Le Festival Musica en habit historique

Le Festival Musica en habit historique


MANTOVANI©Philippe Stirnweiss1 2

Bruno Mantovani (c) Philippe Stirnweiss

Le 30 septembre dernier, dans le cadre du Festival Musica, trois compositeurs totalement différents, appartenant à des époques musicales différentes étaient au programme du concert de l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Ce même programme, qui a déjà été joué gratuitement à Selestat, à Bischwiller et à Saverne, a permis au jeune compositeur Bruno Mantovani d’être au pupitre.

Ce mélange inédit est sans doute le résultat du calcul suivant: jouer deux œuvres flatteuses comme l’ouverture de « Don Giovanni » de Wolfgang Amadeus Mozart et la « Nuit transfigurée » de Schönberg, pour faire valoir les qualités de l’OPS auprès d’un public au-delà des « frontières » de la capitale strasbourgeoise. L’œuvre pour violoncelle, écrite en 2003 par Bruno Mantovani, était considérée comme la référence par excellence du Festival Musica et était dans le même temps le point fort de la soirée.

L’interprétation de l’œuvre de Mantovani par Marc Coppey, le violoncelliste génial de Strasbourg, fut remarquable : son jeu rebelle aux cotés du grand orchestre est resté clair et précis à chaque instant. Coppey a aussi bien réussi à intégrer la voix du violoncelle dans l’ensemble des autres instruments à cordes qu’à la mettre en avant. Son solo, juste avant la fin, partiellement accompagné par une espèce de sonorité inférieure des basses, fut d’une beauté à couper le souffle. Mais cette beauté n’était pas seulement due à l’interprétation du violoncelliste, mais également aux notations de Mantovani, particulièrement réussies à cet endroit. Ce qui en résulte, est un ensemble tout en harmonie et en rondeur. Dans la brève introduction prononcée par Mantovani en personne, le compositeur racontait qu’il avait écrit cette œuvre en hommage à Schumann. Sa transposition, tout en utilisant un grand orchestre traditionnel, devait être «pure» : sans ajout d’instruments à percussion ou d’instruments à vent modernes, sans avoir recours à une quelconque déformation ou bien même à l’électronique. Mantovani s’est également servi de moyens stylistiques bien connus de l’histoire de la musique, comme par exemple l’intégration de la part du violoncelle dans celle des autres instruments ou à l’inverse, sa continuité. Ce qui surprend le plus, c’est que le compositeur a réellement réussi à faire de la musique contemporaine en utilisant un corps sonore historique du 19e siècle.

A l’époque de sa création, l’ouverture de Don Giovanni était annoncée comme une sorte de renouvellement de l’histoire de la musique. Ce soir-là, son interprétation comme celle de l’œuvre de Schönberg qui devait suivre, était solide. L’œuvre de Mozart passe pour celle où le compositeur fait « musicalement » allusion à l’opéra qui suit. La « Nuit transfigurée » de Schönberg a été accompagnée par le poème de Richard Dehmel, ce poème qui a été la source d’inspiration de Mantovani. Il faut souligner la prestation d’Evelyne Alliaume : En tant que maître de concert, elle a superbement interprété toutes les parts solos.

Grâce à l’estime que lui portent les organisateurs, le sympathique Brune Mantovani a pu endosser plusieurs rôles dans le cadre du Festival Musica : celui du pianiste, celui du chef d’orchestre et, bien entendu, celui du compositeur. Mais le public a pu constater que la plus grande force de Mantovani était bel et bien la composition. Reste à espérer que l’on entendra encore beaucoup de ses œuvres à l’avenir !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Le « Klangforum Wien » invité à Strasbourg

Le « Klangforum Wien » invité à Strasbourg

Concert n°16 01©Philippe Stirnweiss

Le « Klangforum Wien » invité à Strasbourg 2

Le « Klangforum Wien », l’un des ensembles de musique contemporaine les plus renommés, a été invité à Strasbourg. Depuis qu’il existe, cet orchestre fondé en 1985, a enregistré plus de 70 CDs et joué plus de 500 compositions contemporaines. A Strasbourg, la formation était dirigée par Peter Hirsch. Dans ses bagages: des œuvres d’Aureliano Cattaneo, de Georges Aperghis et de Bernhard Lang. Pour tous les concerts, ce fut une première en France et, au cours de la soirée cela devenait une évidence, ils furent bien choisis.

L’œuvre « Giano, repainted » de Cattaneo a ouvert la soirée. L’idée de base était la construction de deux niveaux de récits parallèles. Le compositeur s’est inspiré du Janus aux deux visages, capable de regarder en même temps vers l’avenir et vers le passé. Grâce à une instrumentation simple, logique et riche en effets, cette idée a été efficacement transposée dans le monde musical.
Deux quartettes identiques, composés par 2 flûtes, clarinettes, violons et pianos se tenaient face à face comme devant un miroir. Ils ont donné vie à l’idée de Cattaneo, basée sur la perception musicale multiple. Celle-ci, ajoutée à la composition qui dissimulait davantage qu’elle ne montrait, a suscité une interrogation permanente auprès du public, pour tout ce qu’il venait d’entendre et de voir. Où est hier, où est aujourd’hui, comment Cattaneo distingue ces notions ? Où sont les différences et où les similitudes ? Une astuce qui n’a pas manqué de faire son effet.

Pour le « See-Saw » de Georges Aperghis l’ensemble, composé différemment, était organisé encore une fois en face à face comme s’il était placé devant un miroir.

Au centre de l’œuvre se trouve l’évolution du matériel musical de départ. Grâce aux bonnes proportions entre les passages à forte sonorité et d’autres, plus silencieux, la création d’Aperghis atteint un équilibre parfait. Le compositeur en personne définit la concentration finale de toutes les forces atonales qui finissent par se dissoudre dans une variation en decrescendo, comme « paradoxe ». Il fait remarquer que ces petites séquences à peine modifiées finissent par aboutir à un grand ensemble.

L’idée à l’origine de la dernière œuvre de la soirée, « Monadologie VII…for Arnold » de Bernhard Lang, écrite en 2009, était pratiquement la même. Partant de brèves idées musicales aux changements minimes de rythme et de mélodie, le compositeur a créé une œuvre scintillante en plusieurs mouvements. Tant que ces changements prenaient leur point de départ dans une sorte de corset rythmique compréhensible, ils restaient parfaitement identifiables. Seulement pendant la dernière séquence, au cours de laquelle Lang a créé des sons dont la durée pouvait dépasser une ou plusieurs mesures, cette compréhension n’était plus possible. Pour malgré tout pouvoir poursuivre sur cette même lancée, le public qui écoutait ce morceau pour la première fois, ne pouvait que s’appuyer sur la confiance qu’il avait développée jusqu’alors.

L’exigence de cette soirée était double: d’une part elle demandait une grande précision d’exécution aux musiciens. Leur travail était effectivement comparable à l’exactitude du mécanisme d’une horloge. D’autre part cela nécessitait une attention sans faille de la part du public avec, en récompense, de riches enseignements.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Ictus dans l’ivresse du son

Ictus dans l’ivresse du son

Concert n°13 04©Philippe Stirnweiss

L´ensemble belge Ictus au Festival Musica (c) Philippe Stirnweiss

Le 13e concert dans le cadre du Festival Musica était dédié à deux générations de compositeurs. Enchâssée entre une œuvre de Yann Robin (né en 1974) et une autre de Raphaël Cendo (né en 1975), on a pu entendre la passionnante représentation du « Concerto pour un piano-espace n° 2 » de Michaël Levinas (né en 1949).

Cette œuvre, retravaillée en 2010, est basée sur un concert de 1980. C’est un travail sur la déformation électronique des sons des différents instruments. Le piano, d’une résonnance exceptionnelle, y occupe une place de premier ordre. Dans cette nouvelle mouture, dans laquelle le part du piano a été totalement revu, Levinas a mis à profit ses expériences acquises lors de ses dernières compositions ainsi que les moyens digitaux sans lesquels la création du spectre du son, comme il est présenté aujourd’hui, n’aurait été possible.
C’est un bon exemple pour démontrer à quel point la technique intervient dans les schémas de composition des compositeurs contemporains et les influence. En plus de cette résonnance créée électroniquement, l’artiste utilise simultanément un écho, un huitième de ton au dessus. Le son qui en résulte est comme flou et fait penser à un piano mal accordé dans un espace vide. Ceci déclenche d’innombrables images dans les têtes du public.

Il faut ajouter à cela que Levinas travaille avec des mélodies qui entrent facilement dans les oreilles et les souvenirs. Il en résulte un concert qui semble provenir d’un espace temps différent : des sons scintillants, créés avec des flûtes, des lignes de ton qui vont en montant et en descendant et le rajout électronique de sensations sonores, comme par exemple le bruit de la pluie battante – le paroxysme d’une jouissance aussi variée qu’esthétique.

La construction sonore complexe de cette œuvre était d’autant plus frappante, que juste avant elle, on pouvait entendre le « Chants contre champs » de Yann Robin. Ecrite pour cor anglais, tuba et clarinette-contrebasse, la composition laissait libre cours à l’expression musicale des instruments sans avoir recours à la déformation électronique. Le principe d’entrelacer les différentes voix entre elles, de créer des rapports entre elles, de les faire monter par une sorte de surenchère entre elles pour les faire descendre ensuite, c’est un principe que l’on trouve également chez Levinas. Mais Robin l’a élargi à une dimension quasi-psychologique : les interdépendances porteuses de hauteurs comme de profondeurs clairement audibles dans son œuvre et qui sont à l’origine de sa particularité, valent également pour les relations humaines.

Le dernier morceau, « Introduction aux ténèbres » de Raphaël Cendo était une sorte d’entrelacs des expériences auditives décrites précédemment. Tout y était : aussi bien la déformation des sons, que l’expérience sonore directe qui, à travers une voix chantée et narratrice, a fait de l’effet auprès du public.
Une interprétation furieuse de cette ambiance de fin du monde qui s’appuie sur 3 passages de l’apocalypse d’après Jean. Elle était proposée par Ictus, un ensemble belge qui se voue à la musique contemporaine.

Comme l’a constaté le directeur du festival, Dominique Marco, cette composition contemporaine était véritablement une œuvre pour les oreilles ET les yeux. La déformation électronique rendait parfois l’identification des instruments impossible et les visiteuses et visiteurs du concert devaient repérer visuellement les instruments à l’origine de la création des différentes structures sonores.

L’ambiance de fin du monde évoquée dans cette œuvre par Cendo était, comme son exemple littéraire, très structurée.
A aucun moment, George-Elie Octors qui a dirigé l’ensemble, n’a laissé échapper le rythme imposé : Le baryton croassé, gargarisé, hurlé et pressé de Romain Bischoff a fait frissonner l’auditoire. Dans le troisième mouvement, l’illustration de la bête féroce par Cendo était plus que réussie. Les hurlements de dragon de cette créature, un croisement entre panthère, ours et lion se rependaient dans la salle de telle manière qu’aucune fuite ne paraissait possible.

Tout comme Bach, Cendo met dans sa technique de composition les mots importants du texte en exergue, de sorte que « bestiam » était plus d’une fois très distinctement audible, aussi bien que le chiffre 666, attribué au diable.
Cette œuvre montre clairement à quel point Cendo se situe dans le contexte historico-musical qui ne se contente pas uniquement d’un certain choix de texte. Ses allusions à l’histoire de la musique sont plutôt une prise de position vivante de son propre point de vue. Il se présente donc comme un compositeur qui utilise les moyens modernes à sa disposition pour rompre avec les traditions. Mais on ne peut rompre avec les traditions qu’à la seule condition d’en être conscient – il en a fait la démonstration magistrale !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Portes ouvertes au festival Musica

Portes ouvertes au festival Musica

porte ouvert

Portes ouvertes au festival « Musica » (c) Philippe Stirnweiss

Le premier dimanche du festival « Musica » était placé sous le signe des portes ouvertes. Entre 14 et 18 heures, le public avait la possibilité de choisir parmi 22 concerts gratuits, tous proposés dans les locaux du conservatoire. Un choix judicieux permettait d’assister à 4 concerts différents. L’offre était d’une largeur de bande inégalable allant des classiques comme Luciano Berio, Mauricio Kagel ou John Cage jusqu’aux jeunes compositeurs comme par exemple Bruno Mantovani ou Johannes Maria Staud. Des aventures acoustiques nouvelles faisaient face aux sons familiers ; la légèreté et l’ambiance joyeuse, dont l’après midi était empreinte, étaient contagieuses.

On pouvait écouter aussi bien les étudiants du conservatoire que de véritables stars connues et reconnues. L’une des plus grandes découvertes était Carlo Rizzo. Ce dernier, originaire d’Italie, s’est produit avec son ami, le pianiste et compositeur Henry Fourès, directeur du conservatoire de Lyon jusqu’en 2009. L`homme d’origine italienne a réussi à faire évoluer le tambourin de façon à en faire un instrument de musique à sonorité multiple qu’il maîtrise à la perfection. Il en fait sortir un volume sonore qui s’apparente à celui d’une batterie entière. Il arrive même à le dépasser. Sa virtuosité est à couper le souffle. Il reste à espérer que cet instrument génial trouvera une diffusion aussi large que possible.

Mantovani ®Philippe Stirnweiss

Bruno Mantovani aux "portes ouvertes" au festival Musica (c) Philippe Stirnweiss

Bruno Mantovani, l’une des découvertes françaises parmi les jeunes compositeurs, s’est attaqué au piano aux interprétations de goût des différents vins alsaciens. Les Greiner, une famille de viticulteurs ayant apporté 4 vins et un crémant pour une dégustation, étaient visiblement émus, quand Mantovani a transformé leurs vins en sons. L’année dernière déjà on a pu assister à une expérience semblable, avec l’œuvre « Lagrein » de Johannes Maria Staud, une transcription en musique du feu d’artifice gustatif d’un vin rouge du Tyrol du Sud.

Grâce au concert de quatre œuvres de John Cage, joué par des étudiants, on a pu constater à quel point les enfants réagissent ouvertement et de façon juste aux persifflages musicaux : pendant que les adultes étaient encore en train d’écouter l’interprétation de « Fontana Mix et Aria » avec beaucoup de sérieux, les éclats de rire des enfants, installées par terre devant le premier rang, commençaient déjà à fuser. Bien avant les adultes ils avaient compris que les gargarismes du clarinettiste et les miaulements du chanteur n’étaient que drôlerie. La performance mimique du jeune contreténor Leandro Marziotte qui a surpris plus d’un parmi les auditeurs avec sa voix, pourtant typique pour ce registre, était remarquable.

Dans le café, où il ne restait pas une seule chaise de libre, la fin de l’après-midi était « jazzy ». Une preuve, qu’il n’y a pas que des portes ouvertes à Strasbourg, mais que les oreilles du public le sont tout autant.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Love and other demons

Love and other demons

La première française de l’opéra de Peter Eötvös à Strasbourg

5 Love and Other Demons © Paul Leclaire

Love and other demons de Peter Eötvös (c) Paul Leclaire

La chevelure rousse coule jusqu’à ses genoux. Son corps blanc est innocent mais en même temps émane de lui, tout au long de la pièce, un grand pouvoir d’attraction. Sierva Maria est une enfant à l’aube de sa vie de femme. Tout en étant humiliée au nom de dieu et dépouillée de son identité, elle arrive à garder son innocence, même dans un couvent colombien du 18e siècle, un endroit qui s’’avère être destructeur pour les âmes.
Aux cotés de Sierva Maria se trouve Peter Cayetano Delaura. Sa mission est d’exorciser la jeune fille atteinte de la rage, suite à une morsure. Bien que l’amour qu’il ressent pour elle l’emporte, il ne peut lui éviter ce rituel cruel par lequel la pièce se termine.

L’œuvre de Peter Eötvös est basée sur un Roman de Gabriel Garcia Márquez. Le livret concluant est signé Kornél Hamvai. Mais une chose est quasiment certaine : aucun d’entre eux, ni le compositeur, ni les auteurs auraient pu imaginer qu’un jour, le contenu de leur œuvre serait d’actualité brûlante.

Au moment de l’écriture du roman, pendant les années 90, les scandales de pédophilie qui ébranlent actuellement l’église catholique étaient passés sous silence. On a abusé de centaines d’enfants, et même si cela n’a pas été fait au nom de dieu, l’entourage s’est rendu aussi coupable que celui de Sierva Maria. Dans « Love and other demons » comme si la pièce voulait faire un pied de nez à la situation actuelle, l’amour du prêtre pour sa jeune protégée devient non seulement compréhensible, mais il est en quelque sorte le seul acte louable.

En plus de cette actualité qui est dans l’air du temps, l’opéra comporte d’autres combustibles sociaux. Qu’est ce que l’identité et qui à le droit de l’enlever à quelqu’un ? Y a-t-il une bonne ou une mauvaise origine ? Jusqu’où va-t-on pour contester les autorités quand on a conscience qu’elles sont dans leur tort ? Cette question se pose en rapport avec le docteur Abrenuncio qui sait que les jours de Sierva Maria sont comptés. Il conseille au père d’essayer d’embellir autant que possible le reste de l’existence de sa fille. Quand il prend conscience que le père, victime d’une sorte de délire religieux préfère confier sa fille plutôt au couvent, l’esprit de contradiction du médecin s’éteint. Ainsi, il se rend coupable au même titre que tous les protagonistes qui agissent activement contre Sierva Maria.

La musique de Peter Eötvös se lie intimement avec la parole chantée. Elle n’est jamais une fin en soi mais toujours au service de l’explication ou des émotions avec lesquelles doivent se débattre les différents caractères. Par moment, cette interprétation limpide fait oublier qu’un orchestre entier est assis dans la fosse. De longs passages ont plutôt la qualité d’un ensemble.
La spontanéité de Sierva Maria est rafraîchissante. Elle l’exprime par de grands sauts vocaux et son propre langage corporel. Elle ne perd son insouciance et renonce à ses sautillements juvéniles qu’au moment où elle commence à aimer. A cet instant, son langage musical change pour passer dans un autre registre. Subitement, sa voix est lyrique, comme si Delaura l’avait inondée d’amour, comme s’il l’avait apprivoisée. A chaque fois que les moments tragiques dominent, le phrasé s’intensifie et le volume augmente de façon dramatique. Au cours de la soirée, chaque personnage reçoit non seulement son propre aria, mais aussi une sorte de couleur spécifique grâce à laquelle il est parfaitement identifiable, même sans suivre l’action sur la scène.

Pour cette première, le compositeur en personne était au pupitre pour diriger l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
L’orchestre agissait comme s’il entretenait une sorte de complicité avec la musique d’Eötvös et a faisait preuve une fois de plus de la flexibilité de son intelligence et de sa souplesse.

Le décor de Helmut Stürmer, génialement simple et varié, était renforcé par des passages photographiques et filmiques qui permettaient de plonger les murs délités du palais ou ceux du couvent dans des jungles tropicales, dans des séquences de rêves ou alors dans des enchaînements de fonctions cellulaires. Avec ces films, Andu Dumitrescu réussit sans faire d’effort particulier à faire une incursion dans les beaux arts : Il est possible d’interpréter la tempête de neige dans les tropiques, annonciatrice de la mort imminente de la jeune fille de façon aussi concluante que la séquence de rêves, où la jeune femme nue vole dans les airs. Deux parmi plusieurs passages filmiques très réussis, sont celui du chien enragé qui regarde le public avec de grands yeux ou alors celui où des papillons de couleur claire soulignent le désir de liberté et l’innocence de Sierva Maria.

Le triumvirat de l’horreur est formé par Don Toribio, l’évêque de la ville, Josefa Miranda, l’abbesse du couvent et Martina Laborde la meurtrière qui y est retenue. C’est leur fanatisme religieux lové dans une acceptation sociale générale qui est fatal à la jeune Sierva Maria. Leur refoulement de tout ce qui attrait à la sexualité se venge chez eux et chez toutes les nonnes pendant l’acte d’exorcisme auquel est soumise la jeune fille. Tous entrent dans des convulsions extatiques, personne ne contrôle plus rien.
A aucun moment Silviu Purcrete qui signe la mise en scène ne se laisse emporter par un voyeurisme superficiel, même dans le tableau très fort, où l’abbesse barbouille la chemise blanche de l’enfant de sang. On épargne l’ostentation plate de blessures du corps et de l’âme au public ; la souffrance est exprimée par la musique et le texte. Ce n’est pas contradictoire du tout. Au contraire : ces doses homéopathiques influent beaucoup plus subtilement sur le ressenti émotionnel du public que ne le feraient des scènes de tortures et de déchéance physique.

La seule qui reste solidement ancrée au sol, est Dominga Adviento, la belle-mère noire de Sierva Maria. Elle a transmis sa religion de la nature à l’enfant. Celle-ci, exprimée au début par une danse merveilleuse de sa tribu, réconforte l’âme de Sierva Maria pendant ses derniers instants de vie.

Les costumes surréalistes de Helmut Stürmer sont totalement convaincants et renforcent le rapport historique de l’action au lieu et à l’époque.

Un fait rarissime dans le monde de l’opéra : toutes les cantatrices et chanteurs sur la scène étaient du même niveau. Chaque voix était irréprochable, chaque interprétation crédible et touchante. Allison Bell dans le rôle de Sierva Maria peut être considérée comme une distribution de rêve. Non seulement sa voix était un véritable délice, mais c’était surtout son charisme juvénile qui était irrésistible dans ce rôle.

Robert Brubaker qui a joué un Don Ygnacio, prisonnier du passé, Miljenko Turk dans le rôle du Delaura amoureux, André Riemer comme Abrenuncio et Sorin Draniceanu dont la basse limpide se prêta si bien à l’interprétation du rôle de Don Toribio, en plus de leurs aptitudes vocales, ont tous montré un grand talent d’acteur.

Susan Bickley dans le rôle de l’inflexible abbesse Josefa Miranda, Jovita Vaskeviciute dans celui de Dominga de Adviento qui, vêtue d’une grande crinoline blanche et un couvre-chef multicolore, montre d’emblée quelle genre d’écartèlement personnel trouvera sa continuité en la personne de sa belle-fille et finalement Laima Jonutyte dans le rôle de Martina Laborde, à moitié folle, se trouvent comme une sorte de roche originelle des deux cotés de la société : Contraires, mais néanmoins personnellement solides.

Une représentation d’opéra à Strasbourg dans le cadre du Festival Musica réussie à tout point de vue ! A voir et à entendre !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Plats variés

Plats variés

Iannis Xenakis, Oscar Bianchi et Peter Eötvös au Festival Musica

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Der Komponist Oscar Bianchi (c) Philippe Stirnweiss

Le 24 septembre dernier, le premier grand concert d’orchestre dans le cadre du Festival Musica était dédié au jeune compositeur Christophe Bertrand, décédé à Strasbourg à l’âge de 29 ans.

C’est peut-être cette circonstance dramatique qui a incité le public à réagir avec davantage de retenue qu’à l’accoutumée. Ou alors était-ce le changement imprévu de programme? D’après les organisateurs, l’œuvre de Johannes Maria Staud « One comparative Meteorology » prévue initialement, a été victime de la grève générale qui avait partiellement paralysé la France la veille. A sa place, on pouvait entendre l’extrait « Peaux » de la composition « Pléiades » d’Iannis Xenakis, une œuvre pour 6 batteurs, écrite en 1978. Ce soir là, ce furent des étudiants du conservatoire strasbourgeois qui l’ont interprétée. Cette composition vieille de 32 ans a indéniablement atteint un âge respectable. Le nombre important de percussionnistes ne peut plus être considérée comme une idée novatrice. Le rythme changeant dans les différentes voix est la caractéristique de l’œuvre et en constitue en même temps le défi artistique. A ce rythme succèdent en alternance des parts à sons uniques qui, à renfort de coups puissants et grâce à la taille importante des instruments, réussissent à faire vibrer la grande salle d’Erasme.

Après ce premier « pilonnage », ce fut au tour du jeune compositeur Oscar Bianchi d’entrer en scène. L’orchestre philharmonique de Radio France a joué cette première « d’Ajna Concerto », écrite en 2009/10. Placé au pupitre, à la place du compositeur, Pascal Rophé a tenu les rennes, tout en restant fidèle à Bianchi. Grâce à ses entrées et à ses indications claires, les musiciens ont bénéficié d’un soutien solide. L’œuvre de Bianchi fait partie d’un cycle traitant des défis humains universels. Dans Anja Concerto, il pose la question de ce qui est juste ou faux. C’est la première fois qu’il a recours à l’appareil sonore historique qu’est le grand orchestre. Son œuvre est facilement identifiable : Les glissandi et ostinatos à répétition imitent le rythme des paroles. Celui-ci ne se perd que vers la fin du morceau dans une sorte d’ambiance songeuse. Mais avant cela, la pièce est parcourue par une agitation, une sorte d’effervescence et un certain mal-être. Un déchirement trouvant son expression dans des structures rythmiques et pas mélodiques est joué, célébré même, tambours battants !

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Peter Eötvös (c) Philippe Stirnweiss

Peter Eötvös est un compositeur de la génération précédente. Il fut représenté par son œuvre « Atlantis » datant de l’année 1995. De légères modifications de la partition, un moyen que le compositeur met fréquemment en œuvre, ont permis d’annoncer cette œuvre comme la « première définitive ».

Eötvös a créé une œuvre autour d’un poème de Sánder Weöres. Une composition dense et facilement compréhensible qui vit grâce à la répartition des musiciens dans l’espace. Le compositeur dit lui-même avoir écrit un oratorio pour baryton, voix d’enfant, cymbalum, chœur virtuel et grand orchestre. Dans cette œuvre en trois parties, grâce au positionnement des percussionnistes placés à droite, à gauche et derrière le public, une répartition « à l’envers » des instruments à cordes, les chanteurs placés sur la partie arrière de la scène, ainsi qu’à l’aide de matériel sonore diffusé par des haut-parleurs fixés au dessus de la scène, le compositeur a réussi à entrelacer de façon merveilleuse des expériences orchestrales nouvelles et d’autres plus connues.
Le compositeur utilise le volume de l’instrumentaire élargi à l’intérieur d’une œuvre strictement réglementée. Cela fait fréquemment penser à des structures de concerts classiques. Comme par exemple l’utilisation des deux voix chantées. Christian Miedl a réussi sans problème à faire basculer sa voix de baryton dans les hauteurs d’un ténor. La voix claire d’enfant d’Antoine Erguy, l’un des élèves du chœur d’enfants de Radio France, lui faisait face. Sur des passages relativement longs, le jeune garçon a offert l’innocence infantile comme sur un plat de présentation. Dès à présent, la composition d’Eötvös, située entre des indications locales et des profondeurs de l’âme, peut être considérée comme faisant partie des grands classiques de la scène musicale actuelle.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker