Les concerts de l’OPS du 3 et 4 décembre étaient dédiés à Hans Werner Henze, Felix Mendelssohn-Bartholdy et Richard Strauss.
La musique qu’on écoutait avait un pouvoir évocateur tel, qu’à travers elle des associations cinématographiques se mettaient en place dans la tête du public. Le vécu traumatisant du jeune Törless prenait vie dans l’imaginaire de l’auditoire. Tout autant que les scènes d’une grande fraîcheur et d’un charme indéniable sorties tout droit du « songe d’une nuit d’été » de William Shakespeare. En dernière partie de soirée, pendant le Don Quichotte de Richard Strauss, on avait les aventures du gentilhomme espagnol avec son Sancho Panso littéralement sous les yeux : Don Quichotte sur le cheval en bois, que son imagination incroyable faisait voler dans les airs, semblait effectivement planer au dessus des spectateurs.
Dès le premier morceau, la fantaisie pour instruments à cordes de Hans Werner Henze, le chef d’orchestre Marc Albrecht montrait clairement, qu’il ne comptait pas surenchérir sur le coté dramatique inhérent à l’œuvre. Il misait plutôt sur la dynamique et une puissance sonore bien dosées. Et ceci valait non seulement pour la composition de Henze mais aussi pour les suivantes. Ce travail d’interprétation est caractéristique pour Marc Albrecht, qui souligne de cette façon les caractéristiques des œuvres sans les exagérer. Ceci lui permet de mettre en évidence les nuances les plus subtiles, qui seraient certainement imperceptibles, si le tempo ou la puissance sonore étaient utilisés différemment.
Le morceau de Henze devenait ainsi un caléidoscope de la cruauté et de la misère humaine qui alternait avec des séquences plus calmes, pleines de pressentiments et de sentiments de résignation. Il n’était pas nécessaire d’avoir lu le roman de Robert Musil, ni indispensable d’avoir vu sa version cinématographique de l’année 1965 pour comprendre le sens que la musique traduisait si clairement. En racontant l’histoire du jeune Törless, le premier film du réalisateur Volker Schlöndorff traitait des mécanismes du pouvoir et de l’oppression. Et c’était justement la musique de Henze que Schlöndorff avait utilisée pour son film. C’est une œuvre que l’on ne joue que très rarement et c’est précisément pour cette raison qu’on pouvait l’entendre à Strasbourg. Il fait partie d’une série de compositions qu’on a rarement l’occasion d’écouter et que Marc Albrecht à mis au programme avec l’OPS durant cette saison. C’est donc une pierre à l’édifice de la programmation de la saison en cours, ou l’on pourra redécouvrir des morceaux anciens et en découvrir de nouveaux.
La fantaisie de Henze est d’un point de vue stylistique une sorte de conglomérat bien calculé qui a plusieurs sources : Tantôt on reconnaît des éléments qui font référence au romantisme tardif, tantôt elle évoque des souvenirs de Stravinsky. Quand les basses des instruments à cordes font un usage rythmique de leurs instruments, elle montre même un esprit contemporain. Cette œuvre avec son large spectre de sonorités d’un grand pouvoir d’illustration et d’une grande force d’expression donnait au public strasbourgeois la possibilité d’apprécier les instruments à cordes de l’OPS, totalement libres de toute autre influence sonore. Un moment merveilleux !
La deuxième œuvre, le « songe d’une nuit d’été » avec son ouverture, le scherzo, le nocturne et la marche nuptiale de Félix Mendelssohn-Bartholdy, constituait un contraste émotionnel total. Mendelssohn a découvert la pièce de Shakespeare en 1826. Dans un premier temps il a écrit une ouverture qui à elle seule représente la totalité de la pièce de théâtre, restituant à merveille ses impressions enchanteresses. 17 ans plus tard on lui a demandé d’écrire une musique scénique pour la mise en scène d’une pièce de Ludwig Tieck à Berlin. Cette composition est rarement jouée dans sa version intégrale. La plupart du temps cette œuvre ne trouve son chemin dans les salles de concerts que sous une forme abrégée ou par morceaux choisis ; comme à Strasbourg. Le mouvement le plus connu, la marche nuptiale est dans sa version pour orgue d’une certaine façon descendu dans la rue. C’est devenu une sorte de chanson populaire solennelle dont le thème principal résonnait et résonne toujours à des centaines de milliers de mariages. En 1858, jouissant toujours d’une popularité inégalée, elle a même été jouée au mariage de la princesse Victoria de Grande Bretagne et d’Irlande avec le prince héritier prussien Frédéric-Guillaume.
A juste titre c’étaient surtout les cuivres qui pouvaient tirer l’attention sur eux: Leurs rentrées et leur interprétation bien dosées accompagnaient les personnages féériques et enchantés à travers les forêts d’été du premier au dernier mouvement, sans qu’Albrecht leur permette de reprendre leur souffle. Il emmenait les couples amoureux à l’autel non pas au pas lent et soporifique mais il les y faisait courir dans la joie. Une preuve que la marche nuptiale de Mendelssohn peut se passer d’un pathos exagéré.
Deux musiciens attendaient le point culminant de la soirée avec une impatience fiévreuse – Alexander Somov et Harold Hirtz. Somov est premier violoncelliste de l’orchestre, Hirtz est premier altiste. Ils incarnaient le « couple » littéraire de Don Quichotte et de Sancho Pansa, les personnages du roman de Miguel de Cervantès. Bien accompagnés ils n’agissaient pas seuls mais ils réagissaient aux rentrées courtes et brillantes comme celles du violon ou des bassons. Et là aussi, Marc Albrecht s’efforçait à ne pas laisser sombrer le romantisme dans un kitsch pathétique. Il y arrivait grâce au tempo soutenu et aux transitions rapides. Selon le rôle qu’il avait endossé, Somov devenait sauvage, enrageant sur son violoncelle, en opposition à Hirtz, qui de toute évidence cherchait dans les passages lyriques l’aide d’un vibrato tout en sensibilité à calmer son maître au caractère volcanique. Mais le beau violon de Vladen Chernomor avait aussi son part à jouer et complétait tout en brillance le spectre musical du violoncelle et de l’alto. Somov n’impressionnait pas seulement dans les passages techniquement très difficiles. Il réussissait surtout dans les dernières mesures à transmettre merveilleusement les sentiments de Don Quichotte qui, revenant à lui, sombrait dans une profonde mélancolie. Tant et si bien qu’après avoir perçu la dernière note, le public dans la salle gardait un silence ému. Hirtz a joué l’un des plus beaux soli jamais écrit pour l’alto tout en étant en fusion musicale totale avec son rôle. Celui du serviteur et fidèle compagnon de route de son maître.
Pendant cette soirée sous la direction de Marc Albrecht il devenait très clair pourquoi l’OPS est actuellement d’une qualité si exceptionnelle. De toute évidence, chaque voix instrumentale est idéalement distribuée, Somov et Hirtz en ont donné une preuve impressionnante.
Que tous les responsables des modalités de sélection passent devant le rideau !
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