Un immense mur en bois, en biais, aussi large que la scène, complété à ses extrémités, en direction du public, par deux grossières cloisons en planches perpendiculaires. Des détritus qui laissent subodorer la décomposition de corps humains et un éclairage impressionnant réalisé par Bruno Poet qui décuple les émotions ou alors les diminue, selon les exigences du livret : Il n’en faut pas plus pour constituer le décor idéal pour « Macbeth » de Verdi. Si ! A ne surtout pas oublier les trois femmes acrobates dynamiques qui animent, suspendues par des cordes, le mur en bois. Dans le style de Batwomen, mais avec des nattes blanches jusqu’aux reins, elles symbolisent les trois sorcières qui, dans l’œuvre de William Shakespeare, prédisent l’avenir à Macbeth. Verdi a remplacé ces trois sorcières par un chœur de trente personnes privant de la sorte le public de la possibilité de se délecter des trois êtres d’un autre monde. Francisco Negrin qui signe la mise en scène de la représentation à l’Opéra du Rhin a eu l’idée géniale de rendre les trois personnages effrayants à nouveau visibles. Et cela n’a pas été la seule idée ingénieuse du metteur en scène. Le fait de se contenter d’un décor unique, faisant visuellement abstraction des tous les lieux de l’action indiqués dans le livret, était un coup de génie. De cette façon, Negrin réussit à transposer l’action de l’extérieur vers l’intérieur. Il démontre que c’est uniquement l’infamie humaine, nourrie de détresse, de soif de pouvoir et de peur qui fait de Macbeth et de sa femme des assassins qui tuent tous ceux qui pourraient les empêcher d’accéder au pouvoir et de le garder.
L’idée de ces motifs infâmes qui relève d’habitude plutôt d’une image abstraite, est dans la mise en scène de Negrin claire comme de l’eau de roche. Le désir d’enfant, symbole du maintien et de la continuité d’une dynastie est le ressort qui fait naître le mal dans la maison Macbeth. Des enfants, de petites poupées qui passent de main en main dans le chœur des sorcières, un nourrisson animé, factice, dont Lady Macbeth accouche dans un cauchemar, jusqu’à la horde mimant la descendance poignardée sans aucune pitié par Macbeth sur la scène : Ils sont tous le symbole du désir dévorant, surtout celui de Lady Macbeth de prendre position tout en haut, dans les hauteurs, où l’avenir semble clair et lumineux et avant tout assuré pour les générations à venir.
Chez Verdi, on assassine en coulisses, dans la mise en scène strasbourgeoise, le public assiste à chacun des meurtres en direct. Le désespoir qui se dessine sur les visages des enfants face à leurs pères assassinés, annonce un avenir malheureux. C’est l’évidence même que les conséquences des actes violents seront essentiellement assumées par les générations suivantes – un problème d’une actualité mondiale ! La question, si ce sont les liens du destin, noués encore et toujours autour des protagonistes qui sont responsables du massacre, ou alors si la responsabilité en incombe exclusivement à Macbeth et sa femme, reste sans réponse. Les poses de souffrance qui vont jusqu’à une scène de crucifixion, pendant laquelle les acrobates restent suspendues pour un long moment, la tête en bas, les bras écartés, indiquent, qu’il n’y aura pas non plus de rédemption métaphysique.
L’orchestre symphonique de Mulhouse était dirigé avec tant de subtilité par le chef d’orchestre espagnol Enrique Mazzola, que c’était un véritable enchantement. La force de Mazzola n’est pas seulement d’avoir réussi une performance globale, très proche de l’écriture originale, mais elle réside aussi et surtout dans le fait qu’il a su utiliser brillamment une dynamique très différenciée : Forte, jusqu’au fortissimo fff, piano, jusqu’au pianissimo ppp et encore davantage, jusqu’à la limite du perceptible. C’est un défi majeur, surtout pour les instruments à vent qui ont merveilleusement bien réagi. Le mélange des styles musicaux de Verdi semble dans cette mise en scène particulièrement décalé. Surtout les chœurs d’où semble émaner une musique joyeuse sont en porte-à-faux total avec le message qu’ils véhiculent. Mais tout ceci est porté à merveille par l’ensemble des participants.
Elisabete Matos, Lady Macbeth, est très convaincante dans ce rôle de la persiffleuse qui est loin d’être un second rôle dans cette représentation. Dans la scène où elle tue de ses propres mains le fils de Macduff sa voix reste clairement audible même accompagnée par les nombreuses voix du chœur. Macbeth est interprété par Bruno Caproni. Son baryton chaleureux s’est renforcé au fil de la soirée et a fini par glisser dans une expression qui l’identifiait aussi bien comme acteur que comme victime. Une merveilleuse évolution progressive. Sebastien Na, dans le rôle de Macduff avait droit aux acclamations spéciales de la part du public. Et à juste titre ! Sa voix est brillante, claire, sans obéir à une quelconque pression, elle remplit l’espace – c’est tout simplement beau. Wojtek Milek en Banco et Enrico Casari dans le rôle de Malcolm étaient aussi convaincants et ont complété harmonieusement la distribution vocale
Avec l’engagement de Negrin, Marc Clémeur continue à écrire le feuilleton à succès, commencé cette saison avec Richard III. Il sait dénicher des metteures et metteurs en scène, capables d’interpréter les pièces dans un esprit contemporain et de faire opérer la magie de la modernité sur une scène d’opéra, tout en restant dans un certain cadre pour s’assurer la compréhension du public.
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
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