Mi-janvier, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg (OPS) a reçu le chef d’orchestre tchèque Jiří Belohlávec. Sous sa direction, le public a eu l’occasion d’écouter l’un des plus beaux concerts de la saison et ceci malgré un programme plutôt difficile.
Avec la suite «Katja Kabanowa», le concept élaboré par l’OPS s’est avéré un véritable coup de maître. Il n’y a pas si longtemps, le compositeur et musicologue Jaroslaw Smolka a transformé l’opéra du même nom, composé par Leoš Janáček, en une suite. La première représentation de l’œuvre a eu lieu en février 2010 à Londres où Jiří Belohlávec a dirigé le Symphony Orchestra de la BBC. A Strasbourg, la suite fut sans doute une découverte pour la plus grande partie du public. Le drame musical de Janáček raconte le destin d’une jeune femme qui, brisée par les règles d’une société trop étriquée, met fin à ses jours. La suite comporte cinq mouvements ; jouée par le grand orchestre elle rend ce drame parfaitement compréhensible. Les émotions restent intactes: les sons en mode mineur décrivent le coté dramatique de cette histoire de vie. Mais de temps en temps, exprimée par des fragments folkloriques, la joie de vivre reprend ses droits. L’expressivité de certains passages est mise en opposition avec des sonorités que l’on a connues à la fin du romantisme. C’est justement cet arc de tension qui rend cette suite aussi belle et passionnante. Les moments dramatiques et lyriques alternent sans cesse. Des mélodies charmantes se lovent dans l’oreille faisant penser à de la soie ou du velours. Ces mélodies coexistent avec des constructions finales extrêmement dramatiques qui, comme dans le dernier mouvement, finissent brutalement, sans que l’on s’y attende. L’enregistrement de cette œuvre dans un avenir proche serait plus que souhaitable.
Après cette interprétation remarquable, ce fut le tour du baryton allemand Detlef Roth. Le chanteur a interprété les Rückert-Lieder de Gustav Mahler que l’on compte parmi des plus belles du répertoire du romantisme tardif. Si leur interprétation fût aussi époustouflante, émouvante et presque irréelle de beauté, ce fut grâce au travail de l’ensemble des artistes, hommes et femmes. L’interprétation proposée par l’OPS sous la direction de Jiří Belohlávec fut d’une telle sensibilité que l’on peut proclamer haut et fort qu’il est impossible de faire mieux. Les Rückert-Lieder sont arrangés pour être joués par de petits orchestres. Ceci demande à chacun des musiciens de la précision et un traitement tout en harmonie, comme s’il s’agissait d’une musique de chambre. Cette harmonie aussi parfaite qu’unique fut perceptible dès les premières notes. L’attention tendue du public ainsi que son silence pendant les passages doux et pendant les pauses entre chaque Lied étaient la preuve que l’étincelle artistique de cette œuvre avait fonctionné et atteint les auditeurs jusqu’au dernier rang.
La voix de baryton de Detlef Roth fut claire et brillante. De plus il faut souligner que Roth maîtrise toute en finesse la dynamique: de façon convaincante, il réussit des variations l’espace de deux mesures sans que cela ne paraisse artificiel. Même dans les aigus, le chanteur ne montre ni faiblesse, ni manque de précision. Avec son approche analytique de l’interprétation des Rückert-Lieder, il a évité tout glissement dans un sentimentalisme exagéré, mais malgré cela, l’émotion est restée intacte. Roth chanta avec autant de tendresse que d’expressivité «Ich bin der Welt abhanden gekommen» ou encore «Liebst du um Schönheit». On lui doit une sorte de reconnaissance jusqu’à la fin de nos jours si on a le bonheur d’écouter ces trésors de Mahler ne serait-ce qu’une seule fois. La prestation de Roth est sans aucun doute une référence en matière d’interprétation des Rückert-Lieder.
La première symphonie de Bohuslav Martinus écrite en 1942 a clos cette merveilleuse soirée de concert. Bien qu’elle ait subi des changements caractéristiques de l’histoire de la musique au 20e siècle, son harmonie est restée inchangée. Le compositeur tchèque, qui a vécu pendant longtemps à Paris et ensuite aux Etats Unis, a écrit cette œuvre pendant une époque très mouvementée. Son Largo dans des couleurs sombres fait allusion à un évènement tragique: la destruction des villages de Ležáky et Lidice en représailles à un attentat contre Reinhard Heydrich, à l’époque représentant du protectorat du Reich.
Dans ce mouvement, les contrebasses et la harpe jouent un rôle prédominant. Une fois de plus, le public a eu l’occasion de constater que particulièrement dans le registre bas, la perfection de l’homogénéité des instruments à cordes de l’OPS constitue une classe à part.
Tout au long de cette soirée, le harpiste Pierre-Michel Vigneau a eu l’occasion de montrer son savoir-faire exceptionnel: tous les morceaux que l’on a pu apprécier ont comporté des passages magnifiques mettant en valeur ce bel instrument. Pour plonger le public dans la tristesse la plus profonde et dans une attente joyeuse avec sa symphonie, Martinu envoûte et dérange, il enchante et fait naître l’espoir. Sa musique exprime cette attente joyeuse qui annonce la fin de la guerre ; elle a été porteuse d’espoir à une époque où la plupart des gens n’en avaient plus du tout.
La contribution de Jiří Belohlávec à la réussite de cette merveilleuse soirée de concert est sans aucun doute immense. Sa direction d’orchestre à l’économie ne connait pas de gestes superflus, tout en étant présente à tout instant. Sa manière de travailler peut être citée en exemple pour tous les chefs d’orchestre qui ont du mal à canaliser leur énergie derrière un pupitre.
Ce fut une soirée de concert exemplaire à Strasbourg et une heure de gloire pour l’orchestre philharmonique de la ville !
Au mois de janvier, Carles Santos a donné un concert au Le-Maillon à Strasbourg. Le compositeur a réussi ce que peu de personnes ont réussi avant lui : il m’a piégée ! Moi, la critique de musique ! Mais mieux vaut procéder dans l’ordre, sinon cette critique serait finie avant d’avoir commencé…
Le catalan né en 1940 est connu pour sa façon, disons «peu orthodoxe», de faire de la musique. Il réunit musique et théâtre et passe pour être un artiste qui rompt, dès que l’occasion se présente, avec toutes les règles en vigueur. C’est donc quelqu’un dont il faut se «méfier».
Vu sous cet angle, j’aurais du être prévenue en me rendant à son concert. 12 musiciens dont Santos ont été réunis sur scène pour jouer l’œuvre du compositeur intitulée «Piturrino fa de music». Plus tard dans la soirée il s’avérerait que tous sans exception faisaient partie du complot – même Xavier Piquer, le chef d’orchestre.
Selon le programme, le concert devait durer un peu plus d’une heure, 1 heure et 10 minutes pour être exacte. Et effectivement, cela semblait être le cas. Pendant une heure j’écoutais attentivement la musique de Carles Santos, jouée par l’orchestre qui était composé de 4 instruments à cordes, 5 instruments à vent, 2 percussionnistes. Le compositeur lui-même était au piano. Bien sagement j’ai pris note de tous les thèmes, les uns après les autres ; j’ai cherché les sources d’inspiration du compositeur etc.. etc.. Dans l’ensemble, j’étais très contente de moi : J’ai reconnu sans problème les quatuors à cordes de la seconde école de Vienne, j’ai identifié les éléments dadaïstes, la «minimal-art-musique» jusqu’aux affinités que manifeste le musicien avec Xenakis. Les détails du travail symphonique aux racines baroques ne m’ont pas échappés non plus. J’ai noté tout cela consciencieusement même si, à un moment donné, ma petite voix intérieure m’a fait remarquer que je me trouvais dans un concert de Carles Santos et qu’en principe les concerts le Santos ne ressemblent pas aux autres concerts de musique contemporaine – loin de là !
Et comme c’est souvent le cas dans la vie, il s’avère qu’il faut écouter sa voix intérieure davantage, car si on l’ignore, on peut s’attendre à toutes sortes de turbulences. Bref : j’ai ignoré superbement la petite voix qui a essayé en vain de me dire quelque chose. Et finalement ce furent bien des turbulences qui ont précipité la fin de ce concert que certains ont trouvé long au bout d’une petite demi-heure déjà !
Brutalement, environ 10 minutes avant la fin «programmée», Santos a commencé à hurler et à taper sur son piano comme un fou. Avec ses collègues musiciens il scandait encore et encore les mêmes mots en espagnol. Une révolution semblait s’être déclenchée sans crier gare, la version musicale de «Outrage au public» de Peter Handke était en train de s’abattre sur le public abasourdi. Tout le monde est resté bouche bée et ces bouches ouvertes ne se sont pas refermées aussitôt : il y a eu des tirs à blanc en l’air auxquels d’ailleurs une vitre n’a pas résistée. Un sac blanc au contenu non identifié, balancé à travers la scène par le batteur, a failli casser le violon. Le chef d’orchestre n’était pas en reste et hurlait autant que les autres en direction du public médusé. Les premières secondes d’effroi passées, les auditeurs prirent conscience du comique de la situation et étaient ravis. Finalement, après cette pagaille générale, après le dernier aboiement électronique d’un chien en peluche, après le dernier pétard et le dernier accord, les applaudissements ne semblaient plus vouloir prendre fin.
Voilà comment Santos avait planifié sa sortie : vous n’avez pas remarqué dans quel mensonge musical je vous ai entraînés ? Non ? Dans ce cas il faut que je vous réveille bien fait, vite fait ! En l’espace d’une seconde il a réussi à détruire toute la structure théorique édifiée autour de cette œuvre jouée «comme il se devait» jusqu’à ce moment précis. « Action speaks louder than words » (l’action parle plus fort que les mots) est un dicton anglais bien connu. Chez Santos on peut le transformer en «action speaks louder than music». Il a emmené son public très précisément sur ce terrain et la salle a adhéré : Ce que les auditeurs ont apprécié par-dessus tout ce soir là, c’était le chaos après la musique. C’était la destruction de l’illusion créée par le concert, l’éradication de tout sérieux et l’absolution de ne pas avoir tout compris tout de suite. C’est certainement cette reconnaissance qui a incité la plupart des personnes assise dans la salle à applaudir aussi frénétiquement. Même si, et c’est la preuve que Santos est un immense artiste, la musique interprétée auparavant mériterait mieux : Pendant une heure, elle a évoqué des images chez l’auditeur, comme par exemple la conversation entre deux personnes, des bribes de souvenirs d’un passé lointain, une chevauchée sauvage à travers un paysage sans limites. Et sa musique a fait naître des émotions, telle la mélancolie et la joie. A partir du milieu du morceau ces différents thèmes commencèrent à se lier entre eux et à s’entrelacer artistiquement les uns avec les autres. Santos a fait comprendre avec éloquence que ni l’histoire de la musique, ni l’art de la composition symphonique, n’a de secret pour lui. Le compositeur a sorti de son «chapeau musical» tous azimuts: la musique pour instruments à vent et le quatuor à cordes pour finir par précipiter le tout dans un vacarme indescriptible dans des profondeurs insondables.
Et si on pensait avoir tout entendu, on s’est trompé encore une fois ! Le bis de l’orchestre au titre «poétique» BCN216fut sur le plan artistique le plus beau passage de l’œuvre. Ce passage n’est rien d’autre qu’un regard en arrière, en direction de la symphonie romantique.
Le coté bipolaire de cette représentation est certainement la première caractéristique de l’artiste Carles Santos. Malgré son besoin d’harmonie, il se sent comme un poisson dans l’eau dans la déconstruction, même si on n’en a eu un aperçu qu’à la fin du concert. Cela dit, le titre de l’œuvre «Piturrino joue un musicien» aurait du mettre la puce à l’oreille de plus d’un.
Ce qui reste après cette soirée : Le sentiment de m’être fait avoir en toute beauté sur le plan intellectuel par un artiste ; c’est un sentiment extraordinaire et merveilleux : quand votre propre aveuglement vous fait trébucher et qu’ensuite on peut en rire sans fin. Merci Santos !
Pour fêter la fin de l’année, l’OPS- l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg- propose tous les ans à la grande joie de son public des musiques quelque peu «extraordinaires».
Cette fois-ci figurait au programme un mélange entre musiques de film populaires et les chants des « Swingle Singers », un ensemble
A-capella venu de Londres.
Le grand orchestre qui accompagnait le jeune chœur pendant de longs passages se mit au diapason avec l’humeur festive du public. Ce soir-là, l’OPS était alternativement Bigband et orchestre de musique de film, jouant entre autres des arrangements des Beatles et une interprétation élégiaque et particulièrement réussie d’une chanson de Björk.
La performance rafraîchissante «des acrobates vocaux» londoniens, femmes et hommes, était soulignée par de petites chorégraphies ; un plaisir pour les yeux constituant un élément distrayant supplémentaire.
Ward Swingle a fondé les «Swingle Singers» en 1963. Depuis, comme dans une course de relais, ses membres transmettent leur nom aux générations suivantes. Aujourd’hui ce sont en quelque sorte les « petits enfants » des fondateurs qui évoluent sur la scène.
50 CDs, 5 Grammy-Awards et 4000 spectacles plus tard, la popularité de l’ensemble reste inchangée.
Pour commencer et pour clore leur prestation sur scène, les « Swingle Singers » ont interprété leur célèbre « Badinerie » de Johann Sebastian Bach. Le public put également écouter un Medley des Beatles, une nouvelle interprétation de l’ouverture de la «Flûte Enchantée» de Wolfgang Amadeus Mozart qui fut le «prétexte» à une petite compétition entre les voix des chanteurs et le grand orchestre.
Des mélodies de Gershwin, de Bernstein ainsi que « Flying high » de la chanteuse « POP » irlandaise Jem et « When September ends » du groupe de pop américain « Green Day » faisaient également partie du programme de la soirée concocté par les chanteurs londoniens.
Les plus jeunes parmi les auditeurs furent ravis d’entendre la musique du film « Harry Potter », les plus âgés ont apprécié celle qui accompagne « l’Apprenti Sorcier » aux grandes oreilles, Mickey Mouse, dans le fameux dessin de Walt Disney qui cherche en vain à se débarrasser des balais «porteurs d’eau». L’OPS a interprété ces deux morceaux dans toute sa «largeur symphonique» ; la seule chose qui manquait, c’étaient les extraits du film….
Une fois de plus, Fayçal Karoui a tenu la baguette avec verve et a fait preuve lors de cette soirée de la Saint-Sylvestre de sa fougue habituelle. Il a permis au public de l’accompagner en sifflant joyeusement son bis, le Medley de la «River Kwai» et la marche du Colonel Bogey.
La soirée de concert de l’OPS, de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui a eu lieu le 10 décembre dernier sous la direction de Marc Albrecht s’intitula «jeunes talents».
Le public était convaincu. Non seulement par la jeunesse des solistes filles et garçons mais aussi par leur grande musicalité.
Pauline Haas à la harpe, David Kadouch au piano, Antoine Pierlot au violoncelle, Raphaël Sévère à la clarinette et Tianwa Yang au violon ont amplement prouvé que l’âge n’est pas forcément un critère de qualité: leurs prestations furent techniquement brillantes et d’un professionnalisme irréprochable malgré leur jeune âge ! Chez la jeunesse, l’envie d’entreprendre l’emporte parfois sur l’expression. La preuve en était David Kadouch né en 1985 qui a interprété le deuxième concerto pour piano de Mendelssohn. Son interprétation était techniquement irréprochable, sans la moindre impureté, sans hésitation aucune. Une performance remarquable si l’on tient compte en plus de la sollicitation très forte de la main gauche. Le thème chantant revient à plusieurs reprises dans le deuxième mouvement. En les explorant davantage, les arcs de tension inhérents à cette structure auraient pu gagner en ampleur. Mais ils grandiront certainement avec les années. Cette finesse dans l’interprétation naîtra automatiquement au fil du temps, au fur et à mesure que l’artiste grandira «coté cœur». Ce phénomène est parfaitement perceptible ou audible chez les pianistes plus âgés. Le troisième mouvement dédié aux thèmes de valse, qui se suivent comme les perles d’un collier, semble être écrit pour les doigts du jeune pianiste ; une preuve supplémentaire que le concert a été parfaitement bien choisi pour lui.
En la personne de la jeune strasbourgeoise Pauline Haas, née en 1992, toute la largeur de bande musicale trouve son expression.
Elle ouvre le concert avec les «deux danses pour harpe et orchestre à cordes» de Debussy. A l’occasion de l’évolution technique de la harpe, ce morceau fut écrit au 19e siècle pour l’entreprise Pleyel. Il fait toujours partie du répertoire de concert pour harpe, même s’il est plutôt joué sur des harpes doubles aujourd’hui. Etant la première soliste du concours, le cœur de Pauline a certainement battu la chamade. Mais elle a relevé ce défi haut la main. Etant accompagnée tout en sensibilité par l’OPS, elle a pu montrer sa maîtrise de cet instrument si difficile et a réussi en tant que soliste devant un public qui a fait salle comble.
Antoine Pierlot a interprété le premier concerto pour violoncelle op. 33 de Saint-Saëns. Gautier Capuçon a joué ce même concert en octobre dernier à Strasbourg. Tous ceux qui ont eu l’occasion d’assister aux deux concerts peuvent témoigner de deux approches totalement différentes : Capuçon, né en 1981, a joué de façon extrêmement expressive, Pierlot qui est né en 1980 a, en revanche, interprété cette œuvre de manière intériorisée, plutôt intime et tout en retenue, proprement et sans exagération. C’est un bon exemple qui montre que des interprètes appartenant à la même génération peuvent avoir une approche totalement différente du même morceau.
Raphaël Sévère, âgé de 16 ans, avec son interprétation du concerto pour clarinette et orchestre d’Aaron Copland fut la surprise de la soirée : sa sensibilité musicale qui trouvait une belle expression dans le dialogue avec le piano, sa technique brillante, la joie de jouer et l’exécution aisée des parties à la rythmique compliquée qu’il a en plus merveilleusement accentuées, ont conquis le public immédiatement et ont montré que ce jeune homme est un musicien d’un talent exceptionnel.
Tianwa Yang, né en 1987 à Pékin, a clos la soirée avec le concerto pour violon n° 1 de Bruch. Ce concerto est l’un des morceaux pour violon le plus fréquemment joué. Il demande au soliste, qui plus est, une technique mature et une forte personnalité. La jeune femme répond d’un point de vue musical à tous ces critères. Dès les premières notes, elle est totalement acquise à la musique. Elle réagit de façon très sensible à l’orchestre et, avec son énorme énergie, envoute immédiatement les auditrices et auditeurs. Ce petit bout de femme fragile mène son instrument pratiquement au bord de l’explosion. Quand à la fin du deuxième mouvement la mélodie se perd tout en douceur, elle touche tous les cœurs. Les mélomanes devraient suivre de très près l’évolution de la carrière de cette musicienne merveilleuse.
Il faut souligner que tous les interprètes femmes et hommes avaient beaucoup de chance ce soir-là : Marc Albrecht a dirigé l’OPS comme s’il devait exceller pour exister face à d’autres orchestres. Ceci n’était certainement pas seulement dû au fait que le concert était enregistré par ARTE ce soir la. Sa prédilection pour le répertoire du 19e et du début du 20e siècle et sa maîtrise du répertoire en question est surement l’autre partie de l’explication. Sous sa direction, le jeu des musiciennes et musiciens de l’OPS a comme d’habitude été d’une sensibilité exceptionnelle ce qui est un critère de qualité quand il s’agit d’accompagner des solistes.
Une soirée de concert qui sortait de l’ordinaire, avec beaucoup de jeunesse dans le public ce qui n’arrive que rarement. Tout cela ouvre de belles perspectives d’avenir.
Wagner, Messiaen et Brahms. La tâche fut rude pour l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg (OPS) dirigé début décembre par le chef d’orchestre français Bertrand de Billy.
En début de soirée on donna l’ouverture de Tannhäuser de Richard Wagner dans sa version « dresdoise ». Cette ouverture passe pour être l’un des morceaux les plus connus du répertoire classique et c’est sans doute le cas. Certains thèmes, comme par exemple celui que chante le chœur des pèlerins, ont laissé leurs empreintes dans la mémoire musicale pendant plusieurs générations.
Bertrand de Billy s’est montré prudent. Mais en évitant toute aspérité, il a également gommé les tensions intéressantes. Son interprétation de l’ouverture en paraissait adoucie. Pourtant, l’OPS aurait été parfaitement capable de faire face à une interprétation plus accrochée: il l’a déjà prouvé par ailleurs quand, au cours de la saison précédente, il a interprété le prélude du 3e acte de Lohengrin sous la direction de Marc Albrecht. Ce prélude fut le bis des concerts donnés à Zagreb et à Maribor. Là-bas, le public a été littéralement emporté par la fougue de l’orchestre. Mais une fois la part des choses faite, Tannhäuser valait tout de même la peine d’être écouté malgré toute cette retenue dont Bertrand de Billy a fait preuve.
Heidi Brunner (c) dr
«Poems pour Mi» l’œuvre qu’Oliver Messiaen avait dédiée à sa première femme fut la preuve que de Billy qui dirige le RSO à Vienne est parfaitement à l’aise avec le répertoire français. A ses cotés, la soprano suisse Heidi Brunner a su donner vie et chaleur à cette œuvre un peu encombrante. De Billy et Brunner se connaissent bien puisqu’à Vienne ils travaillent souvent ensemble. La composition de Messiaen qui oscille constamment entre tonalité et atonalité comporte de longs passages pendant lesquels l’orchestre domine, ce qui n’a pas posé de problème à la cantatrice. Le talent de Heidi Brunner a de multiples facettes : d’une part, elle articule clairement, rendant ainsi les textes parfaitement compréhensibles, d’autre part, elle possède une voix de soprano pleine et douce qui envoûte par son naturel.
Elle a interprété un alléluia hors du commun, qui marque la fin du premier poème, de façon tendre et scintillante. Pendant ce passage, sa voix a été en opposition totale avec les cris d’effroi poussés lors du troisième poème ou encore pendant sa description des deux guerriers. Messiaen n’a pas seulement composé la musique de cette œuvre, il en a également écrit les poèmes. Sa composition est riche en images très expressives que de Billy, Brunner et l’OPS ont parfaitement su retranscrire. Ce soir-là, l’interprétation de cette œuvre très difficile fut simplement magistrale.
Une œuvre immense, la 4e symphonie de Brahms devait clore la soirée. Lors d’enregistrements d’œuvres classiques, cette 4e symphonie est souvent associée à l’ouverture de Tannhäuser. Très certainement à cause de leur proximité musicale que l’on a pu clairement noter au cours de la soirée. La symphonie de Brahms est, sur le plan intellectuel, très exigeante : l’enchevêtrement de nombreux thèmes différents et d’accents rythmiques changeants y contribuent de façon considérable. C’est une tâche difficile pour les musiciennes et musiciens qui doivent faire une confiance totale aux entrées données par le chef d’orchestre. Les quelques incertitudes du premier mouvement furent vite gommées par l’interprétation des mouvements qui ont suivi: dans le dernier mouvement, au moment où la musique se tait pratiquement, de Billy et l’orchestre atteignent un état proche de la sustentation pour ensuite repartir à toute vitesse. Une analyse magistrale du chef d’orchestre, superbement interprétée par l’OPS.