Interview de l’acteur Pierre Meunier – ou l’éternel combat contre la force de la gravité

Interview de l’acteur Pierre Meunier – ou l’éternel combat contre la force de la gravité

Au milieu du désordre1

Der Schauspieler Pierre Meunier (C) Alain Julien

L’acteur français Pierre Meunier a été invité à deux reprises durant cette saison au TNS (Théâtre National de Strasbourg) avec sa pièce en solo « Au cœur du désordre » et la pièce « Sexamor », le fruit de sa collaboration avec Nadège Prugnard.
Meunier est un phénomène inclassable dans la scène française, car il est auteur, acteur, metteur en scène et décorateur – tout en même temps. Et en plus, son travail ne cadre avec aucun des schémas courants.
Il a commencé sa carrière artistique au Nouveau Cirque de Paris, avec le fameux spectacle de chevaux de Zingaro ainsi qu’à la Volière Dromesko. Il a travaillé comme acteur au Théâtre du Radeau, où il a collaboré avec le metteur en scène Matthias Langhoff.
Pierre Meunier est fasciné aussi bien par la richesse linguistique que la mise en évidence de thèmes scientifiques complexes. Et il transmet la tension inhérente à cette fascination à son public.

Monsieur Meunier, pourquoi parlez-vous si bien l’allemand ?

Mon père aimait la langue allemande et la maîtrisait très bien. Quand j’étais jeune, je suis allé à plusieurs reprises en Allemagne pour y travailler.

Dans votre pièce « Au cœur du désordre » vous utilisez un langage très élaboré qui se situe dans le domaine scientifique, voir philosophique. Avez-vous traduit cette pièce vous-même ?

Oh que non ! J’en aurais été incapable. La traduction est d’Anna Langhoff, la fille de Matthias Langhoff, le metteur en scène. Elle vit à Berlin.

Avez-vous adopté cette traduction telle quelle ou y avait-t-il une autre étape avant la mouture définitive ?

Non, j’ai retravaillé la traduction avec mon ancienne professeur d’allemand, qui est allemande. Je n’aurais jamais su le faire tout seul. Il ne me restait plus qu’à tout apprendre par cœur par la suite. Et j’ai appris, que tout ce qui ressort en français à la virgule près, est bien moins précis en allemand à cause de mon intonation. Il faut tenir la tension qu’on construit à l’intérieur d’une phrase tout le long et c’était très difficile pour moi. Contrairement au français où je peux construire cette tension visant un seul mot. Je crois, que là aussi j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Pour la représentation à Strasbourg j’ai encore travaillé pendant 3 jours avec Barbara Engelhardt. (N.B. Barbara Engelhardt a été rédactrice en chef du journal « Theater an der Zeit », depuis, elle est écrivain indépendant et édite de nombreuses publications en Allemagne et en France. De plus, elle est conservatrice des festivals de Bobigny/Paris (Le Standard Ideal) et de Strasbourg (Premières). Elle vit à Strasbourg.)

Est-ce que vous avez déjà joué une production dans un pays germanophone?

Oui, c’était la pièce « Le Tas », en allemand « Der Haufen ». On l’a jouée dans le cadre du festival à Bochum. C’est une pièce visuelle qui se contente d’environ quinze minutes de texte en tout et pour tout. Il s’agit entre autres de la question du poids et dans le bassin de la Ruhr, avec tous ces gros tas visibles dans le paysage, cette pièce avait un intérêt tout particulier pour les gens.

Vous vous intéressez également aux problèmes de science naturelle, comme par exemple la gravité.

Oui, ça m’intéresse de savoir, comment ça fonctionne et ce qu’en dit la science. Quand j’ai contacté un laboratoire scientifique pour la première fois, on ne m’a pas vraiment réservé un accueil chaleureux. Mais je voulais savoir ce que ça signifiait pour les scientifiques eux-mêmes et je suis allé directement dans un bureau du CNRS pour en parler avec le spécialiste Richard Kerner. Au cours de notre conversation, la glace a fondu et Kerner est devenu de plus en plus aimable. Aujourd’hui il assiste à toutes mes premières. Dans la pièce « Au cœur du désordre » je décris, comment des scientifique se groupent autour d’un tube rempli de sable qu’il s’agit de mettre de la position horizontale en position verticale. Le moment où les grains de sable commencent à glisser est très intéressant pour la science. Et comme je le décris sur la scène, comme tout le monde retient son souffle en attendant ce moment qui est immortalisé par une photographie – c’est effectivement comme ça que cela se passe dans la réalité. Non seulement à Paris mais dans le monde entier. Je suis allé au Chili où j’ai pu observer exactement le même phénomène.

Quand est-ce que vous avez commencé à écrire des pièces vous-même ?

C’était en 1990, quand j’ai travaillé avec la Volière Dromesko. C’était un spectacle autour de 500 oiseaux et de nombreux chevaux. J’incarnais un certain Léopold von Fliegenstein qui luttait contre la force de gravité. C’est à cette occasion que je me suis penché pour la première fois sur le sujet. Je pensais qu’il fallait l’approfondir pour acquérir les bases de ce problème pour être capable de le comprendre. Depuis, je travaille ce sujet de différentes manières et il est resté mon thème principal. D’ailleurs, cet été j’ai prévu de faire un film qui parlera de Léopold von Fliegenstein. Le film s’appellera « Fiction ».

Vous êtes auteur, acteur, metteur en scène – dans lequel de ces « costumes » êtes-vous le plus à l’aise ?

Momentanément, tout a la même importance pour moi. C’est important pour moi de parler sur une scène, mais d’inventer les accessoires dont je me sers, c’est important aussi. L’un donne l’autre. Quand j’écris, je peux avoir une idée pour un système qui peut être plus parlant que des paroles : Une image sur la scène, une machine qui exprime mieux que des mots ce que je veux dire. Et vice versa : Quand je m’occupe des machines, je peux trouver des mots, des textes que j’utilise par la suite. C’est un processus créatif qui fonctionne dans les deux sens et qui me donne accès à mon intérieur. J’ai besoin de ce travail. Il me donne de la force, la force de continuer à vivre aussi. Pour moi c’est aussi la raison de partager ces expériences avec les autres, de faire participer les autres à travers le théâtre ou le film.

Le public allemand réagit-il différemment que le public français ?

Oui effectivement, TRES différemment ! En France, le public est très intellectuel. Les gens se demandent tout de suite : « Qu’est-ce que c’est ? Quel genre de théâtre est-ce ? Dans quel tiroir faut-il le mettre ? » Ils n’essaient de juger qu’après ça. C’est très difficile, mais c’est cet esprit français très particulier. L’approche en Allemagne est beaucoup plus « organique ». Quand je suis allé à Bochum, j’ai discuté avec les gens après le spectacle, ce qui m’a beaucoup touché. Ils avaient une approche très différente, bien plus originelle, chargée d’émotions fortes. J’ai vécu la même chose au Chili. Les gens là-bas étaient très ouverts et curieux. La dimension du « tas » avait là-bas aussi un aspect politique. Donc, c’était bien différent par rapport à la France.

Est-ce que vous attendez quelque chose de votre public ? Voulez-vous provoquer quelque chose ?

J’aimerais que le public d’une pièce comme par exemple « Le Tas » perçoive un tas de pierres différemment qu’avant en quittant le théâtre. J’offre la possibilité aux gens, de voir des tas de pierres ou alors le monde autrement qu’auparavant. Mes pièces donnent aux gens un accès à leur propre richesse intérieure, et ils le sentent. Je crois, que c’est comme si ils ressentaient une sorte de soif qui existait en eux, mais qui était cachée, enfouie. Au cours d’une telle soirée ils recommencent à l’éprouver.

Vous jouez actuellement la pièce « Sexamor », créée en collaboration avec Nadège Prugnard.

Oui, c’est exact. Chacun de nous a apporté son texte. Le début, la scène avec le capitaine est l’œuvre de Nadège, le reste, c’est moi. Mais cette œuvre est très différente de la pièce « Au cœur du désordre » qu’on a pu voir pendant cette saison ici à Strasbourg. Elle raconte la difficulté qu’ont les hommes et les femmes à se rencontrer à cause des grandes différences qui existent entre les deux sexes. L’homme et la femme sont totalement différents. La pièce montre toute une série de tentatives de rapprochements à cause de ces différences. Aujourd’hui il y a une forte tendance d’avoir peur de ce qui est étranger. On le ressent comme une sorte de menace. Mais il existe bien sur une attraction énorme, une immense envie de se rencontrer. Malgré cela, les couples se séparent souvent. Il n y a rien qui aille de soi dans une relation. A Strasbourg, cette pièce a été très bien accueillie. Le public ici est très attentif et aussi très ouvert.

Que signifie pour vous le théâtre ?

Le théâtre est aujourd’hui le dernier endroit, où on a le temps de rêver et de réfléchir avec les autres. Où on peut entendre la respiration, où on peut sentir les battements du cœur.
Au théâtre, cette solitude que l’on éprouve devant un écran qui ne transmet que des informations sans profondeur, n’existe pas. Aujourd’hui, c’est la surface qui triomphe. C’est justement pour ça que le théâtre est si important. Il est très facile de trouver l’accès à un thème par l’intermédiaire d’internet. Mais la façon dont on pose les questions est très importante. Se poser des questions à soi-même est très important. Le danger que tout soit pensé à notre place aujourd’hui est omniprésent. Les réponses que fournit internet ne sont pas hiérarchisées. Personne n’avance jusqu’à la 130e position en cliquant. Nous jouissons de nos jours d’une liberté, qui n’en est pas une. Ce qui est important pour moi, c’est la vérification physique de la masse. C’est impossible par écran interposé. Déjà à l’école les petits enfants y sont confrontés. L’écran domine les hommes d’une manière animale. Si vous allez dans un café où se trouve un écran, vous pouvez constater que tout le monde se tourne dans sa direction et le fixe. D’un autre coté, je peux voir aussi qu’une sorte de résistance se forme et s’établit dans le net. On constate également un accès facilité aux livres. De toutes les façons, je suis contre le fait de se faire l’esclave d’internet.

Etes-vous en train de travailler sur de nouveaux projets ?

Oui, j’aimerais travailler autour du langage. Aborder le sujet de la lutte qui se déroule entre les mots et les pensées dans notre tête. Réfléchir à la façon dont agit la voix, à la difficulté d’articuler et à tous les sons que l’on peut produire et aussi à ceux que l’on n’a jamais appris à émettre. Je me pose la question comment se faire entendre, mais je m’interroge aussi sur le silence. Quand j’écris, des idées ou alors certains mots s’imposent à moi, qui m’accaparent plus ou moins par la suite.

Vous y avez beaucoup réfléchi déjà! La nouvelle pièce est pratiquement prête, alors ?

Non pas du tout. Je suis encore en pleine réflexion et je fais des recherches.

Aimeriez-vous dire quelque chose de personnel à nos lectrices et lecteurs ?

Ne changez pas de trottoir quand un étranger vient à votre rencontre, mais risquez-vous plutôt à faire sa connaissance !

Je vous remercie sincèrement pour cet entretien et je vous souhaite beaucoup de succès dans toutes vos entreprises futures.

L’interview a été réalisée le 10.2.2010 par Dr. Michaela Preiner au TNS à Strasbourg
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

L´interview avec le pianiste Andreas Haefliger

L´interview avec le pianiste Andreas Haefliger

Andreas Haefliger 112

Der Pianist Andreas Haefliger (c) OPS

Monsieur Haefliger, êtes-vous déjà venu à Strasbourg auparavant ?

Non, c’est la première fois que j’en ai l’occasion. Je ne connais pas encore l’orchestre, mais l’OPS jouit d’une très bonne réputation.

Comment peut-on imaginer votre collaboration avec un nouvel orchestre ou alors un chef d’orchestre plus précisément ? Réussissez-vous toujours à imposer votre interprétation ?

A ce niveau-là je n’ai pas de position dogmatique. J’aime beaucoup travailler avec Claus Peter Flor par exemple. Avec lui j’ai toujours des conversations très intéressantes. Je suis un musicien « naturel ». Je réagis donc très naturellement. Claus Peter me stimule beaucoup avec son travail. Je trouve qu’il en résulte un bon mélange entre savoir, ressenti et écoute. En plus, les choses sont effectivement telles qu’Edwin Fischer l’a dit une fois – ou à peu près: L’étude de la musique est comme un chemin que l’on emprunte chaque jour et que l’on découvre un peu plus tous les jours. » Parfois quand j’entends autre chose dans l’orchestre que ce que j’avais imaginé, il est possible que j’intervienne une fois où deux. Parfois il arrive qu’on imagine quelque chose, on imagine entendre un son, mais on ne peut pas objectiver ce qu’on entend, n’est-ce pas ?

Quand vous travaillez un nouveau morceau, est-ce que vous vous laissez influencer par d’autres interprétations ?

Oui, bien sur ! J’écoute parfois très attentivement ce que les collègues jouent et comment ils le jouent. Je ne suis pas le genre à détester les collègues et je peux très bien écouter, profiter et apprendre. Mais comme je l’ai déjà dit, je suis un musicien « naturel » et je me fie à ce que je ressens.

Quand vous êtes sous contrat avec des orchestres, vous devez jouer des morceaux qu’on vous indique. Comment cela se passe-t-il lors de vos propres récitals de piano ? Comment concevez-vous votre programme ?

Oui c’est juste. Quand je joue avec des orchestres il s’agit d’œuvres que je n’ai pas proposées comme c’était le cas ici à Strasbourg. Le concerto pour piano de Mozart était le résultat du contexte du programme de la saison.
Quand je conçois le programme d’une soirée moi-même, je fais de plus en plus souvent en sorte que les différents morceaux aient un lien entre eux. Comme on l’avait fait lors de l’enregistrement de mes disques. Mais les morceaux peuvent aussi être en opposition les uns par rapport aux autres. J’aimerais également montrer l’évolution de formules musicales ou certaines harmonies à travers les siècles. Ils existent par exemple de petites phrases musicales chez Mozart qui reviennent chez Brahms de façon semblable mais changées, adaptées à son temps. Ce genre de liens m’intéresse beaucoup.

Si votre public n’est pas très formé il est possible qu’il ne comprenne pas vraiment ces rapports. Que pensez-vous dans ces cas-là de concerts modérés ?

Je le fais de temps en temps en Amérique, mais aussi en Europe lors de plus petites représentations. Plutôt moins dans de grandes salles, car dans ces endroits
existe cette « sensation de frontière » qui s’installe quand l’artiste commence à « parler ». Là, l’artiste est une personne intouchable. Mais en ce qui me concerne, je commence à avoir une attitude différente avec le temps. Je voudrais me débarrasser de ce cercle de l’inatteignable. Pour le public de mes concerts il y a des textes qui les accompagnent. Je les écris moi-même ou je les fais rédiger à quelqu’un qui a toute ma confiance. On peut défaire les choses en en disant trop, mais on peut laisser agir la musique seule. Je pense que le public peut comprendre ces liens, simplement en les écoutant et en les vivant.

Y a-t-il quelque chose que vous auriez très envie de faire ?

Oh oui ! J’aimerais beaucoup faire du « travail d’école ». Eduquer les gens qui écoutent, attirer d’une certaine façon le public de demain dans les salles de concert. Ma femme est flûtiste et elle enseigne aussi. Aujourd’hui elle a des élèves qui l’ont entendu jouer dans une salle de concert il y a 15 ans, qui viennent la voir et lui disent : « Grâce à vous j’ai commencé à jouer de la flûte ». Ce sont des moments très émouvants. Il est très important d’enthousiasmer les enfants pour la musique. (N.B. Andreas Haefliger est marié à la flûtiste Marina Piccinini)

Est-ce que vous enseignez vous-même ?

De temps en temps je donne des cours. Mais je n’enseigne pas vraiment. Personnellement je ne crois pas beaucoup à l’enseignement régulier à ce niveau-là. L’apprentissage d’un instrument est comparable à l’apprentissage du ski. Au fond, il faut y arriver seul. Quelqu’un peut vous familiariser avec la technique, mais il faut s’entraîner soi-même. Faire de la musique signifie toujours s’ouvrir soi-même. C’est donc quelque chose de très personnel. Et ça, on ne peut l’enseigner.

Vous avez grandi dans une famille de musiciens !

Oui, c’est vrai. Mon père était chanteur et les répétitions à la maison étaient pour moi une sorte de processus d’apprentissage, quelque chose de naturel. Je peux m’estimer heureux.

Si vous n’aviez pas de concerts à préparer et si vous aviez donc du temps pour vous pendant disons deux ou trois semaines rien que pour vous, quel genre de musique feriez-vous pour vous-même au piano ? Quelle est, en d’autres termes, votre patrie musicale ?

Je doute que ce scénario se réalise un jour, mais si c’était le cas, je jouerais du Bach. C’est le nec plus ultra. En tant que pianiste je ne peux rien jouer qui serait au dessus de ça.

Je ne m’attendais pas du tout à cette réponse, car vous n’avez encore jamais joué du Bach.

C’est juste, mais je joue les œuvres de Bach très souvent. Mais je trouve qu’actuellement il y a beaucoup de collègues qui font cela exceptionnellement bien. Je pense que je peux me laisser encore un peu de temps.

Si vous jouez du Bach, cela signifie que vous devez faire beaucoup d’analyses de théorie musicale, sans quoi il n’existe pas de bonne interprétation de Bach. Comment cela cadre-t-il avec le fait que vous vous considérez comme un musicien naturel ?

Si je dis « naturel », je le pense au sens de Schiller : Le savoir engendre la clarté et de la clarté résulte le naturel. Quelque chose qui n’est pas écrasé par des règles auxquelles il faut se conformer. Ma musique vit d’un savoir dur et doux. Je fais ma musique en y réfléchissant tout en restant ouvert aux émotions que j’éprouve et que laisse m’envahir aussi.

Est-ce que votre agenda plus que surchargé vous laisse encore le temps à la réflexion ?

Si, si, il en reste assez. L’année dernière, j’ai beaucoup diminué, cette année, mon agenda est un peu plus rempli mais j’ai de temps en temps 2 à 3 semaines pour moi à la maison. J’en profite pour m’occuper de ma famille, pour me préparer et pour réfléchir.

Est-ce que vous vous voyez très pris par l’entreprise de concerts contemporaine ou est-ce que cela correspond à votre personnalité. Vous pourriez aussi bien enseigner au conservatoire ou alors travailler à la maison.

Oui bien sur, ce serait bien aussi. C’est comme si vous compariez quelqu’un qui aime de temps en temps grimper sur l’Everest avec quelqu’un qui aime faire des randonnées. En ce qui me concerne, je préfère l’ascension des hauts sommets et je trouve les grands défis très stimulants. Je ne pense pas pouvoir vivre sans eux et je constate qu’il y a encore beaucoup à faire. Mais il n’y là aucun jugement de valeur pour moi. De toute façon, toute sorte de travail avec la musique dans le cadre d’un projet de vie est à mes yeux du temps bien investi. Je ne vois pas l’industrie musicale de façon négative, mais il ne faut pas perdre de vue que dans beaucoup de branches il y a de temps en temps des incidents carrément bizarres causés par la pression économique.

Vous jouez beaucoup d’œuvres classiques. Avez-vous aussi un rapport à l’art contemporain ?

Oui, bien entendu. La musique contemporaine, c’est encore une autre montagne sur laquelle il faut grimper. De temps à autre, je commande des œuvres personnelles. La musique contemporaine est un média vivant qu’il faut soutenir. Profiter de l’occasion d’échanger avec des compositeurs contemporains, c’est très important pour moi. En échangeant on peut être satisfait d’avoir interprété une œuvre exactement comme il fallait par exemple. J’ai vécu cela avec Sofia Gubaidulina. (N.B. Andreas Haefliger a joué l’œuvre intégrale de l’artiste née en 1931)

Qu’est-ce qui est important pour vous à titre personnel dans votre métier ?

La possibilité de transmettre toutes les nuances de l’existence humaine de façon limpide et en même temps de donner vie à l’imaginaire des compositeurs, sans leur faire violence – encore une phrase de Fischer ! Moi aussi je suis convaincu, que nous transmettons avec notre activité toujours de la modération, de la concentration et de l’humanité. Et ça, c’est très important.

Pensez-vous que le publique est toujours sensible aux mêmes émotions – quelque soit le pays ou vous vous produisez ou sentez-vous des différences entre les Etats Unis et l’Europe par exemple ?

Non, pas du tout. Il y a des gens différents, c’est sur. Mais ceux qui écoutent dans un vrai silence sont ceux à qui on parle vraiment.

C’est une très belle dernière phrase. Du coup, je voudrais en rester-là et je vous remercie infiniment pour cet entretien.

L’interview a été réalisée le 3.2.2010 par Dr. Michaela Preiner à Strasbourg
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

L´interview avec Ivan Stanev

L´interview avec Ivan Stanev

L´interview avec Ivan Stanev, l´auteur et régisseur de la production «Meurtre au Burgtheater »

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Ivan Stanev (photo: Le-Maillon)

Monsieur Stanev, est-ce que votre production «Meurtre au Burgtheater » est la première que vous faites ici à Strasbourg ?

Non, sous la direction de Bernard Fleury j’ai déjà créé la pièce « Hollywood forever », je connais donc déjà cette maison. Mais j’ai également créé d’autres représentations en France. La production actuelle « Meurtre au Burgtheater » sera présentée à Lille et ensuite à Paris.

Vous vivez à Berlin. Les premières de beaucoup de vos pièces ont lieu là-bas. Mais vous avez aussi la possibilité de faire des comparaisons avec la scène culturelle en France. Avez-vous constaté des différences ?

Oui, bien sur. Comme vous le savez, la France est une nation centralisée. Contrairement à l’Allemagne, où il y a beaucoup de différents centres indépendants. L’une des conséquences de la centralisation est qu’il y a bien moins de place pour la culture dans les différents médias. Le Monde, Libération ou le Figaro ont une position dominante sur le marché. En Allemagne en revanche on peut aussi compter sur des médias beaucoup plus petits. Le public français par contre est très instruit, très intellectuel et possède une toute autre tradition que le public allemand. La France se considère toujours comme une nation culturelle. Les scènes par contre sont un peu plus petites, il faut donc savoir s’adapter. Ce qui est important en Allemagne, c’est de jouer des classiques. Les classiques remplissent les salles.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de la pièce « Meurtre au Burgtheater » ?

Ce sont des recherches concernant un attentat à Marseille. Le mystérieux arrière grand-père de l’actrice Jeanette Spassova, dit Wlado Tschernosemski (le nom veut dire « terre noire » en bulgare) y avait été mêlé. Cela l’a rendue curieuse et elle a voulu en savoir plus. A l’époque, le roi yougoslave Alexandre I et le ministre français des affaires étrangères ont été tués par balles. Dans les archives nous avons trouvé des indications concernant le meurtre au « Burgtheater ». Ivan Michajlow, un des meneurs dans la lutte pour l’indépendance de la Macédoine était le mari de Mencia Karniceva, la meurtrière du Burgtheater. Le père et le frère de Michajlow ont été assassinés sur ordre du gouvernement serbe. L’attentat à Marseille en était la conséquence directe. C’est par ce biais que notre attention a été attirée sur cette histoire à Vienne. En Autriche, plus personne ne se souvenait de cet incident au Burgtheater. Spassova a fait sa trouvaille dans les archives du théâtre même : Là, tout était minutieusement noté. Ce que j’ai trouvé intéressant c’est qu’à l’époque déjà il y a eu des attentats qui ont eu un effet important sur le public. Comme aujourd’hui où on détourne des avions, ou on occupe un théâtre à Moscou. Que ces endroits ont un coté « théâtral » n’est pas le fruit du hasard. J’y vois des parallèles historiques que je voudrais mettre en exergue. Mon travail est montré sur une scène comme une œuvre d’art. Je ne m’occupe pas à préserver la tradition. J’ai une approche beaucoup plus large en ce qui concerne la présentation. Pour illustrer la « vraie » histoire, j’ajoute du matériel d’archives comme par exemple des documentaires ou des coupures de presse qui occupent une place importante. Une autre parallèle est pour moi le fait qu’à l’époque où les pays du Balkan étaient en période de transition et s’approchaient de l’Europe. Aujourd’hui ce sont les pays arabes qui s’approchent du monde occidental. Au moment de l’attentat un « nettoyage » ethnique a eu lieu en Autriche bien qu’à l’époque de la monarchie une vie libre des différents peuples avait été tout à fait possible.

Ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’une vue plutôt embellie de l’histoire?

Non, si vous considérez que des gens
des pays de l’est qui venaient à Vienne pour y faire leurs études avaient le droit de voyager librement. Tout ceci n’était plus possible après la deuxième guerre mondiale. L’histoire du meurtre au Burgtheater montre très bien le « cultural clash », le choc des cultures. Ici on joue Peer Gynt, une pièce du grand nord, là, des macédoniens vont au théâtre en plein centre de Vienne – c’est un point de départ passionnant.

Comprenez-vous cette pièce comme un constat politique ?

Non, je ne vois pas les choses ainsi. Bien que l’art sans politique ne soit pas concevable.

Vous sentez-vous responsable de la pièce et de ses répercussions sur le public ?

Bien entendu je me sens responsable. C’est ma pièce. Mais l’effet qu’elle a sur les gens et leur façon de le gérer, ça je ne peux pas l’influencer. D’une façon ou d’une autre il faut qu’ils gèrent cet effet. Mais comment ils s’y prennent c’est en dehors de mon influence 
Vous essayez d’explorer le théâtre par des moyens nouveaux et plus larges. Dans les années 70 et 80 Hans Haake par exemple a essayé de changer totalement l’image d’une ville comme Graz à l’aide d’une installation. Dans cet environnement différent, le public était censé devenir acteur. Mais malgré leur envie de changement, ils restaient sur la scène face au public.
Oui, c’est mon média. Dans les années 70 c’étaient aussi les actionnistes viennois qui ont tenté une forme artistique nouvelle en dehors des sentiers battus. Aujourd’hui on peut observer un retour en arrière. Le théâtre politique touche à sa fin. Exception faite de quelques cercles spécialisés. Le théâtre doit accepter cela. Après la chute du mur on a eu l’impression que de nouvelles dimensions pouvaient surgir. Mais aujourd’hui, les gens se retirent dans leurs appartements et mènent une existence privée, chez eux. Ils consomment ce qui a été fabriqué pour un marché global. Le contenu politique en a complètement disparu. La stratégie pour aller à l’encontre de tout cela est d’en parler et de mettre cette situation sur une scène. Là on devrait réussir à réveiller du moins les têtes des gens! En ce moment je me pose la question, comme le montre ma pièce « Meurtre au Brugtheater » : Qu’est-ce qui est fictif, qu’est-ce qui est réel ? La réalité est-elle différente de l’art théâtral?

Mais vous vous exprimez aussi au cinéma !

Oui, j’ai fait un film « Moon Lake » et j’ai prévu de tourner un autre film tout de suite après la fin de la tournée avec « Meurtre au Burgtheater ». Le défi consiste à ne pas aller en dessous de son propre niveau, à ne pas céder au chant des sirènes du marché globalisé. Je pense que le théâtre et le film ont toujours le droit d’être intelligents. Mais la pression économique est énorme. Plus personne n’ose lutter contre cela. On change les scénarii jusqu’à ce qu’elles paraissent « conformes au marché », le coté l’artistique est mis de coté. Tout le monde plie sous la dictature du marché.

Est-ce que les artistes sont opportunistes s’ils obéissent pour pouvoir survivre ?

Bien sur que oui! Qui refuse de survivre ? Les artistes possèdent une sorte d’autocensure, car ils savent qu’il s’agit d’une question de survie.

Avez-vous tissé un filet de contacts stables avec lesquels vous travaillez continuellement au cours des années ?

Non, c’est de plus en plus difficile. Je dois chercher un nouveau producteur pour chacun de mes travaux. Mon filet de contacts est tout sauf stable, car avec le temps il rétrécit de plus en plus. Actuellement, le classique est plus vendeur que l’art contemporain. Ici par exemple, au Maillon, mon contact c’est M. Fleury, qui poursuit lui-même un but. C’est lui personnellement, grâce à sa façon de diriger le théâtre, qui me permet de travailler ici.

Ce sont donc toujours quelques individus qui permettent de faire avancer les choses sur un plan culturel, ou y a-t-il des mouvements qui montrent des changements initiés par un plus grand segment sociétal ?

Les deux existent. Le mouvement 68 par exemple a apporté beaucoup de changements, idem pour la chute du mur. Mais actuellement, je ne vois aucun mouvement de ce genre. Aujourd’hui il s’agit effectivement de quelques personnes isolées qui s’engagent et qui réussissent à faire bouger les choses.

Votre travail s’adresse à un public relativement restreint, on pourrait dire à une élite. Peu de représentations, des sujets contemporains – une minorité de gens s’intéresse à ce genre de créations. Ecrivez-vous pour une élite ?

Non, pas forcément. Mais je n’y suis pas opposé non plus. Tout ce que l’on ne saisit pas instantanément est vraiment incompréhensible. Plus la forme artistique est complexe, plus long est le laps de temps dont nous avons besoin pour comprendre. Hölderlin est magnifiquement incompréhensible jusqu’aujourd’hui. Je ne suis pas prêt à travailler en dessous d’un certain niveau. Théâtre ou film – peu importe ! Spécialement le film a vécu une commercialisation extrême. Il faut donc être deux fois plus vigilant pour rester à un niveau de qualité élevé.

Etes-vous en train de travailler à un nouveau projet ?

J’y réfléchis, mais je ne peux pas encore d’idée précise. Je voudrais continuer à faire du théâtre et du film, m’exprimer dans des médias différents. Je m’intéresse aux différentes langues en Europe. L’Europe est en ce moment un carrefour ou s’accumulent différentes influences de toutes sortes. Par exemple on peut observer, que les langues nationales régressent, qu’elles sont sur la défensive. Malgré tout on peut constater qu’il y a un méli-mélo linguistique babylonien. Je trouve cela très intéressant. Mais je trouve très important de ne pas se fixer sur un seul média, comme par exemple le théâtre – du moins c’est très important pour moi !

Je vous souhaite beaucoup de succès pour vos représentations au Maillon et je vous remercie pour cet entretien.

L’interview a été réalisée le 26.1.2009 par Dr. Michaela Preiner à Strasbourg
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Two English-men à Strasbourg

Two English-men à Strasbourg

MALLOY Alasdair 02

Alasdair Malloy der Liebling der Kinder im Konzertsaal (c) OPS

Geoffrey Styles et Alasdair Malloy à la barre du bateau pirate de l’OPS

Geoffrey Styles était un peu essoufflé quand il m’a accompagnée jusqu’à sa loge. Vêtu d’un teeshirt à rayures, une écharpe autour des hanches, il avait tout d’un pirate de cinéma. Styles est « accessoirement » aussi chef d’orchestre, mais personne ne l’aurait spontanément supposé en le voyant déguisé ainsi.
« Des représentations comme celles-ci sont fatigantes, d’autant plus quand il y en a deux par jour » explique-t-il tout en s’excusant d’être toujours hors d’haleine. Mais cet essoufflement était à peine perceptible pour moi. »
Styles ne donne que peu de « représentations comme celles-ci » par an. Uniquement quand il s’occupe avec Alasdair Malloy de la jeune génération dans les salles de concert. Ils appellent ces concerts dans leur langage peu attrayant de spécialistes des « concerts éducatifs ». « Pirates » sonne beaucoup mieux et on peut s’imaginer parfaitement à quoi les enfants doivent s’attendre.
« Alasdair organise depuis longtemps des concerts pour la jeunesse. Il a commencé dans son pays, l’Angleterre. Depuis, il voyage avec ce programme à travers le monde entier.
En France, nous collaborons depuis 2004. Je vis en France depuis 1991 et je parle couramment la langue. C’est grâce à cela que je peux l’aider avec les traductions sur scène. »
A ma question, si ces concerts nécessitent des répétitions intenses, il répond : « Oui, bien sur !
Il s’agit essentiellement de faire en sorte que les musiciens s’amusent. Et cet amusement doit être contagieux pour embarquer les enfants dans l’histoire. »
Pari tenu, en ce qui concerne le concert de pirate – cela se voyait ET se sentait !
Non seulement le déguisement des membres de l’orchestre était réussi, mais la « chorégraphie » contribuait également à la parfaite réussite du programme : Par moment, tout l’orchestre « tanguait » de droite à gauche – en fonction des mouvements du bateau – par moment, les différents groupes d’instruments se levaient, se rasseyaient après quelques mesures pour « laisser la parole » à leurs collègues restés debout. Tout ceci contribuait à créer une l’ambiance joyeuse et enlevée sur scène.
« Alasdair est natif d’Ecosse, moi, j’ai grandi à Londres. Son accent écossais et ma diction un peu plus – disons – élégante, nous prédestinent pour nos rôles respectifs de pirates – lui est matelot, moi, je suis timonier. »
Styles ne se lasse pas de parler des idées de mise en scène : « En Angleterre il y a une longue tradition de la pantomime, dont on se sert essentiellement à la période de Noël quand on donne des concerts pour enfants. Sur le continent, cette pratique est peu connue jusqu’ici. Avec ces représentations nous voulons surtout montrer que la musique peut être
amusante, qu’elle peut donner du plaisir et que la salle de concert n’est pas un temple sacré. Derrière tout cela, il y a évidemment aussi l’idée de gagner le public de concert de demain. »
A la question, si de nos jours les enfants ne sont pas littéralement envahis par la musique à travers les différents médias, Styles répond par une réflexion intéressante : « Oui, c’est clair. Mais on constate une évolution intéressante : Au début, il y a eu la restitution acoustique en mono. Cette technique a été améliorée, passant par la restitution « multicanaux » jusqu’au son « Dolby sourround » d’une qualité irréprochable. Mais aujourd’hui vous voyez beaucoup d’enfants qui écoutent la musique à travers leur téléphone portable qu’ils ont à l’oreille, pas « stéréo du tout » ! Cela signifie qu’il existe une certaine régression et écouter un vrai orchestre en direct implique une qualité d’écoute exceptionnelle. C’est incomparable avec quoi que ce soit d’autre. »
A la question s’il constate une différence entre les enfants anglais et français qui constituent son public, il répond à ma surprise : « Je ne saurais le dire ! J’ai fait mes débuts en Angleterre qu’en automne dernier. Je suis arrivé à Paris très jeune, tout de suite après mes études et j’y suis resté. Oui, je suis né à Paris, j’ai grandi à Londres, mais ma famille est en France et je travaille à Bordeaux. C’est pour cette raison que je ne peux pas vraiment faire de comparaison. Je passe 95 % de mon temps à l’opéra que j’adore. »

Depuis 2002, Styles est directeur adjoint à l’Opéra National de Bordeaux et travaille en plus avec l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine.

J’insiste : « Pouvez-vous constater des différences entre Bordeaux et Strasbourg ? »

« Pas en ce qui concerne l’Opéra. Les deux ensembles sont exceptionnels. Mais je constate que le travail éducatif occupe une place très importante à Strasbourg. Regardez le dossier qu’on à remis à tous les enseignants en amont pour leur permettre de préparer le concert avec leurs élèves. C’est fantastique ! Tout orchestre national a l’obligation de travailler dans une certaine mesure avec les enfants et chaque administration d’école travaille sur ses propres supports. Le travail dans ce domaine est exceptionnel ici à Strasbourg. »
A ce moment précis, son matelot se précipite dans la loge. Un maquillage imite un cache noir sur son œil gauche, ce qui fait qu’on a du mal à regarder Alasdair Malloy en lui parlant.
« Excusez-moi de n’arriver que maintenant, mais j’ai dit au revoir aux enfants après la représentation. Je le fais toujours et il y en a beaucoup qui veulent faire des photos. Cela prend du temps, mais j’aime faire ça » explique le musicien son retard.
J’aimerais savoir depuis combien de temps il fait ce genre de concerts pour enfants, de quelle façon il conçoit son programme et ce qui lui en a donné l’idée.
«Mon dieu, je pense que cela doit bien faire 20 ans que ça dure. J’ai imaginé une quarantaine de programmes, mais je ne les ai pas vraiment comptés. Je suis premier batteur au BBC Concert Orchestra. C’est mon métier « principal ». J’ai assisté à plusieurs concerts pour enfants et j’ai pensé tout de suite, qu’au fond comme ça ce n’était pas possible. Cela ne pouvait fonctionner ainsi. Pour moi, d’exclure les enfants du programme, cela n’a aucun sens. Il faut les y inclure, il faut adapter la musique etc. Et alors, j’ai commencé à m’en occuper moi-même. Je n’imagine pas seulement un thème général, mais je fais aussi l’orchestration des morceaux pour ces concerts. Certains morceaux sont joués avec leur texte original, d’autres doivent être corrigés, quand ils sont trop longs par exemple. Quand tous les enfants peuvent participer comme au concert d’aujourd’hui, quand tous dirigent et pas seulement deux d’entre eux qu’on demande de venir sur la scène, ils en profitent tous. Ils rentrent à la maison et racontent avec beaucoup d’enthousiasme à leurs parents ce qui s’est passé. C’est un début, mais cela peut les amener à aller au concert plus tard. C’est très intéressant, car je fais ce métier déjà depuis suffisamment longtemps pour avoir accompagné toute une génération depuis la tendre enfance jusqu’à l’âge adulte avec mes concerts. Nous avons développé un Programme à plusieurs niveaux, qui propose des concerts selon les différents âges du public. »

« Vous voyagez avec votre programme dans le monde entier ! »

« Oui, je suis souvent invité en Asie, en Malaisie mais aussi en Chine par exemple »

« Constatez-vous des différences entre les différents publics que vous rencontrez ? »

« Oui, des différences de taille même. Ici en France, il y a une grande affinité avec la culture. La France est une nation culturelle. On le constate concernant l’éducation des enfants et on le voit dans leurs réactions. Ils connaissent « l’étiquette », ils savent comment il faut se tenir. Ils sont très surpris de voir, qu’on peut s’amuser au concert. En Angleterre, cette tradition existe depuis bien plus longtemps, mais malgré tout il y a beaucoup d’enfants qui n’ont encore jamais mis le pied dans une salle de concert. Dans ce cas je m’adapte en ce qui concerne le choix des morceaux et fais jouer des morceaux plus courts et plus faciles. Le comportement des enfants chinois est particulièrement frappant. A cause de la politique de l’enfant unique, ces enfants ont un comportement social totalement différent. Ils sont très gâtés par leurs parents et sont pour ainsi dire incontrôlables. Ils courent dans la salle dans tous les sens et sont incapables de se concentrer. Cela constitue un véritable défi pour les musiciens et pour moi. Aussi différent que soit le public, je constate toujours une chose : Les musiciennes et musiciens d’orchestre se ressemblent partout au monde : Ils sont généreux, ils me donnent du temps et répètent avec un enthousiasme énorme. Ils me font confiance, car ils voient que je fais les orchestrations moi-même et que j’ai de l’expérience. Vous savez, la musique ne nécessite pas que des oreilles. L’écoute évoque dans le meilleur des cas des images et j’espère bien être sur la bonne voie avec ce que je fais ici pour les enfants. Nous aimerions aussi montrer qu’il s’agit d’un travail collectif, d’un ressenti commun dans lequel on peut se sentir à l’abri. »

J’ai toujours du mal à ma retrouver dans le visage de pirate d’Alasdair et de mettre fin à cet entretien, tant l’enthousiasme des deux musicien et grand et contagieux. Je termine ce « pas de deux » des deux messieurs en leur proposant d’adresser un message à leur jeune public, s’ils en ont envie :

« Oh oui ! Faites de la musique ! Apprenez à jouer d’un instrument, faites partie d’un orchestre ou alors chantez dans un chœur ! «

« Un orchestre est une construction sociale incroyable » répond Alasdair Malloy immédiatement à Geoffrey Styles. Il l’interrompt presque « Oui et en plus, c’est un privilège incroyable de partager cette joie avec d’autres musiciens. »

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Un voyage artistique en Albanie

Un voyage artistique en Albanie

Dalip Kryeziu in der Galeria Kombetare e Arteve in Tirana (Foto: Josef Hagen)

Dalip Kryeziu in der Galeria Kombetare e Arteve in Tirana (Foto: Josef Hagen)

La galerie nationale d’art contemporain à Tirana a organisé une exposition des œuvres de l’artiste Dalip Kryeziu. J’ai eu l’honneur de prononcer le discours d’ouverture de l’exposition et à cette occasion j’ai vécu deux journées plus que remplies de toutes sortes d’impressions dans une ville en pleine mutation.

Qu’est-ce qu’on sait de l’Albanie ? On sait que c’était un pays sous régime communiste jusqu’en 1990. On sait aussi que ce pays réunit toutes sortes de contrastes géographiques : Des montagnes et une mer bleu-azur, de petits villages de caractère agricole et la capitale Tirana qui est un véritable creuset de différentes religions : Depuis que la liberté du culte existe de nouveau, les orthodoxes, les chrétiens et les musulmans cohabitent sans aucun problème dans un périmètre minuscule. L’Albanie a joué définitivement la carte de l’ouverture pendant toutes ces dernières années pour essayer de rattraper son retard économique le plus rapidement possible. Mais ceci n’est connu que par tous ceux, qui s’engagent dans le pays, comme par exemple la banque autrichienne « Raiffeisenbank ». Cet établissement bancaire a développé une activité intense dans ce pays et son logo est omniprésent sur des immeubles flambant neufs à Tirana. On saura dans quelques mois, s’il y aura retour sur investissement, car la crise financière sévit également dans le monde de la finance en Albanie. Mais à Tirana on ne se rend compte de rien : Une activité débordante règne partout. Non seulement dans les magasins, mais aussi à ciel ouvert. En ville, dans le quartier à la mode, les magasins chics représentant des marques connues se bousculent. Swarovski par exemple ou alors Benetton ou Pierre Cardin. Non loin de là, une scène fondamentalement différente : Des femmes assises par terre en train de crocheter des napperons, un couple qui propose du thé sur une table de camping, un homme assis sur un tabouret qui a improvisé un point de cuisson pour pouvoir faire griller et vendre ses châtaignes. Les « TPE » (toutes petites entreprises) réduites à une seule personne – homme ou femme – sont omniprésentes. Ce qui s’entrechoque économiquement, c’est-à-dire le capitalisme qui a mis le turbo et ce qui subsiste de l’époque communiste, trouve aussi son reflet dans l’image urbaine.

Un petit tour derrière la Galeria Kombetare et Arteve, la galerie nationale d’art contemporain, illustre une phrase du directeur du musée, Rubens Shima. « Nos artistes n’ont pas besoin de faire des « ready mades » – nous en sommes littéralement cernés ! »
Effectivement, dans l’arrière-cour du temple muséal, cette citation pourrait être immortalisée sur une photo : A gauche sur l’image : des statues monumentales de Lénine et de Staline à qui on a coupé les bras. Un peu plus à droite, une église catholique, construite il y a peu de temps. Sur son toit se trouve un Christ blanc, semblable à celui de Rio de Janeiro qui regarde en direction d’un immeuble d’habitation tout aussi récent. L’immeuble est en quelque sorte « couronné » par une écriture lumineuse d’un mètre de haut, aussi impressionnante le jour que la nuit : « Raiffeisenbank ».
Ne serait-ce que cette courte description montre parfaitement bien ce qui se passe actuellement en Albanie. Je ne connais pas de pays où règne une plus grande diversité, aussi bien dans le domaine religieux que dans celui de l’idéologie ou de l’économie. Avec cette nouvelle donne et riche d’une liberté toute neuve, aussi petite soit-elle, la population essaie d’attraper son propre petit bout de bonheur. Dans beaucoup de restaurants toute la famille travaille : La mère dans la cuisine, les filles dans la salle et le père s’occupe de la logistique, des finances et des bricolages de tous genres pour réparer ce qui a besoin de l’être.

Mais il y a également les nouveaux riches issus de cette nouvelle économie qui ont tant d’argent qu’ils se font mécènes et s’achètent leur propre musée. C’est le cas de la famille Mezuraj. Elle possède l’unique musée de ce style qui se trouve au 5e étage d’un immeuble tout neuf. Quelques pièces archéologiques, les postimpressionnistes du 20e siècle et quelques peintres contemporains qui font partie du symbolisme métaphorique ou qui s’adonnent simplement à la peinture des nus féminins – voilà ce que le musée a pu réunir jusqu’à maintenant. Il semblerait que le principe du renouveau soit valable pour l’art aussi – et ce n’est pas étonnant. Ce pays qui a été totalement isolé du monde occidental et tout spécialement de la culture de celui-ci jusqu’en 1990, essaie de rattraper en accéléré ce qu’il a manqué au cours du 20e siècle. J’aimerais encore une fois citer le directeur du musée Rubens Shima : « L’art moderne n’a pas encore fait son entrée en Albanie. Ce que l’on entend ici par l’art moderne ce sont des paysages cubiques. »
Quelques artistes albanais qui ont réussi en Europe centrale sont en quelque sorte un contre-exemple. Mais tous ceux qui sont restés et qui travaillent dans le pays doivent faire face à une situation économique très difficile. Le goût du public, marqué par des décennies de réalisme communiste ne peut pas changer du jour au lendemain et être convaincu par l’évolution qu’a apportée la deuxième partie du 20e siècle. C’est une évidence quand on regarde les murs des différents restaurants et bistrots et aussi ceux de mon hôtel qui sont couverts par des centaines de peintures à l’huile et de dessins. Le hall d’entrée, l’escalier et le petit bar – partout il y a des tableaux. L’Albanie aime ses peintres – elle  a besoin de temps pour s’habituer à d’autres formes d’expression.
Ziso Kamberaj, tout en étant peintre, était pourtant le mal aimé dans le pays pendant longtemps. Son travail de fin d’études à l’académie lui a valu des remontrances : Un jeune homme au regard mélancolique assis sur une chaise invisible – une telle œuvre  n’était pas conforme aux principes du parti. Le professeur de Kamberaj a avancé les arguments suivants : « Il n’y personne qui soit assis dans l’air. Et il n’y a surtout pas de jeunes albanais tristes. La chance a souri à Kamberaj après la chute du communisme : « Quand j’avais terminé l’académie, j’étais ‘persona non grata’ » explique-t-il sans amertume, mais tout en étant conscient que c’est une chance extraordinaire de naître dans un pays démocratique. Et que c’est la faute à pas de chance quand ce n’est pas le cas.
Mais les artistes ne semblent pas du tout fatalistes. Ils ont surtout soif d’apprendre, ils sont ouverts et toujours prêts à échanger.

A l’ouverture de l’exposition de Dalip Kryeziu, visible dans la Galeria Kombetare e Arteve du  20 novembre au 19 décembre 2009, j’ai été témoin d’une culture de la discussion et de l’échange très rares. Dalip Kryeziu est autrichien, d’origine kosovare. Il s’est réfugié avec sa famille en Albanie après la guerre. Entouré par ses collègues albanais il se déplace avec le  petit groupe de toile en toile tout en discutant vivement. Je n’ai pas le souvenir d’avoir été témoin d’un échange d’une telle intensité à l’occasion de l’ouverture d’une exposition quelconque dans la scène culturelle saturée d’Europe centrale.
« Je suis très honoré et je suis ravi du jugement de ces artistes. C’est très important pour moi » m’explique Dalip au cours du dîner dans un restaurant chic. En l’honneur de l’artiste et de ses amis, on sert tout ce que la cuisine albanaise a à offrir, des spécialités albanaises, fraîchement cuisinées.
Avec cette exposition, Tirana montre son visage contemporain. Les œuvres de Dalip, qui se sont nourries des différents courants de la peinture de la fin du 20e siècle et qui ont pourtant leur propre caractéristique artistique, parlent d’un autre monde artistique que celui de Tirana. Elles annoncent un monde dans lequel de grands formats sont vendables, dans lequel il n’y a pas à composer avec des contraintes d’ordre politique, elles parlent d’un monde où le marché de l’art est florissant – malgré la crise.
L’exposition de Dalip Kryeziu est comprise comme un signe. C’est une prise de position de l’artiste qui souhaite témoigner du lien qu’il entretient avec le pays. Mais c’est aussi une façon de faire connaître des positions artistiques personnelles qui se sont développées en dehors du pays.
En présence de deux chaines de télévision et de quelques représentants de la presse écrite, Illy Drishti, le curateur de l’exposition souligne dans sa conférence de presse que les œuvres de Dalip, tout en étant chargées d’un vécu personnel, peuvent être comprises comme des métaphores universelles. Ce sont des peintures qui permettent à chacun d’y trouver une signification qui lui est propre. Ici on entend encore une sorte d’écho qui vient « d’avant » comme quoi l’art doit servir la communauté, ou du moins c’est ce qu’il était censé faire pendant des décennies. L’idée de créer des œuvres qui ne font référence qu’à soi-même ou alors au moins au marché n’a pas encore fait son chemin.
Ce dont je n’ai pas encore parlé, c’est l’amabilité des Albanais. Elle est tout simplement renversante. Où que j’aille, on m’a toujours donné le sentiment d’être la bienvenue. Et je me suis sentie à mon aise dans cet environnement qui ne demande qu’à faire sien ce qui est nouveau et à regarder au-delà des frontières.
Le seul fait qui prouvait que les montres en Albanie n’avancent pas encore tout à fait au même rythme que celles de l’Europe central, était un contrôle de passeport à l’aéroport. Une femme policière psychorigide, sans état d’âme aucun, a causé un embouteillage monstre parmi les passagers et a failli me faire rater mon avion.
Je n’ai pas eu assez de temps pour me faire une idée vraiment précise de la scène artistique. Mais des invitations ont été lancées et des idées de collaboration sont nées.
Albanie – je reviendrai !

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker

Ondes de choc à la «Laiterie »

Ondes de choc à la «Laiterie »

Ce soir-là, les platines ont chauffé!  (photo: A. Schuster)

Ce soir-là, les platines ont chauffé! (photo: A. Schuster)

Avant Noël : ondes de choc – un évènement « hard-core » à la « Laiterie » à Strasbourg

En faisant appel aux plus grands noms parmi les DJs français, la Laiterie a concocté son programme de Noël. Radium, Lenny D ; Maissouille, Miss Tiffy, Julien et les Programers se sont activés autour des platines. La fête a occupé deux niveaux : l’un dédié au hard-core, l’autre à la techno.

Les visiteurs et visiteuses étaient repérables tout de suite – déjà dans les transports en commun on pouvait les distinguer sans problème : Piercings, chevelure multicolore, tempes rasées, dreadlocks et les différents sigles et noms des DJs « affichés » sur les teeshirts. Voilà pour les signes « distinctifs » qui formaient un contraste saisissant par rapport aux autres voyageurs au look conservateur dans le tram futuriste de Strasbourg. Le « soupçon » qu’il pouvait s’agir de participants au festival de hard-core s’est confirmé quand tous ces passagers sont descendus à la station « Laiterie ». Dans un froid glacial, à moins 16° une cinquantaine de personnes attendaient l’ouverture pour ensuite prendre littéralement l’endroit d’assaut. Pas étonnant vu les températures polaires à l’extérieur – mais à l’intérieur ce sera chaud !

Frenchcore  faisait danser le public à la Laiterie (photo: A. Schuster)

Frenchcore faisait danser le public à la Laiterie (photo: A. Schuster)

« Radium » LA star du hard-core français était planifiée pour 2 heures du matin, ce qui n’a empêché personne de danser avant. A 36 ans, « Radium » est le vétéran de la scène française du hard-core. Il a commencé ses performances ensemble avec « Shock-waves » dans les années 90. Son agenda pour l’année prochaine est plein à l’heure qu’il est : L’Allemagne, la Suisse, la Hollande, l’Italie et la France bien sur attendent sa venue. Contrairement à ses albums précédents, son dernier album « Master-piss » fait référence à ses racines musicales. Son style est généralement défini comme french-core.

Ce soir, seulement Miss Tiffy (Urban poison) a fait irruption dans le monde masculin des Djs. Elle est une des rares artistes féminins dans ce métier et c’est à peine croyable avec quelle énergie la frêle Djane chauffe le public majoritairement masculin. En 1999 elle a dansé pour la première fois à une fête de hard-core. Elle a grandi, baignée dans le hard-core, qui est extrêmement populaire dans l’est de la France et a fini par s’y mettre. Ce qui était inhabituel au cours de sa performance, c’étaient les interruptions fréquentes qui montraient très clairement l’influence de la scène industrielle des années 90. Miss Tiffy projette la création de son propre label « Hardcore will never die » courant 2010. Cette phrase, Miss Tiffy voulait la caser à tout prix dans cette interview – la voilà !

Les Programers nous ont expliqué ce que c’était que le « French-core » : Ce style permet de mélanger différentes types de musique tel que le Hip-Hop, le Métal, l’illustration sonore des jeux vidéos, que les joueurs professionnels adorent et des échantillons de son.
Hard-core signifie pour les Programers l’indépendance et la liberté. Ce qui les caractérise c’est leur préférence pour la musique de film et les échantillons de jeux-vidéo. Que Julien – un des Programers –  ressemble en blond et en plus jeune comme deux gouttes d’eau à Quentin Trentino est un autre signe distinctif du duo. On aura peut-être l’occasion de les écouter à Vienne en Autriche l’année prochaine. Les deux étaient ravis de cette interview parce qu’il n’y a que très peu de médias qui rapportent des évènements dans ce domaine. C’est pour cette raison du reste que les nouvelles ne vont pas très vite dans cette scène. A cause de la législation et des restrictions policières françaises, les rave-parties non declarées n’existent pratiquement plus. Ceci est en fait en contradiction totale avec le principe de base du hard-core. Les tickets d’entrée à 16 € ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Mais sous le gouvernement Sarkozy, les organisateurs sont obligés d’agir officiellement. La scène a transformé le terme « festival » pour la circonstance en « sarko-val » ce qui veut tout dire. Malgré le prix prohibitif des boissons et l’interdiction de fumer l’ambiance était à son comble. Quand nous avons quitté les lieux vers 3 heures du matin, aucune fin n’était en vue.

« The movement should be going! » dixit Maissouille.

La vidéo donne un petit aperçu de la soirée.

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker