par Michaela Preiner | Avr 28, 2010 | Oper, Oper
Macbeth à l`opéra national du Rhin à Strasbourg (c) Alain Kaiser
Un immense mur en bois, en biais, aussi large que la scène, complété à ses extrémités, en direction du public, par deux grossières cloisons en planches perpendiculaires. Des détritus qui laissent subodorer la décomposition de corps humains et un éclairage impressionnant réalisé par Bruno Poet qui décuple les émotions ou alors les diminue, selon les exigences du livret : Il n’en faut pas plus pour constituer le décor idéal pour « Macbeth » de Verdi. Si ! A ne surtout pas oublier les trois femmes acrobates dynamiques qui animent, suspendues par des cordes, le mur en bois. Dans le style de Batwomen, mais avec des nattes blanches jusqu’aux reins, elles symbolisent les trois sorcières qui, dans l’œuvre de William Shakespeare, prédisent l’avenir à Macbeth. Verdi a remplacé ces trois sorcières par un chœur de trente personnes privant de la sorte le public de la possibilité de se délecter des trois êtres d’un autre monde. Francisco Negrin qui signe la mise en scène de la représentation à l’Opéra du Rhin a eu l’idée géniale de rendre les trois personnages effrayants à nouveau visibles. Et cela n’a pas été la seule idée ingénieuse du metteur en scène. Le fait de se contenter d’un décor unique, faisant visuellement abstraction des tous les lieux de l’action indiqués dans le livret, était un coup de génie. De cette façon, Negrin réussit à transposer l’action de l’extérieur vers l’intérieur. Il démontre que c’est uniquement l’infamie humaine, nourrie de détresse, de soif de pouvoir et de peur qui fait de Macbeth et de sa femme des assassins qui tuent tous ceux qui pourraient les empêcher d’accéder au pouvoir et de le garder.
L’idée de ces motifs infâmes qui relève d’habitude plutôt d’une image abstraite, est dans la mise en scène de Negrin claire comme de l’eau de roche. Le désir d’enfant, symbole du maintien et de la continuité d’une dynastie est le ressort qui fait naître le mal dans la maison Macbeth. Des enfants, de petites poupées qui passent de main en main dans le chœur des sorcières, un nourrisson animé, factice, dont Lady Macbeth accouche dans un cauchemar, jusqu’à la horde mimant la descendance poignardée sans aucune pitié par Macbeth sur la scène : Ils sont tous le symbole du désir dévorant, surtout celui de Lady Macbeth de prendre position tout en haut, dans les hauteurs, où l’avenir semble clair et lumineux et avant tout assuré pour les générations à venir.
Macbeth à l opéra national du Rhin à Strasbourg (c) Alain Kaiser
Chez Verdi, on assassine en coulisses, dans la mise en scène strasbourgeoise, le public assiste à chacun des meurtres en direct. Le désespoir qui se dessine sur les visages des enfants face à leurs pères assassinés, annonce un avenir malheureux. C’est l’évidence même que les conséquences des actes violents seront essentiellement assumées par les générations suivantes – un problème d’une actualité mondiale ! La question, si ce sont les liens du destin, noués encore et toujours autour des protagonistes qui sont responsables du massacre, ou alors si la responsabilité en incombe exclusivement à Macbeth et sa femme, reste sans réponse. Les poses de souffrance qui vont jusqu’à une scène de crucifixion, pendant laquelle les acrobates restent suspendues pour un long moment, la tête en bas, les bras écartés, indiquent, qu’il n’y aura pas non plus de rédemption métaphysique.
L’orchestre symphonique de Mulhouse était dirigé avec tant de subtilité par le chef d’orchestre espagnol Enrique Mazzola, que c’était un véritable enchantement. La force de Mazzola n’est pas seulement d’avoir réussi une performance globale, très proche de l’écriture originale, mais elle réside aussi et surtout dans le fait qu’il a su utiliser brillamment une dynamique très différenciée : Forte, jusqu’au fortissimo fff, piano, jusqu’au pianissimo ppp et encore davantage, jusqu’à la limite du perceptible. C’est un défi majeur, surtout pour les instruments à vent qui ont merveilleusement bien réagi. Le mélange des styles musicaux de Verdi semble dans cette mise en scène particulièrement décalé. Surtout les chœurs d’où semble émaner une musique joyeuse sont en porte-à-faux total avec le message qu’ils véhiculent. Mais tout ceci est porté à merveille par l’ensemble des participants.
Elisabete Matos, Lady Macbeth, est très convaincante dans ce rôle de la persiffleuse qui est loin d’être un second rôle dans cette représentation. Dans la scène où elle tue de ses propres mains le fils de Macduff sa voix reste clairement audible même accompagnée par les nombreuses voix du chœur. Macbeth est interprété par Bruno Caproni. Son baryton chaleureux s’est renforcé au fil de la soirée et a fini par glisser dans une expression qui l’identifiait aussi bien comme acteur que comme victime. Une merveilleuse évolution progressive. Sebastien Na, dans le rôle de Macduff avait droit aux acclamations spéciales de la part du public. Et à juste titre ! Sa voix est brillante, claire, sans obéir à une quelconque pression, elle remplit l’espace – c’est tout simplement beau. Wojtek Milek en Banco et Enrico Casari dans le rôle de Malcolm étaient aussi convaincants et ont complété harmonieusement la distribution vocale
Avec l’engagement de Negrin, Marc Clémeur continue à écrire le feuilleton à succès, commencé cette saison avec Richard III. Il sait dénicher des metteures et metteurs en scène, capables d’interpréter les pièces dans un esprit contemporain et de faire opérer la magie de la modernité sur une scène d’opéra, tout en restant dans un certain cadre pour s’assurer la compréhension du public.
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
par Michaela Preiner | Avr 22, 2010 | Oper, Oper
Saisonvorschau Opéra national du Rhin 2010/2011 (c) ONR
La programmation de la saison 2010/2011 à l’Opéra du Rhin à Strasbourg
Sierva Maria, Hélène, Brunehilde, Norina, Emilia Marty, Constance et Ophélie : elles ont toutes la chance – ou la malchance – d’être des femmes de caractère. Et c’est précisément pour cette raison que tout au long de la saison 2010/2011 que l’on pourra les admirer sur la scène de l’Opéra du Rhin, appelé aussi l’Opéra d’Europe depuis qu’il est sous la direction de Marc Clémeur.
Opéra national du Rhin.
Le fil conducteur de la programmation « s’enroulera » autour de ces personnages d’opéra qui, pour la plupart, ne sont pas inconnus pour les amateurs du genre, mais dont quelques uns resteront néanmoins à découvrir.
Comme par exemple, Sierva Maria, la jeune fille de « Love and other demons » dont un prêtre tombe éperdument amoureux. Ce roman d’une actualité brûlante, écrit par Gabriel Garcia Marquez, a été mis en musique par le hongrois Peter Eötvös. C’est avec cette pièce que débutera la saison 2010/2011 à Strasbourg, car depuis de nombreuses années déjà, la nouvelle saison est introduite par une œuvre contemporaine. Et ceci pour une raison évidente : A la même époque se déroule le festival « Musica » à Strasbourg, un festival de musique contemporaine d’une qualité exceptionnelle. Les productions à l’opéra en constituent l’un des points culminants.
Cette année, le cycle « Leoš Janáček » continuera avec « l’Affaire Markopoulos ». Une pièce qui traite de la problématique de la vie éternelle qui finit par être insupportable pour son héroïne Emilia Marty. Robert Carson, très attendu après son fulminant Richard III pendant la saison en cours, signera la mise en scène.
« Hamlet » d’Ambroise Thomas avec Stéphane Dégout dans le rôle titre,
s’inclinera devant le public français et s’ajoutera à d’autres drames de Shakespeare mis en musique, présentés à Strasbourg.
David Mc Vicar, l’un des plus grands metteurs en scène de sa génération a accepté de venir à Strasbourg pour travailler sur « Le Crépuscule des Dieux ». Un évènement majeur auquel se prépare l’OPS sous la direction de Marko Letonja. Ayant déjà collaboré avec succès à plusieurs reprises avec ce chef d’orchestre, Marko Letonja n’est pas inconnu pour l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
« Simon Boccanegra » de Verdi, mis en scène par Keith Wartner, « Don Pasquale » de Donizetti, mis en scène par Nicola Glück et « L’Enlèvement au Sérail » de Mozart, mis en scène par Waut Koeken sont toutes des productions nouvelles à l’Opéra du Rhin à Strasbourg.
« La belle Hélène » de Jacques Offenbach, créée en 2006/2007 qui doit son succès à Mariame Clément, sera prolongée.
Cette année, les enfants ont réservé un accueil enthousiaste, jamais vu dans les opéras français à «Aladin et la Lampe merveilleuse ». La saison prochaine, ils pourront voir et entendre « Ali Baba et les 40 voleurs » de Luigi Chérubini. Les efforts de Marc Clémeur d’assurer la relève du public d’opéra continuent!
L’Opéra du Rhin à Strasbourg qui dispose de son propre corps de ballet dirigé par Bertrad d’At propose pour les amateurs de danse:
La soirée « Empty Spaces » avec deux mises en scène : « Observation Action » une œuvre du Chorégraphe Emanuel Gat et « Empty House » de Johan Inger, qui lui a déjà travaillé à l’opéra pendant la saison en cours.
Bertrad d’At signera lui-même la chorégraphie du « lac du signe ».
Une soirée russe avec « Le sacre du printemps » de Stravinsky, « Chout » de Prokofiev et « Le baiser de la fée » de Stravinsky, ainsi que la mise en scène du « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare d’après la musique de Felix Mendelssohn (Fehler), chorégraphiée par Matthieu (Fehler – 2 t) Guilhaumon complèteront le programme de la nouvelle saison.
Comme tous les ans, l’Opéra National du Rhin – l’Opéra d’Europe – dédiera aussi pendant cette nouvelle saison trois soirées à trois cantatrices et chanteurs. Une tradition qui fait depuis toujours l’unanimité auprès du public strasbourgeois. Vesseline Kasarova, Christan Gerhaher, Olga Pasichnyk, Pavol Breslik, Anna Caterina Anatonacci et Matthias Goerne vont enchanter le public avec leurs superbes voix. Pendant la saison 2010/2011 toutes ces représentations auront lieu exclusivement le soir. Cela fera certainement venir un public encore plus nombreux !
L’augmentation du public allemand de 10 % montre, que l’ouverture de l’opéra au-delà des frontières du pays, souhaitée ardemment par son directeur Marc Clémeur, est une réussite. Les annonces bilingues et les représentations sous-titrées contribuent considérablement à abolir la barrière linguistique entre les deux pays. Tout ceci incite les spectateurs germanophones à venir de plus en plus nombreux en France. Un merveilleux succès, dont la prolongation semble déjà être au programme.
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
par Michaela Preiner | Fév 11, 2010 | Oper, Oper
Ariadne auf Naxos à l`Opéra du Rhin à Strasbourg (photo: Alain Kaiser)
Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss avaient imaginé autre-chose. Mais à peine 100 ans après la création de l’opéra « Ariane à Naxos », le metteur en scène André Engel a pris la liberté d’en modifier l’interprétation. Engel est un familier des œuvres des autrichiens Hofmannsthal, Ödön von Horvath, Franz Kafka ou alors Thomas Bernhard. Le transfert de l’action de l’Autriche vers le sud méditerranéen, permet une approche contemporaine du sujet. Le résultat est encore visible à l’Opéra du Rhin à Strasbourg jusqu’au 20 février.
La représentation strasbourgeoise situe l’histoire dans les années cinquante du 20e siècle. Elle parle d’un riche homme d’affaires qui a commandé un opéra et un morceau de danse.
Jusqu’à l’apparition de Bacchus, le tout reste léger, dans le genre « Opéra bouffe ».
Contrairement à Hofmannsthal, Engel ne propose pas vraiment de fin conciliatrice. Son Ariane à lui ne se rend pas compte du nouvel amour. Bacchus doit quitter la scène en catimini, comme un coquin qui aurait cherché à obtenir quelque chose de pas convenable.
C’est précisément cette lourdeur qu’Engel laisse planer sans proposer de solution. Même Zerbinetta qui souligne encore une fois les jeux changeants de l’amour lors de sa dernière apparition n’a rien de valable à y opposer.
Engel élargit le sujet de fond, « le théâtre dans le théâtre » ou plus précisément ici « l’opéra dans l’opéra » de deux dimensions supplémentaires. Il situe le deuxième acte de l’opéra d’Ariane non pas sur une scène d’opéra imaginaire, mais à la plage de Naxos. Même si, puisque nous nous trouvons à l’opéra, celle-ci est tout aussi imaginaire. Grâce à cette astuce d’Engel, le public arrive à s’identifier beaucoup plus facilement avec la souffrance d’Ariane – comme si elle présentait son lamento dans une boite à images devant un mécène. Le deuxième entrelacs – les costumes des chanteurs et des danseurs italiens – est pensé comme un clin d’œil. Les chanteurs et danseurs ne se présentent pas, comme ils sont censés le faire, dans leurs costumes empruntés à la Commedia dell’arte mais plutôt en parodies des Marx Brothers. Les Marx Brothers ont créé le film « une nuit à l’opéra » en 1935 qui parle – un peu comme dans le livret de Hofmannsthal – de l’influence de l’argent d’un mécène richissime sur les idées artistiques.
Ariadne auf Naxos avec Libor et Novikova à Strasbourg (photo) Alain Kaiser
Le majordome est incarné par Ruth Orthmann, qui représente la puissance avec une voix puissante. Le coté caricatural du personnage se retrouve en la personne de Bacchus, vêtu d’un teeshirt court et tout en sueur. En marin échoué et tatoué, il cherche à obtenir les faveurs d’Ariane.
Le décor en revanche reste discret. Le palais d’été du premier acte, légèrement suranné et décrépi, fait fortement penser au romantisme et cadre avec la musique de Strauss sans grands frottements. Il transmet ce que l’on imagine de l’improvisation, du chaos artistique et de la dolce Vita à laquelle s’adonne la haute société. Les plaques de roche tectonique du deuxième acte, fortement délimités de la mer bleue, qui s’insère comme une crique, permettent des liens directs avec les recoins et les bords abrupts, les profondeurs de l’âme humaine. La famille des mécènes, mais aussi tous les autres spectateurs, comme le compositeur ou le professeur de musique semblent au cours de l’action dépassés par le coté dramatique d’Ariane et quittent la scène les uns après les autres. Jusqu’à ce que ne reste plus qu’Ariane allongée par terre, seule, séduite par le jus de raisin pressé par Bacchus.
Uniquement ceux qui connaissent bien le sujet peuvent comprendre la profondeur métaphorique qu’atteint l’opéra grâce à la mise en scène d’Engel qui croise le mythe antique d’Ariane avec une action plate contemporaine. Avec cette interprétation, Engel écrit un nouveau chapitre dans le livre des pratiques de représentation d’Ariane. Et grâce à son coté pluridimensionnel, pas le moindre !
Christiane Libor chante Ariane avec une voix exceptionnelle. Son soprano plein mais toujours doux répand la joie et attire la compassion avec chaque note. A ses cotés, Michael Putsch en Bacchus sonne métallique, mais sa technique respiratoire est distinctement différente de celle de Libor. Julia Novikova, Zerbinetta, est idéalement distribuée, et non seulement d’un point de vue vocal ! Elle maîtrise ses arias difficiles sans exagération et correspond en plus physiquement parfaitement à l’idéal de la femme fatale des années trente.
La distribution des trois nymphes mérite d’être soulignée : Anaïs Mahikian, Eve-Maud Hubeaux et Anneke Luyten sont tellement convaincantes dans les trios de Strauss qu’on aurait envie de les entendre en boucle.
Tous les autres rôles étaient également très bien choisis. L’orchestre symphonique de Mulhouse sous la direction de Daniel Klajner a offert une prestation solide. Spécialement intéressant était l’interprétation de l’ouverture, où Strauss mettait de façon efficace musicalement le monde du divertissement léger en opposition avec celui qui peut être considéré comme plus sérieux.
Une soirée à l’opéra qui ne s’épanouit pleinement – tel un goutte à goutte – qu’après absorption de toute la dose. Le programme qui l’accompagne est donc obligatoire !Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
par Michaela Preiner | Déc 19, 2009 | Oper, Oper
Cosi-fan-tutte Straßburg (Photo: Alain Kaiser)
Avec la programmation de son œuvre « Cosi fan tutte » l’Opéra national du Rhin à Strasbourg a mis Wolfgang Amadeus Mozart à l’honneur pendant ce mois de décembre.
La reprise de la mise en scène de David Mc Vicar de 2005 a présenté de nouvelles voix et comme il y a quatre ans déjà, elle a séduit par son incroyable décor dont on ne peut se lasser. Les deux rochers réalistes entourés d’eau au centre de la scène étaient chargés de métaphores : Ils étaient le symbole de la constance voire de l’infidélité des deux sœurs Fiordiligi et Dorabella. Elles ont juré fidélité éternelle à leurs fiancés respectifs Ferrando et Giulielmo avant que ceux-ci ne partent pour la guerre. Mais l’éternité dans ce cas précis n’a duré qu’un seul jour.Avec Jacqueline Wagner et Stéphanie Houtzeel, l’intendant de l’Opéra du Rhin Marc Clémeur a choisi deux voix très équilibrées et merveilleusement complémentaires. Elles ont coexisté à égalité sans rien perdre de leurs qualités respectives. La voix de Jacqueline Wagner est restée très claire et sure même dans les aigus tout comme celle de sa partenaire Stéphanie Houtzeel. La mezzo-soprano à la voix au timbre légèrement plus bas n’a pas non plus montré d’incertitude et a été un enchantement tout au long de cette soirée. La distribution des rôles des deux femmes était une réussite autant sur le plan vocal que physique.
A leurs cotés se tenaient le ténor Sébastien Droy , dans le rôle de Ferrando et le baryton Johannes Weisser qui tous deux chantaient aussi à un niveau parfaitement égal. Même s’ils avaient besoin d’une période d’échauffement pour que leurs voix atteignent le sommet.
La mise en scène de Mc Vicar permet une interprétation compréhensible du livret qui est souvent considéré comme grotesque. Il a eu la bonne idée de faire regarder vers le futur non pas les deux couples amoureux du début de la pièce, mais les couples dans leur nouvelle configuration. Ce sont eux qui auront encore une fois le courage d’envisager un avenir à deux. Après les différentes trahisons c’est bien la seule fin logique à laquelle on peut adhérer.
La principale qualité du décor de Yannis Thavoris réside dans sa faculté à amener pour de bon le spectateur dans des contrées tempérées italiennes. Tant et si bien qu’il n’a pas la moindre envie d’en sortir pour retourner dans la nuit froide. Ainsi, la scène dans laquelle les deux sœurs rencontrent leurs nouveaux soupirants qui sont en vérité leurs fiancés déguisés, respire littéralement la chaleur d’une nuit d’été, éclairée à la lueur des lampions. La lumière de Paule Constable contribue considérablement à ces moments de bien-être. Hendrickje Van Kerckjove qui joue Despina, la femme de chambre, mais aussi le docteur et l’avocat, a brillé par son énergie indomptable. Finalement, elle doit reconnaitre qu’on s’est servi d’elle, mais elle ne finit pas aigrie pour autant. Don Alfonso, Peter Savidge, qui convainc les deux jeunes gens que leurs femmes ne sont pas des déesses au dessus de tout soupçon, s’est exprimé tout au long de la soirée avec une malice souveraine, bien servie par son baryton svelte. Ottavio Dantone était chargé de la direction musicale de l’orchestre philharmonique de Mulhouse. Grâce à son ensemble réduit aux dimensions baroques, il a réussi à rapprocher de très près la sonorité de l’orchestre à la couleur musicale historique. De plus, la structure de la musique en devenait quasi transparente. L’interlude exclusivement instrumental pour introduire la scène de nuit s’est transformé en évènement de musique de chambre. Pas une seule fois, les chanteurs et cantatrices étaient obligés de lutter contre l’ensemble, bien au contraire: La formation était plus que convaincante par la tendresse de l’interprétation que Dantone a mise au service de la musique de Mozart.
Cosi-fan-tutte Straßburg (photo: Alain Kaiser)
Les rochers brisés en mille morceaux à la fin de la pièce sont bien entendu une allusion à la défaillance et l’infidélité. Mais ceci laisse subodorer un renouveau, la renaissance de quelque chose de vivant.
Une belle fin qui permet au public de se réconcilier avec les égarements psychologiques et qui ne laisse pas peser le sentiment de culpabilité uniquement sur les épaules des femmes.Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker
par Michaela Preiner | Oct 21, 2009 | Oper, Oper
« Louise » de Gustave Charpentier à l’Opéra du Rhin à Strasbourg
Nataliya Kovalova als Louise, (c) Alain Kaiser
« Louise », une œuvre de Gustave Charpentier rarement jouée renaît dans une nouvelle mise en scène à l’opéra du Rhin à Strasbourg. Sous la direction musicale de Patrick Fournillier et mis en scène par Vincent Boussard, l’innocente jeune fille Louise se métamorphose en une femme émancipée, qui prend contre la volonté de ses parents sa vie en main.
Ce qui semble aujourd’hui presque banal, car quotidien, était en 1900, l’année de la première de cette pièce, presque une révolution à l’opéra comique de paris. Charpentier, le compositeur et auteur du livret, avait conscience de vivre à une époque charnière. Beaucoup de principes, jusque là considérés comme immuables étaient remis en question. Le libre arbitre, le droit de décider soi-même de sa propre vie faisaient partie de ces nouvelles interrogations.
« Tout être a le droit d’être libre ! Chaque cœur a le devoir d’aimer ! » Ces mots prononcés par son amant Julien tel un discours-programme, ouvrent les yeux de Louise et la libèrent de la mauvaise conscience que lui avaient inculquée ses parents.
Le père, magistralement interprété par Philippe Rouillon, qui au début soutient encore les efforts que fait sa fille pour couper le cordon ombilical, s’endurcit et devient tellement amer au fil des évènements, qu’il finit même par renier sa fille. Louise, Nataliya Kovalova, se transforme peu à peu : L’adolescente insolente au look qui n’a rien à envier à celui de Björk devient une femme fatale en robe rouge, brûlant d’amour et exigeant son droit à l’auto-détermination. Ce soprano, ample et claire deviendra à coup sur une voix de caractère. Ce potentiel ne demande qu’à se développer. Un choix précautionneux des futurs rôles qui devront ménager cette jeune voix y contribuera avec efficacité.
Calin Bratescu, le jeune ténor roumain, qui chante pour la première fois loin de son pays natal a passé son épreuve du feu avec succès. C’est un partenaire sensible pour Louise, même si c’est lui qui est à l’origine de la zizanie au sein de cette famille. Il exprime sa liberté d’esprit en tant que poète. Et c’est cet esprit indépendant qui aide Louise non seulement à se défaire du corset des contraintes familiales mais aussi de quitter son lieu de travail, où elle gagne contrainte et forcée péniblement sa vie comme couturière.
C’est au deuxième acte où Vincent Boussard réussit particulièrement bien à démontrer les parallèles entre la liberté de penser et la liberté du travail. Hommes et femmes se hâtent dès le matin pour se rendre à leur travail, tout en déposant les enfants à l’école. Les scènes dans l’atelier de couture où une armée d’ouvrières s’attèle à sa tâche. Le salaire de ces femmes n’a aucun rapport avec le prix ruineux des robes qu’elles fabriquent. Le sans-abri en loques, charriant tous ses biens dans des sacs en plastique, ou le petit mendiant à l’harmonica sont des personnages que l’on peut rencontrer à tous les coins de rue dans n’importe quelle ville européenne.
Kovalova, Bratescu, Tuodorovitch in Louise (c) Alain Kaiser
Le parcours psychologique de la mère, Marie-Ange Todorovitch, est l’inverse de celui du père. Elle et Rouillon forment avec leurs prestations de chant très abouties un contraste conscient par rapport aux voix encore jeunes mais tout aussi impressionnantes de Louise et Julien. Marc Clémeur a fait là un excellent travail, car il est rare d’entendre un contraste si harmonieux et mélodieux entre des voix matures, au sommet de leur art et des voix jeunes et prometteuses.
Le décor est au sens propre du terme « de travers ». Vincent Lemaire se plait dans cette mise en scène à jouer avec des plans en pente. Un fait qui dans la scène qui se situe au dessus des toits de paris constitue un véritable défi d’équilibrisme pour les chanteurs.
Deux idées de la mise en scène semblent pourtant un peu étranges : Tout au début, où la mère qui espionne les amants se trouve dans le champ de vision du couple. Ceci fait penser à une anecdote, où une petite fille demande à sa maman à haute voix en pleine représentation pourquoi personne ne parle à Otello, qui – pourtant visible pour tous – est censé écouter en secret sa Desdemone. Et on aurait pu se passer sans problème de la cannette en fer blanc fixée par un aimant sur les toits pentus – surement l’indice d’une sorte de convivialité dans ces « hautes sphères » – sans perdre une once de qualité. Au contraire, le cliquetis incessant était plutôt source non intentionnelle d’hilarité. La lumière rouge et blanche qui pendant l’aria finale du père où il dégrade Louise de la petite fille innocente à la jeune femme ingrate qui ne pense qu’à elle, souligne les propos paternels. Une preuve que la mise en scène française a une prédilection pour les exercices qui font appel aux sens.
La musique calme et verique de Charpentier, qui peut paraître sur de longs passages même simple, montre son caractère symphonique dans les ouvertures et les passages intermèdes. Les leitmotivs des différentes figures s’imbriquent par moment artistiquement les uns dans les autres, ce qu’illustre particulièrement bien l’ouverture du dernier acte où le motif joyeux et plein de vie de Julien se mêle à celui du père, mélancolique. Le chef d’orchestre Patrick Fournillier lit Charpentier sans hauteurs vertigineuses ni profondeurs extrêmes, sans analyse trop poussée dans le traitement des voix. Avec la conséquence, que la musique est plus proche de la vie de tous les jours que des évènements sur la scène d’un opéra. Mais c’est précisément là où de temps à autre une expression dramatique aurait été la bienvenue.
En résumé : Cette nouvelle mise en scène est, abstraction faite de quelques petites erreurs, du beau travail. Des voix jeunes en plein développement et fort bien distribuées, des interprètes hors pair, représentants de la génération d’avant et une direction d’orchestre calme et consciente nous montrent une interprétation moderne d’une « Louise » que son créateur aurait certainement approuvée.
Louise (c) Alain Kaiser
Traduit de l’allemand par Andrea Isker