Malgré le froid glacial qui règne dehors, il fait bon sous le petit chapiteau du cirque.
Quand la lumière s’allume, on voit un homme bouger maladroitement sur la scène. Il s’agit d’Antoine Rigot, un ancien équilibriste passionné, qui, en l’an 2000, a été victime d’un terrible accident dont il a gardé de très graves séquelles. D’un instant à l’autre, ses rêves s’étaient envolés et tout travail en rapport avec le câble semblait impossible à tout jamais.
Mais grâce à son courage, sa persévérance, une volonté de fer et le soutien de sa partenaire Agathe Olivier, il a réussi l’impensable : Cet homme, éjecté du câble et de sa vie par un coup du sort, a changé d’existence et tire dorénavant les ficelles SOUS les câbles.
Dans le manège, il relate avec très peu de mots, mais de façon poétique et touchante, l’histoire de sa vie et les circonstances de son accident pour ensuite laisser la place aux funambules : Trois hommes et quatre femmes.
D’après le roman du même titre écrit par Maxence Fermine, Rigot a mis en scène la pièce « Le fil sous la neige ». Elle traite de l’art du Haïku, une forme de poésie japonaise et raconte l’histoire tragique d’une jeune équilibriste. L’œuvre qu’il a créée avec sa troupe « Les Colporteurs » n’est pas seulement un hommage à l’art du funambulisme, c’est un hommage à la vie tout court.
Normalement, le funambule est un artiste solitaire qui monopolise à lui seul toute l’attention du public. Dans le cas présent, tout est chamboulé : Ils sont deux, trois, quatre, cinq, six, voir sept à agir ensemble sur le même câble! La plus petite erreur d’un seul d’entre eux les ferait chuter tous! Une incroyable confiance mutuelle et un entraînement sans faille sont certainement indispensables à la réussite d’une telle entreprise. La soirée est décontractée et enjouée, comme si le travail sur un fil était la chose la plus naturelle du monde. Les acrobates courent sur le câble, ils rampent, ils s’y reposent même – allongés sur le dos ! Ils font des saltos époustouflants, glissent sur la tête sur la moitié de la longueur du câble, les jambes écartées. En chaussons rouges de danseuses classiques, les artistes traversent la corde sur les pointes avec autant de facilité, qu’une danseuse étoile pourrait en être jalouse. Les acrobates agissent sur l’ensemble des sept câbles, tendus à des hauteurs différentes : ils sautent de l’un à l’autre, du plus haut au plus bas, mais aussi l’inverse ; ils imitent les débutants qui ont besoin de l’aide des autres pour tenir debout et gesticulent comme des fous pour atteindre l’autre bout du câble, ce qui est évidemment très drôle. Notamment pour les jeunes enfants qui ont acquis leur propre équilibre sur leurs deux jambes il n’y a pas si longtemps. Mais des moments touchants, il y en a d’autres – et non seulement pour les enfants : L’un de ces passages est celui qui illustre l’amour et la confiance. Un homme monte de tout son poids sur la poitrine de sa partenaire qui est allongée sur le câble pour passer par-dessus elle en toute sécurité. L’autre passage magique est le pas-de-deux d’un couple qui accorde son pas entrelacé pour traverser la corde. Cette image est aussi celle de notre propre numéro de funambule, cherchant l’équilibre dans l’amour et la vie à deux. Tout cela est très loin de l’ivresse d’altitude.
Ce soir, Antoine Rigot ne raconte qu’une petite partie de son histoire pour laisser assez d’espace à ses acrobates, hommes et femmes et leur permettre ainsi de s’exprimer eux-mêmes, tout en faisant référence aux courts Haïkus. Julien Posada déborde d’énergie et de drôlerie en exécutant des sauts et des saltos qui vous font retenir votre souffle. Sanja Kosonen aux longs cheveux roux grimpe sur la corde pentue, sans chaussures, tout naturellement, comme si elle était un chamois et non pas une petite femme menue et fragile. Florent Blondeau et Andreas Muntwyler rivalisent en faisant des courses de vitesse afin d’obtenir les faveurs des belles, Molly Saudek et Ulla Tikka qui font savamment valoir leur beauté et leur jeunesse avec des gestes superbes. Agathe Olivier supervise le tout en « grande dame » avec une élégance qui lui permet même de parader sur le câble en talons aiguilles. Le spectacle est accompagné par le groupe « Wildmimi Antigroove Syndicate ». Les trois membres du groupe font preuve de beaucoup de sensibilité musicale et ne perdent à aucun moment les acrobates de vue.
A la fin de ce show éblouissant, Antoine Rigot revient sur scène pour faire comprendre qu’il a trouvé sa place comme « Primus inter pares » SOUS la corde. Mais il n y a pas que sa mise en scène qui force l’admiration. L’admiration vaut aussi pour le fait qu’il a réussi à libérer ses acrobates de la peur qu’ils ont certainement ressentie quand ils ont entendu parler de son accident pour la première fois, ou alors, quand ils y ont été confrontés. Ce corps, qui ne traversera plus jamais une corde leur rappelle à tout instant leur propre vulnérabilité et l’omniprésence de la faute, toujours possible.
Ainsi, « Le fil sous la neige » est un chef d’œuvre d’un point de vue artistique ET psychologique !
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
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