Le chef d´orchestre Martin Fischer-Dieskau

Le chef d´orchestre Martin Fischer-Dieskau

Fischer Dieskau Martin

Der Dirigent Martin Fischer-Dieskau (c) OPS


Interview avec le chef d’orchestre Martin Fischer-Dieskau

Monsieur Fischer-Dieskau, votre voyage à Strasbourg a été décidé au dernier moment. Vous avez remplacé Darell Ang, bloqué comme tant d’autres par le nuage de cendres volcaniques. Pour trois soirées consécutives, vous allez diriger l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Au programme : des concerts de Haydn, Mozart et Schubert.

Oui, c’est exact. Mon voyage était effectivement plus que précipité. Lundi matin, j’ai reçu un coup de téléphone et une heure et demie plus tard j’étais déjà assis dans la voiture muni des partitions. Heureusement que je les avais à la maison et que je les connaissais aussi ! Mais malgré tout, c’était très fatiguant, car, tout en conduisant, j’avais en permanence un œil sur les partitions.

Avez-vous déjà fait des remplacements au pied levé comme celui-ci?

Oui, cela arrive de temps en temps. Je me souviens encore de la première fois : J’ai du diriger un opéra à Naples. A l’époque j’étais encore très jeune et très nerveux. Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes. Mais au fond, on ne devrait pas accepter d’engagement à si court terme. Dans ce cas précis, il s’agissait d’une situation tout à fait exceptionnelle : L’orchestre ne pouvait pas jouer tout seul, tout de même !

Quelle impression avez-vous de l’OPS ?

J’ai constaté que l’orchestre a d’excellents solistes : Le corniste – un anglais, du reste – est incroyable (Kévin Cleary). Il est très précis et donne absolument tout. Le hautboïste (Sébastion Giot) aussi est exceptionnel, sans oublier le violoncelliste (Olivier Roth). Je ne savais pas non plus que le soliste du concerto de Mozart, Vladlen Chernomor, ne faisait partie de l’orchestre que depuis peu de temps. Il faut du courage pour jouer comme soliste devant son propre orchestre, car les collèges sont parfois des critiques impitoyables. Mais depuis le début des répétitions jusqu’à la première de ce cycle de trois jours, Chernomor était en progrès constant.

Qu’est ce qui vous a motivé pour devenir chef d’orchestre ?

A l’époque où j’ai passé mon baccalauréat, j’ai dirigé un opéra à la Charlottenburg à Berlin. Un vieux monsieur juif, premier violon, qui, comme beaucoup de gens de sa génération a été contraint d’émigrer pour revenir ensuite, m’a vu et dit : « Il faut absolument que tu en fasses ton métier, mon garçon ! »

Comment voyez-vous le rôle du chef d’orchestre ?

Un chef d’orchestre est bon, quand les musiciens ont l’impression de pouvoir jouer sans être dérangés. Bien sur, il faut donner le principe de base qui permet de « bien respirer », il faut en quelque sorte « régler » les pulsations. Mais pendant un concert, il ne faut pas être focalisé sur le chef d’orchestre. D’un coté, le chef d’orchestre ne doit pas déranger, de l’autre, il doit décider de tout. L’image du compositeur, celle de sa musique devrait s’élever au dessus du chef d´ochestre et l’orchestre.
Mais la direction d’orchestre relève de nos jours souvent d’une imposture : Beaucoup de musiciens et solistes dirigent des orchestres sans avoir une formation adéquate. Et bien souvent, les orchestres n’ont plus de base de comparaison pour savoir qui est un bon chef d’orchestre et qui ne l’est pas. Beaucoup de jeunes gens font des études et sont pressés d’exercer leur métier. Pourtant, nous savons tous, qu’un bon chef d’orchestre ne peut être jeune. Ce n’est tout bonnement pas possible. Ce qui manque, c’est l’expérience. C’est elle qui fait la qualité d’un chef d’orchestre. Les études pour devenir chef d’orchestre comportent quantité de matières, somme toute, très importantes, qu’il s’agisse de déchiffrage ou de la technique de percussion? et tant d’autres. C’est sur, sans cette formation il est impossible de maîtriser ces techniques. Moi, par exemple, j’essaie – autant que possible – de diriger par cœur. Car, comme disait Celibidache : « Il faut sentir la fin depuis le début pour naviguer dans le bons sens ! » Bien que Celibidache soit d’une certaine façon aussi un imposteur, même s’il était très gentil !
De nos jours, on manque souvent de temps. C’est pour cette raison qu’il faut s’approprier un certain nombre de choses en amont pour pouvoir diriger par cœur ensuite. Maazel ou Ozawa sous qui j’ai travaillé, dirigent aussi par cœur. Le monde du chef d’orchestre est totalement séparé de celui de l’orchestre. Le chef d’orchestre et l’orchestre ne parlent pas la même langue. Un bon musicien d’orchestre possède d’autres qualités qu’un bon chef d’orchestre. En ce qui me concerne, par exemple, je serais incapable de jouer au sein d’un orchestre. Le chef d’orchestre a une grande responsabilité. Il joue sur un clavier, sachant que l’expression « clavier » est trop mécanique, elle ne convient donc pas tout à fait. Ce « clavier » ce sont des êtres humains et des âmes. Je suis souvent conscient de ma puissance mais je sens aussi le poids de la responsabilité qui est la mienne : On entend immédiatement la plus petite erreur de ma part. Beaucoup de gens croient qu’être chef d’orchestre signifie en même temps « faire carrière ». Mais c’est une mauvaise approche ! Il n’y a que peu de personnes qui ont une bonne approche, une approche musicale concernant la direction d’orchestre. Cette ambition de faire carrière à tout prix est une erreur grossière ! Les longues carrières, que l’on pouvait observer dans le temps, n’existent plus de nos jours. Aujourd’hui, les contrats sont signés pour deux ou trois ans en moyenne. Après trois ans un changement, même forcé, s’impose ! Pour survivre, un chef d’orchestre doit avoir un instinct machiavélique. Il doit savoir faire des alliances, parfois il doit aussi tenir tête à un intendant. Ce sont des choses difficiles mais elles font partie de ce métier. L’aspect musical est relégué à l’arrière-plan.
Nikolaus Harnoncourt est l’exception qui confirme la règle. Il a réussi à rester totalement à l’écart de tout. Il se contente de faire sa musique comme il l’entend. C’est admirable. C’est un exemple qui prouve, que malgré tout, c’est parfois la qualité qui a le dernier mot et que c’est elle qui permet à un chef d’orchestre de reporter le succès qu’il mérite – même si cela demande un peu plus de temps. Regardez par exemple la carrière du grand chef d’orchestre Georges Prêtre. Même très âgé il est et reste l’un des plus grands et les plus importants chefs d’orchestre du moment. Ceci me rend optimiste. D’un autre coté je constate qu’il y a actuellement une certaine tendance de faire signer des contrats aux chefs d’orchestre jeunes et sportifs, car l’apparence est de plus en plus importante de nos jours. Cette démarche n’est pas la bonne ! Moi par exemple, j’ai plaisir à tester mon savoir-faire et je pars du principe que le succès ne devrait être lié qu’à cela !

Est-ce que vous vous situez dans un environnement musical en particulier ?

Non pas du tout ! Je joue et j’écoute de différentes choses avec grand plaisir. Je me passionne toujours pour tout qui est à l’ordre du jour. Il est impossible de choisir entre Goethe ou Homer, n’est-ce pas ? Ou l’un ou l’autre ? On a besoin des deux ! Mon environnement familial était enraciné dans le romantisme allemand. J’ai beaucoup étudié Mozart et l’opéra italienne (NB : Martin Fischer-Dieskau est le fils du baryton Dietrich Fischer-Dieskau qui fête ses 85 ans cette année) mais je n’ai pas de préférences. Ce que je regrette pourtant, c’est qu’en règle générale, la programmation manque de courage pour proposer de la musique contemporaine écrite par des compositeurs peu connus. Les programmes sont devenus très conventionnels. A Taïwan, j’ai pu observer que les œuvres des compositeurs de retour à la maison après avoir fait leurs études en Europe, avaient des racines très européennes. Les pièces étaient tout simplement agrémentées par des instruments taïwanais – et voilà le travail « contemporain » !

Le célèbre chef d’orchestre Antal Dorati était également compositeur. Ma fille, qui vient d’avoir 20 ans joue en ce moment son concerto en Israël et en Turquie. Je pense qu’elle est très douée, ce que son grand-père confirme également. Dimanche (NB 25.4.2010) elle va jouer un concert de Chopin à Hambourg sous la direction d’un jeune chef d’orchestre, qui était l’un de mes élèves. J’y assisterai, bien sur, et je suis déjà très curieux !

Avez-vous des désirs concernant votre avenir personnel ?

Oui, j’aimerais diriger mon propre orchestre et ceci pour un certain temps. Un Orchestre avec lequel je pourrais construire quelque chose. Etablir un programme, non seulement pour une saison, mais sur plusieurs saisons avec une sorte de fil conducteur. Je suis toujours à la recherche du cheminement idéal, caractérisé par l’esprit d’ouverture et non pas par des calculs d’ordre politique. J’aimerais être indispensable et, malgré tout, rester capable d’évoluer en permanence. Il y a encore tellement de choses que j’aimerais faire. J’ai terminé il y a peu de temps mes études en musicologie, par exemple. Je recommande à tous les musiciens, surtout aux musiciens d’orchestre, de faire des études – même tardivement !
Et j’aimerais aussi que les chefs d’orchestre et les musiciens ne se prennent pas trop au sérieux !

Merci beaucoup pour cet entretien !

Cette interview était réalisée par Dr. Michaela Preiner le 23 avril 2010 à Strasbourg.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Bernard Fleury

Bernard Fleury

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Bernard Fleury, directeur du Le-Maillon, Straßburg (c) Le-Maillon


Monsieur Fleury, pouvez-vous me raconter l’histoire du Maillon ?

Bien sur, avec plaisir. Cette histoire est longue et courte à la fois. Le centre culturel du Maillon fut ouvert en 1978 dans le nouveau quartier strasbourgeois de Hautepierre. A l’origine, la direction fut confiée à Bernard Jenny qui affirma d’emblée sa vocation théâtrale, en faisant du centre « le maillon d’une chaîne culturelle impliquant toute la ville. » Les directions successives de Claudine Gironès et Nadia Derrar ont su lui donner une réputation nationale et internationale, tant pour son engagement artistique que pour les relations franches suscitées entre les artistes et le public. Moi-même je suis directeur du Maillon depuis 2002.
Actuellement, Le Maillon met l’accent sur le théâtre interdisciplinaire qui lui tend vers une orientation internationale. Le-Maillon entretient des relations avec les pays de l’est et aussi l’Allemagne. Contrairement au théâtre français, qui est un théâtre littéraire trouvant ses origines chez Molière, le Maillon montre un « théâtre de forme ». C’est une scène expérimentale qui propose entre autre des productions complémentaires du programme du TNS (Théâtre National de Strasbourg). Le Maillon collabore étroitement avec le « Pôle sud » et le TNS. Avec ce dernier, il y a six ans nous avons initié le festival « Premières ». Depuis, ce festival est un rendez-vous récurrent à la fin de chaque saison. Il présente les premières œuvres des nouveaux metteurs en scène en provenance de toute l’Europe. Très souvent, il s’agit de projets de fin d’études que les étudiants doivent remettre à l’université. Contrairement à l’Allemagne, la mise en scène n’est pas enseignée dans les universités françaises. Le programme du festival n’est arrêté qu’au mois de mai. Les semaines d’ici là seront très mouvementées.

Comment peut-on imaginer la recherche des pièces qui sont finalement retenues ?

Nous voyageons beaucoup, bien sûr et nous regardons beaucoup de choses. Mais nous travaillons aussi étroitement avec Barbara Engelhardt qui a écrit pour le journal « Theater der Zeit ». 70 % des propositions que nous recevons pour le festival « Premières » viennent de sa part. Elle connaît à la perfection les écoles en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Hongrie. Le TNS a d’excellents contacts avec Paris, la Grèce et l’Espagne et il peut s’appuyer également sur un grand réseau relationnel. Au Maillon, nous entretenons de très bonnes relations avec la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et même la Russie. Nous « interconnectons » donc nos réseaux respectifs pour élaborer ensemble le programme du festival. Nous visionnons aussi des DVD. La préparation du festival demande environ une année de travail. Il est censé offrir un aperçu des scènes européennes dans toute leur différence. Il doit montrer ce qui intéresse les jeunes gens et ce qu’est la vie dans la communauté européenne. Il doit montrer ce qui véritablement occupe la jeunesse. Ceci nous permet de démontrer que l’art, le théâtre, a un tronc et un grand nombre de branches, bien que le festival en lui-même soit un véritable marathon !

Au-delà du festival, comment se passe la collaboration avec d’autres scènes strasbourgeoises comme celle du TNS ou du Pôle Sud ?

La « carte Culture » qui existe déjà depuis un certain temps permet aux jeunes d’accéder à toutes les manifestions culturelles à un tarif unique. Nous espérons pouvoir la maintenir. Cette carte facilite l’accès aux théâtres et crée en même temps un lien entre eux et l’université. Nous proposons spécialement aux jeunes un large choix de projets très variés. Les scènes collaborent aussi sur un plan technique, mais en aucun cas elles ne sont uniformes. La prochaine étape consiste à inclure les théâtres de la grande périphérie comme par exemple Schiltigheim. Mais il y a aussi des metteurs en scène, comme par exemple Jean-Yves Ruf qui a fait ses études au TNS, qui élabore un projet commun au Maillon et au TNS la saison prochaine.

Quand vous choisissez des pièces pour le programme d’une saison, qu’est ce qui est primordial pour vous : Leur disponibilité ou le programme dont elles feront partie ? Y a-t-il des groupes avec lesquels vous travaillez régulièrement ?

En premier lieu, nous voulons montrer des pièces qui nous semblent intéressantes. Nous voulons offrir la possibilité à notre public de rencontrer ce qu’il y de meilleur dans le domaine de l’art contemporain. La forme théâtrale que nous proposons au Maillon a une dimension poétique importante. C’est la raison pour laquelle nous montrons souvent des représentations de cirque. Ce genre relie à merveille la technique et la poésie. Le cirque est un bel exemple pour l’interdisciplinarité dont nous avons parlé précédemment : C’est la rencontre entre le théâtre, la danse et la musique. Et, bien entendu, il existe des liens très forts qui perdurent déjà depuis des années, comme par exemple notre collaboration avec Romeo Castelucci. Nous entretenons aussi depuis des années déjà des relations privilégiées avec la Belgique. Mais au-delà des pièces que nous proposons, nous collaborons également à différents projets, comme par exemple à celui qui s’intitule « Rosa, die Rote ». Des liens d’amitié de longue date nous lient à la « Volksbühne Berlin. « Ein Chor irrt sich gewaltig » est une production berlinoise qui arrive chez nous à Strasbourg. Et « Mord im Burgtheater » d’Ivan Stanev a également été joué à Berlin avant que nous montrions cette pièce ici à Strasbourg.
Wilfried Schulz du théâtre national de Dresde par exemple a engagé deux metteurs en scène qu’il avait repérés à l’occasion du festival « Premières ». Mais nous sommes aussi très fières que la première fois que Harriet Maria et Peter Meining, tous deux allemands, sont montés sur une scène française, c’était chez nous au Maillon. Le prix George-Tabori leur sera décerné le 31 mai pour leur spectacle « norton commander productions ». Nous en sommes ravis et très fières aussi, car cela signifie que notre programmation saisonnière ainsi que le festival « Premières » occupent une belle place au cœur de l’actualité théâtrale – et en France et en Allemagne !

D’après vous, que signifie le théâtre contemporain et quel rôle lui revient il au sein de notre société ?

Le théâtre traite toujours des questions fondamentales de l’existence humaine et donne une idée de la communication dans le sens de la Polis de la Grèce antique. De toutes les manières, le théâtre a toujours une dimension politique. La démocratie est une chose compliquée et en même temps – et certainement à cause de cela – très intéressante. La saison prochaine, justement, nous allons nous pencher sur des questions concernant la démocratie. La démocratie a une dimension internationale et les questions qu’elle pose sont également d’ordre international. Mais on ne peut pas non plus tout attendre d’elle. Elle ne nous défend pas contre la mort par exemple, nous devons mourir, quoi qu’il arrive. Mais le théâtre est une forme d’art très démocratique, car il s’agit de la communauté, de la compréhension, des sentiments – et l’éducation des sentiments a lieu au théâtre ! Depuis longtemps, nous collaborons avec un bureau de design qui transcrit notre programme visuellement : aussi bien sur un support papier que sur internet. Ca aussi, c’est une forme artistique en relation avec notre théâtre et je pars du principe que même la communication a besoin d’art – d’art contemporain !

Avez-vous constaté un changement concernant votre public strasbourgeois au fil des années ? Le nombre des abonnés du Maillon n’a pas arrêté de croitre depuis 8 ans : Vous enregistrez une augmentation de plus de 40 % , et vous êtes passés de 23.000 à 33.000 spectateurs ce qui est considérable !

Oui, c’est certain. Nous avons un public très fidèle que nous avons gagné petit à petit. Aujourd’hui, pratiquement toutes nous représentations se jouent à guichet fermé. Le public a évolué avec nous, et cela – et non en dernier lieu – grâce à notre communication que je viens de décrire. Chez nous à Strasbourg, la situation – comparée à Paris ou à d’autres grandes villes – est différente : Nous avons la chance de connaître notre public pour ainsi dire « personnellement ». Nous sommes libres de toute contrainte concernant l’image. Cette image qu’un pays aime véhiculer à travers les théâtres des principales villes. C’est pour cette raison que nous pouvons nous permettre de travailler davantage dans le domaine expérimental. L’interdisciplinarité, l’accent sur ce qui est contemporain et l’engagement de jeunes artistes sont les principaux axes de notre activité. Contrairement à l’anonymat du public des mégapoles, nous avons su créer une vraie relation avec notre public. La salle dans laquelle nous jouons la plupart du temps peut accueillir 600 spectateurs. C’est une bonne taille, car pour nos représentations, viser beaucoup plus n’est guère envisageable. On pourrait tout au plus aller jusqu’à 700 ou 750 places.
Il est prévu que notre salle de théâtre soit remplacée d’ici 5 ans. Actuellement, nous sommes localisés dans l’ancien parc d’exposition. Cet emplacement nous convient bien ainsi qu’à notre public mais il faut reconnaitre qu’il est peu pratique pour le théâtre. Les nouveaux plans prévoient une plus grande scène. Ce dont nous aurions besoin aussi, ce serait une scène de petite taille ou de taille moyenne où nous pourrions faire du théâtre intime. Il serait utile de pouvoir séparer les espaces pour avoir la possibilité d’organiser des premières à Strasbourg, ce qui est actuellement impossible, car d’un point de vue technique, le coût est bien trop important.

Quels projets d’avenir pour Le-Maillon ?

Nous avons plusieurs projets dont celui de renforcer la collaboration outre-Rhin. Le-Maillon et le TNS vont renforcer leur réseau avec Fribourg, Bâle et Mulhouse. Actuellement, de part et d’autre du Rhin existent deux autoroutes parallèles qui finissent à Bâle. Mais nous allons également intensifier nos échanges avec Dresde, et spécialement avec le centre culturel de Hellerau. Nous ne renforcerons pas nos échanges qu’avec Dresde, mais aussi avec Barcelone et avec Hambourg. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a aucune capitale parmi ces villes, y compris la notre, où la programmation pourrait être soumise à des contraintes. Mais l’élargissement des réseaux doit aussi apporter une optimisation des moyens. Le théâtre, c’est de l’artisanat. Et comme on dit si bien : l’artisanat ne fait que peu d’économies !

Qu’aimeriez-vous dire « en direct » à votre public ?

Qu’il faut garder d’un coté sa curiosité et profiter pleinement de l’autre !

Merci beaucoup pour cet entretien !

Interview avec Bernard Fleury, directeur du Maillon à Strasbourg, le 31 mars 2010-04-15

Une voix pour l´éternité

Une voix pour l´éternité

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Vivica Genaux (c) Christian Steiner licensed to Virgin Classics


Je vous remercie beaucoup de me permettre de vous poser quelques questions par téléphone, Madame Genaux. J’aurais évidemment préféré vous rencontrer personnellement, mais vous ne resterez que très peu de temps à Strasbourg et nous n’aurions de pas le temps pour cet entretien.

Oui, malheureusement je voyage toute la semaine et à Strasbourg je n’aurais même pas le temps de visiter cette belle ville. Mais je vous remercie de rendre cette interview par téléphone possible.

On trouve beaucoup d’information vous concernant dans l’internet, dont quelques rares interviews.

Oui, c’est juste ! Mais je n’ai qu’une seule vie pour accorder des interviews!

Je m’estime doublement heureuse alors que vous m’ayez accordé le privilège de cet entretien téléphonique. J’aimerais poser quelques questions pour le public à Strasbourg, mais aussi pour celui au-delà des frontières, pour le public germanophone donc, que l’on ne vous a peut-être pas encore posées, du moins jusqu’ici ! Vos parents ne sont pas musiciens – qu’est ce qui vous a amenée vers la musique ?

Oui, c’est exact. Mon père était biochimiste. Il travaillait à l’université, mais c’était un grand amateur de musique classique. Il possédait une immense collection de disques et quand il était à la maison, en train d’écrire ou de corriger les devoirs des étudiants, il écoutait Mozart, Haydn, Beethoven, Mahler, Brahms – tous les grands de la musique. En particulier, les grandes symphonies, et moi, j’écoutais en même temps, bien sur. Le soir, quand j’étais dans mon lit et je fermais les yeux, je voyais des images et j’inventais des histoires autour de cette musique. Je trouvais cela merveilleux. Les choses se sont passées ainsi jusqu’à mes 13 ans. L’année de mes 13 ans était une année particulière pour moi, pour plusieurs raisons : Nous avions une étudiante japonaise à la maison. Elle avait apporté un lecteur de cassettes et des cassettes évidemment qu’elle me prêtait très gentiment. A cette époque, nous n’avions pas encore eu un à la maison et c’était la première fois de ma vie que j’entendais ABBA. Même si mes parents possédaient une collection de disques de musique populaire suisse, mexicaine et française, c’était bien la première fois que j’avais l’occasion d’écouter de la musique de façon totalement indépendante. Et puis, pendant cette même année, je me suis retrouvée sur une scène pour la toute première fois. J’ai chanté dans une comédie musicale que nous avons jouée à l’école. C’est à ce moment précis que j’ai pris conscience que je voulais devenir chanteuse – ou cantatrice. Cette année-là a été pour moi une révélation absolue – dans tous les domaines.

Enfant, vous avez joué du violon !

Oui, mais vraiment pas très bien. J’ai du avoir 7 ou 8 ans, c’était une histoire très bizarre. A l’école, je suis allée au bureau de l’administration. Dans ce bureau il y avait une enseignante qui s’écria : « haut les mains » ! Ensuite, elle a examiné mes mains et dît : « trop petite pour le violoncelle ou l’alto – tu joueras du violon ! » Et c’était tout! Au fond, cela n’a jamais été mon choix. Une de mes amies était aussi violoniste. Mais dans sa famille, tout le monde jouait d’un instrument. Elle jouait donc du violon, l’une de ses sœurs jouait de l’alto, une autre du violoncelle. Et dans la famille il y avait même quelqu’un qui jouait du piano. Ils formaient leur propre orchestre de chambre à eux seuls et tous avaient un très bon niveau. Jamais je n’ai atteint un niveau comparable. Mais je suis néanmoins très contente d’avoir appris les bases, parce qu’aujourd’hui, quand je chante Vivaldi, je sais ce qu’il voulait dire. Il a joué du violon lui-même et il a composé beaucoup d’arias tout en restant très proche du violon. Fabio Biondi qui dirige Europa Galante, avec qui je travaille beaucoup, est également violoniste. Dans le cadre de notre collaboration, l’expérience que j’ai faite avec cet instrument étant jeune, m’est très précieuse.

C’est très intéressant, ce que vous venez de dire. Car tout particulièrement quand vous chantez un répertoire baroque, on entend distinctement que vous utilisez votre voix comme un instrument – plus précisément comme un violon. Vous colorez et phrasez comme si vous travailliez avec un archet !

Je suis ravie de vous l’entendre dire, merci beaucoup ! En fait, dans la musique baroque on essayait de faire sonner les instruments comme des voix et vice versa. Pour cela il faut acquérir une technique particulière, mais la technique est de toutes les façons la base nécessaire sur laquelle on peut construire la suite. Un jour, j’ai entendu une interview avec Franz Oz du Muppet Show. Il a dit que la technique était comparable à une chaise roulante avec laquelle on se déplace tout en faisant de l’art. Cette image est très belle et très juste.

Avec qui avez-vous travaillé votre incroyable virtuosité technique ? Qui parmi vos professeurs était pour vous le plus important ?

C’était et c’est toujours Claudia Pinza. A chaque fois que je travaille un nouveau répertoire, elle m’aide. Même si, au tout début de notre collaboration, elle n’était pas spécialement proche de la musique baroque. Mais grâce à mon travail avec René Jacobs (NB. : Avec ce spécialiste du baroque, la cantatrice a enregistré le CD Farinelli) mon travail avec elle dans ce domaine s’est beaucoup intensifié. Jusqu’alors, je n’avais pas acquis ces techniques et quand René Jacobs m’a dit : « Fais un trille » je l’ai fait. « C’était bien » constata-t-il » mais, essaie encore une fois mais avec un vrai trille! » C´estait aussi le debut de mon travail avec Claudia Pinza. C’est ce que j’ai appris et travaillé pour les enregistrements des CD avec elle. Je répétais avec elle aussi ma technique vocale, comme par exemple retenir mon souffle tout le temps et ainsi de suite. Dans l’art du Belcanto, étant donné qu’il n’y pas d’indications concernant les ornements, c’est à vous de les interpréter comme vous le sentez.

Essayez-vous de rester aussi près que possible de l’original, que l’on ne connaît pas la plupart du temps, d’ailleurs, ou alors travaillez-vous librement ?

Cela dépend. Des compositeurs comme Vivaldi ont écrit pour différentes cantatrices et pour des castrats aussi. Et ces artistes avaient tous leur propre façon de chanter. Il y a effectivement quelques annotations pour les instruments et quelques fois même au-delà ! Mais comme je l’ai dit précédemment, pour des voix bien particulières. Tout dépend également des circonstances, ou alors des chefs d’orchestres avec qui on travaille, qui eux sont tous très différents ! On sait aussi aujourd’hui que les ornements que l’on trouve dans la musique de Rossini, une musique différente, écrite plus tard, étaient interprétés bien plus « sauvagement » en son temps que de nos jours et qu’on chantait aussi beaucoup plus de cadences.

Vous avez travaillé avec beaucoup de spécialistes du baroque. Vous avez déjà cité Jacobs ou Fabio Biondi. Mais John Nelson ou Nikolaus Harnoncourt ont également collaboré avec vous. Comment peut-on imaginer votre travail avec ces chefs d’orchestre plus précisément ? Ce sont eux qui vous disent ce qu’ils aimeraient obtenir de vous ou alors vous avez une idée de la façon dont vous devriez chanter l’une ou l’autre œuvre ?

Ce n’est jamais pareil. Chacun d’entre eux est différent et a ses propres spécialités, sa propre idée et voudrait obtenir quelque chose de bien précis de moi. J’essaie autant que possible de m’adapter à leurs attentes et de leur donner ce qu’ils souhaitent. Mais cela peut être un défi énorme pour moi. Dans ces cas là, il faut que je réfléchisse : Avec qui suis-je en train de travailler, quelle est son approche de la musique, quelle est la chose la plus importante pour lui ? René Jacobs par exemple travaille une œuvre pendant des heures et des heures. Dans ce cas, j’aimerais faire partie d’une globalité si je puis dire, et la meilleure option pour moi dans ce cas -là est de rester en retrait en tant que soliste et d’agir comme interprète d’une pièce, conformément aux attentes du chef d’orchestre. Et, dans ce cas de figure, j’agis comme une éponge qui absorbe tout ce qui se présente. Mais les chefs d’orchestre sont tous issus d’écoles différentes, font partie de traditions différenciées et arrivent avec des partitions qui ne sont jamais identiques. Pour résumer : Leur travail est aussi différent que le blanc et le noir.

Le programme qui sera présenté à Strasbourg est totalement nouveau. Le titre du CD est « Pyrotechnics ». Il réunit des arias de Vivaldi que vous interprétez avec Fabio Biondi et Europa Galante. Vous avez enregistré ce CD seulement en décembre dernier et certains de ces morceaux ont été chantés, joués et enregistrés pour la première fois. Est-ce que vous avez connu ces pièces avant ?

Non, pas une seule. Il y avait 14 morceaux au choix, 13 ont été enregistrés finalement. Frédéric Delaméa était responsable de cette sélection et ce spécialiste de Vivaldi a fait un travail prodigieux.

Ce travail vous a pris combien de temps ?

Avec Claudia Pinza j’ai travaillé pendant 2 semaines, 2 fois par jour pendant 5 à six heures. C’était très fatiguant. Et après restaient encore quelques semaines pour ma préparation personnelle. Si vous voulez, je peux vous raconter une belle histoire qui nous est arrivé pendant l’enregistrement. Nous avons planifié un enregistrement au mois de décembre à Parma, plus précisément dans la salle d’une bibliothèque historique. Europa Galante a déjà travaillé à plusieurs reprises à cet endroit. Le premier jour de l’enregistrement, le chauffage tomba en panne et il faisait un très, très froid dans la salle. Le matin, j’étais sur le point de partir, on m’a appelée pour m’informer que l’enregistrement n’aurait probablement pas lieu. Mais puisque tout était planifié depuis longtemps, Fabio Biondi et sa femme était partis pour acheter des parasols chauffants, comme ceux que l’on peut voir sur les terrasses des cafés dehors. Mais ce qu’ils ignoraient, c’est que ces parasols dégageaient une horrible odeur, nocive qui plus est. Alors là on m’informait qu’il fallait ouvrir les fenêtres pour chasser la terrible odeur – deux maux en même temps ! Ensuite s’est produit quelque chose d’extraordinaire : Les musiciennes et musicien disaient à Biondi qu’ils essaieraient de jouer, quelle que soit la température dans la salle. J’ai trouvé ça si formidable que je voulais jouer le jeu moi aussi et nous avons enregistré : sans chauffage, dans une vieille salle, glaciale, mais qui a une acoustique fantastique ! Cela s’est passé pendant la vague de froid qui s’est abattue sur toute l’Europe.

Mais l’admiration ne vaut pas uniquement pour les musiciennes et musiciens d’Europa Galante ! Je ne connais pas beaucoup de cantatrices qui auraient imité votre exemple !

Je ne pouvais pas faire autrement ! C’est un ensemble tellement merveilleux qui m’apprend tant de choses et qui me fait beaucoup rire aussi. C’était une expérience merveilleuse.

Actuellement vous vous occupez de présenter ce nouveau CD à l’occasion de vos prochains concerts.

Oui, on l’a présenté la première fois en direct au mois de décembre au théâtre des Champs Elysées à Paris ce qui était vraiment passionnant. Maintenant c’est le tour de Strasbourg, après ce sera Turin, Naples et Cracovie. L’année prochaine on fera une petite pause et en 2012 nous avons prévu une présentation du disque aux USA.

Dans tous les métiers, il y a toujours un revers de la médaille. Comment se présentent les deux cotés de la médaille pour une cantatrice célèbre comme vous ?

Eh bien, tout d’abord c’est merveilleux d’avoir la possibilité de travailler avec tous ces gens généreux et merveilleux à qui j’ai à faire dans le cadre de mon activité. C’est fantastique de faire personnellement connaissance avec tous ceux qu’on estime et qu’on ne connaît que de nom. La plupart d’entre eux sont incroyablement aimables et généreux. Peu importe, s’il s’agit de Jacobs, Biondi ou Harnoncourt qui lui est carrément un véritable gentleman. Nous avons répété dans sa maison près de Salzbourg. C’était fabuleux et très intéressant. Entre autres, il nous a montrés sa collection d’instruments anciens et nous a fournis toutes sortes d’explications, comme par exemple, comment fonctionne la mécanique originale d’un clavecin du 18e siècle. Mais le coté agréable de ma profession ne consiste pas uniquement en toutes ces connaissances que je peux faire ou les collaborations intéressantes qui en résultent, je trouve aussi très satisfaisant le fait que je peux rendre quelque chose à mes parents. Pendant les six premières années de mon travail sur les scènes des différents opéras du monde, ma mère m’a accompagnée, à chaque fois que cela lui était possible. Elle adorait discuter avec les musiciennes et musiciens en coulisses. Mon père, qui a pris la relève les quatre années suivantes, lui, a préféré être assis dans le public. Ses chefs d’orchestre préférés ont été depuis toujours Kurt Masur et Léonard Bernstein. Bernstein est malheureusement décédé trop tôt. Mais j’ai eu l’occasion de travailler une fois avec Kurt Masur : Bien que je ne chante qu’un tout petit rôle – la deuxième fée dans « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn, et en plus à Hong Kong – c’était une expérience très excitante pour mon père. Après la représentation nous sommes sortis au restaurant. Je suis ravie de pouvoir leur rendre une petite partie de ce qu’ils m’ont donné avec une très grande générosité quand j’étais petite fille.
L’autre coté, le revers de la médaille, si vous voulez, ce sont les voyages. J’aime voyager, mais les voyages me séparent de ma famille. Mais les choses sont heureusement un peu différentes aujourd’hui : les nouveaux médias comme skype ou ne serait-ce que le téléphone portable me permettent de contacter mes sœurs ou ma mère en Alaska n’importe quand. Un autre constat que je fais depuis quelque temps, c’est le fait qu’il reste toujours moins de temps pour les préparations et les répétitions. Les exigences augmentent, mais la préparation diminue continuellement. C’est extrêmement difficile. La pression et les attentes sont de plus en plus grandes aussi.

Parfois, certains pianistes disent, qu’ils auraient « quelque chose dans les doigts » et pourraient en quelque sorte rejouer une œuvre à tout moment, sans que cela pose trop de problèmes.

En ce qui me concerne, les choses sont un peu différentes, parce que mon répertoire est très, très large. Je maîtrise environ 50 rôles que j’ai travaillés pendant les 15 dernières années et je continue à élargir ce répertoire. A Salzbourg par exemple, je vais chanter Piramo et Tisbe en collaboration avec Biondi. Il a fallu que j’étudie Tisbe très consciencieusement, bien que j’aie déjà chanté Hasse. Cette œuvre est très complexe, et étant très tardive, très différente des autres. Elle est écrite pour une voix féminine et non pas, comme c’était souvent le cas au baroque, pour un castrat. Je viens d’apprendre, que je chanterai « Piramo », ce qui signifie que je dois travailler très vite pour apprendre ce nouveau rôle. Je relève en permanence des défis qui me tentent, des projets très intéressants, et quand l’un de ces projets est mené à son terme, c’est une énorme satisfaction pour moi. Mais le nombre des demandes augmente en permanence. J’ai grand plaisir à travailler, mais il est possible que je sois obligée d’être un peu plus sélective à l’avenir. Au fond, je suis quelqu’un qui a besoin de pression pour travailler. Quand j’ai beaucoup de temps devant moi pour un projet, ce n’est pas vraiment souhaitable non plus, car, à vrai dire, je ne commence à travailler sérieusement que quand l’échéance approche !

Vous voyagez sans arrêt et allez dans tous les pays du monde ! Constatez-vous des différences concernant le public que vous rencontrez ?

Oh oui, d’énormes différences même ! Mais pas seulement en ce qui concerne le public, aussi dans la pratique des représentations proprement dite. Aux USA par exemple, les possibilités de chanter un répertoire baroque sont rares. Là-bas, les salles de concert, qui pour la plupart on été construites pendant les années cinquante du siècle dernier, sont tout simplement énormes ! Elles ont été conçues pour les œuvres de Wagner, ce qui au fond n’est pas juste non plus, car Bayreuth est un petit théâtre. Pour la musique baroque, qui est habituellement jouée dans un cadre intimiste, ces salles sont beaucoup trop grandes, dépourvues de cette ambiance indispensable à la musique baroque. Dans ces endroits on n’arrive même pas à s’identifier avec son rôle. A « Staatsoper » de Vienne en revanche, on travaille totalement différemment. Un soir, l’orchestre joue Strauss, le lendemain ce sera Mozart. Leur répertoire est très large sans véritable spécialisation dans un domaine particulier. C’est ce que j’entends par des pratiques de représentation différentes. Mais en effet, le public est très différent aussi, mais non seulement d’un continent à l’autre, mais aussi d’un pays à l’autre ! Au « Theater an der Wien » (à Vienne, Autriche) par exemple, on fait un travail très important avec le public. C’est la base de tout. En France aussi, le public a de grandes connaissances en ce qui concerne la musique baroque. L’état français subventionne beaucoup d’ensembles et on voit, que le public a non seulement l’habitude d’écouter ce genre de musique mais qu’en plus il la connaît vraiment et la comprend. Pour nous musiciennes et musiciens, de travailler dans un contexte semblable est vraiment très agréable. Les connaissances du public français sont très larges dans ce domaine.

Le public strasbourgeois sera ravi de l’apprendre ! Je vous remercie infiniment pour cet entretien et je vous souhaite, tout spécialement pour votre concert à Strasbourg beaucoup de succès !

Merci à vous ! La prochaine fois, nous aurons peut-être l’occasion de faire connaissance.

Voyager avec la musique – voyager pour la musique – en tournée avec l’OPS

Voyager avec la musique – voyager pour la musique – en tournée avec l’OPS

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OPS avant le décollage (c) MP

A Strasbourg, trois grands bus attendent sur le parking du PMC, la maison de l’OPS. L’après-midi de ce mois de mars est glaciale. Il fait décidément bien trop froid pour la saison. Dix minutes avant l’heure fixée, je suis déjà installée dans le bus. Puisque j’ai choisi de m’assoir dans l’une des premières rangées, j’ai l’occasion de saluer tous ceux qui montent après moi dans le bus. Je les connais tous de vue, les musiciennes et musiciens de l’OPS, mais j’ai tout de même du mal à les reconnaître, car dans la salle de concert je les vois en « tenue de travail » – petite robe noire, ou robe longue pour les dames, queue de pie pour les messieurs. Ce jour-là, bien emmitouflés, ils portent des vêtements d’hiver de toutes les couleurs.
Ne serait-ce que le convoi impressionnant indique qu’un ensemble important est sur le point de partir : 108 personnes voyagent avec la musique, dont 4 journalistes (hommes et femmes), un chef d’orchestre, un pianiste, le directeur de l’orchestre, quelques femmes et hommes travaillant pour la direction et cinq personnes détachées pour s’occuper de la scène. L’avion doit nous emmener tout droit à la capitale slovène, Maribor. De là, samedi prochain, nous allons continuer à Zagreb, en Croatie pour retourner à Strasbourg le lendemain. Ce programme est bien chargé avec les 2 concerts : pour l’OPS et son chef d’orchestre Marc Albrecht mais aussi et surtout pour le soliste, le pianiste Nikolaï Tokarev. Tokarev avait joué le difficile concerto n° 1 pour piano et orchestre de Rachmaninoff deux jours avant le départ et devait le jouer encore deux fois pendant la tournée.

Celui qui pense qu’un tel voyage n’est qu’une petite escapade pour changer d’air, se trompe. Le fait qu’il fallait donner 3 concerts en 4 jours (si on compte le « coup d’envoi » à Strasbourg) n’est qu’une dimension d’un tel voyage. L’autre dimension qui constitue un défi à elle seule, est la simple « gestion » d’autant de personnes qui pour la plupart sont individualistes. Des musiciennes et musiciens ne ressemblent en aucun cas à des robots qui fonctionnent tous de la même façon. A ce moment précis, nous ignorons encore, que le premier de ces défis nous attendait déjà le pied ferme.

Marc Albrecht nous rejoint au moment de l’enregistrement à l’aéroport d’Enzheim, Nikolaï Tokarev et sa compagne sont déjà arrivés. Après un petit bonjour général, nous passons les contrôles de sécurité pour monter dans l’avion charter. Quelques unes des dames doivent se déchausser pour faire scanner leurs chaussure – à cause des parties métalliques dans les semelles nous explique-t-on – et, une fois dans l’appareil, de nouveau les chaussures aux pieds, tous gagnent leurs places respectives. Les violoncelles, les violons, les flûtes et d’autres instruments pas trop volumineux sont mis directement à bord de l’avion. Tout ce qui est trop encombrant pour être transporté de cette façon est envoyé en Slovénie et en Croatie par un camion appartenant à l’OPS. Une fois les ceintures de sécurité bouclées, et les instructions des hôtesses de l’air attentivement écoutées – on attend ! La tour de contrôle tarde à donner le feu vert pour le décollage. Elle nous envoie plutôt deux techniciens, qui discutent pendant un certain temps avec le commandant de bord. Au bout d’un moment, Monsieur Patrick Minard, le directeur de l’OPS cherche à connaître les raisons de ce retard. Une vis à l’extérieur de l’appareil ne serait pas conforme aux normes de sécurité, et si jamais ce n’était pas possible de la changer, ce serait nous qui changerions – d’avion !Une légère inquiétude se fait sentir, mais le premier concert à Maribor n’aura lieu que le lendemain. Nous avons donc suffisamment de temps devant nous – plus qu’assez, car finalement cette vis est changée et nous décollons en direction du sud.

L’aéroport de Maribor est tout petit. Nous franchissons les quelques mètres qui nous séparent du bâtiment de l’aéroport à pied. Nous sommes étonnés d’arriver dans un espace relativement petit où il n’y a que quelques bancs en métal ; point de tapis roulant. Quelques minutes plus tard nous saurons pourquoi : Un petit charriot, conduit par deux ouvriers en bleus de travail et gilets réfléchissants apparaît devant la porte vitrée. Une fois arrivés dans la petite salle, les ouvriers posent les valises une à une sur les « bancs » que nous croyions destinés aux voyageurs fatigués. Si ce procédé semblait dépassé, il était pourtant efficace : En un rien de temps, tout le monde était en possession de ses bagages et le voyage pouvait continuer : Il fallait monter dans un bus pour rejoindre notre hôtel.

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hôtel Habakuk - le logis d`une partie des musiciens (c) MP

A Maribor, 2 hôtels étaient réservés, l’un pour les instruments à cordes, qui forment la plus grande partie de l’orchestre, et un deuxième pour le reste. Le reste, c’étaient les instruments à vent, le harpiste, le percussionniste et les journalistes.

L’hôtel Habakuk au pied du Pachern (en slovène : Pohorje) a immédiatement fait l’unanimité. Les pistes de ski juste derrière l’hôtel étaient éclairées quand nous sommes arrivés à l’hôtel vers 20 heures. En voyant les diverses réactions, notamment celles des jeunes messieurs, j’ai vite compris, que personne ne s’attendait à se trouver ici en plein milieu d’un centre international de sports d’hiver. La décision fut vite prise : La matinée libre du samedi devait servir à…faire du ski ! Un homme – une parole, beaucoup d’hommes – beaucoup de skieurs ! Et en effet, le lendemain matin, les pistes du Pohorje étaient peuplées par des visiteurs peu communs, ravis de s’adonner pendant quelques heures à cette activité non-musicale.

L’après midi, en revanche, la tension est monté subitement d’un cran, car des rumeurs commençaient à circuler : La scène de la salle de concerte de Maribor serait trop petite pour que tout l’orchestre puisse y prendre place. Et en effet, peu de temps après le début des travaux d’installation, les membres de la régie, spécialement venus pour ça, devaient faire le constat, que tout l’ensemble ne pourrait être installé sur la scène. Donc, ce soir-là, pendant la suite de Korngold, 6 musiciens avaient le droit de se mêler au public dans la salle pour regarder leurs collègues musicinnes et musiciens à partir d’un autre « point de mire ». Pendant la symphonie, 12 membres de l’orchestre étaient au repos « forcé ».

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répétition dans la salle de concert à Maribor (c) MP

Pendant la répétition, la nervosité de tous était palpable. Le grand ensemble de l’OPS n’est pas habitué de jouer dans une salle qui ne peut accueillir que 6 fois plus d’auditrices et auditeurs que le nombre des membres de l’orchestre. Et une très courte répétition d’une heure, pendant laquelle on ne pouvait revoir que de petites parties des œuvres, y compris le solo de Tokarev, n’était pas vraiment propice non plus à détendre atmosphère. Mais le soir même, on pouvait constater que l’on avait à faire à de grands professionnels : Le programme si astucieusement concocté par Marc Albrecht fut joué avec autant d’intensité que de sensibilité et le public de Maribor était totalement conquis. La plus grande partie de ce public ne connaissait sans doute ni la suite de Korngold, l’illustration musicale de l’œuvre de Shakespeare « Beaucoup de bruit pour rien », ni son unique symphonie. Le concerto pour piano de Rachmaninoff et l’ouverture du troisième acte de Lohengrin de Wagner en revanche étaient d’autant plus connus. Avec cette œuvre, Marc Albrecht renvoyait à ses succès à Bayreuth où il fut acclamé entre 2003 et 2006 comme chef d’orchestre du « Hollandais volant ». C’était un mélange magnifique, surtout grâce aux beaux entrelacs rythmiques et mélodiques entre les différentes œuvres.

Là tension ressentie avant le concert s’était envolée d’un seul coup et non seulement chez les musiciens. Même nous, faisant partie de la corporation des « scribes », nous étions enchantés de ce beau succès et convaincus qu’il serait la base solide pour la suite des évènements dont tout le monde puisse être fier et ravi à l’avenir. Par conséquent, l’ambiance à l’hôtel pendant le dîner – comme d’habitude très tardif chez des musiciens d’orchestre – était plus que joyeuse. Tellement joyeuse, que, pendant le transfert à Zagreb, certains ont prolongé leur nuit dans le bus.

La première impression de la ville de Zagreb avec ses 800.000 habitants et l’ambiance qui y régnait étaient totalement différentes. L’hôtel Westin en plein centre ville pouvait accueillir tout le monde, et la salle de concert était d’un point de vue taille comparable à celle de Strasbourg. Cette fois-ci il y avait assez de place pour tout l’ensemble et assez d’espace pour le son merveilleux que l’OPS produit sous la baguette magique de Marc Albrecht.

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Nevenka Fabian-Vidakovic notre adorable guide à Zagreb (c) MP

Jusqu’à la répétition il ne restait que peu de temps pour visiter la ville, mais les journalistes avaient beaucoup de chance : Une adorable habitante de Zagreb, liée d’amitié à l’une des journalistes justement, avait eu la gentillesse d’organiser une visite en « accéléré », suivie d’un petit repas. Les valises à peine posées dans les chambres, nous avons pris le tram pour nous rapprocher du centre-ville. Ensuite nous avons exploré à pied le marché à trois niveaux, où se bousculaient sur les étales toutes les merveilles de la Dalmatie du sud, qui peut être considérée comme le potager de Zagreb. Ensuite nous avons rendu visite à la cathédrale au capitole pour finir notre promenade avec une halte au restaurant « Masklin i lata » (ce nom désigne deux outils très anciens du monde paysan) où on nous a servis des spécialités de la mer adriatique. Juste assez de temps pour nouer de nouvelles amitiés, pas assez pour déguster le dessert et boire un petit café, car les musiciennes et musiciens étaient déjà en train de répéter. Et puisque le programme prévu à Zagreb avait subi des modifications, personne ne voulait rater la répétition. Il fallait donc prendre la direction du « Lisinski-Hall » au pas de course. On avait fait la demande à Marc Albrecht de jouer l’œuvre contemporaine du compositeur zagrebois, Berislav Šipus à la place de la suite de Korngold. C’était très osé, car la préparation avait été réduite au strict minimum, et l’orchestre recevait donc seulement sur place les dernières indications concernant la dynamique de l’œuvre en question. C’était touchant d’observer le compositeur, âgé de 52 ans pendant cette répétition. Très tendu, il avait du mal à rester assis sur sa chaise et il était visiblement très ému quand il a remercié l’orchestre pour son travail.

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l´annonce du concert de l´OPS au Lisinski-Hall à Zagreb (c) MP

Pendant la petite heure de pause entre la répétition et la représentation, la plupart des membres de l’orchestre se sont retrouvés à la cafeteria de la salle de concert, ensuite, il fallait se changer et intégrer l’espace de musique. Nouvelle soirée, nouveau concert, nouveau bonheur ! Et le bonheur leur a encore souri! En 2002, Šipus a retravaillé entièrement son œuvre qu’il avait écrite à l’âge de 26 ans uniquement pour instruments à cordes. Cette œuvre donne un aperçu des larges possibilités qu’offrent les instruments à cordes et elle fait étroitement coexister la dimension dramatique et la dimension lyrique. Après la densité scintillante du début, Šipus étale, tel un caléidoscope, les échantillons de son les uns après les autres pour tisser avec des Clusters une tapisserie de couleurs acoustiques différentes. Cri et écho, discours et réplique, murmures et acclamations à haute voix nous font penser aux différents états d’être dans lesquels nous pouvons nous trouver, intentionnellement ou pas, et que nous devons gérer. Par moments pleine de tensions, sombre et secrète, vibrante pour les nerfs, cette œuvre s’insérait avec ses basses tempétueuses sans problème aux autres morceaux de la soirée. Avec la large élaboration d’un thème présenté par les altos, Berislav Šipus a prouvé qu’il maîtrisait parfaitement l’art de la fugue, puisqu’il faisait traverser en s’entrelaçant ce même thème tous les instruments à cordes – même s’il appelle lui-même cette partie de sa composition seulement « quasi une fugue ». Les applaudissements après la fin furieuse de l’œuvre n’étaient pas seulement destinés au compositeur qui, devant son public, remerciait encore une fois Marc Albrecht. Le public acclamait aussi l’OPS qui a réussi cet examen de passage haut la main. La brillante interprétation de Rachmaninoff de Nikolaï Tokarev et la symphonie de Korngold ainsi que le supplément de Lohengrin proposé par l’OPS sous la direction de Marc Albrecht correspondaient exactement aux attentes du public. Des applaudissements qui ne semblaient pas vouloir prendre fin en étaient la preuve. La bataille fut livrée – et elle fut victorieuse !

Autres pays, autres mœurs, c’est bien connu ! Mais quand on y est confronté, c’est tout de même parfois surprenant. En quittant la salle, les sons Wagnériens encore plein les oreilles, des sons bien différents cherchaient à se frayer un chemin dans notre appareil auditif : Place à la danse du samedi soir ! Et du coup, on avait fait de la place à un groupe de musique de six personnes ! Un plus grand contraste avec ce qu’on venait d’entendre est à peine imaginable. Mais, manifestement, ce genre de manifestation amuse beaucoup les Zagrebois. Ce sont surtout des couples d’âge mûr qui s’adonnent aux danses de salon, pour voir – et être vus, et pour finir leur soirée de concert de cette façon pour le moins…… inhabituelle !

Un moment calme le lendemain matin autour d’un petit-déjeuner prolongé, un retour harmonieux, cette fois-ci sans retard : la tournée de l’OPS en Slovénie et en Croatie touchait à sa fin. Ce qui reste, ce sont des impressions pleines de musique et de femmes et d’hommes qui partagent une même passion. A Maribor et à Zagreb, l’OPS a laissé sa carte de visite musicale de très haut niveau, c’est certain. Mais il a rempli aussi une fonction : Il a été l’ambassadeur artistique de cette merveilleuse ville européenne qui peut ainsi prouver à l’étranger qu’elle abrite bien plus que les institutions européennes.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Nikolaï Tokarev – jamais je n’arrêterais de jouer du piano!

Nikolaï Tokarev – jamais je n’arrêterais de jouer du piano!

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Nikolai Tokarev (c) Uwe Arens


Actuellement vous êtes en tournée avec Marc Albrecht et l’OPS. Il y a quatre jours, vous avez donné un concert à Strasbourg, un autre hier, à Maribor et aujourd’hui c’était le tour de Zagreb. Il ne reste pas beaucoup de temps pour la préparation entre les différentes stations. Au cours d’une interview vous avez déclaré que vous n’aviez plus besoin de vous exercer beaucoup, que ce travail était derrière vous et tout était pour ainsi dire dans vos doigts. Est-ce que cela signifie que vous ne devez plus travailler quand vous abordez un répertoire nouveau ?

Non, bien sur que non ! Je voulais juste dire qu’étant enfant ou adolescent, j’ai effectivement travaillé mon piano 8 heures par jour – tous les jours ! En ce qui concerne les morceaux que je connais vraiment, j’ai maintenant atteint un stade, où il me suffit de rafraîchir ma mémoire en quelque sorte. D’une certaine façon, c’est comme si j’avais des bagages sur le dos que je peux ouvrir à n’importe quel moment. Bien sur, je travaille tout le temps un répertoire nouveau – surtout pour la saison suivante.

Aujourd’hui, vous avez joué le concerto n° 1 pour piano et orchestre de Rachmaninoff. Mais vous jouez aussi depuis longtemps « Gaspard de la nuit » de Ravel – en l’occurrence il s’agit de deux morceaux parmi les plus difficiles du répertoire pour piano. Pourquoi jouer si jeune déjà ces œuvres si difficiles ?

Ce n’est pas difficile pour moi. Je joue depuis si longtemps que c’est parfaitement naturel pour moi de les jouer. Je peux jouer tout ce que je veux !

Jusqu’ici vous avez enregistré trois CD. De quelle façon ce répertoire a-t-il été choisi ? Est-ce que c’était votre choix ou celui du producteur, SONY ?

En ce qui concerne le premier CD, j’ai enregistré les morceaux de mon choix. Le deuxième CD qui a été mis sur le marché, mais qui a été le troisième que nous avons enregistré, c’était l’œuvre de SONY. Le producteur a entendu un de mes concerts à Luzerne et ce même concert a été ensuite enregistré en direct à Rome. En ce qui concerne le troisième disque, c’est un mélange de mes souhaits et les demandes de SONY.

Avez-vous un compositeur préféré que vous aimeriez jouer plus souvent ?

Non, pas vraiment. J’aime beaucoup de compositeurs dont j’aime jouer les œuvres. Mais il y en a beaucoup que j’aimerais jouer, que je n’ai pas encore travaillés jusqu’ici.

Est-ce que vous collaborez avec des compositeurs contemporains ?

Avant, j’ai joué un peu de musique contemporaine. Aujourd’hui je me contente de jouer des transcriptions que des artistes contemporains font spécialement pour moi, comme par exemple les variations de Paganini. Dans ce domaine, je collabore avec Alexander Rosenblatt, un compositeur contemporain qui écrit aussi sa propre musique. Aujourd’hui il a environ 60 ans et nous allons encore faire beaucoup d’autres choses ensemble. Dans quelques semaines la maison d’édition Schott publiera la transcription. Et sur la couverture figurera mon nom, ce dont je suis très fier.

Pendant un concerto comme celui de Rachmaninoff, vous devez être extrêmement concentré. Comment faites-vous pour arriver aussi concentré sur la scène ? Avez-vous développé une technique particulière pour y arriver ? Et quand vous êtes dans un tel état de concentration, vous est-il possible d’entendre les différentes interprétations des orchestres ?

En ce qui concerne la concentration, j’ai beaucoup d’expérience. Je n’ai pas de technique particulière, la concentration vient toute seule. Ça fait si longtemps que je donne des concerts, que je réagis de façon presque automatique. En ce qui concerne l’orchestre, je n’ai pas encore eu l’occasion de comparer jusqu’ici. C’est la première fois que je joue Rachmaninov et donc avec cet orchestre.

C’est très intéressant.

Tout ce que je peux dire, c’est que l’orchestre est extrêmement bon et que j’ai beaucoup aimé ma collaboration avec l’OPS et Marc Albrecht. La représentation d’aujourd’hui à Zagreb était la meilleure que nous ayons faite dans cette série.

Comment se déroule le processus créatif quand vous travaillez pour la première fois avec un chef d’orchestre ?

En général, je joue comme je le sens, et après on en parle. J’expose mes idées, le chef d’orchestre les siennes. Avec Marc Albrecht ça a très bien fonctionné.

Constatez-vous des différences concernant le public ?

Oui, il y en même de très grandes ! Dans certaines sociétés, on n’applaudit pas trop fort, comme par exemple au Japon ! Si jamais ça arrive, et que les gens crient même « bravo », ça signifie qu’on a réussi quelque chose d’exceptionnel !

Vous êtes très connu au Japon ! Cela vous est-il déjà arrivé ?

Oui, bien sur !

Alors, vous avez fait du bon travail !

Oui, je le crois ! Mais il y a aussi le public qui applaudit et applaudit et qui demande sans cesse des suppléments. C’est vraiment très variable. C’est beau, quand les gens applaudissent, car de cette manière ils me rendent l’énergie que je leur ai donnée avec mon jeu.

Quels sont vos objectifs à moyen terme ?

J’aimerais jouer plus de musique baroque. Je travaille actuellement Scarlatti et aussi Haydn, parce que je voudrais jouer un peu plus de cette musique la saison prochaine.

Vous vivez actuellement entre Moscou et Düsseldorf ?

Oui, aux deux endroits, vraiment ! J’ai fini mes études à l’académie Robert Schumann chez Barbare Szcepanska à Düsseldorf et je continue à suivre des cours particuliers.

Comment travaillez-vous un nouveau morceau ? Ecoutez-vous vos collègues ?

Non, pas du tout. Je travaille d’abord seul, j’apprends la partition par cœur et je l’interprète à ma manière. Je ne prends conseil auprès des professeurs qu’après. Mais même après ça, je joue à ma propre façon.

C’est pour cette raison que vous avec développé un style très personnel.

Oui, bien sur !

Vous jouez avec beaucoup de force, avez-vous une préférence pour une certaine marque de piano ?

Oui, ma marque préférée, c’est Steinway. Je trouve, que les autres instruments ne restent pas aussi longtemps bien accordés. Mais cela peut dépendre aussi des accordeurs des différentes salles de concert, bien sur.

Vous devriez emmener votre propre accordeur en tournée avec vous !

Oui, à l’avenir peut-être !

Y a-t-il des orchestres ou des chefs d’orchestre avec qui vous aimeriez collaborer ?

Il y en a beaucoup qui sont vraiment très bons. Ce que j’aimerais le plus, c’est de jouer au moins une fois avec chacun d’eux – et plus il y en aurait, mieux cela vaudrait ! Jamais je ne voudrais arrêter de jouer, car la musique, c’est toute ma vie et j’espère que ça se voit et que ça se sent quand je joue. J’écoute aussi beaucoup de musique. Pendant mes voyages, mais aussi à la maison. Sans musique rien ne serait possible, je ne pourrais imaginer ma vie sans musique.

Que pensez-vous donner au public ?

De la musique – quoi d’autre ?

Les propos tenus par Nikolaï Tokarev au cours d’une interview accordée après son concert à Zagreb, le 14 mars 2010, ont été recueillis par Dr. Michaela Preiner.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Rémy Abraham – métier : corniste – loisirs : musique !

Rémy Abraham – métier : corniste – loisirs : musique !

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Rémy Abraham, le corniste de l´OPS (c) OPS

C’est une après-midi d’hiver. Il fait glacial. Le bus de l’OPS (l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg) est garé devant la salle de concert, prêt à partir. Trente cinq musiciennes et musiciens se sont donnés rendez-vous pour se rendre au lieu de leur prochain concert. Ils vont à Obernai, une petite bourgade située à trois-quarts d’heure de voiture dans le sud-ouest de Strasbourg. J’ai beaucoup de chance, car j’ai le droit d’accompagner l’orchestre. A peine assise dans le bus, Viviane Andolfi, l’attachée de presse en chef l’attachée de presse, très vive et toujours absolument charmante vient me saluer – et me change de place. Je suis placée aux cotés d’un homme sympathique aux cheveux bruns. Il s’agit de Rémy Abraham, l’un des cornistes de l’OPS. Madame Andolfi nous fait remarquer que nous aurions ainsi l’occasion de parler du nouveau projet de Rémy Abraham. Le musicien semble déjà être au courant de ce petit entretien « improvisé ». A vrai dire, je voulais faire la connaissance de Rémy Abraham, parce qu’il a accompagné un projet artistique très intéressant. Accompagné n’est peut-être pas l’expression qui convient. Il a composé. Il a composé la musique pour la pièce « Casting » de la formation d’instruments à vent « OPUS » qui s’est produite à Strasbourg au mois de février. Je commence à poser mes questions sans perdre une seconde, car je sais que je ne dispose que de 45 minutes en tout et pour tout. Après ça, mon interlocuteur n’aura plus de temps pour moi.

Monsieur Abraham, pouvez vous expliquer qui est « OPUS » ?

Oui, avec plaisir. OPUS est une formation d’instruments à vent. Ce sont 4 musiciens qui font tous partie de l’OPS. Ils se sont retrouvés pour faire de la musique en dehors du grand orchestre. Il s’agit de Vincent Gillig (trompète), Nicolas Moutier (trombone), Laurent Larcelet (trombone) et Micaël Cortone d’Armore (tuba).

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OPUS dans le show "Casting" (c) DR

Et « Casting », votre nouvelle production, qu’est-ce que c’est exactement ?

« Casting » est leur nouveau spectacle. C’est le deuxième après « Carmen » qui a remporté un grand succès l’année dernière. C’était une adaptation moderne du célèbre opéra de Georges Bizet. L’action ne se déroulait pas dans une arène, mais dans un stade de foot. Toutefois, en ce qui concerne la composition, je me suis évidemment appuyé sur Bizet. Avec « Casting », c’est totalement différent. Là, il s’agit de faire connaissance avec les musiciens, du temps où ils ont tous passé un « casting », une audition à l’OPS pour être engagés. Mais il est question aussi du temps d’avant, quand ils ne se connaissaient pas encore et comment ils se sont finalement trouvés. Etre auditionné pour faire partie d’un orchestre c’est une étape très excitante. C’est le sujet dont on parle ici.

De quelle façon êtes-vous impliqué dans cette entreprise ?

On m’a demandé d’écrire la musique pour « Casting ». C’est ce que j’ai déjà fait pour « Carmen » et je me suis bien amusé.

Cela vous a pris combien de temps ?

Quelques mois. J’ai commencé à la fin de l’automne dernier et après j’ai travaillé avec les musiciens pour faire avancer le projet. Pendant les répétitions nous avons rajouté beaucoup de choses, nous avons eu de nombreuses idées. Bien évidemment, je prends aussi en considération les préférences des quatre et je tiens compte de ce qu’ils savent faire. Au fond, c’est une pièce gaie, même si elle comporte des demi-tons et des passages propices à la réflexion.

Oui, c’est un peu comme dans la vie, n’est-ce pas ?

Oui, exactement comme dans la vie. C’était mon intention, car je ne voulais pas mettre uniquement des choses distrayantes sur la scène. Mais c’est aussi un défi pour les musiciens, car ils adoptent toutes sortes de poses inhabituelles tout en jouant. De souffler techniquement juste tout en marchant à vive allure ou en position allongée ce n’est pas chose facile. Mais notre metteur en scène, Cathy Dorn voit les choses ainsi. Et parfois, ce qui semblait impossible dans un premier temps, fonctionne après un certain nombre de répétitions.

Est-ce que la pièce sera montrée ailleurs qu’à Strasbourg ?

Nous ne le savons pas encore. Parfois ce sont des choses qui arrivent après les premières représentations. Mais ce serait très bien de la jouer dans d’autres villes.

Il n’y a pas beaucoup de formations d’instruments à vent qui se produisent avec leur propre spectacle. L’une d’elle s’appelle Mnozil Brass.

Oui, bien sur. C’est LA formation par excellence, celle que tout le monde connaît. C’est surement l’ensemble le plus célèbre. Nous connaissons très bien leur travail et nous avons écouté leur musique attentivement. Mais ce que nous faisons est tout de même fondamentalement différent.

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OPUS dans le show "Casting" (c) DR

Avez-vous déjà de nouveaux projets avec OPUS ?

Non, pas concrètement. Il s’agit d’abord de faire fonctionner ce spectacle-ci, après on verra !

Nous parlons français, ce qui est possible uniquement parce que Rémy Abraham parle un français parfait, très pur et sans accent, ce qui est providentiel pour ma capacité de compréhension ! Pendant notre conversation nous traversons de nombreux petits villages qui portent tous des noms allemands: Ostwald, Geispolsheim, Innenheim ou encore Krautergersheim. C’est un héritage de l’histoire mouvementée de ce pays digne d’être aimé qui a changé de nationalité si souvent.

Puisque vous faites partie de l’OPS et que vous composez en plus, vous n’avez certainement pas beaucoup de temps pour d’autres loisirs !

Je dirige aussi un autre orchestre d’une petite commune en peu en dehors de Strasbourg.

Qu’est-ce c’est que cet orchestre ?

Dans cet orchestre, l´harmonie municipale de Gambsheim, des professionnels et des amateurs jouent ensemble. C’est passionnant. Cette année nous travaillons deux concerts. Plus n’est guère possible, car il faut prendre en compte les vacances et les jours fériés et tous les membres de l’orchestre ne sont pas toujours présents lors de nos répétitions qui ont lieu une fois par semaine.

Ce temps est nécessaire pour bien préparer les concerts. Ce qui est intéressant, c’est l’évolution des relations entre les musiciens professionnels et les musiciens amateurs. Au début, les « pros » ont regardé les amateurs un peu d’en haut. Mais ils ont changé d’attitude. Maintenant ce sont les musiciens amateurs qui sont plutôt réservés vis-à-vis des professionnels. Mais ces obstacles n’existent que dans leur tête, et ne devraient pas exister du tout.

C’est un aspect très intéressant que je ne connaissais pas. Dans mon pays d´origine, l’Autriche, il n y a que peu d’orchestres qui sont mélangés de la sorte.

Chez nous en Alsace, c’est normal. Nous avons plus de 200 d’orchestres comme celui-ci. Chaque commune un peu plus importante a son propre orchestre. C’est une particularité alsacienne, une tradition qui remonte à l’époque de la régence allemande. En dehors de l’Alsace cela n’existe nulle part ailleurs en France.

Ce qui signifie que les alsaciens sont riches d’une grande tradition dans le domaine de la musique classique. Est-ce que ces musiciens sont abonnés à l’OPS ?

Non – malheureusement ! Je parle régulièrement de notre programme, les concerts que nous donnons et j’essaie de faire venir les gens à l’OPS à Strasbourg. Mais la plupart d’entre eux ont un problème de temps. Tous travaillent et investissent déjà beaucoup de temps dans leur propre orchestre, ils répètent en plus à la maison et ils ont aussi une vie de famille. C’est difficile de s’éclipser en plus le soir pour aller à Strasbourg. C’est bien dommage !

Entretemps il s’est mis à neiger légèrement et nous sommes arrivés à Obernai. Encore quelques tournants et le bus va s’arrêter près de l’église dans laquelle va avoir lieu le concert avec des œuvres de Mozart et Schubert. J’aimerais poser d’autres questions à Rémy Abraham, mais il a besoin du temps qui reste pour se préparer.

Monsieur Abraham, je vous souhaite beaucoup de réussite et bonne chance – aussi bien pour le concert de ce soir que pour Casting !

Merci à vous !

Une demi-heure plus tard, je suis assise dans l’église où il fait froid. J’admire l’adaptabilité de l’orchestre aux températures hivernales et j’écoute ce soir tout particulièrement le cor de Monsieur Rémy Abraham – mais ce n’est guerre étonnant !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker