La définition «romance» suggère en général quelque chose de romantique. Et ce quelque chose, s’il s’agit de sentiments qu’éprouvent deux êtres l’un envers l’autre, évolue généralement vers l’amour. Ce quelque chose qui sent la violette et a le goût d’une barbe à papa…..en général !
« Romanze », ainsi s’intitule la nouvelle chorégraphie de Virginia Heinen pour deux danseurs. Au mois de janvier on a pu assister à la représentation de cette œuvre au Pôle-Sud à Strasbourg.
Effectivement, il s’agit d’une création qui raconte la relation entre deux personnes et effectivement, le nuage romantique qui les enveloppe semble les empêcher d’apercevoir le monde qui les entoure.
Au début, pendant de longues minutes qui paraissent interminables, même la danseuse et chorégraphe et son partenaire Martin Grandperret roulent étroitement enlacés sur la scène. Ils se soulèvent mutuellement très légèrement, mais jamais leur corps ne perd totalement le contact. Ils changent en permanence de position, comme s’ils cherchaient à profiter de chaque centimètre carré de l’autre et finissent par atterrir dans un état second sur deux fauteuils où ils émergent doucement de leur état amoureux. „Verweile doch, du bist so schön“ (arrête-toi, tu es si beau) serait la citation de Faust qui s’impose en observant cette action qui exprime artistiquement l’amour fou entre deux êtres. Mais déjà Goethe avait fait le constat que rien ne dure éternellement, pas même la plus jolie romance.
Et ce qui a commencé de façon si douce se transforme en quelques minutes en une relation de couple pour le moins conflictuelle.
L’histoire est simple : une femme et un homme s’aiment tendrement. L’homme quitte la femme qui est inconsolable. L’homme revient vers la femme. Elle cherche à se venger et veut rester libre. L’homme en revanche veut vivre à nouveau une relation qui fonctionne, comme avant. Commence une lutte impitoyable entre l’homme et la femme qui essaient tous deux d’obtenir la position dominante. Cette lutte fait souffrir les deux, ils réfléchissent et finissent par trouver un consensus qui leur permet de continuer leur chemin de vie ensemble.
Noir ou blanc. C’est comme cela que la vie se présente quelques fois, du moins, si on la regarde d’un certain angle de vue. Le couple se retrouve, mais il ne s’enlace plus. Plus rien ne reste de leur proximité physique. Rien, à l’exception de leurs avant-bras qui se touchent : ils sont posés gentiment sur les accoudoirs des deux fauteuils.
L’histoire que racontent les deux danseurs sur la scène correspond à une réalité que vivent des millions de couples amoureux au quotidien. Seulement, en dehors du théâtre, la fin est souvent différente. L’issue de la création de Virginia Heinen est consciemment heureuse. Les conflits, longuement déclinés à travers le langage des corps des danseurs, se suffisent à eux-mêmes. Une fin malheureuse aurait été de trop. D’une certaine façon, c’est compréhensible : qui aime se faire torturer par des paroles qui sont de véritables coups de fouet sans qu’il n’y ait ne serait-ce que la perspective d’une réconciliation à l’horizon ? Voici exactement comment Heinen ressent la scène que lui fait vivre son partenaire: assis tout en haut d’un mur, il hurle des mots à son adresse, qui font l’effet de coups de fouets sur son corps fragile qui les encaisse un à un. Il la quitte, la menace, l’humilie et abuse d’elle pour trouver un soutien dans sa propre souffrance. Elle le quitte, l’humilie et s’accroche tellement à lui qu’il manque d’étouffer. Rien ne semble être possible, ni sans lui, ni avec lui, «nec tecum, nec sine te» un constat que l’on faisait déjà dans le Rome antique. Mais dans la version de Heinen, comme dans la vie de millions de gens, tout semble plus acceptable que la solitude et le deuil infini d’un amour perdu.
La troupe nommée «Cie Blicke» n’exagère rien mais ne laisse rien de coté non plus. Et c’est précisément le point fort du spectacle, le point qui dérange. Le plus joli de tous les «happy-ends» n’y change rien. Mais est-ce une belle fin que celle où l’on voit ce couple assis côte à côte, le regard porté au loin dans des directions opposé ? Chez Heinen la vérité se trouve derrière ce qui semble si évident. Un peu comme la distinction que l’on fait dans le domaine de la communication entre la structure « superficielle » et la structure « profonde », l’artiste fait la différence entre ce qui est visible, ce qui est exprimé par la danse et ce qui est invisible, ce qui n’est pas dansé et le non-dit. Les réactions du couple mettent une chose en évidence: ce qui n’est pas dit, ce qui devrait l’être, finit toujours par revenir à la surface et c’est finalement le corps qui se charge de l’exprimer. Seulement pendant les passages où les deux amoureux sont seuls, et que chacun peut s’adonner à son chagrin et sa colère, ces non-dits n’existent pas. Tout semble clair, tout est dit. Justement pendant ces passages il est passionnant d’observer la façon de laquelle les danseurs s’expriment, chacun dans son style propre et très personnel.
Un des passages est particulièrement beau : celui où les deux danseurs luttent pour le pouvoir dans le couple. Front contre front, tels deux taureaux enragés ils cherchent à se repousser mutuellement. Celui où ils sautent l’un sur l’autre pour essayer par tous les moyens de se retenir est très émouvant. Pourtant ils finissent par être rejetés brutalement. Leur dispute au sujet des objets du ménage a pour beaucoup un air de «déjà vu». Elle s’intensifie à un point tel que la violence physique semble incontournable. La femme résiste pendant longtemps, jusqu’à ce qu’elle atteigne ses limites physiques et psychiques. Et malgré tout cette lutte qui semble tout détruire permet de commencer un nouveau chapitre dans cette relation.
Le décor minimaliste consistant en deux murs lambrissés mobiles, un escabeau et deux fauteuils vieillots tapissés de vert, n’attire jamais l’attention. Il est plutôt astucieusement intégré dans l’action qui se déroule sur la scène : quand Martin Grandperret quitte son amoureuse, il grimpe tout en haut des deux murs parallèles, pour atteindre sa prétendue liberté. Quand les deux n’en peuvent plus de leur lutte incessante, un miracle se produit. Au cours d’une danse de salon dont les règles dictent les pas que les danseurs doivent exécuter, le couple se retrouve. Des règles, c’est ce qu’il faut pour être heureux dans la vraie vie semble vouloir nous dire la chorégraphie. Doucement, les deux danseurs rapprochent les fauteuils se trouvant de chaque coté de la scène pour les ramener côte à côte comme décrit ci-dessus.
La musique est signée Filippo Zapponi, qui a déjà travaillé avec «Cie Blicke» à plusieurs reprises. Il rassemble les échantillons sonores en traversant les siècles, en commençant par le baroque, puis en passant par la musique contemporaine et pour finir avec des sons électroniques. A la fin, il permet au couple de se retrouver : la musique leur permet de se rappeler les meilleurs moments. Comme émanant d’un passé lointain, on entend les baroqueries qui ont permis au début de la pièce au couple d’atteindre le septième ciel.
A la fin, il ne peut plus être question de romance dans cette relation. Les nuages roses se sont évaporés, la sueur de la peur et de la lutte a remplacé le parfum de violettes. Ce qui reste est une réconciliation superficielle, l’avant bras de la femme qui vient se poser sur celui de l’homme. Ce n’est certainement pas un geste innocent, au contraire, il veut tout dire.
Une soirée de danse exigeante et réussie, au cours de laquelle les deux protagonistes peuvent à peine reprendre leur souffle. Au premier regard, le contenu peut paraître plat et convenu. Il ne perd son coté noir et blanc qu’à partir du moment où on est disposé à se pencher intensément sur le problème. La vie, ce n’est ni tout blanc ni tout noir, n’est-ce pas ?
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
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