Le 28e concert du Festival Musica a permis à son public de faire connaissance avec les dernières productions de plusieurs jeunes compositeurs. L’ensemble «Accroche Note» s’est produit dans la salle de la Bourse à Strasbourg. Au programme : des œuvres des Français Yann Robin, Christophe Bertrand et Jérôme Combier.
Le petite œuvre «Phigures» de Robin était conçue comme musique de chambre. Les voix des instruments à cordes et les instruments à vent agissaient en relation étroite. Une petite séquence au piano était également inscrite dans cette composition. Sa deuxième composition, «Art of Metal II» écrite pour clarinette et contrebasse, était à l’opposée à cette première. Armand Angster joua de son instrument de façon géniale, bien soutenu par l’électronique de l’Ircam-Team. Les possibilités sonores de la clarinette furent explorées dans leur totalité: de la fureur et du « grattement » d’un animal sauvage, en passant par le battement d’ailes d’un insecte géant jusqu’à une utilisation exigeante de l’instrument: tout y était. Les enregistrements électroniques ont permis au soliste de jouer tout en étant accompagné …par lui-même, ce qui était certainement une expérience très particulière sur la scène.
«Diadème», l’œuvre de Christophe Bertrand était chargée d’émotion, car le compositeur décéda environ deux semaines avant ce concert. La voix soprano claire de Françoise Kubler a interprété la partition avec beaucoup d’assurance. Pendant les applaudissements, la cantatrice avait beaucoup de mal à ne pas se laisser submerger par l’émotion.
Le changement rapide dans la dynamique au début de la partition ne semblait pas présenter de difficulté particulière pour Kubler. Pourtant, c’était un passage extrêmement difficile à chanter. Ce morceau entre l’aria et le récital exigeait beaucoup de sensibilité de la part des musiciens, notamment de la part de la cantatrice. L’œuvre en quatre mouvements accordait également une place importante au piano et à la clarinette qui accompagnaient la cantatrice: il y eut des passages pour les deux instruments en duo ainsi que toute une cadence écrite pour le piano.
Grâce à son grand savoir-faire, Kubler a interprété avec beaucoup de clarté le poème de Pierre-Jean Jouve, qui était la source de l’inspiration du compositeur pour cette création.
«Gone» de Jérôme Combier devait clore cette soirée qui avait fait salle comble. Une composition pour trois instruments à cordes, piano et clarinette, qui accordait également une grande place à l’électronique. Des effets d’écho intenses et des bruissements ont créé de nouvelles sonorités intéressantes. A plusieurs reprises on pouvait entendre le bruit du vent, et tout d’un coup il devenait évident que la musique de Combier racontait l’espace-temps et décrivait des lieux. D’un autre coté, le travail du compositeur traitait des états d’âme de l’être humain. En écoutant cette œuvre, ce n’était pas l’envie de comprendre la composition qui prévalait. On était trop occupé à percevoir ces sonorités qui suscitaient en permanence des idées se situant dans l’espace. La composition créait des édifices sonores si grands que l’on avait l’impression de pouvoir se promener à l’intérieur. De petits trios d’instruments à cordes firent de temps à autre des interruptions qui provoquerent la chute de l’auditeur dans un trou sonore sombre, abyssal. Mais la libération ne se fit jamais attendre bien longtemps. Le morceau se termina doucement provocant un écho songeur.
Cet après-midi, Combier, plus que les autres a montré comment la jeune musique contemporaine pouvait se distinguer de la musique de ses prédécesseurs. Et il a prouvé que cela valait la peine de l’écouter.
Nicholas Mergenthaler comme le jeune Heiner Müller au "Le Père" (c) Philippe Stirnweiss
"Le Père" après Heiner Müller (c) Philippe Stirnweiss
Autant le père en tant que personne est absent dans cette pièce, autant la mère, elle, est présente. Dans cette mise en scène, son apparition est «triple» : Susanne Leitz-Lorey, Raminta Babickaite et Truike van der Poel incarnent le personnage de la mère : vêtues de la même robe jaune, coiffées du même bonnet blanc, elles symbolisent le soutien et la protection que Müller a trouvée auprès de sa mère tout au long de sa vie. Cette trinité, la réinterprétation d’un des symboles les plus importants de la foi chrétienne, accompagne ce fils qui peut à tout moment compter sur elle. C’est elle qui crée l’espace nécessaire pour qu’il puisse réfléchir sur son père, cet homme dont il n’a jamais été vraiment très proche. Ce sont également des projections freudiennes au meilleur sens du terme. Elle peut être interprétée exactement dans ce sens : Intouchable en jupon nuptial blanc et en même temps désirable.
Leurs voix respectives, le soprano, le mezzo-soprano et l’alto sont en permanence liées les unes aux autres et éclairent discrètement l’action sonore qui est par ailleurs peu accentuée. L’utilisation à bon escient de l’électronique est la preuve que les compositions de Jarrell sont bel et bien dans l’air du temps.
Quand il était enfant, Heiner Müller était en colère contre son père, car son absence a engendré des privations pour la famille. Plus tard, jeune homme, il a adopté une attitude méprisante vis-à-vis de lui. Quand son père quitta l’Allemagne de l’Est en 1951, l’écrivain est resté. En tant que fonctionnaire, le père de Müller était en charge du paiement des pensions. Ces montants revenaient en partie à des personnes que le fils considérait comme des assassins et qui par conséquent étaient à ses yeux indignes de recevoir quoi que ce soit. C’était en quelque sorte une trahison de ses propres idéaux.
Il a vécu la séparation d’avec la famille comme une sorte de libération. Exactement au moment où il a commencé à être indépendant, sa famille a quitté l’Allemagne de l’Est. La dernière rencontre que Müller relate sur scène, ressemble à celle qui a eu lieu en 1934, au camp de concentration Sachsenhausen : A cette époque il était séparé de son père par un grillage. A la fin de la vie de celui-ci, il le voit pale et malade à l’hôpital à Charlottenburg encore une fois à distance, isolé par une vitre. Une distance qui a parcouru la relation père-fils tout au long de leur vie.
L’ours, la putain, les femmes en jupon blanc aux gants de boxe rouges : tous ces souvenirs proviennent du monde incertain des contes de l’enfance. Mais ce sont également les perceptions reflétées des expériences de l’homme. Les femmes sans vie, étendues par terre, celles en jupon blanc qui n’ont jamais de vrais rapports avec lui parlent un langage muet mais pourtant très claire : 4 femmes en tout, avec sa mère elles étaient 5, étaient à ses cotés au cours de sa vie. L’une d’elles, l’écrivain Ingeborg Schwenker, s’est suicidée.
La composition de Jarrell relève d’avantage du théâtre musical que de l’opéra. Il vaudrait mieux la définir comme tel pour couper l’herbe sous les pieds des critiques qui manqueraient d’ouverture d’esprit et s’accrocherait à une nomenclature encyclopédique. Les enregistrements électroniques, soulignés par l’ensemble de l’IRCAM de Paris et les brouillards sonores créés par « Les Percussions de Strasbourg », ont fait naître un espace diffus dans lequel l’action était parfaitement chez elle. Un exemple pour montrer à quel point Jarrell sert plutôt la pièce avec la musique au lieu de la mettre en avant donnant ainsi à la parole et aux images de rester ses égaux.
Une œuvre d’art complet qui n’incite pas seulement les écoliers présents à une réflexion plus approfondie.
« Le père » a fait l’objet d’une captation par Arte-live-web et peut être visionné pendant les 6 prochains mois.
Le 27e concert organisé dans le cadre du Festival Musica a été joué par le SWR, l’orchestre symphonique Baden-Baden et de Fribourg. Sous la direction d’Emilio Pomárico, on a pu entendre des œuvres de Franco Donatoni, Aureliano Cattaneo, Arnold Schönberg ainsi que les «Paysages avec figures absentes – Nachlese IV» de Michael Jarrell avec Ilya Griognolt au violon.
Jarrell, né en 1958 en Suisse, a pour sa merveilleuse composition puisé l’inspiration dans le livre de Philippe Jaccottet du même titre. A propos du degré de difficulté de l’œuvre, on peut affirmer sans hésiter que Jarrell a du regarder du coté de Paganini et l’interprète Ilya Griognolt a vraiment agi en «violoniste du diable». Sa grande virtuosité s’est exprimée d’emblée : dans un tempo vertigineux, il oscillait sans difficulté entre les parties legato et staccato. Et comme s’il voulait faire la démonstration de toute la richesse sonore de la pièce, il pinçait en plus les cordes jusqu’à la limite du réalisable.
Le rythme compliqué qu’il devait jouer seul contre l’orchestre paraissait faire partie de lui et pas un seul ton, aussi difficile soit-il, n’est sorti «de travers». Le rôle de l’orchestre est réduit à celui d’accompagnateur: il est pratiquement toujours au service du violon. A de rares occasions, de petites interventions des instruments à vent cherchent à le faire taire. Mais le violon ne se laisse pas faire: il joue son thème encore et encore. Et il peut se fier au soutien de l’orchestre qui souligne les lignes de notes sèches que doit suivre l’instrument avec beaucoup de chaleur et de couleur. Seulement au moment où un carillon les rejoint, une accalmie se fait sentir. Comme s’il retrouvait ses esprits après une sorte de fureur irraisonnée dans laquelle il s’était mis tout seul ! De plus en plus silencieux, le violon finit dans un souffle, à peine perceptible.
Une œuvre impressionnante que l’on aimerait entendre beaucoup plus souvent. La performance exceptionnelle du soliste originaire de Saint Petersburg était exceptionnelle et les ovations du public étaient largement justifiées.
Aureliano Cattaneo (c) Lucia Nunez Garcia
L’œuvre de Michael Jarrell n’était pas la seule à impressionner ce soir-là. Le compositeur Aureliano Cattaneo, âgé de 36 ans, a prouvé que la nouvelle musique est consciente de ses racines et qu’elle n’a pas forcément besoin de choquer pour s’affirmer. Dans son «Selfportrait with orchestra», une œuvre ayant fait l’objet d’une commande et écrite pendant l’année en cours, l’artiste met son âme à nu: après un début presque incertain, son cosmos sonore bascule du coté obscur. Une sorte d’ambivalence prévaut jusqu’à la fin de la pièce : des tubas menaçants interrompent encore et encore la sonorité scintillante. On frotte et on cliquette pendant les superbes passages très différenciés dédiés aux percussions. Ces passages basculent dans une sorte de geste menaçant avant d’être remplacés par des parts tendres, pendant lesquelles des sons légers de flûte et de xylophone embrassent les violons qui agissent tout en retenue. Quand finalement les cors entonnent un petit duo et que l’on entend des cloches de vaches, on a la certitude de ne pas être dans le sud de l’Italie. La petite mélodie que joue le violon à la fin du morceau est la preuve qu’un véritable trésor musical d’une grande largeur de bande dort dans la mémoire de Cattaneo et ne demande qu’à s’exprimer. L’alternance entre une narration intérieure, spirituelle et une narration extérieure est la caractéristique de ce morceau de musique très touchant. Les félicitations qu’adresse Jarrell au jeune Cattaneo étaient certainement bien plus que seulement un beau geste.
« Voici » de Franco Donatonis, écrit en 1972/73, était une entrée en matière bien choisie pour les pièces de Jarrell et de Cattaneo qui devaient suivre. Ses stèles de sons dramatiques, toujours interrompues par des ondulations légères étaient, comme les autres œuvres de la soirée, magistralement dirigées par Emilio Pomárico. Les gestes clairs du chef d’orchestre ont respecté les partitions jusqu’au moindre détail sans s’y perdre pour autant. Le coup sur le pupitre qui lui a fait perdre la pointe de sa baguette pendant qu’il dirigeait les « Variations pour orchestre opus 31 » de Schönberg, prouve que Pomárico mettait du cœur et beaucoup d’intensité à l’ouvrage.
Les Variations de Schönberg furent un choix judicieux pour clore cette soirée. Elles permettaient de regarder en arrière, en direction des deux nouvelles œuvres de la soirée. Ainsi l’auditoire avait la possibilité, et ce n’était guère étonnant, de découvrir des choses qui semblaient s’être perdues pendant la deuxième moitié du 20e siècle, comme par exemple la combinaison de schémas de composition compréhensibles avec en prime des sensations sonores agréables.
Le Festival Musica montre – et non seulement ce soir-là – que depuis quelque temps déjà, une petite armada de compositeurs contemporains est en marche et se dirige vers de nouveaux horizons, passionnants et en même temps familiers.
L`ensemble de percussions au Festival Musica (c) Philippe Stirnweiss
Le 18e concert organisé dans le cadre du Festival Musica, joué par « L’Ensemble de Percussions » lui-même composé d’étudiants du conservatoire de la musique et de la danse de Paris, a provoqué un «tremblement de salle» à France 3 Alsace. Au programme: des œuvres de Philippe Schoeller, Iannis Xenakis, Martin Matalon et Yann Robin.
«Entourés» par les œuvres de Schoeller et Robin toutes deux écrites pour 12 percussionnistes (dans le cas présent ils étaient 11 hommes et 1 femme), Victor Hanna et Emmanuel Hollebeke ont interprété «Rebonds A et B» d’Iannis Xenakis. Les deux jeunes gens ne faisaient pas seulement preuve d’une virtuosité hors pair, mais ils étaient également d’une grande sensibilité musicale. Ils ont présenté l’œuvre de Xenakis en deux parties distinctes et autonomes qui se faisaient face: D’un coté: 2 bongos, 3 tom-toms et 2 grands tambours. De l’autre coté : 2 bongos, 1 Tumba, 1 tom-tom, 1 grand tambour et un set de 5 Wood-blocks. Une composition rigoureuse qui n’a laissé aucune place à l’interprétation tout comme l’ensemble des œuvres jouées lors de cette soirée. Elle était une «entrée en matière» idéale pour Adrien Pineau et sa performance au vibraphone, «Short Stories» de Matalon. Pineau maîtrise son instrument de façon admirable et possède une mémoire musicale hors norme, la preuve en est qu’il a joué entièrement par cœur ce morceau écrit en 2005. Martin Matalon a juxtaposé ces pièces courtes qui se faisaient référence les unes aux autres. Elles couvraient à chaque fois la totalité des trois octaves dont dispose l’instrument. En ajoutant des changements pour les percussions, le compositeur a réussi à élargir l’expérience sonore d’une dimension supplémentaire. Les applaudissements frénétiques du public étaient parfaitement justifiés.
« Archaos Infinita 1 & II » de Philippe Schoeller, joué en début de soirée, devait « livrer bataille » contre une petite voix d’enfant : Les pauses bien dosées qui étaient opposées aux denses nuages sonores, différenciés les uns des autres par des hauteurs de sons graduels, étaient copieusement « commentées » par une petite visiteuse. Michel Cerrutti a prouvé à cette occasion qu’il possédait des nerfs d’acier : sans sourciller, il a réussi à faire contourner cet « obstacle » à son ensemble. Les coups durs dispersés dans l’œuvre étaient les signes avant-coureurs d’une masse sonore qui devait s’accumuler pour devenir infernale.
Le morceau plein d’énergie de Schoeller était opposé aux «Titans» de Yann Robin, une œuvre également écrite pour 12 percussionnistes. Chez Robin ne prévalent pas les accents durs mis par l’un ou l’autre des musiciens, mais des coups « uni-sonos » joués par l’ensemble de la formation. En revanche, la rythmique était semblable à celle entendue chez Schoeller. Les mouvements en vagues montantes et descendantes et les tons supérieurs stridents, censés séparer et/ou introduire les différentes parties du morceau, étaient une autre caractéristique de cette œuvre. Robin profite de toutes les possibilités de ce corps sonore puissant, jusqu’à la limite de la douleur. Ses « Titans » finissent au sens propre du terme avec une « finale du tonnerre ».
Le concert du 2 octobre, le dernier de trois concerts joués dans le cadre du Festival Musica à Strasbourg était, comme l’était déjà les deux précédents, entièrement dédié à Iannis Xenakis. Grâce à une distribution de premier ordre – Les Percussions de Strasbourg , la Philharmonie de Bruxelles, l’Orchestre Flamand, le Chœur de la Radio Flamande et le Chœur de la Radio Lettonne – cette soirée fut l’un des points culminants du festival.
Immédiatement en début de soirée, les 6 percussionnistes strasbourgeois -dont 2 femmes- ont prouvé qu’Iannis Xenakis savait orchestrer leurs instruments de façon à créer tout un concert. « Persephassa », écrite en 1969, fait allusion à Perséphone, la reine des morts qui est la fille magnifique de Zeus et Déméter. Xenakis plonge le public, fort de ce savoir, dans un spectre sonore rythmique qui joue avec le temps et l’espace. Les 6 musiciens étaient placés de telle sorte qu’ils encerclaient pratiquement leur public. Le résultat était étonnant : du Dolby-Surround créé en direct. En particulier les passages qui parcouraient tour à tour toutes les unités de percussion, offraient une expérience auditive tridimensionnelle au public. Les coups «uni sonos» faisaient penser à des coups de fusil. Ils étaient en opposition totale avec les passages aux petits sons de clochette, qui pourtant faisaient monter la tension encore davantage. Après ces sonorités tendres, une longue pause permet de donner libre cours aux réflexions sur la notion de temps. Xenakis utilise les cuivres, les timbales et les grandes caisses, des wood blocks, des carillons et des maracas: dans cette œuvre, le compositeur « n’épargne » pratiquement aucun instrument rythmique. La densité et la couleur du son changent en permanence, elles sont totalement contrastées ou alors se complètent harmonieusement. A là fin de cette expérience sonore de 35 minutes arrive le final qui fait sonner tout ce qui peut émettre un son: le volume se situait tout juste en dessous du seuil de la douleur. Le tout résonnait dans les oreilles jusqu’à ce que les applaudissements, en créant un spectre sonore totalement différent, prennent la relève.
Le pianiste Geoffrey Madge (c) Muller
Le deuxième concert de la soirée, « Synaphai », un concerto pour piano et orchestre, regorgeait de la même énergie. Geoffrey Madge, sous la direction de Michel Tabachnik, était au piano. Il a joué, comme si sa vie en dépendait. Cette part extrêmement difficile demande au pianiste non seulement un savoir-faire et une technique hors pair, mais exige aussi persévérance et puissance. Maintenir la cadence et la densité sonore pendant les passages qui secouent et bousculent, assurer leurs mouvements opposés ou parallèles qui durent de longues minutes est un exercice comparable à ceux que l’on fait dans une salle de musculation. Le pianiste originaire d’Australie a travaillé pendant très longtemps avec Xenakis en personne. Une collaboration qui garantit d’une certaine façon l’authenticité de l’interprétation. Pendant de très longs passages, le piano s’est intégré tout naturellement dans les phénomènes sonores de l’orchestre. Il y a même partiellement disparu, pour revenir ensuite et se voir attribuer encore une fois une part exceptionnelle, virtuose.
Michel Tabachnik était l’un des interprètes favoris de Xenakis. Tabachnik s’est avéré un chef orchestre exceptionnel, dans tous les concerts joués au cours de cette soirée. Ses entrées justes ajoutées à une énergie débordante ont permis une transposition 1:1 des œuvres dirigées. Des nuages de sons, des bruissements et des roulis, des éléments de composition parfois compréhensibles, parfois inexplicables ont fait de Synaphai une véritable aventure.
Après l’entre-acte, la soirée continuait avec « Metastaseis » et « Cendrées », des œuvres annoncées dans le programme comme emblématiques. Metastaseis est une œuvre débordante pendant laquelle aucun des musiciens ne joue la même part que son collègue : Un monde sonore hypertrophié, indéchiffrable et impénétrable est peuplé par des accumulations et des nuages. Ce monde est furtivement accentué par un quartet d’instruments à cordes, qui finit par être absorbé et interprété par les autres instruments. Ce morceau passe pour être la première œuvre pour orchestre de Xenakis. En comparaison avec les autres, elle est avec sa durée de 7 minutes plutôt courte.
En revanche « Cendrées », l’œuvre pour chœur et orchestre
censée clore cette soirée, a atteint avec ses 25 minutes une durée à la hauteur de sa dimension sonore. Après les glissandi montants des violons et les violoncelles décroissant si typiques pour Xenakis, se font entendre une à une les voix du chœur. On comprend très vite que Xenakis ne cherche pas à utiliser la voix humaine mais qu’il la définit comme quelque chose de différent, presque déshumanisé, quelque chose qui forme une part opposée à l’orchestre tout en étant son égal.
L’œuvre ne comporte pas de repères mélodiques, ce qui présente pour les chanteuses et chanteurs une difficulté majeure. Tous disposent d’un diapason qui leur permet de trouver le ton juste pendant la représentation. Des vagues sonores de taille inégale, également une caractéristique de l’œuvre de Xenakis, donnent l’impression d’une musique abstraite. Le solo d’une flûte traversière est suivi de façon imprévisible par un duo, auquel viennent s’ajouter des instruments à vent. A peine a-t-on l’impression d’avoir décelé la structure, le chœur se déchaîne à nouveau avec une force quasi brachiale. A ce moment précis, plus aucun doute ne subsiste, c’est clair comme de l’eau de roche: L’équation pour la musique de Xenakis est : l’énergie pure !
Les passages qui glissent vers le piano sont là pour que chacun puisse reprendre son souffle et que tout reparte encore plus fort !
C’est une excursion dans un univers de sons unique dans la scène musicale du 20e siècle. Et ces quelques rares occasions qui permettent d’y participer sont encore et toujours des expériences fascinantes.
Concert Xenakis # 2 et concert Xenakis # 3 au Festival Musica
Concert Xenakis # 2
La soirée du samedi 3 octobre était un hommage à Iannis Xenakis (1922-2001). On a honoré ce soir-là le compositeur et architecte qui a collaboré pendant une douzaine d’années avec Le Corbusier en donnant trois concerts, exclusivement constitués de ses œuvres.
Peu après midi, le premier concert a eu lieu dans la salle bondée de l’ancienne bourse. Les solistes: Jan Michiels au piano et Arne Deforce au violoncelle.
En ouverture on a pu entendre «Nuits» écrit en 1967 et interprété par le chœur de la radio lituanienne. En quelques instants, les augures de la nuit, appelés par les voix féminines, ont investi la salle. Xenakis a puisé son inspiration pour cette œuvre dans des poèmes archaïques qu’il a mis en musique. Le compositeur les a dédiés à tous ceux qui ont été persécutés pour leurs idées politiques et qui ont disparu. Le texte de cette œuvre n’est plus compréhensible aujourd’hui, comme c’est le cas de toutes les œuvres pour chœur d’Iannis Xenakis. Du texte ne subsistent que quelques fragments en arrière plan, la priorité étant donnée à l’expression sonore. Le chant des oiseaux, en revanche, comme d’autres voix de la nature sont mis en avant. On entend à peine une petite ligne de chiffres qui semble provoquer des disputes: des chuchotements et des sifflements sont opposés à de courtes mélodies. Des arcs sonores augmentant et diminuant font naître un tout qui se perd doucement, de façon presque anodine.
Une entrée en matière judicieusement choisie pour cette suite de concerts. La nuit prit fin avec une deuxième œuvre avec la participation d’un chœur. Une belle parenthèse conçue par Jean-Dominique Marco pour cette journée.
Jan Michiels le pianiste belge a joué « à R », un hommage à Ravel. Son interprétation d’Evryali et de Mists a parfaitement démontré les schémas récurrents des compositions, comme par exemple l’utilisation des passages en sens opposé et une fureur à perdre haleine qui faisait penser à une course poursuite. Dans les partitions de piano, la polyphonie est conçue avec tant de puissance qu’elle donne l’impression que le pianiste possède vingt doigts. Cette polyphonie est souvent mise en opposition avec de petits éclats clairs. La performance fulgurante de Michiels fut à tout moment mise au service de la partition débordante d’énergie de Xenakis.
De façon similaire, son compatriote Arne Deforce a interprété à la perfection «Nomos Alpha », un morceau solo pour violoncelle, une composition à tout point de vue extrêmement exigeante. En spécialiste de la musique contemporaine, Deforce a joué avec une expression musicale si intense qu’à aucun moment il n’y a eu la moindre longueur.
Quelle que soit la couleur sonore exigée, rien, aucune technique, ni aucune transition ne semblait présenter une quelconque difficulté pour le musicien. Il était absolument à la hauteur de l’univers sonore créé par Xenakis pour cet instrument. Dans cette multitude de voix et les différents rythmes, on pouvait aussi bien entendre des sons symphoniques que des mesures jazzy. Certains passages étaient entièrement dédiés aux rythmes, d’autres au son. Une performance extraordinaire, acclamée par le public à juste titre. On se rendit au concert suivant avec une excitation certaine, car une fois encore on devait avoir l’occasion d’entendre Deforce.
Concert Xenakis # 3
En fin d’après-midi, le public était attendu dans la salle de concert de France 3 Alsace où la « musikFabrik » de Cologne, sous la direction de James Wood, a joué le 24e concert du Festival Musica. Les œuvres interprétées: « Jalons » et « Thallein » des compositions qui sont assez proches l’une de l’autre, même si leur instrumentalisation diffère légèrement: dans « Jalons », écrit pour un petit orchestre symphonique, Xenakis a fait l’impasse sur les percussions. Dans «Thallein» en revanche, les percussions et un piano complétèrent l’instrumentaire.
musikFabrik (c) Klaus Rudolph
Les deux morceaux, brillamment dirigés par Wood, comportent une multitude d’idées de composition qui se succèdent comme dans une course de relais. Par moment, certains instruments se font clairement entendre et déterminent la sonorité tout en étant dans une dissonance totale par rapport à ce qui se passe par ailleurs. Ce fut le cas, pendant de longs passages, pour les flûtes. Ensuite, les différents groupes d’instruments restent entre eux, jouent leurs petites séquences sans se soucier des parts des autres. Une structure rythmique rudimentaire réussit néanmoins à maintenir ce qui menace d’exploser. Les glissandi, si typiques pour Xenakis, font naître une sorte mouvement de vagues dans la musique. Une technique que le compositeur emploie volontiers dans ses œuvres.
Il était très plaisant d’observer les musiciennes et musiciens pendant leur travail parce qu’ils donnaient l’impression de jouer avec une joie évidente, malgré la concentration qu’exige la composition de Xenakis.
Arne Deforce (c) document recu
La performance d’Arne Deforce avec la « musikFabrik » était aussi convaincante que dans son solo donné dans la salle de la bourse. Mais « Epicylce » écrit en 1989 était nettement moins exigeant que « Nomos Alpha », même si ce morceau comportait également des parts incroyablement difficiles.
Contrairement aux deux autres morceaux du concert, il était évident que le compositeur avait « emprunté» auprès des pratiques de composition historiques, comme l’intégration de la part du violoncelle dans l’ensemble, sa transformation ou alors son accompagnement. Ceci rompt avec les principes de composition mathématiques des deux autres œuvres de Xenakis.
Si l’on voulait trouver un dénominateur commun aux œuvres entendues dans la soirée, cela pourrait être « la multitude au lieu de la simplicité ». Dans aucune de ses compositions, Xenakis s’est contenté de quelques rares idées. Au contraire ! Le public avait fort à faire en essayant de suivre ne serait-ce que approximativement les épanchements du compositeur.