à aujourd’hui. J’ai découvert cette partition en fouillant dans un magasin de musique parisien en 1994 et depuis, je l’ai jouée déjà plusieurs fois en Laponie avec mon orchestre de chambre. Elle s’accorde harmonieusement avec la 6e de Bruckner et s’appelle « automne tardif ». Donc, cette période de l’année se prête aussi pour l’interpréter. Cette composition ressemble beaucoup à celles de Joseph Suk, le compositeur tchèque. Ibert qui suit est en quelque sorte son contraire, de caractère pétillant ce qui forme un beau contraste. Concernant la 6e de Bruckner, je la vois plutôt apparentée au morceau d’Alessandrescu. On ne joue la 6e symphonie de Bruckner pas souvent, bien qu’elle en vaille la peine. Bien sur, le principe de la composition de Bruckner est toujours le même, mais malgré tout, il y a quelque chose de nouveau à y découvrir. Elle porte beaucoup d’espace en elle et elle est pleine de lumière. Ce sont ses caractéristiques les plus importantes. Elle n’est pas difficile et ressemble à une sérénade. Le deuxième mouvement lent et l’un des plus beaux que je connaisse.
L’une de vos collaborations les plus remarquables est celle avec le BBC Symphony Orchestra. Est-ce que cette collaboration va continuer ?
Oui et je suis enchanté d’être invité si souvent. La prochaine collaboration est programmée pour la saison 2011/2012. J’aime travailler avec cet orchestre qui peut se montrer extrêmement flexible et dispose de beaucoup de facultés. Cet orchestre pense comme moi. Il aime la combinaison entre tradition et modernité. Les musiciens sont extraordinairement virtuoses.
Avez-vous des souhaits personnels pour l’avenir ? Y a-t-il des orchestres avec lesquelles vous aimeriez travailler ?
Oui, bien sur que j’ai des souhaits et des envies. Mais je ne veux pas en parler.
Aimeriez-vous dire quelque chose à nos lectrices et lecteurs ?
Oh, je n’avais pas envisagé cette possibilité. Mais oui, il y a quelque chose qui me soucie beaucoup et dont je voudrais bien parler. Il s’agit de l’avenir de notre travail. Nous vivons à une époque paradoxale. La formation dans le domaine de la musique s’améliore sans cesse. La qualité des orchestres n’a jamais été aussi bonne qu’actuellement. Et malgré cela, le public nous fait défaut. Nous constatons, que les traditions, qui nous ont transmis la musique depuis des centaines d’années, se meurent. Dans les écoles, l’enseignement de la musique est réduit au strict minimum, ce qui est très regrettable. Sans les décisions importantes qui s’imposent, nous perdrons tout simplement notre public pour écouter le fruit de notre travail.
La musique est une partie indispensable de notre culture et absolument nécessaire. J’appelle à tous ceux qui ont la possibilité d’agir. Je demande instamment aux responsables politiques de faire leur possible pour soutenir et promouvoir cette culture. Ils n’ont pas le droit d’enlever la musique aux hommes ! Au contraire, c’est à eux de faire en sorte que les concerts retrouvent leur public et qu’ils soient retransmis à la radio ainsi qu’à la télévision. Ces médias qui jouent un rôle tellement important de nos jours.
Merci infiniment pour cet entretien et beaucoup de succès pour la suite de votre travail !
Cette interview du 27 octobre 2009 était accordée à Michaela Preiner
Traduit de l’allemand par Andrea Isker
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