Printemps, été, mer et pays lointains

Printemps, été, mer et pays lointains

Béatrice Uria-Monzon (c: OPS)

Béatrice Uria-Monzon (c: OPS)

Le 9 décembre, le concert de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg a fait voyager son public dans des contrées chaudes. Avec «Images pour Orchestre » de Claude Debussy et « Shéhérazade » de Maurice Ravel, Marc Albrecht avait porté son choix sur deux morceaux peu connus. Seulement la fin de la composition de Debussy « la mer » fait partie du répertoire que résonne dans toutes les salles de concert du monde.

Le directeur musical de l’OPS est resté fidèle à sa ligne de conduite pour cette saison : Il veut mettre des œuvres au programme, qui ont rarement été jouées à Strasbourg, voir jamais. « Images pour Orchestre » de Debussy est une œuvre très complexe qui demande à ceux et à celles qui l’écoutent une grande expérience musicale pour l’apprécier dans son intégralité. Une idée de composition chasse l’autre, des changements rapides de rythme et d’ambiance demandent la plus grande concentration non seulement à l’orchestre mais aussi à son public.

L’œuvre de Debussy est précédée par la réputation d’être difficile à comprendre. Il est préconisé de l’écouter plusieurs fois pour la saisir totalement. Mais malgré tout, le charme de la composition fait aussi son œuvre chez ceux qui ne sont pas vraiment fins connaisseurs. Le traitement à minima que Marc Albrecht à la baguette avait réservé au premier mouvement empêchait de trop grandes émotions. Mais d’un autre coté, cette interprétation permettait de percevoir les nombreuses voix instrumentales clairement et distinctement. Les mouvements suivants avec comme thème général « Iberia » formaient un contraste d’autant plus saisissant. Les castagnettes qui à travers tout le deuxième mouvement accentuaient le rythme et les soli très propres des trompettes faisaient ressentir les pulsations de la vie des villes espagnoles aussi bien que l’ondoiement de l’air printanier du dernier mouvement.

Avec Shéhérazade de Maurice Ravel, la mezzo-soprano française Béatrice Uria-Monzon s’est présentée au public. Sa voix pleine et chaude était en parfaite harmonie avec l’ensemble. Maurice Ravel à travers sa musique mettait l’orient lointain à l’honneur en trois couplets. Le point de départ de la composition était un poème de Léon Leclère (1874 – 1966). Leclère qui vénérait Wagner avait choisi en l’honneur de celui-ci « Tristan Klingsor » pour pseudonyme.

Dans la première partie l’œuvre fait référence au désir de vivre des aventures dans un pays étranger. Uria-Monzon exprime ceci d’un point de vue musical très profondément. Les mots « je voudrais voir » qui reviennent sans cesse le disent aussi très clairement.

Dans le deuxième mouvement, sa réponse charmante à la voix de la flûte fait part des pensées qu’elle a pour son amour, tout en faisant voyager à nouveau l’auditoire dans des paysages superbes, baignés par le soleil et peuplés par de nombreux oiseaux. Le dernier mouvement, très beau et lyrique dans lequel Klingsor parle d’un jeune homme aux yeux aussi beaux que ceux d’une jeune fille, a été prétexte pour un certain nombre de spéculations du temps de Ravel. Rien de tout cela ne transparaît dans la musique, qui transmet le sentiment d’un souvenir nostalgique, souffle des sentiments amoureux et raconte un espoir déçu. Ce passage montre à quel point la musique est universelle, comme c’est facile pour elle de passer par-dessus les conventions et de se libérer de toute contrainte pour parler directement au cœur de l’être humain – quelque soit son sexe.

« La mer » de Claude Debussy est un morceau qui correspond parfaitement à l’interprétation qu’en fait Marc Albrecht. Cette œuvre décrivant à l’aide de beaucoup d’astuces de composition les évènements sensoriels de la mer, demande une étude très détaillée de la partition. Ceci pour permettre de faire entendre tous les détails, si cachés soient-ils. Debussy a mis en musique aussi bien l’eau qui se ride, une mer calme, le bruit doux des petites vagues qui échouent à la plage ou alors l’éclaboussure de l’embrun. Et les musiciens de l’OPS interprètent le tout avec beaucoup de sensibilité. Des constructions presque organiques qui enflent et désenflent soulignés par l’ondulation des instruments à cordes, qui trouvent leur point culminant dans les trompettes sont aussi bien perceptibles que les scènes d’une eau profonde et calme dont la surface scintille et brise les rayons du soleil. La finale chargée d’une grande tension exprime à travers les basses à cordes menaçantes et les roulis des timbales qui montent en crescendo jusqu’à la fin fulminante le dialogue entre le vent et la mer.

L’enchantement ressenti par le public qui avait été emporté dans des pays étrangers et dans l’immensité des mers a agi encore pendant longtemps après cette soirée. Y a-t-il une plus belle raison pour assister à un concert ?

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker

Le cinéma dans la tête – grâce à la musique de l’OPS

Le cinéma dans la tête – grâce à la musique de l’OPS

Les concerts de l’OPS du 3 et 4 décembre étaient dédiés à Hans Werner Henze, Felix Mendelssohn-Bartholdy et Richard Strauss.

Honorè Daumier - Don Quichotte und Sancho Pansa  (1886 Öl auf Leinwand, 51 x 32 cm) Quelle: Wikipedia.org

Honorè Daumier - Don Quichotte und Sancho Pansa (1886 Öl auf Leinwand, 51 x 32 cm) Quelle: Wikipedia.org


La musique qu’on écoutait avait un pouvoir évocateur tel, qu’à travers elle des associations cinématographiques se mettaient en place dans la tête du public. Le vécu traumatisant du jeune Törless prenait vie dans l’imaginaire de l’auditoire. Tout autant que les scènes d’une grande fraîcheur et d’un charme indéniable sorties tout droit du « songe d’une nuit d’été » de William Shakespeare. En dernière partie de soirée, pendant le Don Quichotte de Richard Strauss, on avait les aventures du gentilhomme espagnol avec son Sancho Panso littéralement sous les yeux : Don Quichotte sur le cheval en bois, que son imagination incroyable faisait voler dans les airs, semblait effectivement planer au dessus des spectateurs.

Dès le premier morceau, la fantaisie pour instruments à cordes de Hans Werner Henze, le chef d’orchestre Marc Albrecht montrait clairement, qu’il ne comptait pas surenchérir sur le coté dramatique inhérent à l’œuvre. Il misait plutôt sur la dynamique et une puissance sonore bien dosées. Et ceci valait non seulement pour la composition de Henze mais aussi pour les suivantes. Ce travail d’interprétation est caractéristique pour Marc Albrecht, qui souligne de cette façon les caractéristiques des œuvres sans les exagérer. Ceci lui permet de mettre en évidence les nuances les plus subtiles, qui seraient certainement imperceptibles, si le tempo ou la puissance sonore étaient utilisés différemment.

Le morceau de Henze devenait ainsi un caléidoscope de la cruauté et de la misère humaine qui alternait avec des séquences plus calmes, pleines de pressentiments et de sentiments de résignation. Il n’était pas nécessaire d’avoir lu le roman de Robert Musil, ni indispensable d’avoir vu sa version cinématographique de l’année 1965 pour comprendre le sens que la musique traduisait si clairement. En racontant l’histoire du jeune Törless, le premier film du réalisateur Volker Schlöndorff traitait des mécanismes du pouvoir et de l’oppression. Et c’était justement la musique de Henze que Schlöndorff avait utilisée pour son film. C’est une œuvre que l’on ne joue que très rarement et c’est précisément pour cette raison qu’on pouvait l’entendre à Strasbourg. Il fait partie d’une série de compositions qu’on a rarement l’occasion d’écouter et que Marc Albrecht à mis au programme avec l’OPS durant cette saison. C’est donc une pierre à l’édifice de la programmation de la saison en cours, ou l’on pourra redécouvrir des morceaux anciens et en découvrir de nouveaux.

La fantaisie de Henze est d’un point de vue stylistique une sorte de conglomérat bien calculé qui a plusieurs sources : Tantôt on reconnaît des éléments qui font référence au romantisme tardif, tantôt elle évoque des souvenirs de Stravinsky. Quand les basses des instruments à cordes font un usage rythmique de leurs instruments, elle montre même un esprit contemporain. Cette œuvre avec son large spectre de sonorités d’un grand pouvoir d’illustration et d’une grande force d’expression donnait au public strasbourgeois la possibilité d’apprécier les instruments à cordes de l’OPS, totalement libres de toute autre influence sonore. Un moment merveilleux !

La deuxième œuvre, le « songe d’une nuit d’été » avec son ouverture, le scherzo, le nocturne et la marche nuptiale de Félix Mendelssohn-Bartholdy, constituait un contraste émotionnel total. Mendelssohn a découvert la pièce de Shakespeare en 1826. Dans un premier temps il a écrit une ouverture qui à elle seule représente la totalité de la pièce de théâtre, restituant à merveille ses impressions enchanteresses. 17 ans plus tard on lui a demandé d’écrire une musique scénique pour la mise en scène d’une pièce de Ludwig Tieck à Berlin. Cette composition est rarement jouée dans sa version intégrale. La plupart du temps cette œuvre ne trouve son chemin dans les salles de concerts que sous une forme abrégée ou par morceaux choisis ; comme à Strasbourg. Le mouvement le plus connu, la marche nuptiale est dans sa version pour orgue d’une certaine façon descendu dans la rue. C’est devenu une sorte de chanson populaire solennelle dont le thème principal résonnait et résonne toujours à des centaines de milliers de mariages. En 1858, jouissant toujours d’une popularité inégalée, elle a même été jouée au mariage de la princesse Victoria de Grande Bretagne et d’Irlande avec le prince héritier prussien Frédéric-Guillaume.

A juste titre c’étaient surtout les cuivres qui pouvaient tirer l’attention sur eux: Leurs rentrées et leur interprétation bien dosées accompagnaient les personnages féériques et enchantés à travers les forêts d’été du premier au dernier mouvement, sans qu’Albrecht leur permette de reprendre leur souffle. Il emmenait les couples amoureux à l’autel non pas au pas lent et soporifique mais il les y faisait courir dans la joie. Une preuve que la marche nuptiale de Mendelssohn peut se passer d’un pathos exagéré.

Alexander Somov (Foto: OPS)

Alexander Somov (Foto: OPS)


Deux musiciens attendaient le point culminant de la soirée avec une impatience fiévreuse – Alexander Somov et Harold Hirtz. Somov est premier violoncelliste de l’orchestre, Hirtz est premier altiste. Ils incarnaient le « couple » littéraire de Don Quichotte et de Sancho Pansa, les personnages du roman de Miguel de Cervantès. Bien accompagnés ils n’agissaient pas seuls mais ils réagissaient aux rentrées courtes et brillantes comme celles du violon ou des bassons. Et là aussi, Marc Albrecht s’efforçait à ne pas laisser sombrer le romantisme dans un kitsch pathétique. Il y arrivait grâce au tempo soutenu et aux transitions rapides. Selon le rôle qu’il avait endossé, Somov devenait sauvage, enrageant sur son violoncelle, en opposition à Hirtz, qui de toute évidence cherchait dans les passages lyriques l’aide d’un vibrato tout en sensibilité à calmer son maître au caractère volcanique. Mais le beau violon de Vladen Chernomor avait aussi son part à jouer et complétait tout en brillance le spectre musical du violoncelle et de l’alto. Somov n’impressionnait pas seulement dans les passages techniquement très difficiles. Il réussissait surtout dans les dernières mesures à transmettre merveilleusement les sentiments de Don Quichotte qui, revenant à lui, sombrait dans une profonde mélancolie. Tant et si bien qu’après avoir perçu la dernière note, le public dans la salle gardait un silence ému. Hirtz a joué l’un des plus beaux soli jamais écrit pour l’alto tout en étant en fusion musicale totale avec son rôle. Celui du serviteur et fidèle compagnon de route de son maître.

Pendant cette soirée sous la direction de Marc Albrecht il devenait très clair pourquoi l’OPS est actuellement d’une qualité si exceptionnelle. De toute évidence, chaque voix instrumentale est idéalement distribuée, Somov et Hirtz en ont donné une preuve impressionnante.

Que tous les responsables des modalités de sélection passent devant le rideau !

I Gricanti – la musique populaire de l’Italie du sud

I Gricanti – la musique populaire de l’Italie du sud

Décrire la musique d’I Gricanti revient à essayer de rattraper le rythme léger et les mélodies joyeuses de cet ensemble en trébuchant sur les mots.

I Gricanti (Foto:Strasmed)

I Gricanti (Foto:Strasmed)

Car la musique du groupe de 6 musiciens rie, danse, saute et fait des bonds. Et quand elle est plus triste, elle est tout au plus un peu mélancolique. A vrai dire, cette musique c’est tout simplement la vie. La vie sous le soleil ardent d’Italie ; c’est la vie sur les champs labourés par les femmes tout en chantant pendant leur dur labeur. C’est la vie dans les petits villages, quand on fait la fête en dansant jusqu’au petit matin. Mais à l’origine, la « Taranta », la musique que jouent I Gricanti, était utilisée comme un médicament – pour guérir! Pour guérir essentiellement les femmes qui pendant qu’elles travaillaient dans les champs s’étaient fait piquer par une tarentule. Les symptômes ne disparaissaient qu’en dansant jusqu’à atteindre l’état de transe.

I Gricanti sont originaires de la région Grecia Salentina en Italie du Sud. Ils font revivre une tradition musicale qui fête une sorte de renaissance extraordinaire en Italie. Ils chantent leurs chansons ou en italien ou en Griko, leur patois d’origine, une langue qui comporte des éléments grecs, byzantins et italiens. Le festival « la Nuit de la Taranta » à Melpignano réunit depuis une douzaine d’années annuellement tous les amateurs de cette musique. En août dernier ils étaient 100.000 pour fêter et danser dans la joie.

Et une partie du public Strasbourgeois en a fait autant pendant le concert dans le cadre du festival Strasmed.

Sans y être invités, mais chaleureusement accueillis et remerciés, quelques jeunes filles mais aussi un monsieur âgé prenaient la petite piste de danse d’assaut. Et pour couronner le tout, l’un de musiciens a choisi l’une des danseuses pour continuer à tournoyer à deux – et en cadence !

Ce sont les tambourins qui donnent le tempo. Ils s’emparent des jambes et engendrent même une sorte d’addiction.

Les belles voix féminines complémentaires d’Anna Cinzia Villani et d’Enza sont typiques pour ce genre de musique : Claires, presque incisives elles remplissent la salle sans aucun effort – dans le temps, elles traversaient des espaces bien plus grands à travers champs ! Dans cette tradition du chant, la technique est transmise jusqu’aujourd’hui – une illustration magnifique à quel point l’histoire et le présent sont intimement mêles. De temps à autre on perçoit de fines arabesques qui flattent un petit passage musical – l’Italie du Sud ne s’était jamais fermée aux influences arabes et ici c’est très clairement audible. Un accordéon, par moment un violon, des guitares et surtout les voix et les tambourins, celui de Rocco Avantaggiato avant les autres, font partie du vocabulaire instrumentale des I Gricanti. Sans oublier le vieux tambour à friction, qui apporte avec sa voix sonore et rythmique un élément acoustique tout à fait particulier. C’est Salvatore, le frère de Rocco qui joue de cet instument ancestral.

Les morceaux sont presque tous sans exception dans un rythme 4/4, bien adapté aux petits pas de danse rapides. Une fois seulement ils basculent dans le rythme d’une valse : quand ils rapportent la cantate que le père Avantaggiato chantait pour sa fiancée, de nuit, sous une fenêtre. Il n’était pas seul avec une guitare, mais accompagné par tout un orchestre. Pas étonnant que ses fils ont la musique dans le sang. Le travail, la danse joyeuse et l’amour sont les thèmes centraux que les chansons et les différents morceaux expriment. On y célèbre aussi la tradition qui consiste à conter des histoires. C’est une chose qui en dehors de ce contexte musical n’existe pratiquement plus.

Le fait que les musiciens et musiciennes étaient littéralement assiégés après le concert est la preuve, que cette musique rencontre même en dehors des frontières de leur pays un immense intérêt. Bravo !

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker

Les folies Berbères

Les folies Berbères

Hamed Bouzzine et Ali Merghache forment le duo « Les Folies Berbères ». Dans le cadre du festival Strasmed ils ont montré leur spectacle qu’il conviendrait de définir comme petit cabaret musical – si – si ce n’était pas un genre européen et que les deux acteurs n’avaient pas de racines arabes !

"Folies-berbères" (Foto: Strasmed)

"Folies-berbères" (photo: Strasmed)


De ce mélange ils ont tiré une combinaison intéressante qui décrit, tantôt en riant, tantôt en pleurant, la vie dans la diaspora. En solo, accompagnés par une musique discrète jouée par le partenaire en arrière-plan, ils racontent les rêves de ceux qui sont en partance pour l’Europe, ils parlent de leurs échecs et leurs problèmes d’intégration.

Au tout début, Hamed Bouzzine illustre à l’aide d’un petit poème ce qu’intégration veut dire. En Europe tout est calculé : Une semaine a 7 jours, on ne travaille pas le dimanche, une journée compte 24 heures, l’heure compte 60 minutes, une minute 60 secondes. Ce qui peut nous paraître banal, peut demander une grande aptitude d’adaptation aux personnes issues d’autres cultures, qui n’ont pas l’habitude de passer leur vie avec une montre au poignet. Il faut tout réapprendre, réfléchir à chaque fois qu’on met un pied devant l’autre. Tout doit être imité dans le but de s’intégrer. Et tout ça pour constater finalement qu’on est étranger et qu’on le reste.

Hamed et Ali racontent à tour de rôle de petites suites scéniques. Elles oscillent entre tristesse et humour et peuvent même parfois paraître absurdes au premier regard. La joie arabe de conter des histoires est particulièrement perceptible quand les deux rapportent leurs histoires avec des tigres qui, quoi qu’il arrive, finissent par les dévorer. « Qu’est-ce que ça veut dire, que le tigre t’a tué ? Tu es à coté de moi, ou je me trompe ? » C’est la question qu’ils se posent mutuellement et à laquelle ils répondent de façon laconique : « Oui, je suis bien à coté de toi ! Mais tu appelles ça une vie ? » Ils agissent sous une pression terrible: l’obligation de réussir. Mais ils préfèrent rêver d’une mort dramatique, remarquée et remarquable, plutôt que de vivre une vie insignifiante et miséreuse dans un pays étranger.

L’histoire de la fête du sacrifice du mouton dans une HLM en France est magnifique parce qu’elle est également remarquablement interprétée : Aucun des fils, qu’Ali Merghache joue les uns après les autres ne réussit à faire changer d’avis au père qui veut coûte que coûte tuer le mouton le jour de l’Aïd el Kebir. Et arrive ce qui devait arriver : Les voisins, alarmés par le bêlement de la bête terrorisée, appellent la police qui finit par arrêter le père de famille. Le mouton, lui, encore vivant, est transfusé et transféré sous respiration artificielle à l’hôpital le plus proche. Il est difficile d’imaginer mettre sur scène ce choc de deux cultures de façon plus profonde, plus belle ou plus drôle.

Dans l’histoire du vieil oncle, qui veut revoir son neveu, Bouzzine et Ali Merghache font part en parallèle de leurs réflexions respectives. L’oncle qui vit une vie solitaire en France souhaite ardemment que le neveu lui donne un peu de son temps. Le jeune homme est mal à l’aise à l’idée de cette rencontre car il ne sait pas quoi dire à son parent. Une belle métaphore pour le conflit des générations qui ne semble plus connaître de frontières aujourd’hui. Même la grande famille arabe se délite à l’ouest – il n’en reste plus que le souvenir des anciens.

Une chanson mélancolique « I lost my son so far away » accompagne les deux tout au long de leur voyage délirant en exil ; cet exil, qu’ils ont choisi eux-mêmes. Ce chant va tout droit au cœur, sans être spectaculaire, tout simplement.

Hamed et Ali peuvent jouer ce spectacle qui réunit les peuples à travers toute l’Europe jusqu’à la fin de leurs jours. Ils touchent les cœurs des hommes et arrivent à les rapprocher les uns des autres.

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker

Khalid Izri – Du désert en Europe : aller-retour !

Khalid Izri – Du désert en Europe : aller-retour !

Des berceuses lyriques accompagnées par le son d’une guitare, des rythmes battants, qui se font insistants et qui évoquent irrésistiblement les serpentins d’une caravane dans le désert et des arabesques arabes, chantantes, associées à la guitare électrique européenne : Khalid Izri, c’est tout cela.

Khalid Izri (Foto: Strsbg. Méditerranée)

Khalid Izri (photo: Strsbg. Méditerranée)

L’homme sympathique aux boucles noires est natif du Maroc. Il porte un bonnet en tricot blanc, qui est devenu en quelque sorte un signe distinctif. Il fait partie des 70 % de la population marocaine qui sont berbères. Sa formation se compose – en dehors de sa personne – d’un violoniste, d’une flûtiste, d’un accordéoniste, d’un batteur et d’un percussionniste. Ses musiciens l’accompagnent en fonction de l’expression recherchée de façon soutenue ou très sensible. Le berbère, qui s’est établi en Europe représente un type de musicien qui à dépassé depuis longtemps ses propres racines musicales. Il mélange sans problème les influences de sa patrie marocaine et une sonorité européenne, qui s’oriente souvent au soft-rock. Ceci ouvre des portes qui facilitent la prise de contact avec l’autre culture. Izri est une célébrité parmi les marocains de la diaspora marocaine. Ils chantent les refrains avec lui, accompagnent joyeusement les rythmes en tapant des mains et se hissent même sur la scène pour « décorer » le chanteur avec un drapeau berbère en soie.

Ce soir-là, dans l’ancienne salle de marché de la bourse, dans le cadre du « Festival Strasbourg Méditerranée » Khalid Izri est une figure d’identification. Dans cette salle se trouve un public qui n’a pas l’habitude de fréquenter les salles de concert. Une communauté marocaine, majoritairement masculine et visiblement très émue par la prestation d’Izri s’est mêlée au public strasbourgeois, très ouvert au monde. Sa grande musicalité et celle de sa formation s’exprime au mieux dans le morceau qui célèbre la tradition des mariages berbères. La musique commence très calmement, empreinte d’une certaine tristesse même. Introduite par la flûte elle passe par un chant magnifique, lyrique, pour basculer finalement dans un feu d’artifice musical déclenché par les instruments exclusivement. Dès que l’on pense que le morceau touche à sa fin, il glisse à nouveau vers un passage chanté pour finir dans un rythme instrumental déchaîné, ou l’on croit littéralement apercevoir la noce tourbillonner.

Izri explique au publique en grande partie français que le mariage chez lui est quelque chose de joyeux et de triste à la fois. On est triste, parce qu’on quitte l’amour et la protection de sa propre famille tout en étant heureux à la perspective d’un nouvel avenir. Une superbe explication et un véritable hommage à la vie.

« Ma terre » un morceau traitant de la beauté de son pays a une structure similaire. Izri l’a écrit à l’âge de 14 ans. De nouveau, des passages mélancoliques alternent avec des rythmes endiablés – une sorte de marque de fabrique du musicien. Mais il chante aussi l’injustice qu’ont subie les berbères, symbole pour toutes les injustices que doivent subir les hommes dans le monde. Il chante l’exil ou évoque des souvenirs de sa mère.

Izri fait étinceler le caléidoscope de la société marocaine dont il est issu et coule cette musique dans un moule européen. Ce qui en résulte, ce sont des contrastes ravissants. Il offre à son public une soirée enivrante et en me temps touchante, qui laisse dans les cœurs une idée de ce que c’est que d’être un berbère libre.

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker

Gastibelza & Malietès

Gastibelza & Malietès

Rembetiko ou la Grèce ombragée

Gastibelza (photo: Strasmed)

Gastibelza (photo: Strasmed)

A l’occasion du festival « Strasmed » la formation « Gastibelza » donnait une soirée à laquelle elle avait convié les musiciens du groupe « Malietès ». Au programme : Rembetiko, une musique populaire née de la tradition musicale grecque à Pirée, Athènes et à Salonique dans les années vingt et trente. Le Rembetiko était la réaction à l’expulsion de nombreux grecs de leurs villages en Asie mineure vers l’intérieur du pays. Son contenu est comparable à celui du blues. Il raconte la vie et la souffrance des gens au quotidien et est devenu le moyen d’expression musical le plus important de la population grecque.

Le noyau du groupe est formé par les bouzoukis, la guitare, l’accordéon et la belle voix de Fotini Banou. Cette structure était élargie pour l’occasion par les musiciens de Malietès. La Grèce, son soleil ardant, ses rues poussiéreuses, sales et désolantes étaient à portée de mains, quand ils chantaient « l’enfant de la rue » ou alors « la femme qui vient de Kalabak ».

L’instrumentalisation des différents morceaux était très artistique – aucun d’eux ne ressemblait au précédent d’un point de vue de la distribution. Beaucoup de musiciens et de chanteuses même jouaient de plusieurs instruments au cours de la soirée. Que Banou chantait seul ou en duo ou que les différentes voix des instruments jouaient une mélodie polyphone ou uni sono, comme par exemple dans le morceau « Trikalinos », l’entrée musicale était toujours parfaite et harmonieusement accordée. Jean Lucas rajoutait une voix intéressante avec son trombone. Parfois elle restait en arrière-plan mais la plupart du temps elle existait par elle-même. Dans le « Chant de la taverne » elle babillait joyeusement et élargissait ainsi d’une façon rafraîchissante la couleur sonore habituelle du Rembetiko. Une très belle combinaison, qui faisait également son effet dans les morceaux issus du répertoire Kletzmer. Là, c’était la timbale qui avait son mot à dire. La preuve, si besoin était, que chacun des musiciens était capable d’agir en tant que soliste. Une soirée empreinte d’une ambiance particulière qui faisait résonner la nostalgie de la Grèce durablement.

Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker