L´ensemble "Solistes XXI" à l´église St. Pierre le Jeune (c) Philippe Stirnweiss
Le 6 octobre 2010 en l’église St. Pierre le Jeune à Strasbourg on a eu l’occasion d’assister à l’une des premières les plus remarquables de musique contemporaine. Les « Solistes XXI » sous la direction de Rachid Safir ont présenté l’œuvre du compositeur Philippe Leroux « Mon commencement est ma fin ».
Le compositeur a articulé son travail principalement autour d’un motet de Guillaume de Machaut (environ 1300 – 1377). Ce dernier est aussi à l’origine du texte de l’œuvre qui fait linguistiquement référence au rondeau dont la fin rappelle le début. En plus de ce motet, Leroux a utilisé les morceaux de 5 compositeurs et d’autres œuvres écrites par Machaut. Parfois, l’artiste a laissé les originaux inchangés, parfois il les a retravaillés et les a opposés à ses propres compositions. Le résultat était passionnant : Cinq parmi les vint-cinq compositions étaient des œuvres de Leroux, une dizaine d’œuvres retravaillées par lui-même, neuf étaient jouées dans leur version originale. Venait s’y rajouter une improvisation du thème général de Pierre Boragno, que ce dernier a interprété lui-même avec sa cornemuse.
La magie de cette œuvre est justement due à cet entrelacs de différents travaux musicaux. Mais ce n’était pas tout. L’ensemble « Solistes XXI » jouait et chantait de telle façon qu’on avait l’impression que des voix d’anges s’élevaient dans la salle. Ils interprétaient l’amour, la peur, la jouissance et la passion, la folie et l’extase dans toutes ses facettes sonores possibles et imaginables.
D’emblée, au moment où le public entra dans l’église, la diffusion d’une coulisse linguistique laissa présager quelque chose d’inhabituel.
Sans se faire remarquer les chanteuses et chanteurs prirent place les uns après les autres sur les différents bancs d’église. Après un interlude vocal, ils regagnèrent la scène devant le jubé. L’église St. Pierre le Jeune est l’une des rares églises dont a préservé cette particularité architecturale. A l’époque, dans la partie située devant le jubé se réunissait le peuple, la partie à l’arrière étant réservée au clergé. Au 16e siècle, la réforme tridentine qui était une réponse à la réformation, a aboli la fonction du jubé ce qui a eu comme conséquence la destruction de la plupart d’entre eux. Grâce à un éclairage moderne, le jubé de l’église St. Pierre a offert en prime la possibilité de mettre en valeur les morceaux de Leroux: la projection de traînés multicolores sur les belles peintures de la renaissance a enrichi le spectacle d’une dimension optique supplémentaire.
Pendant le premier morceau, les chanteurs ont souligné leur chant avec une gestuelle qui en quelle que sorte traduisait la notation médiévale dans un langage imagé, merveilleusement simple et clair.
Les compositions de Leroux furent annoncées et/ou terminées par une respiration clairement marquée par les chanteurs. C’était une expérience auditive particulière au caractère transcendent qui incitait le public à rester extrêmement silencieux.
La plupart des morceaux avaient en commun une caractéristique récurrente: un glissando montant ou descendant qui, grâce à la pureté et la perfection des voix, était d’une beauté exceptionnelle. La souplesse et les entrées étonnantes des deux voix soprano faisaient tendre l’oreille. Les performances d’Hélène Decarpignies et de Raphaëlle Kennedy étaient remarquables et requérait un savoir-faire exceptionnel: en quelques secondes, l’expression vocale des cantatrices oscillait entre fureur sauvage, chuchotement et harmonie. Mais le contre-ténor Damien Brun, les ténors Laurent David et Stephan Orly, le basse Marc Busnel et le baryton Jean-Cristophe Jacques n’avaient rien à leur envier. Mais la délectation auditive n’aurait jamais atteint un tel paroxysme sans la contribution de Caroline Delume au luth, d’Hager Hanana au violoncelle et au violon ainsi que de Pierre Boragno aux flûtes et à la cornemuse.
Grâce à leur maîtrise de la pratique musicale historique, les musiciens soulignaient efficacement les différentes harmonies, soutenaient parfaitement le rythme. Ils ont permis à la beauté des œuvres originales de s’exprimer totalement et aux nouvelles interprétations lors des différentes performances en solo de prendre tout leur essor.
Un tel résultat ne put être obtenu que grâce à des répétitions intenses. Tous les protagonistes affirment être capables de maintenir pendant une semaine au plus l’exactitude, le charme et la magnificence de la performance à laquelle on a pu assister ce soir-là. Ensuite, il faudrait recommencer à répéter pour rester aussi près de la partition que pendant cette soirée.
Nos contemporains pourraient accuser Leroux d’avoir fait un calcul très simple: pour obtenir les faveurs du public, mettre sa musique en opposition avec la musique historique qui elle flatte l’oreille. Cette remarque est peut-être juste, mais ce calcul s’est avéré juste aussi : mais sa justesse s’est montrée dans un raffinement suprême et en aucun cas dans une forme plate à l’arrière-goût fade.
De plus avec l’aide de Rachid Safir, Leroux a réussi à démontrer que sa propre écriture de composition était claire comme de l’eau de roche.
Quel dommage que ce concert n’ait pas fait l’objet d’un enregistrement.
Qu’il n’y ait pas eu de chauffage ce soir là en l’église St. Pierre le Jeune et que la critique musicale en soit sortie passablement enrhumée ne soit dit qu’en passant. Mais ceci explique qu’elle a manqué par la suite quelques uns des concerts du Festival Musica qui ont suivi, ce qui est impardonnable.
Mais elle se réjouit d’avance à l’idée de l’édition 2011 du festival – la prochaine fois elle prendra les précautions qui s’imposeront.
Le 30e concert joué dans le cadre du Festival Musica était en sorte la suite «logique» du concert n° 28. Ce dernier avait eu lieu la veille et était également entièrement dédié à la jeunesse. «L’institut international de musique de Darmstadt» a présenté le tout jeune «Nadar Ensemble» sous la direction de Daan Janssen. Ce soir-là, le chef d’orchestre était également présenté en tant que compositeur.
Le «Nadar Ensemble» a joué des œuvres récentes écrites par trois compositeurs homme et, enfin par un compositeur du sexe féminin. C’est à peine croyable que les femmes fassent toujours figure d’exception parmi les compositeurs contemporains. Le Festival Musica, comme tous les autres festivals européens, peut être considéré comme représentatif : le festival a présenté les œuvres de 65 compositeurs, parmi lesquels figure une seule femme, Malin Bång.
Dans le passé, le domaine de la composition était un domaine exclusivement masculin. Cela n’a pas besoin d’être démontré. Ce qui est difficilement explicable en revanche, c’est que les choses n’aient pas évolué et que de nos jours les femmes ont toujours autant de mal ne serait-ce qu’à approcher l’équité avec leurs collègues masculins.
«En paysage de nuit» de Daan Janssen ouvre la soirée. C’est un joli morceau qui utilise les sons avec une parcimonie bien étudiée. Une viole d’amour avec sa sonorité chaude et douce s’intègre merveilleusement dans le reste de la coulisse sonore : les instruments jouent leurs parts respectives les unes après les autres avec des transitions particulièrement fluides. Il est rare d’entendre de la musique contemporaine qui plane aussi magistralement, en toute clarté, comme par enchantement. On aimerait entendre bien plus souvent cette œuvre imagée et douce, merveilleusement dirigée par son compositeur. Sa fin, étant suivi par un long et magnifique silence, aurait aussi bien pu être interprétée comme un début.
La démarche de Malin Bång, une jeune suédoise née en 1974, était totalement différente de celle du belge Janssen. Son œuvre «turbid motion» était au sens propre du terme «chargée au turbo». En sus des quelques instruments à cordes et les instruments à vent, il y avait deux percussionnistes équipés de haut-parleurs. La performance de ces derniers était par conséquent «tout en volume»…..
On caressait les cordes du piano et on modifiait les voix et les instruments à l’aide de l’électronique. La sonorité qui en résultait pouvait se situer entre l’agitation sous-jacente et une traque angoissée qu’il fallait écouter les yeux fermés, car il était impossible de déterminer quel instrument ou quelle voix était à l’origine des différents sons. La force de cette impression sonore faisait penser aux coulisses d’une grande ville dans la façon innovante de combiner les sons.
La construction de la composition « In hyper intervals » de l’allemand Johannes Kreidler était des plus exigeantes: les instruments se superposaient en direct aux courts fragments sonores issus de la Pop pour les libérer ensuite. Pendant vingt-deux minutes, l’expérience musicale et la musique commerciale faisaient naitre une cacophonie complémentaire. On eut souvent l’impression que le hasard était aux commandes. Le chef d’orchestre au pupitre avait pourtant fort à faire pour donner les entrées exactes à l’ensemble. Un phénomène intéressant qui prouve que la question du tempo occupe la première place dans des œuvres comme celle-ci.
Kreidler ayant fait des études de philosophie, il traite dans cette œuvre de grandes questions comme celle du problème du copyright et de la liberté artistique. En retravaillant son œuvre, Kreidler réalisera peut-être que ce ne sont pas les longueurs qui rendent son œuvre passionnante.
« Fremdkörper » de Stefan Prins devait clore ce concert. Des haut-parleurs renforçaient chaque instrument: la batterie, la guitare, le violoncelle et la flûte. De plus, toutes les voix étaient déformées à l’aide de l’informatique. Le résultat était un brouillard sonore qui ne permettait plus de distinguer les voix entre elles. Les sons traversaient comme une sorte de bruissement différencié la salle et déterminaient la composition.
Le 28e concert du Festival Musica a permis à son public de faire connaissance avec les dernières productions de plusieurs jeunes compositeurs. L’ensemble «Accroche Note» s’est produit dans la salle de la Bourse à Strasbourg. Au programme : des œuvres des Français Yann Robin, Christophe Bertrand et Jérôme Combier.
Le petite œuvre «Phigures» de Robin était conçue comme musique de chambre. Les voix des instruments à cordes et les instruments à vent agissaient en relation étroite. Une petite séquence au piano était également inscrite dans cette composition. Sa deuxième composition, «Art of Metal II» écrite pour clarinette et contrebasse, était à l’opposée à cette première. Armand Angster joua de son instrument de façon géniale, bien soutenu par l’électronique de l’Ircam-Team. Les possibilités sonores de la clarinette furent explorées dans leur totalité: de la fureur et du « grattement » d’un animal sauvage, en passant par le battement d’ailes d’un insecte géant jusqu’à une utilisation exigeante de l’instrument: tout y était. Les enregistrements électroniques ont permis au soliste de jouer tout en étant accompagné …par lui-même, ce qui était certainement une expérience très particulière sur la scène.
«Diadème», l’œuvre de Christophe Bertrand était chargée d’émotion, car le compositeur décéda environ deux semaines avant ce concert. La voix soprano claire de Françoise Kubler a interprété la partition avec beaucoup d’assurance. Pendant les applaudissements, la cantatrice avait beaucoup de mal à ne pas se laisser submerger par l’émotion.
Le changement rapide dans la dynamique au début de la partition ne semblait pas présenter de difficulté particulière pour Kubler. Pourtant, c’était un passage extrêmement difficile à chanter. Ce morceau entre l’aria et le récital exigeait beaucoup de sensibilité de la part des musiciens, notamment de la part de la cantatrice. L’œuvre en quatre mouvements accordait également une place importante au piano et à la clarinette qui accompagnaient la cantatrice: il y eut des passages pour les deux instruments en duo ainsi que toute une cadence écrite pour le piano.
Grâce à son grand savoir-faire, Kubler a interprété avec beaucoup de clarté le poème de Pierre-Jean Jouve, qui était la source de l’inspiration du compositeur pour cette création.
«Gone» de Jérôme Combier devait clore cette soirée qui avait fait salle comble. Une composition pour trois instruments à cordes, piano et clarinette, qui accordait également une grande place à l’électronique. Des effets d’écho intenses et des bruissements ont créé de nouvelles sonorités intéressantes. A plusieurs reprises on pouvait entendre le bruit du vent, et tout d’un coup il devenait évident que la musique de Combier racontait l’espace-temps et décrivait des lieux. D’un autre coté, le travail du compositeur traitait des états d’âme de l’être humain. En écoutant cette œuvre, ce n’était pas l’envie de comprendre la composition qui prévalait. On était trop occupé à percevoir ces sonorités qui suscitaient en permanence des idées se situant dans l’espace. La composition créait des édifices sonores si grands que l’on avait l’impression de pouvoir se promener à l’intérieur. De petits trios d’instruments à cordes firent de temps à autre des interruptions qui provoquerent la chute de l’auditeur dans un trou sonore sombre, abyssal. Mais la libération ne se fit jamais attendre bien longtemps. Le morceau se termina doucement provocant un écho songeur.
Cet après-midi, Combier, plus que les autres a montré comment la jeune musique contemporaine pouvait se distinguer de la musique de ses prédécesseurs. Et il a prouvé que cela valait la peine de l’écouter.
Nicholas Mergenthaler comme le jeune Heiner Müller au "Le Père" (c) Philippe Stirnweiss
"Le Père" après Heiner Müller (c) Philippe Stirnweiss
Autant le père en tant que personne est absent dans cette pièce, autant la mère, elle, est présente. Dans cette mise en scène, son apparition est «triple» : Susanne Leitz-Lorey, Raminta Babickaite et Truike van der Poel incarnent le personnage de la mère : vêtues de la même robe jaune, coiffées du même bonnet blanc, elles symbolisent le soutien et la protection que Müller a trouvée auprès de sa mère tout au long de sa vie. Cette trinité, la réinterprétation d’un des symboles les plus importants de la foi chrétienne, accompagne ce fils qui peut à tout moment compter sur elle. C’est elle qui crée l’espace nécessaire pour qu’il puisse réfléchir sur son père, cet homme dont il n’a jamais été vraiment très proche. Ce sont également des projections freudiennes au meilleur sens du terme. Elle peut être interprétée exactement dans ce sens : Intouchable en jupon nuptial blanc et en même temps désirable.
Leurs voix respectives, le soprano, le mezzo-soprano et l’alto sont en permanence liées les unes aux autres et éclairent discrètement l’action sonore qui est par ailleurs peu accentuée. L’utilisation à bon escient de l’électronique est la preuve que les compositions de Jarrell sont bel et bien dans l’air du temps.
Quand il était enfant, Heiner Müller était en colère contre son père, car son absence a engendré des privations pour la famille. Plus tard, jeune homme, il a adopté une attitude méprisante vis-à-vis de lui. Quand son père quitta l’Allemagne de l’Est en 1951, l’écrivain est resté. En tant que fonctionnaire, le père de Müller était en charge du paiement des pensions. Ces montants revenaient en partie à des personnes que le fils considérait comme des assassins et qui par conséquent étaient à ses yeux indignes de recevoir quoi que ce soit. C’était en quelque sorte une trahison de ses propres idéaux.
Il a vécu la séparation d’avec la famille comme une sorte de libération. Exactement au moment où il a commencé à être indépendant, sa famille a quitté l’Allemagne de l’Est. La dernière rencontre que Müller relate sur scène, ressemble à celle qui a eu lieu en 1934, au camp de concentration Sachsenhausen : A cette époque il était séparé de son père par un grillage. A la fin de la vie de celui-ci, il le voit pale et malade à l’hôpital à Charlottenburg encore une fois à distance, isolé par une vitre. Une distance qui a parcouru la relation père-fils tout au long de leur vie.
L’ours, la putain, les femmes en jupon blanc aux gants de boxe rouges : tous ces souvenirs proviennent du monde incertain des contes de l’enfance. Mais ce sont également les perceptions reflétées des expériences de l’homme. Les femmes sans vie, étendues par terre, celles en jupon blanc qui n’ont jamais de vrais rapports avec lui parlent un langage muet mais pourtant très claire : 4 femmes en tout, avec sa mère elles étaient 5, étaient à ses cotés au cours de sa vie. L’une d’elles, l’écrivain Ingeborg Schwenker, s’est suicidée.
La composition de Jarrell relève d’avantage du théâtre musical que de l’opéra. Il vaudrait mieux la définir comme tel pour couper l’herbe sous les pieds des critiques qui manqueraient d’ouverture d’esprit et s’accrocherait à une nomenclature encyclopédique. Les enregistrements électroniques, soulignés par l’ensemble de l’IRCAM de Paris et les brouillards sonores créés par « Les Percussions de Strasbourg », ont fait naître un espace diffus dans lequel l’action était parfaitement chez elle. Un exemple pour montrer à quel point Jarrell sert plutôt la pièce avec la musique au lieu de la mettre en avant donnant ainsi à la parole et aux images de rester ses égaux.
Une œuvre d’art complet qui n’incite pas seulement les écoliers présents à une réflexion plus approfondie.
« Le père » a fait l’objet d’une captation par Arte-live-web et peut être visionné pendant les 6 prochains mois.
Le 27e concert organisé dans le cadre du Festival Musica a été joué par le SWR, l’orchestre symphonique Baden-Baden et de Fribourg. Sous la direction d’Emilio Pomárico, on a pu entendre des œuvres de Franco Donatoni, Aureliano Cattaneo, Arnold Schönberg ainsi que les «Paysages avec figures absentes – Nachlese IV» de Michael Jarrell avec Ilya Griognolt au violon.
Jarrell, né en 1958 en Suisse, a pour sa merveilleuse composition puisé l’inspiration dans le livre de Philippe Jaccottet du même titre. A propos du degré de difficulté de l’œuvre, on peut affirmer sans hésiter que Jarrell a du regarder du coté de Paganini et l’interprète Ilya Griognolt a vraiment agi en «violoniste du diable». Sa grande virtuosité s’est exprimée d’emblée : dans un tempo vertigineux, il oscillait sans difficulté entre les parties legato et staccato. Et comme s’il voulait faire la démonstration de toute la richesse sonore de la pièce, il pinçait en plus les cordes jusqu’à la limite du réalisable.
Le rythme compliqué qu’il devait jouer seul contre l’orchestre paraissait faire partie de lui et pas un seul ton, aussi difficile soit-il, n’est sorti «de travers». Le rôle de l’orchestre est réduit à celui d’accompagnateur: il est pratiquement toujours au service du violon. A de rares occasions, de petites interventions des instruments à vent cherchent à le faire taire. Mais le violon ne se laisse pas faire: il joue son thème encore et encore. Et il peut se fier au soutien de l’orchestre qui souligne les lignes de notes sèches que doit suivre l’instrument avec beaucoup de chaleur et de couleur. Seulement au moment où un carillon les rejoint, une accalmie se fait sentir. Comme s’il retrouvait ses esprits après une sorte de fureur irraisonnée dans laquelle il s’était mis tout seul ! De plus en plus silencieux, le violon finit dans un souffle, à peine perceptible.
Une œuvre impressionnante que l’on aimerait entendre beaucoup plus souvent. La performance exceptionnelle du soliste originaire de Saint Petersburg était exceptionnelle et les ovations du public étaient largement justifiées.
Aureliano Cattaneo (c) Lucia Nunez Garcia
L’œuvre de Michael Jarrell n’était pas la seule à impressionner ce soir-là. Le compositeur Aureliano Cattaneo, âgé de 36 ans, a prouvé que la nouvelle musique est consciente de ses racines et qu’elle n’a pas forcément besoin de choquer pour s’affirmer. Dans son «Selfportrait with orchestra», une œuvre ayant fait l’objet d’une commande et écrite pendant l’année en cours, l’artiste met son âme à nu: après un début presque incertain, son cosmos sonore bascule du coté obscur. Une sorte d’ambivalence prévaut jusqu’à la fin de la pièce : des tubas menaçants interrompent encore et encore la sonorité scintillante. On frotte et on cliquette pendant les superbes passages très différenciés dédiés aux percussions. Ces passages basculent dans une sorte de geste menaçant avant d’être remplacés par des parts tendres, pendant lesquelles des sons légers de flûte et de xylophone embrassent les violons qui agissent tout en retenue. Quand finalement les cors entonnent un petit duo et que l’on entend des cloches de vaches, on a la certitude de ne pas être dans le sud de l’Italie. La petite mélodie que joue le violon à la fin du morceau est la preuve qu’un véritable trésor musical d’une grande largeur de bande dort dans la mémoire de Cattaneo et ne demande qu’à s’exprimer. L’alternance entre une narration intérieure, spirituelle et une narration extérieure est la caractéristique de ce morceau de musique très touchant. Les félicitations qu’adresse Jarrell au jeune Cattaneo étaient certainement bien plus que seulement un beau geste.
« Voici » de Franco Donatonis, écrit en 1972/73, était une entrée en matière bien choisie pour les pièces de Jarrell et de Cattaneo qui devaient suivre. Ses stèles de sons dramatiques, toujours interrompues par des ondulations légères étaient, comme les autres œuvres de la soirée, magistralement dirigées par Emilio Pomárico. Les gestes clairs du chef d’orchestre ont respecté les partitions jusqu’au moindre détail sans s’y perdre pour autant. Le coup sur le pupitre qui lui a fait perdre la pointe de sa baguette pendant qu’il dirigeait les « Variations pour orchestre opus 31 » de Schönberg, prouve que Pomárico mettait du cœur et beaucoup d’intensité à l’ouvrage.
Les Variations de Schönberg furent un choix judicieux pour clore cette soirée. Elles permettaient de regarder en arrière, en direction des deux nouvelles œuvres de la soirée. Ainsi l’auditoire avait la possibilité, et ce n’était guère étonnant, de découvrir des choses qui semblaient s’être perdues pendant la deuxième moitié du 20e siècle, comme par exemple la combinaison de schémas de composition compréhensibles avec en prime des sensations sonores agréables.
Le Festival Musica montre – et non seulement ce soir-là – que depuis quelque temps déjà, une petite armada de compositeurs contemporains est en marche et se dirige vers de nouveaux horizons, passionnants et en même temps familiers.
L`ensemble de percussions au Festival Musica (c) Philippe Stirnweiss
Le 18e concert organisé dans le cadre du Festival Musica, joué par « L’Ensemble de Percussions » lui-même composé d’étudiants du conservatoire de la musique et de la danse de Paris, a provoqué un «tremblement de salle» à France 3 Alsace. Au programme: des œuvres de Philippe Schoeller, Iannis Xenakis, Martin Matalon et Yann Robin.
«Entourés» par les œuvres de Schoeller et Robin toutes deux écrites pour 12 percussionnistes (dans le cas présent ils étaient 11 hommes et 1 femme), Victor Hanna et Emmanuel Hollebeke ont interprété «Rebonds A et B» d’Iannis Xenakis. Les deux jeunes gens ne faisaient pas seulement preuve d’une virtuosité hors pair, mais ils étaient également d’une grande sensibilité musicale. Ils ont présenté l’œuvre de Xenakis en deux parties distinctes et autonomes qui se faisaient face: D’un coté: 2 bongos, 3 tom-toms et 2 grands tambours. De l’autre coté : 2 bongos, 1 Tumba, 1 tom-tom, 1 grand tambour et un set de 5 Wood-blocks. Une composition rigoureuse qui n’a laissé aucune place à l’interprétation tout comme l’ensemble des œuvres jouées lors de cette soirée. Elle était une «entrée en matière» idéale pour Adrien Pineau et sa performance au vibraphone, «Short Stories» de Matalon. Pineau maîtrise son instrument de façon admirable et possède une mémoire musicale hors norme, la preuve en est qu’il a joué entièrement par cœur ce morceau écrit en 2005. Martin Matalon a juxtaposé ces pièces courtes qui se faisaient référence les unes aux autres. Elles couvraient à chaque fois la totalité des trois octaves dont dispose l’instrument. En ajoutant des changements pour les percussions, le compositeur a réussi à élargir l’expérience sonore d’une dimension supplémentaire. Les applaudissements frénétiques du public étaient parfaitement justifiés.
« Archaos Infinita 1 & II » de Philippe Schoeller, joué en début de soirée, devait « livrer bataille » contre une petite voix d’enfant : Les pauses bien dosées qui étaient opposées aux denses nuages sonores, différenciés les uns des autres par des hauteurs de sons graduels, étaient copieusement « commentées » par une petite visiteuse. Michel Cerrutti a prouvé à cette occasion qu’il possédait des nerfs d’acier : sans sourciller, il a réussi à faire contourner cet « obstacle » à son ensemble. Les coups durs dispersés dans l’œuvre étaient les signes avant-coureurs d’une masse sonore qui devait s’accumuler pour devenir infernale.
Le morceau plein d’énergie de Schoeller était opposé aux «Titans» de Yann Robin, une œuvre également écrite pour 12 percussionnistes. Chez Robin ne prévalent pas les accents durs mis par l’un ou l’autre des musiciens, mais des coups « uni-sonos » joués par l’ensemble de la formation. En revanche, la rythmique était semblable à celle entendue chez Schoeller. Les mouvements en vagues montantes et descendantes et les tons supérieurs stridents, censés séparer et/ou introduire les différentes parties du morceau, étaient une autre caractéristique de cette œuvre. Robin profite de toutes les possibilités de ce corps sonore puissant, jusqu’à la limite de la douleur. Ses « Titans » finissent au sens propre du terme avec une « finale du tonnerre ».