Une fois de plus, le chef d’orchestre et directeur artistique de l’OPS, Marc Albrecht a dirigé le grand orchestre en personne. Il n’y a que lui, et les oreilles exercées s’en aperçoivent immédiatement, capable d’obtenir un son aussi clair, libre de tout «voile» auditif.
Ensemble avec le violoniste français, Renaud Capuçon avec qui il a déjà collaboré à plusieurs reprises, ils ont fait «résonner» le concerto pour violon de Jean Sibelius, une œuvre qui, après des débuts difficiles, a trouvé son chemin dans toutes les salles de concert du monde. Après l’échec total de la première représentation en 1903, Sibelius a entièrement retravaillé son œuvre. Mais peut-être le commentaire de Richard Strauss, qualifiant cette composition comme extrêmement difficile, a-t-il contribué à faire hésiter plus d’un. Que cette œuvre est effectivement difficile, cela s’entend tout de suite et surtout, quand ou le soliste ou l’orchestre ou les deux sont dépassés par les évènements, ce qui n’a absolument pas été le cas à Strasbourg : La composition exige une présence et une attention sans faille de la part du soliste et comporte un certain nombre de difficultés harmoniques et rythmiques pour l’orchestre.
L’interprétation de Capuçon était impressionnante. A aucun moment il ne s’est occupé de romantismes exubérants, il a cherché plutôt à interpréter le coté sombre et mystérieux de la pièce avec la même force et intensité que son coté fougueux, désespéré et despotique. Ce sont là les moments caractéristiques du morceau. Même au troisième mouvement, auquel on attribue très souvent un coté joyeux à cause du thème de danse qu’il comporte, Capuçon n’a pas quitté la route qu’il avait choisie et est resté fidèle à cette restitution claire, semblable à du cristal de roche, de cette description nordique d’un paysage ou plutôt de cette description de l’âme. Son énergie qu’il arrive à transmettre entièrement se prête à merveille pour faire entendre les doutes, la colère, la peur, l’oppression et la solitude éprouvés par Sibelius. Marc Albrecht, faisant agir l’orchestre comme accompagnateur tout en dosant la dynamique, était pour lui le partenaire idéal. Le long et sensible décrescendo des basses dans le premier mouvement constituant une introduction idéale pour le solo de violon, doit être cité en exemple. Jamais le soliste n’a été obligé de lutter contre l’orchestre. L’orchestre l’accompagnait avec une telle douceur, mais néanmoins de façon appuyée, que Capuçon pouvait se sentir totalement porté dans son interprétation. La direction d’orchestre d’Albrecht, toute à la puissance du troisième mouvement dansant, pouvait presque paraître dangereuse pour les premiers des violoncellistes, tant Albrecht s’approchait d’eux avec sa baguette. Quelle interprétation gestuelle imagée ! Renaud Capuçon a fait ses adieux au public avec une interprétation d`un thème d’Orphée et Eurydice de Gluck et a prouvé par la même occasion qu’il est plus que capable d’interpréter des sentiments romantiques avec tout le romantisme qu’il faut. L’accent n’était pas mis sur l’exercice quasi acrobatique de ses doigts, mais sur la tendresse éprouvée par deux êtres aimants. C’est cela qui donne à la musique cette beauté qui se transmet au public et le touche profondément.
Par la suite, avec la deuxième symphonie de Brahms, Albrecht a dirigé l’un de ses morceaux préférés. Et même ignorant cette préférence, elle était immédiatement perceptible. Albrecht accompagnait chaque son, chaque phrase, chaque motif de gestes sensibles. La dramatique du premier mouvement était la suite idéale après Sibelius. Il était donc évident, pourquoi les deux pièces ont été jouées le même soir. C’était merveilleux de découvrir la proximité d’âme des deux œuvres, qui sont en même temps très différentes. Brahms est «étiqueté» comme un compositeur de musique «pure» ce qui est à mon avis une approche beaucoup trop théorique. Mais justement cette symphonie est chargée de nombreuses images auxquelles Albrecht semblait s’abandonner également. Il se laissa emporter dans des hauteurs vertigineuses et plongea dans les abîmes les plus profondes. Pendant le troisième mouvement il a même exploré les pauses pour mettre en évidence la beauté de leur silence. Dans le mouvement final on a pu observer chez lui un état dans lequel la direction d’orchestre et la musique se confondaient pour ne former plus qu’un tout. Albrecht a investi pratiquement le corps de l’orchestre, et ce qui était le plus surprenant de l’histoire, c’était que, même dans cet état proche de la transe, il a toujours gardé la direction en main. Ce mouvement conciliant, qui fait oublier la souffrance et tous les dangers, caractérisé par une mouvance vers la hauteur et la lumière, fait régner une telle joie, qu’il faut en accueillir et savourer chaque instant comme un merveilleux cadeau. Tout comme Marc Albrecht l’a montré.
Derrière le nom modeste « Marc Ducret Quintet » se cache un jazz dense, fort, et homogène, mais aussi doux, subtile et intelligent. Dans cette formation, on trouve tout ce qui rend l’oreille exigeante de l’amateur de jazz heureuse. Le 11 mai dernier, le guitariste Marc Ducret et son nouvel ensemble étaient invités au Pôle Sud, un centre de manifestations culturelles connu non seulement pour ses spectacles de danse contemporaine, mais aussi justement pour du jazz de grande qualité.
Marc Ducret travaille régulièrement avec Tim Berne, l’un des plus grands saxophonistes new yorkais d’avant-garde. Il est le partenaire préféré de Louis Sclavis de l’« Acoustic Quartet » et en même temps il est le leader du trio « Culte » qu’il forme avec Bruno Chevillon et Eric Echampard.
Avec Peter Bruun et Kasper Tranberg à la batterie et à la trompette, Fred Gastard de la « Compagnie des Musiques à Ouïr » au saxophone et le joueur de trombone, Matthias Mahler, Ducret a montré comment on réunit d’excellents musiciens sous une direction subtile et ce qui en résulte.
Partant de sons expérimentaux, que Ducret savait faire jaillir sans fin de sa guitare électrique, en passant par des passages, où la musique, fumante, se propageait à travers la salle, tel un rouleau, jusqu’aux constructions ressemblant à des fugues, qui se présentaient, un peu honteuses, dans leur habit « jazzy ». Tout ceci et encore plus était offert au public ce soir-là.
Une partie du succès revient à Peter Bruun et sa batterie subtile. Il agissait toujours en supportant, ou alors en portant tout court, jamais en exigeant ses droits ou alors en évinçant les autres, et ceci toujours tout en finesse. Une performance incroyablement brillante qui faisait merveilleusement partie d’un tout. Les trois instruments à vent ont non seulement joué les compositions de Ducret avec beaucoup d’exactitude, mais leurs interprétations étaient tellement engagées, que la musique était comme enrichie d’une palette de couleurs et d’une brillance impressionnantes. Le jeu de Ducret est en quelque sorte comme sa propre voix, car lui et sa guitare ne font qu’un. Ce qui caractérise ce jeu, et c’est bien visible, c’est le changement fréquent entre l’utilisation de ses doigts et d’un médiator. Ducret arrive à faire sortir absolument toutes les variantes d’expression de son instrument, si incroyable soient-elles. Même quand il s’agit de rouleaux sonores, qui hurlent, qui sifflent ou qui fument, jamais il ne renonce aux battements permanents, à l’origine de cette beauté auditive dont on ne se lasse pas.
Sa sensibilité de Ducret en ce qui concerne les possibilités des instruments à vent fait naître dans ses œuvres un spectre multicolore qui va de l’utilisation presque orchestral de l’ensemble des voix, jusqu’au son qui finit par disparaître doucement, tel un petit gémissement esseulé.
La soirée fut trop courte – et tout bonnement géniale !
Pour commencer : une marche enlevée, pendant laquelle les enfants ont du mal à rester assis sur leurs chaises. Et après : ça démarre pour de bon ! Le chef d’orchestre Marc Schaefer qui dirige un petit détachement de l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans la grande salle « Erasme » se tourne vers son public et commence à poser des questions : Armé d’un microphone, il passe dans les rangs et finit par coller le micro sous le nez d’un des petits spectateurs, haut comme trois pommes. Il aimerait connaître l’origine du geste du salut militaire. Et le petit garçon bien préparé connaît la réponse. Ce geste rapide et précis qui consiste à mettre la main contre sa tempe est une variante du geste des soldats qui cachaient leurs yeux en saluant leur roi, tant sa puissance, tel le soleil, les éblouissait. Dans la pièce concertante de Schaefer, ce roi s’appelle Darius. Darius le puissant est si puissant qu’il refuse d’accorder la main de sa fille au « premier tailleur de pierre venu ». Il cherche pour sa fille un fiancé qui serait, après lui, l’homme le plus puissant du monde. Alors il se met à sa recherche: Il rend visite au soleil et aux nuages, il va voir le vent et les rochers. Et pour finir, il est forcé de constater que le tailleur de pierre, entretemps jeté en prison, est plus fort que la roche, puisqu’il la domine grâce à son maillet et son burin !
« Darius » est un petit opéra concertant pour enfants. A Strasbourg a eu lieu sa première mondiale. Son « inventeur », Marc Schaefer, violoniste à l’OPS, a eu l’idée de cette pièce pour laquelle il a écrit la musique, il y a 14 ans déjà. Emmanuel Hirsch a écrit le texte et le jeune décorateur, Fred Pontarolo, également auteur et dessinateur de bandes dessinées, a donné une apparence à Darius, à sa fille Roxane et à son bien-aimé Gaston. Ils sont non seulement tous gentiment réunis dans l’œuvre de Schaefer mais aussi dans un petit livre illustré. Dans ce livre on peut trouver les textes et aussi la mélodie de Gaston pour que les parents puissent chanter à nouveau ce thème avec leurs enfants une fois de retour à la maison. Dans la salle de concert, c’étaient les petits élèves de l’école primaire qui, chantant la petite ritournelle, incarnaient le pauvre Gaston emprisonné. Schaefer, qui s’est tourné à plusieurs reprises vers les enfants a eu la belle idée d’inclure le jeune public dans l’action. Une idée qui a fonctionné à merveille.
Jonas Marmy (c) dr
Jonas Marmy, qui termine cette année sa formation d’acteur au TNS à Strasbourg, a incarné Darius et tous les éléments présents sur la scène et il leur a prêté sa voix. Son savoir faire faisait couiner de joie les jeunes spectateurs qui avaient un fou-rire après l’autre. Le public était sous le charme : Qu’il mime ce soleil un peu « précieux » habillé d’un tee-shirt noir et orange « fluo » qui sautille d’une marche à l’autre, là, où se tient habituellement le chœur, en faisant de tout petits pas et des mouvements saccadés qui rappellent ceux de certains jeux vidéo ; qu’il interprète le vent et sa démarche nonchalante, très macho et vêtu d’une veste en cuir, ou alors qu’il joue un petit rocher timide avec un cheveu sur la langue – il sait ce qui fascine les petites spectatrices et les petits spectateurs. Déclamant les rîmes clairement, distinctement et bien dans le rythme, Marmy fait preuve d’une grande musicalité et d’un grand professionnalisme.
Une fois déjà Jonas Marmy a mis son talent au service d’un concert de l’OPS pour enfants. Sa performance dans l’« Histoire du soldat » d’Igor Stravinsky était tellement brillante que des représentations supplémentaires ont été programmées pour pouvoir répondre à la demande du public.
L’harmonie, mais aussi des tensions et des émotions profondes caractérisent la musique de Schaefer. Cette musique emporte les pensées des enfants au loin : Dans un pays, où les éléments « s’expriment en musique », mais aussi dans un endroit, où les petits peuvent vivre les émotions liées à la puissance ou à la punition pour finir par éprouver avec satisfaction le sentiment d’une certaine justice. Le Darius de Schaefer vit de la tension que le compositeur crée entre la musique et la parole mais aussi à travers le chant des petits qui chantent « tous poumons dehors » pour soutenir le pauvre Gaston, et cela sans répétition aucune!
Avec un peu de chance, Darius trouvera sa place comme l’une des pièces capables d’éveiller l’amour pour la musique symphonique et d’apporter sa pierre à l’édifice d’une vie bercée de musique. Ce serait souhaitable : Pour Darius – et Marc Schaefer !
Ceux qui lisent le titre de cet article, n’auront peut-être pas d’emblée l’idée de l’associer à un concert de musique classique. Mais comment décrire autrement cette soirée à Strasbourg où l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg a interprété Janáček, Tchaïkovski et Strauss de telle manière que cela faisait chaud au cœur.
Avec Jakub Hrusa, le chef d’orchestre d’à peine trente ans et Simon Trpceski, de deux ans son aîné et l’une des plus grandes révélations pianistiques de ces dernières années, un couple de rêve s’est présenté au public – que ces messieurs veuillent bien me pardonner ce terme quelque peu « usé ».
Les deux hommes se sont rencontrés à Strasbourg pour la toute première fois pour interpréter ensemble le concerto n° 1 pour piano de Tchaïkovski. Cette œuvre est l’une des plus jouées et des plus enregistrées au monde, et ne serait-ce que pour cela, elle comporte de nombreux dangers : Si l’interprétation proposée n’est pas vraiment excellente, l’artiste a droit aux applaudissements suffisants de la part du public et c’est tout ! Ce qui s’est passé ce soir-là dans la salle Erasme, dépasse ce genre d’évènement de très loin.
Le pianiste et le chef d’orchestre étaient en accord total concernant l’approche de cette pièce. La démarche d’Hrusa était claire comme de l’eau de roche : L’exploration de tous les détails, si infimes soient-ils, sans oublier d’en exprimer les émotions. Voilà la façon dont il dirigea cette œuvre tant appréciée de nos jours, qui pourtant à l’époque de sa création a provoqué les pires contestations de la part des critiques.
L’interprétation de Trpceski était basée exactement sur le même principe. Des touches les plus tendres jusqu’aux sons les plus soutenus – il savait faire sortir la totalité des sons du piano à queue qu’il, comme il l’avait précisé dans une interview, appréciait beaucoup.
Deux musiciens surdoués du même âge, dotés du même sens de l’analyse : Que cela donnerait une combinaison de rêve, avant cette soirée, il n’y avait que les programmateurs de l’OPS pour en être conscients. Mais maintenant il faut que toutes les amatrices et tous les amateurs de musique le sachent – loin au-delà des frontières, car ce genre d’accord parfait, où les qualités vont en s’additionnant, est rarissime.
On peut définir Simon Trpceski comme le pianiste de la lumière. Comme par magie, il met la lumière et une clarté rayonnante dans les recoins les plus cachés et les plus insignifiants de l’œuvre. Spécialement, et contrairement à la plupart de ses collègues, aux passages où, en accompagnant l’orchestre, il diminue considérablement le volume sans pour autant perdre en couleur. Son toucher est comparable à la touche des peintres impressionnistes : déposer un soupçon de couleur par petites touches sur la toile, qui, avec un peu de recul paraissent beaucoup plus lumineuses qu’un trait de pinceau uniforme. Voilà comment Trpceski utilise les touches du piano à queue lors des passages légers et aériens. Aucune mesure n’est traitée en parent pauvre, et malgré tout, il « respire » les grandes lignes des mouvements tout en interagissant le plus naturellement du monde avec l’orchestre. Pour lui, un concert comme celui-ci s’apparente à de la musique de chambre : Un défi qui ne peut être relevé que si l’ensemble des musiciens interprètent l’œuvre sans être muselés ou alors ignorés par le soliste au piano. C’était un véritable plaisir d’observer ce pianiste à l’œuvre : Sa façon sure d’agir au piano, sa manière très ouverte et naturelle de communiquer avec l’orchestre et même avec le public prouvent que sa musicalité est empreinte d’un naturel qui ne distingue que les plus grands parmi les solistes. Le fait d’aller sur une scène et sa performance ne relèvent pas de l’épreuve ou de l’effort dans le sens où l’artiste pourrait être dépassé par les évènements. Ils ne sont pas non plus vécus comme une obligation, au contraire : Tout semble être totalement naturel – et ce naturel est perceptible dans sa musique. Les pianissimos, les fortissimos et toutes les nuances possibles et imaginables sont si parfaitement accordés entre son instrument et l’orchestre, que la palette de couleurs de la musique de Tchaïkovski a été si riche ce soir-là que l’on avait envie de retenir ce moment de grâce. De la même façon qu’on admire un tableau encore et encore, il serait merveilleux d’entendre encore et encore cette interprétation de Hrusa et Trpceski. Un enregistrement aurait valeur d’exemple pour montrer comment jouer des œuvres « archi-connues » de façon fraîche, vivante et passionnante.
Le cadeau, que Jakub Hrusa avait apporté de sa patrie tchèque, était « Le petit renard rusé» de Leoš Janáček, une suite pour orchestre, arrangée d’après l’opéra du même nom. En Tchéquie, cette œuvre est extrêmement connue, à Strasbourg, on l’a entendue pour la première fois. Cette histoire fantastique dans laquelle un renard se transforme de temps à autre en une belle et jeune fille, mais dans laquelle il y a aussi des passages d’une animalité sanguinaire, a été mise en musique d’une façon imagée à couper le souffle. Au début, la suite donne un bel exemple de quelle manière un compositeur peut transformer une petite mélodie en un son qui se propage dans l’ensemble de l’orchestre dans toutes ses variations – tout en exprimant la peur, l’excitation, l’espoir, la sérénité et l’amour.
Rompu à Strauss, le dernier concert de la soirée, Zarathoustra, n’a pas été un défi en soi pour l’orchestre. Sous la direction de Hrusa, l’orchestre a livré une interprétation passionnante. Le poème symphonique, basé sur une œuvre de Friedrich Nietzsche dans laquelle celui-ci se prononce contre le manque de distance dont la religion se rend parfois coupable, où il s’insurge également contre les prises de position de le petite bourgeoisie et où il s’interroge sur l’éternel cycle de l’existence, de la mort et de la renaissance. Cette composition fait partie des œuvres facilement identifiables, incomparable de par sa richesse de sons. De plus, dans cette pièce on trouve l’un des plus beaux passages symphonique jamais écrits pour basses, violoncelles et instruments à cordes, un passage que Hrusa a dirigé tout en douceur et avec un plaisir évident. La progression du son, partant des basses, en passant par les violoncelles pour finir par arriver aux violons, était une expérience sonore très particulière.
La direction d’orchestre très intelligente d’Hrusa, très certainement fondée sur une étude méticuleuse des partitions, s’entendait parfaitement dans chacun des morceaux : Son exigence d’une attention de tout instant de la part des musiciens, son exactitude en battant la mesure et aussi grâce à son langage corporel qui restitue exactement ce que la musique est censée exprimer, faisaient que tous les morceaux joués ce soir-là étaient comme focalisés à travers une lentille : Clairs, brillants, distincts, agrémentés par énormément de détails dynamiques, et « last, but not least » habités par cette joie énorme de faire de la musique, véhiculée par l’ensemble de l’orchestre.
Une expérience que l’on ne peut vivre qu’en direct dans une salle de concert. Une soirée brillante !
le super-soliste de l`OPS Vladlen Chernomor (c) OPS
Pendant ce week-end, l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg était en service continu. Plutôt, ou alors plus précisément, certaines formations issues du grand orchestre. De jeudi à samedi environ un tiers des musiciennes et musiciens ont joué sous la baguette du chef d’orchestre Martin Fischer-Dieskau à trois endroits différents: en Alsace, à Benefeld, à Saales et à Scherwiller. Samedi, une partie des musiciens a joué une première d’opéra au centre de manifestations d’Illkirch « Il matrimonio segreto » de Domenico Cimarosa, une production de l’Opéra National du Rhin. Dimanche a eu lieu un concert de musique de chambre avec un duo, un trio et un quintette – tous des « recrues » de l’OPS. Là, c’était la jeune garde qui avait l’occasion de montrer leur savoir faire et de faire entendre la qualité de leur jeu.
« Pour un soliste, c’est un défi énorme de jouer un concert avec son propre orchestre » c’est ainsi que le chef d’orchestre Martin Fischer-Dieskau a brièvement défini le rôle qu’assurait pendent trois soirées consécutives Vladlen Chernomor sous sa direction d’orchestre. Il a joué le solo du concerto n° 5 de Wolfgang Amadeus Mozart. Ainsi il s’est présenté pour la première fois à un public nombreux et en même temps devant ses collègues musiciens en tant que soliste. Chernomor a relevé ce défi avec succès, définissant sa « voix » comme « meneuse » de l’orchestre. Dans les deux premiers mouvements, en particulier dans le solo de l’allegro, il a fait preuve d’une maîtrise totale quant aux difficultés techniques de l’œuvre. Le dernier mouvement dans lequel il était spécialement convaincant semblait être fait à « sa » mesure. Il faisait danser et sauter la musique pour la faire éclater de colère pendant la marche turque. La preuve, que le premier violon de l’OPS a un tempérament volcanique qu’il sait exprimer à travers les cordes de son instrument. Le supplément, un « presto » de Bach était encore une fois une démonstration de sa technique brillante. Dommage, que l’acoustique dans la salle à Benfeld, ne soit pas optimale ! La finesse de son jeu était bien perceptible d’un point de vue tempo, mais les modulations de volume étaient à peine audibles. Peut-être Chernomor aura-t-il une autre fois l’occasion de jouer en tant que soliste dans la salle Erasme où l’acoustique serait excellente !
Il faut remercier Martin Fischer- Dieskau d’avoir assuré la direction d’orchestre des trois concerts. Darrell Ang, initialement prévu comme chef d’orchestre, ne pouvait voyager à cause du nuage de cendres au dessus de l’Europe. Au programme, en plus de Mozart, la symphonie n° 88 de Joseph Haydn et la 5e symphonie de Franz Schubert. Tous ceux à qui la musique de « Cosi fan tutte » est familière, pourront faire une belle parallèle avec la symphonie de Haydn, écrite deux ans avant l’opéra de Mozart. Plusieurs passages sont empreints du même esprit du bel canto ! Une fois de plus, les musiciennes et musiciens on fait des prouesses en tant que solistes. Le langage des signes de Fischer-Dieskau qui a dirigé par cœur, a été réduite à sa plus simple expression. Le chef d’orchestre se servait essentiellement de sa mimique pour communiquer avec l’orchestre. Mais le rythme du premier mouvement de Schubert lui a visiblement traversé le corps – des orteils jusqu’au bout des doigts ! D’un point de vue tempo, il a respecté les indications de Schubert à la lettre, en particulier dans les mouvements rapides, pour maintenir l’œuvre sous une belle tension, lui évitant ainsi de glisser dans des profondeurs émotionnelles gluantes et doucereuses. Dans l’allegro vivace du quatrième mouvement, une véritable tempête de violoncelles et de basses, Fischer-Dieskau a permis de belles variations de volume – malgré la vitesse très élevée.
le jeune ensemble de la musique de chambre de l`OPS (c) mp
Le concert de musique de chambre du dimanche était sous le signe de la musique du 20e siècle : Les œuvres choisies de Bohuslav Martinù, Erwin Schulhoff et Serge Prokofiev étaient aussi harmonieuses que passionnantes.
Evelina Antcheva (violon) et Agnès (Fehler) Maison (alto) ont débuté le concert avec les « Trois Madrigaux pour violon et alto » de Martinù. En trois mouvements, le compositeur a réussi à circonscrire l’ensemble des moyens d’expression des deux instruments. Dans le premier mouvement, Antchef, originaire de Sofia, toute excitée, a fui l’alto, qui lui est resté sereinement en arrière-plan. Le changement d’ambiance dans le deuxième mouvement scintillant, où les deux instruments se complètent harmonieusement à la fin, et le dernier mouvement dans lequel les instruments se serrent brièvement la main à plusieurs reprises – au sens figuré –, comme dans une ronde où l’on passe dans un pas de danse rapide de l’un à l’autre, ont donné aux deux musiciennes largement l’occasion de s’exprimer individuellement. Antcheva transmet son tempérament, sans « mettre de sourdine » à son violon, tandis que Maison est le plus convaincante dans les passages lyriques. C’est précisément cette qualité qui la prédestine pour l’alto.
Thomas Kaufman (contrebasse), Sandrine Poncet (flûte) et encore Agnès Maison ont prouvé avec le concertino pour flûte, alto et contrebasse, qu’Erwin Schulhoff est un compositeur injustement délaissé. Ce morceau riche en images, qui oblige la flûtiste à jongler à plusieurs reprises entre la flûte traversière et le piccolo, comporte tellement de passages emplis d’émotions différentes, qu’à aucun moment on ne s’ennuie, ne serait-ce qu’un peu !
L’expérience de Poncet dans le domaine de la musique de chambre s’est imposée avec évidence, car pour la première flûtiste de l’OPS, le changement continuel entre la voix qui menait et celle qui ne faisait qu’accompagner qui demande une grande sensibilité, ne posa aucun problème.
Kaufmann, Antcheva, Maisin ainsi que le hautboïste Sébastien Giot et la clarinettiste Stéphanie Corre ont terminé la soirée avec le « Quintette opus 39 « de Serge Prokofiev. Cette œuvre consiste en six petites pièces pour danseurs qui sont de par leur rythme très différenciés et leur technicité très exigeantes. Qu’à cela ne tienne ! Le quintette a proposé une interprétation plus que convaincante : D’une part, et pas uniquement, à cause du jeu des instruments à vent en parfait accord, d’autre part par le bonheur de faire de la musique ressenti et transmis par les musiciens. Giot, qui a eu déjà deux fois l’occasion de jouer en tant que soliste au cours de la saison a opposé son hautbois aux autres instruments sur un pied d’égalité.
Les voix dominantes qui changent dans cette pièce si souvent, exigent de la part des musiciens une concentration sans faille. Il faudrait avoir plus souvent l’occasion d’entendre le détachement de l’OPS sous cette forme, où la clarinette de Stéphanie Corre répond avec une voix si claire et parfaite au hautbois de Giot qu’il est impossible d’imaginer une harmonie plus parfaite entre les deux instruments. Les musiciennes et musiciens étaient irréprochables : Aussi bien d’un point de vue technique que d’un point de vue émotionnel – les deux plus importants ingrédients pour faire de la belle musique de chambre.
Un trompettiste danseur classique, un joueur de trombone « rappeur » et un ténor qui chante des chansons d’amour en jouant « accessoirement » du tuba : Le quartet d’instruments à vent « Opus4 » offre tout ça – et encore plus que ça – dans son nouveau programme « Casting ».
Deux joueurs de trombone (Nicolas Moutier, Laurent Larcelet) un trompettiste (Vincent Gillig) et un joueur de tuba ( Micaël Cortone d’Amore) : « Opus 4 », c’est eux ! Tous les quatre sont membres du OPS, de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Jeudi dernier, le 1er avril, ils ont donné un « concert du troisième type » pour des écoliers (une dizaine de classes environ) à la salle de concert de « France 3 » à Strasbourg.
Le programme, raccourci à 45 minutes, exige non seulement la maîtrise totale des instruments, mais aussi des compétences de danseur, des aptitudes contorsionniste et des talents de chanteur de la part des musiciens. Comme son nom l’indique, le spectacle parle de la concurrence entre les artistes lors d’un casting, mais il décrit aussi des liens d’amitié qui finissent par se créer quand ces mêmes artistes travaillent ensemble pendant un certain temps.
Opus4 "Casting" in Strasbourg (c) mp
On comprend l’enjeu de la sélection de deux manières : visuellement, car les musiciens sont tous en proie à une grande nervosité – jouée – et acoustiquement, parce que, cherchant à se surpasser mutuellement, ils expriment très clairement cette surenchère musicale.
Le programme, initialement conçu pour adultes, a été adapté pour les enfants sans pour autant diminuer le nombre de gags qui faisaient hurler de rire le public. En dehors du coté burlesque et comique, la prestation musicale était non seulement irrésistible mais aussi techniquement irréprochable. Elle racontait une histoire, rendue vivante grâce aux numéros de danse et aux prestations d’acteur de la part des musiciens. Beaucoup plus vivante du reste que si les musiciens étaient restés statiques, assis derrière leurs partitions.
La musique, composée « sur mesure » pour le quartet, est l’œuvre de Rémy Abraham, lui aussi membre permanent de l’OPS.
Les quatre comparses n’étaient pas seulement convaincants en jouant de leurs instruments, mais ils faisaient également preuve d’un talent certain comme chanteurs : La berceuse, chantée pour une minuscule sourdine, n’en est qu’un exemple. Les numéros de danse plus ou moins « gracieux » avaient besoin d’une parfaite coordination pour fonctionner. Grâce à l’excellent travail de la metteure en scène Cathy Dorn ils étaient pratiquement propulsés à un niveau « professionnel ».
Casting, une performance de chant, de danse, de comédie et de musique très réussie par le quartet « Opus4 » qui est déjà en train de concocter un nouveau spectacle pour l’année prochaine.