Xenakis = énergie pure

Xenakis = énergie pure

Konzert Xenakis #4

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Le compositeur Iannis Xenakis (c) Gilbert Rancy


Concert Xenakis # 4

Le concert du 2 octobre, le dernier de trois concerts joués dans le cadre du Festival Musica à Strasbourg était, comme l’était déjà les deux précédents, entièrement dédié à Iannis Xenakis. Grâce à une distribution de premier ordre – Les Percussions de Strasbourg , la Philharmonie de Bruxelles, l’Orchestre Flamand, le Chœur de la Radio Flamande et le Chœur de la Radio Lettonne – cette soirée fut l’un des points culminants du festival.

Immédiatement en début de soirée, les 6 percussionnistes strasbourgeois -dont 2 femmes- ont prouvé qu’Iannis Xenakis savait orchestrer leurs instruments de façon à créer tout un concert. « Persephassa », écrite en 1969, fait allusion à Perséphone, la reine des morts qui est la fille magnifique de Zeus et Déméter. Xenakis plonge le public, fort de ce savoir, dans un spectre sonore rythmique qui joue avec le temps et l’espace. Les 6 musiciens étaient placés de telle sorte qu’ils encerclaient pratiquement leur public. Le résultat était étonnant : du Dolby-Surround créé en direct. En particulier les passages qui parcouraient tour à tour toutes les unités de percussion, offraient une expérience auditive tridimensionnelle au public. Les coups «uni sonos» faisaient penser à des coups de fusil. Ils étaient en opposition totale avec les passages aux petits sons de clochette, qui pourtant faisaient monter la tension encore davantage. Après ces sonorités tendres, une longue pause permet de donner libre cours aux réflexions sur la notion de temps. Xenakis utilise les cuivres, les timbales et les grandes caisses, des wood blocks, des carillons et des maracas: dans cette œuvre, le compositeur « n’épargne » pratiquement aucun instrument rythmique. La densité et la couleur du son changent en permanence, elles sont totalement contrastées ou alors se complètent harmonieusement. A là fin de cette expérience sonore de 35 minutes arrive le final qui fait sonner tout ce qui peut émettre un son: le volume se situait tout juste en dessous du seuil de la douleur. Le tout résonnait dans les oreilles jusqu’à ce que les applaudissements, en créant un spectre sonore totalement différent, prennent la relève.

MADGE 1©Muller

Le pianiste Geoffrey Madge (c) Muller


Le deuxième concert de la soirée, « Synaphai », un concerto pour piano et orchestre, regorgeait de la même énergie. Geoffrey Madge, sous la direction de Michel Tabachnik, était au piano. Il a joué, comme si sa vie en dépendait. Cette part extrêmement difficile demande au pianiste non seulement un savoir-faire et une technique hors pair, mais exige aussi persévérance et puissance. Maintenir la cadence et la densité sonore pendant les passages qui secouent et bousculent, assurer leurs mouvements opposés ou parallèles qui durent de longues minutes est un exercice comparable à ceux que l’on fait dans une salle de musculation. Le pianiste originaire d’Australie a travaillé pendant très longtemps avec Xenakis en personne. Une collaboration qui garantit d’une certaine façon l’authenticité de l’interprétation. Pendant de très longs passages, le piano s’est intégré tout naturellement dans les phénomènes sonores de l’orchestre. Il y a même partiellement disparu, pour revenir ensuite et se voir attribuer encore une fois une part exceptionnelle, virtuose.

Michel Tabachnik était l’un des interprètes favoris de Xenakis. Tabachnik s’est avéré un chef orchestre exceptionnel, dans tous les concerts joués au cours de cette soirée. Ses entrées justes ajoutées à une énergie débordante ont permis une transposition 1:1 des œuvres dirigées. Des nuages de sons, des bruissements et des roulis, des éléments de composition parfois compréhensibles, parfois inexplicables ont fait de Synaphai une véritable aventure.

Après l’entre-acte, la soirée continuait avec « Metastaseis » et « Cendrées », des œuvres annoncées dans le programme comme emblématiques. Metastaseis est une œuvre débordante pendant laquelle aucun des musiciens ne joue la même part que son collègue : Un monde sonore hypertrophié, indéchiffrable et impénétrable est peuplé par des accumulations et des nuages. Ce monde est furtivement accentué par un quartet d’instruments à cordes, qui finit par être absorbé et interprété par les autres instruments. Ce morceau passe pour être la première œuvre pour orchestre de Xenakis. En comparaison avec les autres, elle est avec sa durée de 7 minutes plutôt courte.

En revanche « Cendrées », l’œuvre pour chœur et orchestre
censée clore cette soirée, a atteint avec ses 25 minutes une durée à la hauteur de sa dimension sonore. Après les glissandi montants des violons et les violoncelles décroissant si typiques pour Xenakis, se font entendre une à une les voix du chœur. On comprend très vite que Xenakis ne cherche pas à utiliser la voix humaine mais qu’il la définit comme quelque chose de différent, presque déshumanisé, quelque chose qui forme une part opposée à l’orchestre tout en étant son égal.
L’œuvre ne comporte pas de repères mélodiques, ce qui présente pour les chanteuses et chanteurs une difficulté majeure. Tous disposent d’un diapason qui leur permet de trouver le ton juste pendant la représentation. Des vagues sonores de taille inégale, également une caractéristique de l’œuvre de Xenakis, donnent l’impression d’une musique abstraite. Le solo d’une flûte traversière est suivi de façon imprévisible par un duo, auquel viennent s’ajouter des instruments à vent. A peine a-t-on l’impression d’avoir décelé la structure, le chœur se déchaîne à nouveau avec une force quasi brachiale. A ce moment précis, plus aucun doute ne subsiste, c’est clair comme de l’eau de roche: L’équation pour la musique de Xenakis est : l’énergie pure !
Les passages qui glissent vers le piano sont là pour que chacun puisse reprendre son souffle et que tout reparte encore plus fort !

C’est une excursion dans un univers de sons unique dans la scène musicale du 20e siècle. Et ces quelques rares occasions qui permettent d’y participer sont encore et toujours des expériences fascinantes.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

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Hommage à Iannis Xenakis

Hommage à Iannis Xenakis


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Jan Michiels © Mirjam_Devriendt

Concert  Xenakis # 2 et concert Xenakis # 3 au Festival Musica

Concert Xenakis # 2

La soirée du samedi 3 octobre était un hommage à Iannis Xenakis (1922-2001). On a honoré ce soir-là le compositeur et architecte qui a collaboré pendant une douzaine d’années avec Le Corbusier en donnant trois concerts, exclusivement constitués de ses œuvres.

Peu après midi, le premier concert a eu lieu dans la salle bondée de l’ancienne bourse. Les solistes: Jan Michiels au piano et Arne Deforce au violoncelle.

En ouverture on a pu entendre «Nuits» écrit en 1967 et interprété par le chœur de la radio lituanienne. En quelques instants, les augures de la nuit, appelés par les voix féminines, ont investi la salle. Xenakis a puisé son inspiration pour cette œuvre dans des poèmes archaïques qu’il a mis en musique. Le compositeur les a dédiés à tous ceux qui ont été persécutés pour leurs idées politiques et qui ont disparu. Le texte de cette œuvre n’est plus compréhensible aujourd’hui, comme c’est le cas de toutes les œuvres pour chœur d’Iannis Xenakis. Du texte ne subsistent que quelques fragments en arrière plan, la priorité étant donnée à l’expression sonore. Le chant des oiseaux, en revanche, comme d’autres voix de la nature sont mis en avant. On entend à peine une petite ligne de chiffres qui semble provoquer des disputes: des chuchotements et des sifflements sont opposés à de courtes mélodies. Des arcs sonores augmentant et diminuant font naître un tout qui se perd doucement, de façon presque anodine.

Une entrée en matière judicieusement choisie pour cette suite de concerts. La nuit prit fin avec une deuxième œuvre avec la participation d’un chœur. Une belle parenthèse conçue par Jean-Dominique Marco pour cette journée.

Jan Michiels le pianiste belge a joué « à R », un hommage à Ravel. Son interprétation d’Evryali et de Mists a parfaitement démontré les schémas récurrents des compositions, comme par exemple l’utilisation des passages en sens opposé  et une fureur à perdre haleine qui faisait penser à une course poursuite. Dans les partitions de piano, la polyphonie est conçue avec tant de puissance qu’elle donne l’impression que le pianiste possède vingt doigts. Cette polyphonie est souvent mise en opposition avec de petits éclats clairs. La performance fulgurante de Michiels fut à tout moment mise au service de la partition débordante d’énergie de Xenakis.

De façon similaire, son compatriote Arne Deforce a interprété à la perfection «Nomos Alpha », un morceau solo pour violoncelle, une composition à tout point de vue extrêmement exigeante. En spécialiste de la musique contemporaine, Deforce a joué avec une expression musicale si intense qu’à aucun moment il n’y a eu la moindre longueur.

Quelle que soit la couleur sonore exigée, rien, aucune technique, ni aucune transition ne semblait présenter une quelconque difficulté pour le musicien. Il était absolument à la hauteur de l’univers sonore créé par Xenakis pour cet instrument. Dans cette multitude de voix et les différents rythmes, on pouvait aussi bien entendre des sons symphoniques que des mesures jazzy. Certains passages étaient entièrement dédiés aux rythmes, d’autres au son. Une performance extraordinaire, acclamée par le public à juste titre. On se rendit au concert suivant avec une excitation certaine, car  une fois encore on devait avoir l’occasion d’entendre Deforce.

Concert Xenakis # 3

En fin d’après-midi, le public était attendu dans la salle de concert de France 3 Alsace où la « musikFabrik » de Cologne, sous la direction de James Wood, a joué le 24e concert du Festival Musica. Les œuvres interprétées: « Jalons » et « Thallein » des compositions qui sont assez proches l’une de l’autre, même si leur instrumentalisation diffère légèrement: dans « Jalons », écrit pour un petit orchestre symphonique, Xenakis a fait l’impasse sur les percussions. Dans «Thallein» en revanche, les percussions et un piano complétèrent l’instrumentaire.

musikFabrik 3©Klaus Rudolph1

musikFabrik (c) Klaus Rudolph


Les deux morceaux, brillamment dirigés par Wood, comportent une multitude d’idées de composition qui se succèdent comme dans une course de relais. Par moment, certains instruments se font clairement entendre et déterminent la sonorité tout en étant dans une dissonance totale par rapport à ce qui se passe par ailleurs. Ce fut le cas, pendant de longs passages, pour les flûtes. Ensuite, les différents groupes d’instruments restent entre eux, jouent leurs petites séquences sans se soucier des parts des autres. Une structure rythmique rudimentaire réussit néanmoins à maintenir ce qui menace d’exploser. Les glissandi, si typiques pour Xenakis, font naître une sorte mouvement de vagues dans la musique. Une technique que le compositeur emploie volontiers dans ses œuvres.

Il était très plaisant d’observer les musiciennes et musiciens pendant leur travail  parce qu’ils donnaient l’impression de jouer avec une joie évidente, malgré la concentration qu’exige la composition de Xenakis.

Deforce 1

Arne Deforce (c) document recu


La performance d’Arne Deforce avec la « musikFabrik » était aussi convaincante que dans son solo donné dans la salle de la bourse. Mais « Epicylce » écrit en 1989 était nettement moins exigeant que « Nomos Alpha », même si ce morceau comportait également des parts incroyablement difficiles.

Contrairement aux deux autres morceaux du concert, il était évident que le compositeur avait « emprunté» auprès des pratiques de composition historiques, comme l’intégration de la part du violoncelle dans l’ensemble, sa transformation ou alors son accompagnement. Ceci rompt avec les principes de composition mathématiques des deux autres œuvres de Xenakis.

Si l’on voulait trouver un dénominateur commun aux œuvres entendues dans la soirée, cela pourrait être « la multitude au lieu de la simplicité ». Dans aucune de ses compositions, Xenakis s’est contenté de quelques rares idées. Au contraire ! Le public avait fort à faire en essayant de suivre ne serait-ce que approximativement les épanchements du compositeur.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker[:]

Le Festival Musica en habit historique

Le Festival Musica en habit historique


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Bruno Mantovani (c) Philippe Stirnweiss

Le 30 septembre dernier, dans le cadre du Festival Musica, trois compositeurs totalement différents, appartenant à des époques musicales différentes étaient au programme du concert de l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Ce même programme, qui a déjà été joué gratuitement à Selestat, à Bischwiller et à Saverne, a permis au jeune compositeur Bruno Mantovani d’être au pupitre.

Ce mélange inédit est sans doute le résultat du calcul suivant: jouer deux œuvres flatteuses comme l’ouverture de « Don Giovanni » de Wolfgang Amadeus Mozart et la « Nuit transfigurée » de Schönberg, pour faire valoir les qualités de l’OPS auprès d’un public au-delà des « frontières » de la capitale strasbourgeoise. L’œuvre pour violoncelle, écrite en 2003 par Bruno Mantovani, était considérée comme la référence par excellence du Festival Musica et était dans le même temps le point fort de la soirée.

L’interprétation de l’œuvre de Mantovani par Marc Coppey, le violoncelliste génial de Strasbourg, fut remarquable : son jeu rebelle aux cotés du grand orchestre est resté clair et précis à chaque instant. Coppey a aussi bien réussi à intégrer la voix du violoncelle dans l’ensemble des autres instruments à cordes qu’à la mettre en avant. Son solo, juste avant la fin, partiellement accompagné par une espèce de sonorité inférieure des basses, fut d’une beauté à couper le souffle. Mais cette beauté n’était pas seulement due à l’interprétation du violoncelliste, mais également aux notations de Mantovani, particulièrement réussies à cet endroit. Ce qui en résulte, est un ensemble tout en harmonie et en rondeur. Dans la brève introduction prononcée par Mantovani en personne, le compositeur racontait qu’il avait écrit cette œuvre en hommage à Schumann. Sa transposition, tout en utilisant un grand orchestre traditionnel, devait être «pure» : sans ajout d’instruments à percussion ou d’instruments à vent modernes, sans avoir recours à une quelconque déformation ou bien même à l’électronique. Mantovani s’est également servi de moyens stylistiques bien connus de l’histoire de la musique, comme par exemple l’intégration de la part du violoncelle dans celle des autres instruments ou à l’inverse, sa continuité. Ce qui surprend le plus, c’est que le compositeur a réellement réussi à faire de la musique contemporaine en utilisant un corps sonore historique du 19e siècle.

A l’époque de sa création, l’ouverture de Don Giovanni était annoncée comme une sorte de renouvellement de l’histoire de la musique. Ce soir-là, son interprétation comme celle de l’œuvre de Schönberg qui devait suivre, était solide. L’œuvre de Mozart passe pour celle où le compositeur fait « musicalement » allusion à l’opéra qui suit. La « Nuit transfigurée » de Schönberg a été accompagnée par le poème de Richard Dehmel, ce poème qui a été la source d’inspiration de Mantovani. Il faut souligner la prestation d’Evelyne Alliaume : En tant que maître de concert, elle a superbement interprété toutes les parts solos.

Grâce à l’estime que lui portent les organisateurs, le sympathique Brune Mantovani a pu endosser plusieurs rôles dans le cadre du Festival Musica : celui du pianiste, celui du chef d’orchestre et, bien entendu, celui du compositeur. Mais le public a pu constater que la plus grande force de Mantovani était bel et bien la composition. Reste à espérer que l’on entendra encore beaucoup de ses œuvres à l’avenir !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Le « Klangforum Wien » invité à Strasbourg

Le « Klangforum Wien » invité à Strasbourg

Concert n°16 01©Philippe Stirnweiss

Le « Klangforum Wien » invité à Strasbourg 2

Le « Klangforum Wien », l’un des ensembles de musique contemporaine les plus renommés, a été invité à Strasbourg. Depuis qu’il existe, cet orchestre fondé en 1985, a enregistré plus de 70 CDs et joué plus de 500 compositions contemporaines. A Strasbourg, la formation était dirigée par Peter Hirsch. Dans ses bagages: des œuvres d’Aureliano Cattaneo, de Georges Aperghis et de Bernhard Lang. Pour tous les concerts, ce fut une première en France et, au cours de la soirée cela devenait une évidence, ils furent bien choisis.

L’œuvre « Giano, repainted » de Cattaneo a ouvert la soirée. L’idée de base était la construction de deux niveaux de récits parallèles. Le compositeur s’est inspiré du Janus aux deux visages, capable de regarder en même temps vers l’avenir et vers le passé. Grâce à une instrumentation simple, logique et riche en effets, cette idée a été efficacement transposée dans le monde musical.
Deux quartettes identiques, composés par 2 flûtes, clarinettes, violons et pianos se tenaient face à face comme devant un miroir. Ils ont donné vie à l’idée de Cattaneo, basée sur la perception musicale multiple. Celle-ci, ajoutée à la composition qui dissimulait davantage qu’elle ne montrait, a suscité une interrogation permanente auprès du public, pour tout ce qu’il venait d’entendre et de voir. Où est hier, où est aujourd’hui, comment Cattaneo distingue ces notions ? Où sont les différences et où les similitudes ? Une astuce qui n’a pas manqué de faire son effet.

Pour le « See-Saw » de Georges Aperghis l’ensemble, composé différemment, était organisé encore une fois en face à face comme s’il était placé devant un miroir.

Au centre de l’œuvre se trouve l’évolution du matériel musical de départ. Grâce aux bonnes proportions entre les passages à forte sonorité et d’autres, plus silencieux, la création d’Aperghis atteint un équilibre parfait. Le compositeur en personne définit la concentration finale de toutes les forces atonales qui finissent par se dissoudre dans une variation en decrescendo, comme « paradoxe ». Il fait remarquer que ces petites séquences à peine modifiées finissent par aboutir à un grand ensemble.

L’idée à l’origine de la dernière œuvre de la soirée, « Monadologie VII…for Arnold » de Bernhard Lang, écrite en 2009, était pratiquement la même. Partant de brèves idées musicales aux changements minimes de rythme et de mélodie, le compositeur a créé une œuvre scintillante en plusieurs mouvements. Tant que ces changements prenaient leur point de départ dans une sorte de corset rythmique compréhensible, ils restaient parfaitement identifiables. Seulement pendant la dernière séquence, au cours de laquelle Lang a créé des sons dont la durée pouvait dépasser une ou plusieurs mesures, cette compréhension n’était plus possible. Pour malgré tout pouvoir poursuivre sur cette même lancée, le public qui écoutait ce morceau pour la première fois, ne pouvait que s’appuyer sur la confiance qu’il avait développée jusqu’alors.

L’exigence de cette soirée était double: d’une part elle demandait une grande précision d’exécution aux musiciens. Leur travail était effectivement comparable à l’exactitude du mécanisme d’une horloge. D’autre part cela nécessitait une attention sans faille de la part du public avec, en récompense, de riches enseignements.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Ictus dans l’ivresse du son

Ictus dans l’ivresse du son

Concert n°13 04©Philippe Stirnweiss

L´ensemble belge Ictus au Festival Musica (c) Philippe Stirnweiss

Le 13e concert dans le cadre du Festival Musica était dédié à deux générations de compositeurs. Enchâssée entre une œuvre de Yann Robin (né en 1974) et une autre de Raphaël Cendo (né en 1975), on a pu entendre la passionnante représentation du « Concerto pour un piano-espace n° 2 » de Michaël Levinas (né en 1949).

Cette œuvre, retravaillée en 2010, est basée sur un concert de 1980. C’est un travail sur la déformation électronique des sons des différents instruments. Le piano, d’une résonnance exceptionnelle, y occupe une place de premier ordre. Dans cette nouvelle mouture, dans laquelle le part du piano a été totalement revu, Levinas a mis à profit ses expériences acquises lors de ses dernières compositions ainsi que les moyens digitaux sans lesquels la création du spectre du son, comme il est présenté aujourd’hui, n’aurait été possible.
C’est un bon exemple pour démontrer à quel point la technique intervient dans les schémas de composition des compositeurs contemporains et les influence. En plus de cette résonnance créée électroniquement, l’artiste utilise simultanément un écho, un huitième de ton au dessus. Le son qui en résulte est comme flou et fait penser à un piano mal accordé dans un espace vide. Ceci déclenche d’innombrables images dans les têtes du public.

Il faut ajouter à cela que Levinas travaille avec des mélodies qui entrent facilement dans les oreilles et les souvenirs. Il en résulte un concert qui semble provenir d’un espace temps différent : des sons scintillants, créés avec des flûtes, des lignes de ton qui vont en montant et en descendant et le rajout électronique de sensations sonores, comme par exemple le bruit de la pluie battante – le paroxysme d’une jouissance aussi variée qu’esthétique.

La construction sonore complexe de cette œuvre était d’autant plus frappante, que juste avant elle, on pouvait entendre le « Chants contre champs » de Yann Robin. Ecrite pour cor anglais, tuba et clarinette-contrebasse, la composition laissait libre cours à l’expression musicale des instruments sans avoir recours à la déformation électronique. Le principe d’entrelacer les différentes voix entre elles, de créer des rapports entre elles, de les faire monter par une sorte de surenchère entre elles pour les faire descendre ensuite, c’est un principe que l’on trouve également chez Levinas. Mais Robin l’a élargi à une dimension quasi-psychologique : les interdépendances porteuses de hauteurs comme de profondeurs clairement audibles dans son œuvre et qui sont à l’origine de sa particularité, valent également pour les relations humaines.

Le dernier morceau, « Introduction aux ténèbres » de Raphaël Cendo était une sorte d’entrelacs des expériences auditives décrites précédemment. Tout y était : aussi bien la déformation des sons, que l’expérience sonore directe qui, à travers une voix chantée et narratrice, a fait de l’effet auprès du public.
Une interprétation furieuse de cette ambiance de fin du monde qui s’appuie sur 3 passages de l’apocalypse d’après Jean. Elle était proposée par Ictus, un ensemble belge qui se voue à la musique contemporaine.

Comme l’a constaté le directeur du festival, Dominique Marco, cette composition contemporaine était véritablement une œuvre pour les oreilles ET les yeux. La déformation électronique rendait parfois l’identification des instruments impossible et les visiteuses et visiteurs du concert devaient repérer visuellement les instruments à l’origine de la création des différentes structures sonores.

L’ambiance de fin du monde évoquée dans cette œuvre par Cendo était, comme son exemple littéraire, très structurée.
A aucun moment, George-Elie Octors qui a dirigé l’ensemble, n’a laissé échapper le rythme imposé : Le baryton croassé, gargarisé, hurlé et pressé de Romain Bischoff a fait frissonner l’auditoire. Dans le troisième mouvement, l’illustration de la bête féroce par Cendo était plus que réussie. Les hurlements de dragon de cette créature, un croisement entre panthère, ours et lion se rependaient dans la salle de telle manière qu’aucune fuite ne paraissait possible.

Tout comme Bach, Cendo met dans sa technique de composition les mots importants du texte en exergue, de sorte que « bestiam » était plus d’une fois très distinctement audible, aussi bien que le chiffre 666, attribué au diable.
Cette œuvre montre clairement à quel point Cendo se situe dans le contexte historico-musical qui ne se contente pas uniquement d’un certain choix de texte. Ses allusions à l’histoire de la musique sont plutôt une prise de position vivante de son propre point de vue. Il se présente donc comme un compositeur qui utilise les moyens modernes à sa disposition pour rompre avec les traditions. Mais on ne peut rompre avec les traditions qu’à la seule condition d’en être conscient – il en a fait la démonstration magistrale !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Portes ouvertes au festival Musica

Portes ouvertes au festival Musica

porte ouvert

Portes ouvertes au festival « Musica » (c) Philippe Stirnweiss

Le premier dimanche du festival « Musica » était placé sous le signe des portes ouvertes. Entre 14 et 18 heures, le public avait la possibilité de choisir parmi 22 concerts gratuits, tous proposés dans les locaux du conservatoire. Un choix judicieux permettait d’assister à 4 concerts différents. L’offre était d’une largeur de bande inégalable allant des classiques comme Luciano Berio, Mauricio Kagel ou John Cage jusqu’aux jeunes compositeurs comme par exemple Bruno Mantovani ou Johannes Maria Staud. Des aventures acoustiques nouvelles faisaient face aux sons familiers ; la légèreté et l’ambiance joyeuse, dont l’après midi était empreinte, étaient contagieuses.

On pouvait écouter aussi bien les étudiants du conservatoire que de véritables stars connues et reconnues. L’une des plus grandes découvertes était Carlo Rizzo. Ce dernier, originaire d’Italie, s’est produit avec son ami, le pianiste et compositeur Henry Fourès, directeur du conservatoire de Lyon jusqu’en 2009. L`homme d’origine italienne a réussi à faire évoluer le tambourin de façon à en faire un instrument de musique à sonorité multiple qu’il maîtrise à la perfection. Il en fait sortir un volume sonore qui s’apparente à celui d’une batterie entière. Il arrive même à le dépasser. Sa virtuosité est à couper le souffle. Il reste à espérer que cet instrument génial trouvera une diffusion aussi large que possible.

Mantovani ®Philippe Stirnweiss

Bruno Mantovani aux "portes ouvertes" au festival Musica (c) Philippe Stirnweiss

Bruno Mantovani, l’une des découvertes françaises parmi les jeunes compositeurs, s’est attaqué au piano aux interprétations de goût des différents vins alsaciens. Les Greiner, une famille de viticulteurs ayant apporté 4 vins et un crémant pour une dégustation, étaient visiblement émus, quand Mantovani a transformé leurs vins en sons. L’année dernière déjà on a pu assister à une expérience semblable, avec l’œuvre « Lagrein » de Johannes Maria Staud, une transcription en musique du feu d’artifice gustatif d’un vin rouge du Tyrol du Sud.

Grâce au concert de quatre œuvres de John Cage, joué par des étudiants, on a pu constater à quel point les enfants réagissent ouvertement et de façon juste aux persifflages musicaux : pendant que les adultes étaient encore en train d’écouter l’interprétation de « Fontana Mix et Aria » avec beaucoup de sérieux, les éclats de rire des enfants, installées par terre devant le premier rang, commençaient déjà à fuser. Bien avant les adultes ils avaient compris que les gargarismes du clarinettiste et les miaulements du chanteur n’étaient que drôlerie. La performance mimique du jeune contreténor Leandro Marziotte qui a surpris plus d’un parmi les auditeurs avec sa voix, pourtant typique pour ce registre, était remarquable.

Dans le café, où il ne restait pas une seule chaise de libre, la fin de l’après-midi était « jazzy ». Une preuve, qu’il n’y a pas que des portes ouvertes à Strasbourg, mais que les oreilles du public le sont tout autant.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker