L´interview avec Ivan Stanev, l´auteur et régisseur de la production «Meurtre au Burgtheater »
Monsieur Stanev, est-ce que votre production «Meurtre au Burgtheater » est la première que vous faites ici à Strasbourg ?
Non, sous la direction de Bernard Fleury j’ai déjà créé la pièce « Hollywood forever », je connais donc déjà cette maison. Mais j’ai également créé d’autres représentations en France. La production actuelle « Meurtre au Burgtheater » sera présentée à Lille et ensuite à Paris.
Vous vivez à Berlin. Les premières de beaucoup de vos pièces ont lieu là-bas. Mais vous avez aussi la possibilité de faire des comparaisons avec la scène culturelle en France. Avez-vous constaté des différences ?
Oui, bien sur. Comme vous le savez, la France est une nation centralisée. Contrairement à l’Allemagne, où il y a beaucoup de différents centres indépendants. L’une des conséquences de la centralisation est qu’il y a bien moins de place pour la culture dans les différents médias. Le Monde, Libération ou le Figaro ont une position dominante sur le marché. En Allemagne en revanche on peut aussi compter sur des médias beaucoup plus petits. Le public français par contre est très instruit, très intellectuel et possède une toute autre tradition que le public allemand. La France se considère toujours comme une nation culturelle. Les scènes par contre sont un peu plus petites, il faut donc savoir s’adapter. Ce qui est important en Allemagne, c’est de jouer des classiques. Les classiques remplissent les salles.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de la pièce « Meurtre au Burgtheater » ?
Ce sont des recherches concernant un attentat à Marseille. Le mystérieux arrière grand-père de l’actrice Jeanette Spassova, dit Wlado Tschernosemski (le nom veut dire « terre noire » en bulgare) y avait été mêlé. Cela l’a rendue curieuse et elle a voulu en savoir plus. A l’époque, le roi yougoslave Alexandre I et le ministre français des affaires étrangères ont été tués par balles. Dans les archives nous avons trouvé des indications concernant le meurtre au « Burgtheater ». Ivan Michajlow, un des meneurs dans la lutte pour l’indépendance de la Macédoine était le mari de Mencia Karniceva, la meurtrière du Burgtheater. Le père et le frère de Michajlow ont été assassinés sur ordre du gouvernement serbe. L’attentat à Marseille en était la conséquence directe. C’est par ce biais que notre attention a été attirée sur cette histoire à Vienne. En Autriche, plus personne ne se souvenait de cet incident au Burgtheater. Spassova a fait sa trouvaille dans les archives du théâtre même : Là, tout était minutieusement noté. Ce que j’ai trouvé intéressant c’est qu’à l’époque déjà il y a eu des attentats qui ont eu un effet important sur le public. Comme aujourd’hui où on détourne des avions, ou on occupe un théâtre à Moscou. Que ces endroits ont un coté « théâtral » n’est pas le fruit du hasard. J’y vois des parallèles historiques que je voudrais mettre en exergue. Mon travail est montré sur une scène comme une œuvre d’art. Je ne m’occupe pas à préserver la tradition. J’ai une approche beaucoup plus large en ce qui concerne la présentation. Pour illustrer la « vraie » histoire, j’ajoute du matériel d’archives comme par exemple des documentaires ou des coupures de presse qui occupent une place importante. Une autre parallèle est pour moi le fait qu’à l’époque où les pays du Balkan étaient en période de transition et s’approchaient de l’Europe. Aujourd’hui ce sont les pays arabes qui s’approchent du monde occidental. Au moment de l’attentat un « nettoyage » ethnique a eu lieu en Autriche bien qu’à l’époque de la monarchie une vie libre des différents peuples avait été tout à fait possible.
Ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’une vue plutôt embellie de l’histoire?
Non, si vous considérez que des gens
des pays de l’est qui venaient à Vienne pour y faire leurs études avaient le droit de voyager librement. Tout ceci n’était plus possible après la deuxième guerre mondiale. L’histoire du meurtre au Burgtheater montre très bien le « cultural clash », le choc des cultures. Ici on joue Peer Gynt, une pièce du grand nord, là, des macédoniens vont au théâtre en plein centre de Vienne – c’est un point de départ passionnant.
Comprenez-vous cette pièce comme un constat politique ?
Non, je ne vois pas les choses ainsi. Bien que l’art sans politique ne soit pas concevable.
Vous sentez-vous responsable de la pièce et de ses répercussions sur le public ?
Bien entendu je me sens responsable. C’est ma pièce. Mais l’effet qu’elle a sur les gens et leur façon de le gérer, ça je ne peux pas l’influencer. D’une façon ou d’une autre il faut qu’ils gèrent cet effet. Mais comment ils s’y prennent c’est en dehors de mon influence
Vous essayez d’explorer le théâtre par des moyens nouveaux et plus larges. Dans les années 70 et 80 Hans Haake par exemple a essayé de changer totalement l’image d’une ville comme Graz à l’aide d’une installation. Dans cet environnement différent, le public était censé devenir acteur. Mais malgré leur envie de changement, ils restaient sur la scène face au public.
Oui, c’est mon média. Dans les années 70 c’étaient aussi les actionnistes viennois qui ont tenté une forme artistique nouvelle en dehors des sentiers battus. Aujourd’hui on peut observer un retour en arrière. Le théâtre politique touche à sa fin. Exception faite de quelques cercles spécialisés. Le théâtre doit accepter cela. Après la chute du mur on a eu l’impression que de nouvelles dimensions pouvaient surgir. Mais aujourd’hui, les gens se retirent dans leurs appartements et mènent une existence privée, chez eux. Ils consomment ce qui a été fabriqué pour un marché global. Le contenu politique en a complètement disparu. La stratégie pour aller à l’encontre de tout cela est d’en parler et de mettre cette situation sur une scène. Là on devrait réussir à réveiller du moins les têtes des gens! En ce moment je me pose la question, comme le montre ma pièce « Meurtre au Brugtheater » : Qu’est-ce qui est fictif, qu’est-ce qui est réel ? La réalité est-elle différente de l’art théâtral?
Mais vous vous exprimez aussi au cinéma !
Oui, j’ai fait un film « Moon Lake » et j’ai prévu de tourner un autre film tout de suite après la fin de la tournée avec « Meurtre au Burgtheater ». Le défi consiste à ne pas aller en dessous de son propre niveau, à ne pas céder au chant des sirènes du marché globalisé. Je pense que le théâtre et le film ont toujours le droit d’être intelligents. Mais la pression économique est énorme. Plus personne n’ose lutter contre cela. On change les scénarii jusqu’à ce qu’elles paraissent « conformes au marché », le coté l’artistique est mis de coté. Tout le monde plie sous la dictature du marché.
Est-ce que les artistes sont opportunistes s’ils obéissent pour pouvoir survivre ?
Bien sur que oui! Qui refuse de survivre ? Les artistes possèdent une sorte d’autocensure, car ils savent qu’il s’agit d’une question de survie.
Avez-vous tissé un filet de contacts stables avec lesquels vous travaillez continuellement au cours des années ?
Non, c’est de plus en plus difficile. Je dois chercher un nouveau producteur pour chacun de mes travaux. Mon filet de contacts est tout sauf stable, car avec le temps il rétrécit de plus en plus. Actuellement, le classique est plus vendeur que l’art contemporain. Ici par exemple, au Maillon, mon contact c’est M. Fleury, qui poursuit lui-même un but. C’est lui personnellement, grâce à sa façon de diriger le théâtre, qui me permet de travailler ici.
Ce sont donc toujours quelques individus qui permettent de faire avancer les choses sur un plan culturel, ou y a-t-il des mouvements qui montrent des changements initiés par un plus grand segment sociétal ?
Les deux existent. Le mouvement 68 par exemple a apporté beaucoup de changements, idem pour la chute du mur. Mais actuellement, je ne vois aucun mouvement de ce genre. Aujourd’hui il s’agit effectivement de quelques personnes isolées qui s’engagent et qui réussissent à faire bouger les choses.
Votre travail s’adresse à un public relativement restreint, on pourrait dire à une élite. Peu de représentations, des sujets contemporains – une minorité de gens s’intéresse à ce genre de créations. Ecrivez-vous pour une élite ?
Non, pas forcément. Mais je n’y suis pas opposé non plus. Tout ce que l’on ne saisit pas instantanément est vraiment incompréhensible. Plus la forme artistique est complexe, plus long est le laps de temps dont nous avons besoin pour comprendre. Hölderlin est magnifiquement incompréhensible jusqu’aujourd’hui. Je ne suis pas prêt à travailler en dessous d’un certain niveau. Théâtre ou film – peu importe ! Spécialement le film a vécu une commercialisation extrême. Il faut donc être deux fois plus vigilant pour rester à un niveau de qualité élevé.
Etes-vous en train de travailler à un nouveau projet ?
J’y réfléchis, mais je ne peux pas encore d’idée précise. Je voudrais continuer à faire du théâtre et du film, m’exprimer dans des médias différents. Je m’intéresse aux différentes langues en Europe. L’Europe est en ce moment un carrefour ou s’accumulent différentes influences de toutes sortes. Par exemple on peut observer, que les langues nationales régressent, qu’elles sont sur la défensive. Malgré tout on peut constater qu’il y a un méli-mélo linguistique babylonien. Je trouve cela très intéressant. Mais je trouve très important de ne pas se fixer sur un seul média, comme par exemple le théâtre – du moins c’est très important pour moi !
Je vous souhaite beaucoup de succès pour vos représentations au Maillon et je vous remercie pour cet entretien.
L’interview a été réalisée le 26.1.2009 par Dr. Michaela Preiner à Strasbourg
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
Dieser Artikel ist auch verfügbar auf: Allemand