Geoffrey Styles et Alasdair Malloy à la barre du bateau pirate de l’OPS
Geoffrey Styles était un peu essoufflé quand il m’a accompagnée jusqu’à sa loge. Vêtu d’un teeshirt à rayures, une écharpe autour des hanches, il avait tout d’un pirate de cinéma. Styles est « accessoirement » aussi chef d’orchestre, mais personne ne l’aurait spontanément supposé en le voyant déguisé ainsi.
« Des représentations comme celles-ci sont fatigantes, d’autant plus quand il y en a deux par jour » explique-t-il tout en s’excusant d’être toujours hors d’haleine. Mais cet essoufflement était à peine perceptible pour moi. »
Styles ne donne que peu de « représentations comme celles-ci » par an. Uniquement quand il s’occupe avec Alasdair Malloy de la jeune génération dans les salles de concert. Ils appellent ces concerts dans leur langage peu attrayant de spécialistes des « concerts éducatifs ». « Pirates » sonne beaucoup mieux et on peut s’imaginer parfaitement à quoi les enfants doivent s’attendre.
« Alasdair organise depuis longtemps des concerts pour la jeunesse. Il a commencé dans son pays, l’Angleterre. Depuis, il voyage avec ce programme à travers le monde entier.
En France, nous collaborons depuis 2004. Je vis en France depuis 1991 et je parle couramment la langue. C’est grâce à cela que je peux l’aider avec les traductions sur scène. »
A ma question, si ces concerts nécessitent des répétitions intenses, il répond : « Oui, bien sur !
Il s’agit essentiellement de faire en sorte que les musiciens s’amusent. Et cet amusement doit être contagieux pour embarquer les enfants dans l’histoire. »
Pari tenu, en ce qui concerne le concert de pirate – cela se voyait ET se sentait !
Non seulement le déguisement des membres de l’orchestre était réussi, mais la « chorégraphie » contribuait également à la parfaite réussite du programme : Par moment, tout l’orchestre « tanguait » de droite à gauche – en fonction des mouvements du bateau – par moment, les différents groupes d’instruments se levaient, se rasseyaient après quelques mesures pour « laisser la parole » à leurs collègues restés debout. Tout ceci contribuait à créer une l’ambiance joyeuse et enlevée sur scène.
« Alasdair est natif d’Ecosse, moi, j’ai grandi à Londres. Son accent écossais et ma diction un peu plus – disons – élégante, nous prédestinent pour nos rôles respectifs de pirates – lui est matelot, moi, je suis timonier. »
Styles ne se lasse pas de parler des idées de mise en scène : « En Angleterre il y a une longue tradition de la pantomime, dont on se sert essentiellement à la période de Noël quand on donne des concerts pour enfants. Sur le continent, cette pratique est peu connue jusqu’ici. Avec ces représentations nous voulons surtout montrer que la musique peut être
amusante, qu’elle peut donner du plaisir et que la salle de concert n’est pas un temple sacré. Derrière tout cela, il y a évidemment aussi l’idée de gagner le public de concert de demain. »
A la question, si de nos jours les enfants ne sont pas littéralement envahis par la musique à travers les différents médias, Styles répond par une réflexion intéressante : « Oui, c’est clair. Mais on constate une évolution intéressante : Au début, il y a eu la restitution acoustique en mono. Cette technique a été améliorée, passant par la restitution « multicanaux » jusqu’au son « Dolby sourround » d’une qualité irréprochable. Mais aujourd’hui vous voyez beaucoup d’enfants qui écoutent la musique à travers leur téléphone portable qu’ils ont à l’oreille, pas « stéréo du tout » ! Cela signifie qu’il existe une certaine régression et écouter un vrai orchestre en direct implique une qualité d’écoute exceptionnelle. C’est incomparable avec quoi que ce soit d’autre. »
A la question s’il constate une différence entre les enfants anglais et français qui constituent son public, il répond à ma surprise : « Je ne saurais le dire ! J’ai fait mes débuts en Angleterre qu’en automne dernier. Je suis arrivé à Paris très jeune, tout de suite après mes études et j’y suis resté. Oui, je suis né à Paris, j’ai grandi à Londres, mais ma famille est en France et je travaille à Bordeaux. C’est pour cette raison que je ne peux pas vraiment faire de comparaison. Je passe 95 % de mon temps à l’opéra que j’adore. »
Depuis 2002, Styles est directeur adjoint à l’Opéra National de Bordeaux et travaille en plus avec l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine.
J’insiste : « Pouvez-vous constater des différences entre Bordeaux et Strasbourg ? »
« Pas en ce qui concerne l’Opéra. Les deux ensembles sont exceptionnels. Mais je constate que le travail éducatif occupe une place très importante à Strasbourg. Regardez le dossier qu’on à remis à tous les enseignants en amont pour leur permettre de préparer le concert avec leurs élèves. C’est fantastique ! Tout orchestre national a l’obligation de travailler dans une certaine mesure avec les enfants et chaque administration d’école travaille sur ses propres supports. Le travail dans ce domaine est exceptionnel ici à Strasbourg. »
A ce moment précis, son matelot se précipite dans la loge. Un maquillage imite un cache noir sur son œil gauche, ce qui fait qu’on a du mal à regarder Alasdair Malloy en lui parlant.
« Excusez-moi de n’arriver que maintenant, mais j’ai dit au revoir aux enfants après la représentation. Je le fais toujours et il y en a beaucoup qui veulent faire des photos. Cela prend du temps, mais j’aime faire ça » explique le musicien son retard.
J’aimerais savoir depuis combien de temps il fait ce genre de concerts pour enfants, de quelle façon il conçoit son programme et ce qui lui en a donné l’idée.
«Mon dieu, je pense que cela doit bien faire 20 ans que ça dure. J’ai imaginé une quarantaine de programmes, mais je ne les ai pas vraiment comptés. Je suis premier batteur au BBC Concert Orchestra. C’est mon métier « principal ». J’ai assisté à plusieurs concerts pour enfants et j’ai pensé tout de suite, qu’au fond comme ça ce n’était pas possible. Cela ne pouvait fonctionner ainsi. Pour moi, d’exclure les enfants du programme, cela n’a aucun sens. Il faut les y inclure, il faut adapter la musique etc. Et alors, j’ai commencé à m’en occuper moi-même. Je n’imagine pas seulement un thème général, mais je fais aussi l’orchestration des morceaux pour ces concerts. Certains morceaux sont joués avec leur texte original, d’autres doivent être corrigés, quand ils sont trop longs par exemple. Quand tous les enfants peuvent participer comme au concert d’aujourd’hui, quand tous dirigent et pas seulement deux d’entre eux qu’on demande de venir sur la scène, ils en profitent tous. Ils rentrent à la maison et racontent avec beaucoup d’enthousiasme à leurs parents ce qui s’est passé. C’est un début, mais cela peut les amener à aller au concert plus tard. C’est très intéressant, car je fais ce métier déjà depuis suffisamment longtemps pour avoir accompagné toute une génération depuis la tendre enfance jusqu’à l’âge adulte avec mes concerts. Nous avons développé un Programme à plusieurs niveaux, qui propose des concerts selon les différents âges du public. »
« Vous voyagez avec votre programme dans le monde entier ! »
« Oui, je suis souvent invité en Asie, en Malaisie mais aussi en Chine par exemple »
« Constatez-vous des différences entre les différents publics que vous rencontrez ? »
« Oui, des différences de taille même. Ici en France, il y a une grande affinité avec la culture. La France est une nation culturelle. On le constate concernant l’éducation des enfants et on le voit dans leurs réactions. Ils connaissent « l’étiquette », ils savent comment il faut se tenir. Ils sont très surpris de voir, qu’on peut s’amuser au concert. En Angleterre, cette tradition existe depuis bien plus longtemps, mais malgré tout il y a beaucoup d’enfants qui n’ont encore jamais mis le pied dans une salle de concert. Dans ce cas je m’adapte en ce qui concerne le choix des morceaux et fais jouer des morceaux plus courts et plus faciles. Le comportement des enfants chinois est particulièrement frappant. A cause de la politique de l’enfant unique, ces enfants ont un comportement social totalement différent. Ils sont très gâtés par leurs parents et sont pour ainsi dire incontrôlables. Ils courent dans la salle dans tous les sens et sont incapables de se concentrer. Cela constitue un véritable défi pour les musiciens et pour moi. Aussi différent que soit le public, je constate toujours une chose : Les musiciennes et musiciens d’orchestre se ressemblent partout au monde : Ils sont généreux, ils me donnent du temps et répètent avec un enthousiasme énorme. Ils me font confiance, car ils voient que je fais les orchestrations moi-même et que j’ai de l’expérience. Vous savez, la musique ne nécessite pas que des oreilles. L’écoute évoque dans le meilleur des cas des images et j’espère bien être sur la bonne voie avec ce que je fais ici pour les enfants. Nous aimerions aussi montrer qu’il s’agit d’un travail collectif, d’un ressenti commun dans lequel on peut se sentir à l’abri. »
J’ai toujours du mal à ma retrouver dans le visage de pirate d’Alasdair et de mettre fin à cet entretien, tant l’enthousiasme des deux musicien et grand et contagieux. Je termine ce « pas de deux » des deux messieurs en leur proposant d’adresser un message à leur jeune public, s’ils en ont envie :
« Oh oui ! Faites de la musique ! Apprenez à jouer d’un instrument, faites partie d’un orchestre ou alors chantez dans un chœur ! «
« Un orchestre est une construction sociale incroyable » répond Alasdair Malloy immédiatement à Geoffrey Styles. Il l’interrompt presque « Oui et en plus, c’est un privilège incroyable de partager cette joie avec d’autres musiciens. »
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
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