Les robes du pouvoir

Spectacle 20102011 MaryStuart ©FredericIovino 348

TNS, Mary Stuart (c) Frederic Iovino

Elisabeth et Mary ne se sont jamais rencontrées à Londres au 16e siècle. Pourtant, sur la scène du TNS (Théâtre National de Strasbourg) elles font connaissance de la meilleure façon qui soit.

Mary Stuart se jette par terre et se roule dans la poussière pour essayer de gagner la reine d’Angleterre Elisabeth par tous les moyens. Elle espère échapper ainsi à la peine de mort. Quand elle prend conscience que toutes ses supplications sont veines, sa fierté royale qu’elle avait mise de coté se manifeste à nouveau : telle une furie elle reproche à Elisabeth de n’être rien d’autre qu’une bâtarde qui n’a pas le droit de porter la couronne d’Angleterre. Tout en sachant que ces accusations lui couteront la vie, elle a la satisfaction de sortir vainqueur de ce combat inégal ; moralement et rhétoriquement.

La nouvelle traduction du drame de Friedrich Schiller «Mary Stuart» par Eberhard Spreng et Stuart Seide a été jouée pour la première fois à Strasbourg au mois de janvier. Dans cette nouvelle version, le drame royal de Schiller se transforme en paraphrase d’une vie passionnante entre le pouvoir et la sphère privée qui est parfaitement compréhensible sur le plan psychologique. Saisissant parfaitement la précision de la langue allemande, Spreng et Seide ont réussi à trouver une transcription contemporaine de l’écriture de Schiller, en restant aussi près que possible du contenu de l’original tout en évitant le superflu.

Spectacle 20102011 MaryStuart ©FredericIovino 293

TNS, Mary Stuart (c) Frederic Iovino

Le décor conçu par Philippe Marioge avec une intelligence exceptionnelle et la lumière impressionnante signée par Jean-Pascal Pracht forment un écrin moderne pour le drame qui se joue autour des vies des reines d’Angleterre et de l’Ecosse. Le mur lambrissé en trois parties qui traverse en diagonale la scène permet de diviser l’espace à la demande. Ce n’est que grâce à l’éclairage de la partie gauche de la scène que l’on peu reconnaitre le Palais royal. L’éclairage sur la partie droite représente une cellule de prison. Le coup de génie de ce décor consiste en la présence permanente des deux protagonistes et de leur entourage : à peine éclairée, la rivale est présente sur la scène tandis que l’autre joue sa scène. Ainsi, la façon de laquelle les deux reines se menacent mutuellement est plus que palpable.

Grâce aux costumes, Stuart Seide qui a également signé la mise en scène a brillamment réussi à tendre le grand arc entre l’époque historique à laquelle se déroule le drame, le début du 19e siècle, et notre ère. Ses reines et lords sont vêtus de leurs somptueuses tenues du 16e siècle qui représentent le pouvoir. Quand les personnages portent ces vêtements, leur vie privée doit s’effacer au bénéfice de la raison d’état. Des capes lourdes, longues jusqu’au sol permettent d’alterner rapidement entre la sphère privée et la fonction publique. A la fin de la pièce, rongée par les doutes pour avoir fait exécuter Mary, il n’y guère qu’Elisabeth qui, tout en arborant sa tenue d’apparat pourpre au col sophistiqué, fait état de ses émotions. Il est vrai que même dans cet état elle représente la souveraine de l’Angleterre. Pourtant, elle a perdu sa contenance : la peur et la folie ont pris possession d’elle.

Dans ce tableau, contrairement aux tableaux précédents, on peut voir ses bras nus et fragiles dépasser sous la lourde robe. Une métaphore magnifique qui montre que sous n’importe quelle tenue, même si elle représente le pouvoir et l’état, il y a un être humain. Pour habiller la plus grande partie des protagonistes, Fabienne Varoutsikos a recours aux tenues de travail des années cinquante. Seul l’émissaire français, le comte Aubespine, porte un costume du baroque tardif, du rouge aux joues et des boucles sur les chaussures. Ces allusions font immédiatement comprendre où sont les rapports au présent et quand ces rapports sont nécessaires. De plus, elles font clairement ressortir les tensions et les différences entre la cour française et anglaise.

La scène du jardin, où sur le conseil de leurs proches respectifs se rencontrent malgré elles les deux reines, est le point culminant. Elle se passe d’un décor travaillé: les panneaux qui auparavant ont divisé l’espace sont hissés ou mis de coté, silencieusement, le parquet a fait place à un carré de terre, grand, grand comme un terrain de tennis. On aperçoit un coin de ciel bleu projeté à l’arrière de la scène. Ce décor parfait permet à Mary de ressentir brièvement et pour la dernière fois des sensations plaisantes en rapport direct avec la nature. Jusqu’ici, Mary a adopté une attitude mesurée et calme. Elisabeth s’est toujours exprimée avec une voix douce. Dans ce paysage, les deux rivales laissent libre cours à leurs émotions et à la haine qu’elles portent en elles. A tel point, qu’elles font peur aux hommes qui se trouvent près d’elles. A travers cette pièce de Schiller, on y voit un clin d’œil «clandestin» de Jean Jacques Rousseau qui attribua justement à la nature les forces les plus puissantes sur cette terre et non pas aux êtres humains, quels qu’ils fussent. Comme si elles étaient victimes d’une sorte de contagion sous ce ciel sans limites, les émotions que les deux femmes pensaient sous contrôle à l’intérieur de quatre murs se libèrent.

Le jeu de Cécile Garcia Fogel dans le rôle de la volontaire et malgré tout fragile Elisabeth et celui de Marie Vialle en Mary Stuart qui porte telle une sainte la tête toujours très haute, sont de qualité égale. Les hommes ne les brisent pas, au contraire ! Ce sont elles qui leur font prendre conscience de leurs limites. Pourtant ce sont les jeux de pouvoir masculins qui, coup après coup comme dans un jeu d’échec, causent finalement la perte des deux femmes.

Cette mise en scène est particulièrement réussie, car elle met les ambivalences de chaque personnage du drame de Schiller en relief. Vincent Winterhalter dans le rôle du comte de Leicester, psychologiquement fragile, oscille entre pouvoir et amour, telle une feuille dans le vent. Il finit par prendre conscience de son propre opportunisme. Le baron de Burleigh, carré et marqué (Julien Roy) place la raison d’état par dessus tout. Et malgré cela, au cours d’une conversation avec Mary Stuart en prison, il est forcé de reconnaître qu’on a fait du tort à la reine d’Ecosse. Il fait cet aveu tout en cherchant désespérément à ne pas perdre la face. Pierre Barrat joue le sage Comte de Shrewsbury, un vieil humaniste. Elisabeth réalise trop tard que les conseils de celui-ci sont justes et judicieux. Tous les protagonistes jouent leurs rôles en tenant compte de cette duplicité que Schiller a mise dans ses personnages ce qui exige des prestations d’acteur de très haut niveau.

Le rapport à l’époque à laquelle nous vivons est essentiellement établi grâce au décor et aux costumes : de façon très subtile et donc d’autant plus fantastique. Les difficultés psychologiques des caractères s’infiltrent dans nos pensées sans crier gare, elles font remonter des souvenirs de traits de caractères de personnes de notre entourage et nous incitent à la réflexion : la mise en scène de Seide réussit cet exploit qui est réservé à du très grand théâtre.

Avec cette représentation, le TNS tout près de l’Allemagne a prouvé une fois de plus, qu’il fait partie des plus grandes scènes de l’hexagone.

Un conseil pour les représentations qui suivront : même ceux qui ne parlent pas le français peuvent venir au TNS : au moins l’une des représentations des pièces au programme est sous titrée en allemand.

Sur le site du TNS vous trouverez de plus amples renseignements.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker.

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