Pure Frauenpower

Pure Frauenpower

 

La puissance au féminin

La soirée qui devait clôturer le « festival nouvelles » au Pôle Sud à Strasbourg n’était pas destinée aux hommes faibles, mais plutôt aux femmes fortes. Avec Aude Lachaise, Gwendoline Robin et «Bouchra Ouizguen et sa CIE Anania», une offre artistique féminine sans pareil s’est présentée au public.

Aude Lachaise

Aude Lachaise « Marlon » (c) Jérôme Delatour

L’artiste polyvalente, Aude Lachaise, pour qui ni la danse, ni le chant, ni la performance et encore moins le jeu d’actrice n’ont de secret, a proposé une «one-woman-pièce» d’un genre particulier : Son titre, «Marlon» est un indice. Du moins il indique la direction d’où Aude Lachaise viendra à la rencontre de son public. En dansant et surtout en parlant elle explore les profondeurs de la jouissance féminine.
Pour ce faire, elle se sert d’un vocabulaire qui n’est pas nécessairement ce que l’on pourrait appeler «correct», mais il semblerait, que ce genre de vocabulaire soit indispensable pour parler de la vie sexuelle de façon décontractée. Lachaise réussit à faire une excursion amusante et pétillante aux accents linguistico-philosophiques dans le pays de l’amour – ET du coté de Marlon Brando, qu’elle semble avoir dans la peau !
D’une certaine façon, Lachaise agit en sexologue. Elle transmet au public ce qui, en apparence, est difficile à transmettre. Et le public ne peut faire autrement que de rire des cheminements futés que suivent les réflexions de l’artiste. Une seule fois, le silence se fait dans la salle – au moment où elle annonce qu’elle a l’intention de faire venir un volontaire auprès d’elle sur la scène, car elle aimerait essayer le principe du Kamasoutra et pour cela, il lui faudrait un partenaire, bien entendu. Après quelques minutes pleines d’appréhension, le public se détend: Lachaise montre toute seule, par l’intermédiaire de son langage corporel, que la pression engendre la pression et que les caresses appellent d’autres caresses. Une performeuse remarquable, qui agit tout près du public – à portée de main – mais malheureusement: pas de Marlon Brando au premier rang !

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Gwendonline Robin (c) MP

La performance «Echelle»/«Territoire» de Gwendoline Robin s’adresse à tous ceux qui sont convaincus d’être capables de contrôler leurs émotions dans n’importe quelles circonstances. Car elle leur démontre le contraire ! Robin déclenche des émotions pures, directes et spontanées. La belge, diplômée en art plastique, montre du brûlant à son public – au sens propre du terme !
Sans paroles, en s’appuyant sur des actions rythmées, elle emmène le public dans sa construction de pensées. Des pensées qui tournent autour du rapport de la proximité et de l’éloignement, sachant que plus on est loin, moins on se sent concerné.
Sur un podium, à l’air libre, elle a construit différents édifices en papier: quelques immeubles entourés par des maisons unifamiliales ou plurifamiliales, comme si elle voulait montrer une maquette d’urbanisme. Très tranquillement, elle commence à étaler toutes sortes de pâtes entre ces petites maisons. Elle fait des traces. Par-ci, par-là elle disperse une poudre noire-argentée. Et après avoir terminé tous ces préparatifs, elle allume une mèche qui met le feu aux maisons. D’abord, c’est l’immeuble qui prend feu, ensuite c’est le tour de quelques constructions qui se trouvent à proximité. Robin reste en dehors de l’action, regarde calmement ce qui se passe et commence très lentement à revêtir une combinaison ignifuge. On a presque l’impression qu’elle s’apprête à jouer les pompiers et du coup on a envie de crier : «plus vite, plus vite». Mais en tant que «spectateur rompu aux performances» on fait semblant de rester de marbre – et on attend ce qui suit. Après un laps de temps qui semble interminable – quand il y a le feu, quelques minutes semblent durer éternellement – Robin a fini par s’emmitoufler de la tête aux pieds, elle a un casque sur la tête et entre dans ce qui reste du brasier. Il ne reste pratiquement plus rien du paysage architectural, initialement blanc. La majorité des constructions sur le podium sont carbonisées, de la fumée plane au dessus de la scène. Et subitement, l’un des tuyaux qui part de la combinaison de Robin prend feu. Dans les secondes qui suivent, des détonations retentissent et font trembler le podium qui est entouré d’une épaisse fumée. Des flammes lèchent la combinaison de Robin, qui essaie d’étouffer les départs de feu avec ses mains. Elle reste encore debout pour un court instant, mais finit par se coucher entre les foyers rougeoyants. Et là se fait le déclic dans la tête : «L’Echelle» de Robin est renversée par Robin, jouant la femme morte, étendue devant nous. Maintenant, elle est l’une des victimes du feu qui a pris son départ dans les petites maisons. Elle est allongée par terre, très près de nous, on peut sentir le feu, la fumée irrite le nez. Quelques minutes auparavant, c’était un jeu. Cette ville, que nous pouvions admirer comme aux informations télévisées d’une perspective à vol d’oiseau, était encore très loin. Sa destruction nous a à peine touchés. Mais maintenant qu’un être humain à taille réelle est étendu là, devant nous, tout le monde a compris. La performance, très dangereuse pour l’artiste, apporte un élargissement de conscience. Cet élargissement ne fonctionne qu’à travers une expérience directe et une participation personnelle. Parce que nous savons tous, que les malheurs, la mort et les assassinats nous touchent d’autant moins qu’ils sont lointains – même si nous pouvons pratiquement les «vivre» en direct, par télévision interposée pendant le journal télévisé quotidien. Nous regardons tout cela en dînant. De notre «perspective à vol d’oiseau», de chez nous, assis sur le canapé, la violence et la mort ne sont qu’un programme sans importance particulière. En quelques secondes, l’artiste réussit à démasquer tout cela : la monstruosité, cette aliénation humaine, l’indifférence générale. Elle réussit à faire en sorte que nous nous sentions concernés et qu’à l’avenir il appartiendra à chacun de nous de trouver un nouveau modèle pour gérer les nouvelles catastrophiques auxquelles nous confronte la télévision. Une performance extraordinaire qu’il faudrait recenser dans tout manuel de psychologie. Elle prouve que grâce à sa démarche artistique, un être humain peut, même encore aujourd’hui, élargir l’idée de l’art.

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Bouchra Ouizguen « Madame Plaza » (c) Hibou Photography

Choc et consternation chez Robin, contemplation liée à la lente évolution d’un processus de réflexion chez Bouchra Ouizguen et sa troupe. On aurait difficilement pu trouver un plus grand contraste pour poursuivre le programme. Ouizguen avec sa troupe de femmes, a relevé le défi de créer une pièce scénique avec laquelle elle tourne actuellement dans le monde entier. La particularité ce sont les chanteuses et danseuses qui sont issues d’une tradition marocaine ancestrale qui fait d’elles des êtres adulées et exclues à la fois. Sous le terme «Aitas », on comprend des courtisanes, comparables aux Geishas ou alors aux prostituées de luxe, qui gagnent leur vie dans des établissements nocturnes. Leur chant, transmis depuis des centaines d’années, fait référence à une culture qui est sur le point de s’éteindre. Au cours de ces dernières années, leur position particulière est devenue de plus en plus précaire et les a totalement marginalisées. Cette circonstance fait de certaines parmi elles, comme celles qui forment la « CIE Anania », des femmes à la personnalité affirmée, des femmes qui réfléchissent sur leur propre sort et qui prennent leur destin en main.
La pièce « Madame Plaza » est beaucoup plus qu’une allusion folklorique à une minorité sociale. C’est une œuvre qui parle d’amour, du fait d’être quitté, de la dépendance. Une pièce qui raconte l’ennui, l’une des grandes traditions dramatiques artistiques du récit arabe, mais qui traite aussi de l’intimité entre homme et femme.
Quand on pense «danse» on pense tout de suite à des corps superbes et sveltes. A la CIE Anania cependant, on ne trouve rien de tout cela. Ces femmes sont massives, leurs corps volumineux, mais la fierté qu’elles affichent n’en est que d’autant plus grande. Ce programme en contradiction totale avec l’image habituelle des danseurs fait un bien fou. Cela fait un bien fou, de voir enfin des femmes fortes, au sens propre comme au sens figuré, sur une scène. Des femmes qui s’affirment et qui ne cachent rien de leurs corps imposants. Des femmes qui font face aux regards des hommes, parce qu’elles sont capables de les regarder à leur tour. Des femmes qui n’ont pas honte, ni de leur vulnérabilité, ni de leur douleur, qui se soutiennent mutuellement mais qui ont aussi des rêves.
Elles racontent un monde où la perception du temps qui passe est différente. Par exemple la scène, où elles attendent un homme : Pendant de longs passages il ne se passe rien d’autre que cette attente justement, mimée par les femmes allongés sur des matelas. Ou alors le moment où l’une des femmes conte un évènement à un cercle d’intimes. Le récit se transforme en plainte à laquelle toutes finissent par se joindre.
Les rapports très proches, presque enviés par les autres, entre un homme et une femme qui semblent inséparables, sont compris par tout le monde : quelle que soit la société à laquelle on appartient, quel que soit le pays où on est né. De cette façon, Bouchra Ouizguen a créé une chorégraphie universellement compréhensible. Même si elle vient d’un pays qui est très, très loin du nôtre.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Quand l’art est vraiment amusant (2)

Quand l’art est vraiment amusant (2)

Une journée particulière à Selestat – deuxième partie

crash roar din

CIE Somebody (c) Jean-Philippe Senn


Avec le jeune homme à la basse, ça «déménage»! Il joue un beat rythmé,  dansé avec beaucoup d’insouciance par trois danseurs, deux hommes, et une femme qui entreprennent de cette façon de conquérir ce lieu immense. Ce lieu, c’est une salle d’exposition du FRAC, haute et longue de plusieurs mètres. Dans ce cas précis, «conquérir» le lieu ne signifie pas seulement d’en prendre toute la mesure en dansant. A la grande surprise du public, cela veut dire aussi grimper à toute allure à un poteau de cette construction métallique ouverte, pour, une fois arrivé en haut,  s’approcher de la façade en verre, rester immobile à cette grande hauteur, telle une sculpture – pour regarder dehors! Les spectateurs retiennent leur souffle. Les danseurs qui sont restés en bas regardent en haut, continuent à danser et finissent par réintégrer tout naturellement l’artiste dans leur formation. Celui qui, quelques instants auparavant, était encore suspendu à une hauteur vertigineuse – comme  un singe en train de s’amuser.

Le bassiste change pour la guitare électrique, un danseur devient chanteur. Ce qui est en cours continue, pendant que ceux qui dansent se laissent guider par l’improvisation, ils se rapprochent, pour se séparer ensuite. Après que la musique s’est arrêtée, la danse continue comme avant. Les danseurs se réunissent à nouveau, ils réagissent à leurs gestes mutuels et au langage de leurs corps, et surtout – et toute la particularité de cette performance de danse est là – ils sont de toute évidence ravis de faire ce qu’ils font. Leurs visages sourient pendant l’exécution des mouvements. Ils restent détendus, même pendant des enchaînements de pas ou de mouvements fatigants, comme si cette façon de s’exprimer était pour eux aussi naturel que de marcher ou de s’assoir.

La musique trash et rock de Vincent Posty sur laquelle vient se poser l’action est une sorte de grille pour les danseurs. Une sorte de tapis, dont ils connaissent les principales couleurs, mais dont ils peuvent, selon l’inspiration du moment, réinventer les motifs. Cet endroit muséal rajoute à «Crash Roar Din» de la  «CIE Somebody» une dimension supplémentaire. Ces corps dans l’espace, parfois très près du public et non pas sur une scène, sont une expérience d’un genre nouveau. Pendant les passages, où les danseuses et danseurs gèlent leurs mouvements pour un court instant, ils se transforment en sculptures. En grimpant ils deviennent acrobates, le chant en fait des chanteurs.
Marjorie Burger-Chassignet, Sébastion Dupré et Galaad le Goaster arrêtent le temps. Grâce à leurs mouvements, leurs réflexions sur eux-mêmes et leurs réactions par rapport aux autres, ils gagnent les faveurs du public pendant cette performance. Ils réussissent à l’emmener dans leur monde à eux, un monde qui ne cherche pas à manipuler les pensées. Ce monde les laisse plutôt couler, telle une chorégraphie. Toujours neuve, toujours différente, toujours autodéterminante et toujours aimable – voilà comment on pourrait imaginer la vie idéale !

Guillaume Desanges

Guillaume Desanges (c) Frac Lorraine


Guillaume Desanges avec son «Histoire de la Performance en 20 minutes» a clôturé cette succession d’actions artistiques organisées dans le cadre du «Festival nouvelles» au FRAC à Selestat.

Desanges qui a trouvé un partenaire génial en la personne de Frédéric Cherboeuf, explique au cours d’une lecture, que l’histoire de la performance peut être divisée en dix gestes. Pour l’occasion, le critique d’art et conservateur d’exposition s’est glissé dans le rôle de l’acteur – même si ce n’était que celui d’un lecteur. Cherboeuf en revanche a traduit le tout en un langage du corps. Desange cherchait à en donner l’image. En préambule, conforme au mouvement postmoderne, Desange a fait le constat qu’il n’y avait rien que l’on n’aurait pas déjà dit ou montré. Malgré cela, il réussit à ajouter une nouvelle dimension à ce «déjà vu et déjà entendu». Et cela se passe coup sur coup : Desanges fait exprimer par le corps de Cherboeuf  (sauter contre un mur ou se coucher à travers une table de lecture) des actions de Bruce Nauman, en passant par Niki de ST.Phalle, Vito Acconi et beaucoup d’autres jusqu’aux actionnistes viennois Otto Mühl et Günter Brus. Pour «transcrire» l’action de tir de couleurs de Niki St. Phalle, le mouvement est gelé dans la position que l’on adopte quand on tire à la carabine. L’action fécale d’Otto Mühl est symbolisée par une pose accroupie comme celle que l’artiste avait adoptée devant la caméra qui l’a filmé en train de faire ses besoins. La performance de Guillaume Desanges est tout à fait dans l’aire du temps et se sert de nouveaux moyens créatifs pour maîtriser le passé. Comme déjà Prinz/Gholam ou Nicolas Boulard l’ont fait avant lui, il a montré qu’il y également à ce stade de la production d’histoire de l’art, pour le dire simplement, des moments et des approches où les artistes ne tombent pas dans des éclecticismes pures, mais les manipulent plutôt très sciemment et du coup les enrichissent de nouvelles idées créatives.

Malgré le niveau intellectuel très élevé des productions artistiques,  les artistes ont réussi à toucher le public avec leurs actions. Grâce notamment à la dimension ironique présente, à un degré différent, dans chacune des trois productions.

Une après-midi réussie, qui, grâce à des actions bien accordées les unes par rapport aux autres, a donné envie d’en savoir plus sur l’art contemporain.

J’aurais presque oublié le « Bring », où tous les participants ont apporté quelque chose à manger. La nourriture a été mise à disposition de tout le monde sous forme d’un immense buffet : C’était un énorme succès! Une initiative recommandée et recommandable, surtout par les temps qui courent, où les mesures de restrictions budgétaires concernant la culture sont de mise!

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


Black Swan – dans la peau d’un enfant

Black Swan – dans la peau d’un enfant

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Black Swan de Gilles Jobin (c) Thierry Burlot


La chorégraphie de Gilles Jobin «Black Swan» était annoncée comme une soirée dédiée à la danse «pure». Dans le cadre des «Festival novelles», l’artiste et sa troupe étaient invités au «Pôle Sud» à Strasbourg.

Les divers supports annonçant le spectacle spécifiaient également que le titre «Black Swan», «Signe Noir» faisait référence à la théorie de falsification de Sir Karl Popper. C’est une information complémentaire, soit, mais qui ne dit pas grand-chose sur la pièce elle-même.
Gilles Jobin a beau le prétendre, ce soir-là, on a tout vu, sauf de la danse «pure», c’est-à-dire, de la danse qui ne se rapporte qu’à elle-même, comparable à ce que l’on appelle dans le domaine musical la «musique absolue», une musique à laquelle on n’impute pas de programme. Si l’on ne tient pas compte de ces indications et on se contente de suivre la pièce et son déroulement logique sans idée préconçue pour chercher à la comprendre ensuite, il est clair que Jobin nous emmène subtilement très loin – jusqu’à dans notre propre enfance.

Il nous ramène à cette époque où nous avons commencé à nous découvrir nous-mêmes pour la première fois. On peut interpréter les longs passages fluides du début dans ce sens : deux danseuses ne sont occupées qu’avec elles mêmes. Quand deux danseurs les rejoignent, elles ne font que s’appuyer sur eux. Jobin nous transporte, même si ce n’est que subtilement, dans une période de notre vie où nous jouions avec des poupées et des peluches, où nous nous mettions à leur place pour finalement nous identifier totalement avec eux. Dans le passage où, accompagné par un deuxième danseur, il saute joyeusement sur la scène, les mains dans des poupées en peluche, représentant des lapins gris avec de longues oreilles, il nous fait nous remémorer la joie que nous éprouvions en plongeant dans le monde d’un être imaginaire.

A ce voyage dans notre intérieur, à notre propre découverte, ont suivi les jeux avec les autres : Les parties de chat, de cache-cache et les bagarres, où, dans le feu de l’action nous ne savions plus, finalement, où finissait notre propre corps et où commençait celui du copain! Gilles Jobin a trouvé un tableau concluant pour montrer ceci : Une «pelote» humaine de 4 personnes roulait avec quelques chevaux en tissus sur la scène. Ils glissaient plutôt les uns par-dessus les autres sans que l’on puisse vraiment distinguer les différents corps en tant que tels. La danse moderne utilise souvent cette image, mais en y ajoutant des animaux en peluche, Jobin trouve une façon très personnelle de s’exprimer. A l’aide de quatre tableaux différents, Jobin montre les différents stades de l’évolution infantile, commençant par la prise de conscience de son propre «moi», passant par l’échange avec les autres jusqu’à, dans le cadre d’un jeu stratégique, emmener les amis là où l’on veut les emmener – ce qui relève presque de la manipulation machiavélique.

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Black Swan de Gilles Jobin (c) Thierry Burlot

Que l’envie de découvrir un outil inconnu était le moteur principal de cette chorégraphie devient une évidence, quand on met des bâtons longs de plusieurs mètres entre les mains des danseurs qui s’en servent comme une prolongation de leurs bras. Ils les passent sur le sol. Les bâtons se croisent, s’entremêlent, sans pour autant s’accrocher : Une belle image pour nous faire retrouver notre propre joie. Celle que nous éprouvions en découvrant un nouveau jouet.
Le tableau suivant, où les danseurs poussaient une bonne dizaine de chevaux en peluche avec ces mêmes bâtons, introduisait ce que l’on peut communément appeler «la vie d’adulte».
Et à ce moment précis, la chorégraphie de Jobin s’est arrêtée net.

Il est possible, que les idées et l’imagination de Jobin aient suivi un autre scénario que le mien. Il est possible, que certains spectateurs n’aient vu dans cette pièce que de la «danse pure». Pour moi, «Black Swann » était une source de réflexion qui m’a rappelé également à quel point cela a été merveilleux, de découvrir le monde. Et j’étais enchantée de me rendre à l’évidence que l’action artistique nous donne les outils pour nous permettre de replonger intensément dans nos souvenirs, si lointains soient-ils !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Un livre est une idée – est un livre!

Un livre est une idée – est un livre!

Georges Appaix et la compagnie «La Liseuse»  avec le «sextet mouvementé pour salle de lecture».

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Cie la liseues - (photo: Georges Appaix)

Dans le cadre du «Festival nouvelles» à Strasbourg, le centre de manifestations culturelles «Pôle Sud» a organisé une performance de Georges Appaix et de sa troupe dans la médiathèque André Malraux.

Tout spécialement pour la salle de lecture, appelé «Stammtisch» en alsacien,  Appaix a conçu une pièce autour, dans, sur et sous les livres. Et tout cela est à prendre à la lettre : Le public, placé autour des longues tables de bibliothèque, était entouré par des paroles et par des gestes, par des rythmes tapés et parlés ainsi que par de la danse et de l’acrobatie. Les situations comiques se succédèrent: Dans une confusion totale, qui n’en était pas une, bien au contraire, les acteurs se mettaient mutuellement un livre après l’autre entre les mains juste pour commenter brièvement que ce n’était pas celui-là qu’ils avaient cherché. Ou alors, ils cherchaient des livres qui semblaient être classés par ordre alphabétique. Faux! Pour finir, leur classement suivait une toute autre logique alphabétique que celle dont on a l’habitude.

Ces moments étaient interrompus par des actions diverses, parfois très intimes: Chaque acteur, muni d’un livre s’est approché de très près de deux ou trois personnes dans le public, suffisamment près pour pouvoir faire la lecture à voix basse. Une très belle leçon qui montre combien la parole peut être captivante, à quel point elle attire toutes les attentions et que son pouvoir d’attraction est magique! Les passages rythmiques, crées par l’utilisation des livres comme instruments de percussion, ont accompagné les parts dansés. De cette façon des conflits à l’intérieur du couple, des processus de dynamique de groupe ou alors de la gymnastique, pour laquelle on a utilisé des livres, plutôt que des balles, ont trouvé leur moyen d’expression.

L’action était complétée par des éléments qui ont donné à ce lieu une dimension théâtrale et muséale complémentaire: comme par exemple d’énormes présentoirs, sur lesquels les livres formaient des constructions sculpturales ou alors un livre surdimensionné, sur lequel la seule femme de la troupe, une immense paire de lunettes sur le bout du nez, lisait debout. De temps en temps elle jetait un regard instructif par-dessus le bord de ses grosses lunettes  sur le public. Des jeux linguistiques à la signification très complexe et hautement philosophique ont fait face à une sorte d’exercice pratiquée par de jeunes enfants à l’école élémentaire pour  former des chaînes de phrases.

Bref, pas un mot n’est resté sur un autre. Georges Appaix est un artiste qui réussit deux choses à la fois : il enlève le nimbus intellectuel au livre, qui est l’un nos biens culturels les plus précieux, pour, sans que l’on s’y attende, le recréer à un autre endroit.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

L’art : A-t-il sa place au musée ou dans la rue?

L’art : A-t-il sa place au musée ou dans la rue?

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Paloma Calle (c) ohne copyright


Avant que le public entre dans la salle on lui remet des audiophones précisant qu’il ne faut pas mettre le volume trop fort et que les audiophones sont nécessaires, car Paloma Calle parle espagnol.

Une fois la lumière éteinte, une écriture projetée sur l’écran nous demande, tout comme nous l’avons l’habitude de l’entendre dans un avion, d’attacher nos ceintures et de remonter nos sièges – et c’est sûr : Nous allons décoller. Nous allons nous envoler dans l’univers d’une artiste qui, pendant les deux heures suivantes, réfléchira sur toutes sortes de choses : Sur l’art, sur l’éphémère, sur des actions artistiques ainsi que sur une partie très intime de sa propre vie. Dans le cadre du «festival nouvelles», la jeune espagnol montre son travail, une performance scénique qui fait appel à la participation du public et qui se situe entre nourriture légère et philosophie profonde, au MAMCS, le «Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg».

Avec ce travail, elle tâte le pouls à une époque où le cœur bat pour des projets «cross-over» tel que celui-ci. Sa performance se compose de trois parties. Pour commencer, elle offre Paloma Calle. Sa personne, en tant que femme, qui perd la voix devant le microphone et qui essaie encore et encore de dire quelque chose pour finalement rester muette. Une inscription sur son teeshirt, dévoilée au bout d’un certain temps, dit que «C’est une performance ennuyeuse». C’est son propre persiflage de son apparition sur scène, une scène qu’elle quitte peu de temps après, toujours muette.

«Du vide» c’était le titre d’une des performances d’Yves Klein organisée en 1958 dans une galerie vide, mis à part quelques accessoires lui appartenant. Calle reprend cette expression artistique et la pousse en quelque sorte à l’extrême en créant le vide sur scène. Un vide qui exige malgré tout une certaine participation de la part du public, qui perçoit ses propres pensées, qui sont légèrement canalisées – sans pour autant être dirigées – par une voix douce, enregistrée, qui fait référence à la littérature.

Quelques instants plus tard, elle se sert de l’art vidéo et de ses possibilités magiques, pour paraître en personne à l’écran, sur lequel il y avait encore des nuages blancs dans un ciel bleu peu de temps auparavant, pour interpeller nommément tout un chacun. Elle demande à tous de la suivre. Et c’est ainsi que le public accompagné par Calle prend le chemin à travers le musée pour finalement le quitter. Elle nous emmène sur un chemin pavé d’actions artistiques: Par exemple, elle dessine avec des craies nos silhouettes sur le mur d’une maison, elle fixe des polaroïds pris du groupe sur le grillage devant une fenêtre ou, ce qui fait une belle peur à tout le monde, se fait voler son sac à main par un bandit. Seulement quand elle finit par attraper le «voleur» pour entonner avec lui la chanson «There’s no business like show-business» accompagnée par une musique enregistrée sur bande, la tension tombe. Peu de temps avant cela, nous étions encore en train de nous promener comme sculpture sociale vivante. Serrés par une bande semblable à celles qui indiquent une zone de travaux, nous avons parcouru quelques mètres tels une «créature-cellule». Les «One minute sculptures» d’Erwin Wurm sont ici enrichies d’une dimension collective. Notre chemin mis en scène par Calle est un parcours d’aventures d’un genre à part. Des réflexions sur la production artistique, la joie de vivre, des états de choc et celles concernant notre propre disparition se déversent sur nous en peu de temps. Et tout cela dans la rue, un milieu social et ouvert, loin de l’art muséal.

Paloma

Paloma Calle, Simple present / Present de indicativo (c) ohne copyright


De retour dans le milieu protégé de l’art, dans l’auditorium du musée, nous déposons tous un petit sac en papier, dans lequel nous avons glissé auparavant un petit «cadeau» : de petites pierres, en passant par des cartes de visites, des feuilles de papier jusqu’aux cannettes froissées: tous ces objets ont fini lors de la dernière heure, trouvés dans un sac à main ou de la rue, dans un petit sac «cadeau». Les objets trouvés sont immédiatement «déclassés» pour devenir «accessoires». Au début euphorique, ensuite ennuyée et presque agacée, Calle déballe tout sur le sol de la scène et évoque en quelques phrases des associations concernant un amour passager.

Suit une interrogation du public, à laquelle il répond à l’aide de petites pancartes «oui» ou «non». Elle résume encore une fois tout ce que Calle a voulu montrer aux spectateurs : La vie, l’art et les intersections des deux. Il n’y a que plus tard que l’on prend conscience que les différentes perceptions dans les différents contextes sociaux et locaux ont agi comme stimulation supplémentaire. Une œuvre vraiment complexe qui occupera notre esprit encore pendant longtemps.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker