Ècouter avec les yeux et se regarder avec les oreilles

Ècouter avec les yeux et se regarder avec les oreilles

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Jean-Dominique Marco (c) Philippe Stirnweiss

Interview avec le directeur du festival « Musica » Jean-Dominique Marco

Le festival « Musica », fondé en 1983, est l’un des festivals d’Europe les plus riches en traditions. Il rencontre un succès incontestable auprès du Public strasbourgeois.

Jean-Dominique Marco, le directeur de cette institution depuis 1990 m’a accordé cette interview dans son bureau clair, inondé de soleil qui se trouve au rez-de-chaussée de la « Cité de la danse et de la musique ». Ce lieu, inauguré en 2006, abrite également le conservatoire et plusieurs salles de concert, dont l’une, la plus grande, accueillera quelques uns des concerts du festival.

Avec son équipe, Jean-Dominique Marco propose au public de la musique contemporaine d’une excellente qualité. «  Nous proposons un programme basé sur les grandes œuvres du 20e siècle tout en les opposant aux œuvres de nos jours ». Voilà en somme comment Marco résume la programmation du festival. Au cours de la conversation, Mr Marco a insisté à plusieurs reprises sur le fait que toutes les musiques ont leur justification. Qu’il s’agisse de musique contemporaine populaire ou alors d’un type de musique comme celle proposé par le festival Musica. Il souligne également que les différents styles de musique se fertilisent ou se complètent mutuellement.

D’après lui, le « Big Bang » de l’histoire de la musique est la nouvelle école de Vienne avec Schönberg, Webern et Berg, qu’il considère comme une sorte de socle, la base de la nouvelle musique. « C’est pour cette raison que nous continuons à jouer les grandes œuvres du 20e siècle et que nous continuons toujours à toucher un public pour qui cette musique reste inconnue. » Un sondage auprès du public l’année dernière montrait que pendant les 3 dernières années, 30 % des auditrices et auditeurs avait nouvellement rejoint le festival. C’est la preuve que le festival est vivant et que pour les 22/23 ans le pas n’est pas si difficile que cela à franchir. «Dès son début, le ministère voulait que l’on touchât un public aussi large que possible. Notre festival s’adresse aux spécialistes et aux amateurs. Nous aimerions beaucoup compter parmi nos auditeurs des personnes qui écoutent de la musique contemporaine pour la première fois. Jack Lang, ministre socialiste de la culture dans les années 80 et Maurice Fleuret ont donné l’impulsion dans ce sens et depuis, nous gardons le cap. À la question pour quelle raison précisément la ville de Strasbourg avait été pressentie pour organiser ce festival, Marco répond sans hésitation aucune : «Le choix s’est porté sur la ville de Strasbourg parce que cette ville a une longue tradition musicale, une sorte de «tradition musicale du Rhin» d’une grande richesse. Rien qu’en Alsace il y a 42000 choristes. Ceci montre à quel point les gens d’ici sont liés à la musique. Après la guerre, de l’autre coté du Rhin, des centres de musique contemporaine ont vu le jour, dont Donaueschingen ou alors Darmstadt. Tous les grands noms y ont officié, comme par exemple Riehm, Stockhausen ou Kagel. Beaucoup de grands orchestres, ensembles, orchestres radiophoniques, «l’Ensemble Modern» de Francfort, la «musikFabrik» de Cologne, l’ «Ensemble Recherche» de Fribourg, le SWR mais aussi la «Konzerthaus à Baden-Baden» ont été en première ligne. Et on voulait contrebalancer tout ceci à Strasbourg. « Les Percussions Strasbourg », fondées en 1962 ont par exemple été fortement influencées par Boulez qui vivait et vit toujours à Baden-Baden. Au départ il y a eu une collaboration avec Rome. Mais pour des raisons d’organisation, celle-ci n’a pas duré. Ensuite, on a collaboré étroitement avec des organisateurs allemands : Pour donner un exemple le public, français et allemand, a longé le Rhin au bord d’un bateau jusqu’au rocher de « Lorelei » tout en écoutant de la musique contemporaine pendant ce voyage. »

Votre public compte-t-il encore une part allemande importante ?

« Nous n’avons malheureusement que très peu d’auditeurs venant d’Allemagne, mais cela est dû au fait que le public de la musique contemporaine est traditionnellement un public citadin. Et les grandes villes allemandes sont trop éloignées de Strasbourg. Mais nous aimerions beaucoup intensifier notre collaboration. »

D’après vous, quels sont les changements que la musique contemporaine a subis au cours de ces dernières années ?

« Aujourd’hui, nous en sommes à la troisième, voir quatrième génération de compositeurs et nos concerts ont une grande largeur de bande. Après la guerre, la lutte autour pour le renouvellement de la musique a été impitoyable, les débats presque violents. Les compositeurs on essayé d’établir un nouvel ordre « après-guerre ». C’était une conséquence logique des évènements de cette époque. De nos jours, ce qui compte le plus pour les compositeurs, c’est l’originalité. Ils utilisent toutes sortes de matériels pour leur musique: Le son, le rythme, la couleur de la sonorité et ainsi de suite. Aujourd’hui, l’important c’est l’originalité. On est en présence d’un mélange de beaucoup de choses et d’une sorte d’uniformisation globale en même temps. C’est compliqué ! La musique demande de la concentration, elle est expérimentale. Les compositeurs sont toujours marginalisés, leur position est toujours aussi difficile. Il y a ceux qui font un travail populaire et qui réussissent, et les autres : ceux, dont la situation est très difficile. Pour ces derniers, il faut un soutien, leur donner un espace, un laboratoire où travailler. La société se doit de mettre ce genre d’espace à la disposition de tous et ce, dans tous les domaines. L’Europe soutient ses artistes. Nous avons pris la suite de la noblesse qui elle a bel et bien soutenu les artistes et leur a permis de travailler. Chaque pays, chaque religion etc.. doit soutenir et aider, c’est essentiel ! A Paris, des artistes travaillent à l’IRCAM, un endroit expérimental, une sorte de laboratoire dans lequel les dernières évolutions voient le jour. Cela est très onéreux, mais ces évolutions ont des répercussions sur une société beaucoup plus importante où elles peuvent être commercialisées par la suite. »

Quelle est la différence entre le festival « Musica » à Strasbourg et les autres festivals de music contemporaine ?

« Il y 10 ans, j’ai fondé le « Réseau Varèse », dont 23 pays européens font partie actuellement. Il s’agit d’organisateurs européens de festivals de musique contemporaine avec qui nous collaborons. Je pense que si le festival strasbourgeois fonctionne, c’est parce qu’il est conçu de façon particulière : Les concerts sont joués entre septembre et début octobre, de façon vraiment concentrée et non pas étalés sur toute une année. Parfois il y a 2 ou 3 concerts par jour, ce qui constitue un vrai défi pour le public. On peut souvent observer que de petits groupes de personnes se croisent lors des différentes manifestations et finissent par discuter entre eux. Ça, c’est merveilleux. Notre public a envie de nouveauté. Il est ouvert et cultivé et colle parfaitement à l’idée globale du festival. Il entend des morceaux connus, mais aussi beaucoup de choses inconnues, mais il est en confiance. Le festival est sciemment programmé en début de saison. Après les vacances, les gens sont affamés et ravis à l’idée d’écouter de la musique, de plonger dans cet univers. Le déroulement des concerts est rapide, vivant, comme chargé au turbo, dynamique et varié ! Nous avons un publique magnifique. »

Jean-Dominique Marco répond à mes question sans l’ombre d’une hésitation, un professionnel de haut vol qui ne fait pas que connaître son affaire sur le bout des doigts, mais qui se voue corps et âme à sa tâche. Avec ma dernière question j’ai tout de même réussi à le faire réfléchir quelques secondes. Que la réponse fût de la précision d’un laser, en revanche, ne m’a guère étonnée.

Que feriez-vous, si l’argent n’était pas un problème ?

« Ce serait un rêve! J’inviterais des orchestres et des ensembles plus grands, des chœurs importants et je créerais une maison pour artistes, pour les compositeurs qui seraient invités ici pour travailler sur place. Une ville a besoin d’être habitée par des créateurs, des artistes qui lui donnent une vibration artistique. Qui la marquent de leur lumière, de leur ombre ou mi-ombre. Mais non seulement des compositeurs, mais aussi des sculpteurs ou écrivains seraient les bienvenus.

La ville est déjà en train de réfléchir dans ce sens. Les artistes sont aussi les témoins de la société dont ils font partie. Il ne faut pas se contenter d’un passé artistique. Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est bruyant et parfois chaotique. Toutes les cultures s’entremêlent et les artistes en témoignent. Il ne faut pas avoir peur de son époque. Si l’on exclut l’art contemporain, on vit dans le passé. Nos racines et tout ce qui est nouveau ne font indubitablement qu’un. Les racines doivent être opposées à ce qui est porteur d’avenir, à la musique contemporaine. D’ailleurs, la question de ce qui est juste ou faux ne se pose pas. Une société qui n’admet pas ce qui est nouveau, se meurt. »

D’après vous – quels concerts seront des « Highlights » ?

« Tous, au fond ! Mais si je devais faire une sélection, je désignerais le concert de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Il jouera des œuvres d’Oscar Bianchi, Johannes Maria Staud et Peter Eötvös. Puis, naturellement, les « Portes ouvertes » de la « Cité de la musique et de la danse ». Déjà l’année, les portes ouvertes ont remporté un immense succès. Plus de 2000 personnes sont venues au cours de cet après-midi là pour écouter les petits concerts d’une trentaine de minutes.

Ensuite, les concerts du jeune français Mantovani ou encore le Vienna Vegetable Orchestra qui «préparera» le public comme il se doit.

Ou encore les grandes œuvres de Xenakis en 4 concerts où on jouera les principales œuvres de ce compositeur.

Le morceau «Le père», une composition de Michael Jarrel d’après une œuvre de Heiner Müller ainsi que le grand «spécial» Bernd Alois Zimmermann qui sera suivi d’une conférence. Une nouveauté absolue est la petite tournée de l’OPS, dont les concerts sont tous gratuits et qui a comme mission de donner au public vivant en dehors de Strasbourg l’envie de venir aux concerts du festival. Et pour finir, la manifestation « Percussions dans la ville », samedi 25 septembre, où on verra marchant à travers la ville des percussionnistes précéder les joueurs de trombone. Ce sera donc un face à face entre « vieux » instruments et « jeunes » percussions, encore une fois une rencontre entre la tradition et la modernité. »

Comment pourriez-vous convaincre le public de venir à vos concerts ?

« N’ayez pas peur de ‘Musica’ et venez au concert ! Ce serait dommage de ne pas le faire. La musique contemporaine existe et évolue depuis un siècle ! La première fois, on a peut-être l’impression que c’est scandaleux mais plus on écoute, plus on accède à cet art. La musique contemporaine a une dimension supplémentaire : une dimension visuelle ! On peut difficilement l’écouter chez soi, entre quatre murs. La musique contemporaine s’écoute avec les yeux et se regarde avec les oreilles. Un CD ne peut en aucun cas restituer l’impression visuelle. »

Merci infiniment pour cet entretien et beaucoup de succès pour cette nouvelle édition de «Musica».

Chaque chef d’orchestre porte en lui son propre son

Chaque chef d’orchestre porte en lui son propre son

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le chef d´orchestre Marc Albrecht (c) M. Boeggreve

Interview avec Marc Albrecht, le directeur artistique et chef d’orchestre de l’OPS

Monsieur Albrecht, avant la pause estivale, vous avez entrepris une tournée avec votre orchestre, l’OPS, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg,  qui vous a emmené entre autre à Amsterdam. A partir de la saison 2011/2012, vous prendrez vos fonctions à Amsterdam. Avez-vous émis le souhait de vous présenter dans cette ville avec votre orchestre actuel ?

Une longue histoire, riche en traditions lie l’OPS à Amsterdam, et au fond, l´orchestre y était invité à de nombreuses reprises, on pourrait même dire régulièrement. Mais cette fois-ci pendant deux jours consécutifs, nous avons présenté deux programmes différents. Et ça, c’était une première.

Est-ce que vous considérez ces programmes comme une espèce de carte de visite que vous remettez d’avance au public à Amsterdam ?

Nous avons évidemment déterminé ces programmes sciemment. Tous, excepté «Le Sacre du Printemps», ont été présentés à Strasbourg pendant la dernière saison. Ils sont en quelque sorte représentatifs pour les différents pôles de l’orchestre lui-même. Nous sommes venus avec une part française, sachant que le «Sacre» a subi également une grande influence française, la 2e Symphonie de Brahms étant la part allemande. «Ibérie» de Debussy qui comporte un énorme réservoir en couleurs et raffinement et «Shéhérazade» de Ravel furent un «must» absolu dans les bagages de l’OPS en tournée. Ce sont donc d’une certaine façon les morceaux «clés» que l’orchestre a joués en Hollande. La 2e Symphonie de Brahms était très importante à mes yeux, car elle représentait le répertoire allemand que l’orchestre joue traditionnellement depuis toujours.

Dans votre dédicace figurant dans le programme de la saison 2010/2011, vous mentionnez que la programmation de la saison à venir se situera encore une fois en dehors des sentiers battus. Cette particularité était déjà une caractéristique de votre programmation des saisons précédentes à Strasbourg. Etait-ce une difficulté pour vous «d’exiger» ces «programmes particuliers», étant donné qu’ils représentent toujours un certain risque vis-à-vis du public ?

Non, pas du tout ! Depuis le début, j’ai trouvé ici un soutien formidable. Tout le monde s’est montré positif et ouvert vis-à-vis des nouveautés. Dès le départ, notre conception était plutôt osée. Déjà pendant la première saison, nous avons joué des morceaux relativement peu connus. Il n’y avait pas non plus à l’affiche de noms de solistes mondialement connus ! Et malgré cela, tout s’est merveilleusement bien passé. Au fil des années, le public a pris l’habitude et sait aujourd’hui que ce que nous proposons est d’une qualité exceptionnelle, même s’il n’y a pas de «Hits» au programme. Le public est en pleine confiance. Grâce à cela, l’OPS a acquis un bon «standing» et travaille beaucoup de morceaux avec une approche toute nouvelle et, par voie de conséquence, avec une énergie tout à fait différente. Je pense qu’il est indispensable d’apporter de l’air frais.

Vers la fin de la saison, vous allez faire vos adieux au public strasbourgeois avec une œuvre monumentale, les «Gurrelieder» d’Arnold Schönberg. L’instrumentation de cette œuvre passe pour être la plus dense de toutes et exige  un orchestre énorme. Comment avez-vous pris cette décision, qui est certainement une sorte de prise de position sciemment voulue ?

C’est juste. Cette œuvre de Schönberg est effectivement une prise de position en pleine conscience. Si vous voulez, d’une certaine façon, j’avais «carte blanche» pour mon dernier concert. J’ai choisi les « Gurrelieder », parce que la «réanimation» de la deuxième école de Vienne est un souhait cher à mon cœur et me semble particulièrement importante. Cette même idée a également initié mon travail ici à Strasbourg. Exception faite du concert pour violon d’Alban Berg, beaucoup d’œuvres ont été mises aux oubliettes. De plus, les «Gurrelieder» n’ont encore jamais été jouées par l’OPS, ce qui correspond à notre «politique» qui est de programmer des œuvres peu connues. Les Lieder exigent effectivement un orchestre gigantesque. Mais ce gigantesque corps sonore respire en toute légèreté, il flotte presque, ce qui rend cette composition si incroyable. Bien évidemment, le bruit qui en sort est monstrueux, mais c’est littéralement «abolir» les frontières de la musique. Le défi majeur consiste à garder toutes ces finesses et à rendre audible le coté tendre.

Avec cette œuvre vous travaillez avec un son «plein». Ce son «plein» est justement la marque de fabrique de votre programmation. Puiser dans la profusion, la plénitude,  pour employer un langage imagé, vous aimez ça !

C’est exact, mais tout orchestre possède un son «plein» qui lui est propre. Tout chef d’orchestre porte en lui son propre son, le même pour chaque œuvre. C’est la combinaison ce tous ces éléments qui rend les choses finalement si intéressantes. Ici à Strasbourg, le son de l’OPS est bien particulier pour de multiples raisons. D’un coté, c’est ma direction allemande qui influe sur un orchestre français, qui lui joue souvent un programme austro-allemand. Cette combinaison est certainement unique et produit un son particulier. Le son occupe pour moi une place équivalente à celle de la structure de l’œuvre proprement dite. Carlos Kleiber ou Claudio Abbado n’auraient pas non plus détruit un pilier en faveur d’un autre. Jamais !

Si je pense aux «Gurrelieder», elles portent très fort en elles le son viennois du romantisme tardif. Elles ne sont pas froides et on ne peut pas les définir uniquement par leur structure. De nos jours, on aime travailler avec un angle d’approche qui va du haut vers le bas, si je puis dire, ce qui, dans le cas présent, est à mon avis une erreur. Mais analyser la structure tout en faisant ressortir l’ensemble des finesses sonores afin que le son ne soit pas uniquement fort et intense, cela demande évidemment beaucoup de temps. Et cela est de plus en plus difficile, parce qu’aujourd’hui, il faut aller de plus en plus vite. Mais cela fonctionne parfaitement bien avec cet orchestre, parce que nous sommes rodés, nous réagissons mutuellement et nous nous comprenons. C’est un travail très particulier que celui, qui est fondé sur une telle confiance, car il permet de construire quelque chose C’est extrêmement précieux.

Quelle part dans votre travail est occupée parle nouveau répertoire que vous dirigez tous les ans ?

Je pense qu’elle est importante, car environ un tiers des œuvres que je dirige chaque année est une nouveauté. Néanmoins je suis d’avis que cela changera un jour. Bien entendu, je mets en place des priorités. Certaines œuvres me sont plus proches que d’autres, et si j’ai le choix, je choisis. Je trouve que par exemple Sibelius ou Chostakovitch sont grandioses, mais ils ne font pas partie de mes préférés. Tout comme je ne me considère pas non plus comme un expert en musique russe. Une composition doit m’émouvoir pour que je puisse vraiment bien travailler. « Art » a un rapport avec « devoir », et c’est aussi le moteur pour accomplir quelque chose, qui permet de jouer pour le public. Je serais incapable de faire du bon travail avec une œuvre dans laquelle je ne trouve pas ce moteur. Quant à l’OPS, je suis ravi que les chefs d’orchestre que nous invitons puissent en quelque sorte rétablir l’équilibre et l’orchestre ne soit privé de rien. Ici, cela fonctionne depuis toujours très bien. Je suis toujours très curieux de travailler des nouveautés. Je vais diriger prochainement «Musique d’accompagnement pour une scène de film» de Schönberg. Cette œuvre est nouvelle pour moi. Mon champ d’action principal est la «deuxième école de Vienne». Et j’ai très envie de travailler le répertoire des grands impressionnistes français. Mais on ne peut pas tout faire. Arrivé à un certain âge, Günter Wand, l’un des chefs d’orchestre que j’estimais énormément s’est complètement retiré et s’est consacré aux mêmes 10 ou 12 morceaux. Je trouve remarquable de chercher des réponses aux questions qui se posent grâce à un travail intensif avec quelques rares morceaux. Quelque part, c’est également mon objectif.  Pour le moment, je travaille encore «en largeur» et je souhaite continuer pendant longtemps, mais pour ma retraite, je peux très bien imaginer cela. Ce qui restera, ce sont certainement Bruckner et Beethoven. Pour le reste, j’aviserai !

Vous vous êtes également fait connaître grâce à des interprétations d’opéra. Qu’est-ce que vous préférez ? Préférez-vous travailler l’opéra ou des œuvres symphoniques dans les salles de concert ?

Tant les opéras que les symphonies sont chers à mon cœur. Je ne peux faire abstraction ni de l’un, ni de l’autre, car l’un influe sur le travail de l’autre. A l’opéra, la relation avec la scène est beaucoup plus grande et l’échange avec le metteur en scène est de la plus grande importance pour moi. Mais le risque que l’on prend avec l’opéra est incomparablement plus grand. D’approcher l’idéal dans ce domaine est encore plus difficile. Le prix à payer est énorme : Les opéras s’avèrent être de véritables «ogres» en terme de temps: ils exigent un investissement absolument énorme. Je me souviens très bien : Quand j’ai travaillé le «Saint François d’Assise» de Messiaen, pendant des mois j’ai consacré chaque minute de libre à la partition, peu importe, si j’étais à la maison ou dans l’avion. Et il ne faut pas perdre de vue que la voix des chanteurs est fragile, pas toujours fiable et que parfois, ce n’est pas la distribution idéale qui se trouve sur la scène. L’opéra est une sorte de jeu d’équipe qui fonctionne quand tout le monde participe, y compris les cantatrices et chanteurs. Dans la salle de concert, en revanche, le chef d’orchestre est seul maître à bord. Si on dirige une symphonie après une production d’opéra, on a l’impression que c’est un luxe absolu! On a tout en main et on tend vers un résultat prédéterminé !

Comment vous décririez-vous comme chef d’orchestre ?

C’est difficile pour moi de répondre à cette question. On dit de moi que j’aurais le don de permettre à l’ouïe de «traverser» les structures très denses des œuvres, qu’il s’agisse de Henze, Strauss ou des « Gurrelieder ». Plus «j’entends» les choses, même encore avant de commencer les répétitions avec les musiciens, plus la transposition est  réussie et d’autant meilleur le résultat. Pendant les répétitions je sais précisément quelle sonorité je veux obtenir. Mais je ne suis plus du tout objectif à ce moment-là, il n’y a également plus de marche arrière: Pour moi, il n’y a plus qu’une version possible, c’est celle-ci et aucune autre. Dans ce cas, je dois montrer une certaine égocentricité, car si cela plaît aux musiciens ou au public n’a plus aucune importance.

Si vous vouliez passer en revue les grands moments de votre séjour ici à Strasbourg, de quoi vous souviendrez-vous encore dans 30 ans ?

En tous les cas, de la ville elle-même, qui a beaucoup de charme. Mais également d’évènements artistiques importants pour moi, bien sûr. A la représentation du « Sacre du Printemps », qui était très particulière pour moi. Je trouve magnifique que nous l’ayons rejoué pendant la tournée. Je pense également à la «3e Symphonie» de Mahler et à la 7e de Bruckner, ainsi qu’à Salomé, au tout début. « Fidélio » le seul opéra que j’ai dirigé à Strasbourg à l’Opéra du Rhin joue lui aussi un rôle particulier. C’était un évènement exceptionnel que j’ai beaucoup aimé moi-même !

Trouvez-vous regrettable qu’aujourd’hui il n’y ait plus d’engagements à long terme qui lient les chefs d’orchestre à ce même orchestre pendant plus de 10 ans ?

Non, pas vraiment. Il y a toujours un revers de la médaille. Bien sûr que c’est bien quand on se connaît bien et quand tout est rodé. Mais au bout d’un moment, on a aussi fait le tour de la question et on sature d’une certaine façon. Vous avez fait tout ce qui vous tient à cœur et c’est là que commencent les répétitions. Mais des répétitions signifient une certaine routine et la routine est un ennemi mortel qui comporte des dangers. Après dix ans, un orchestre à besoin de renouveau. On a pu observer ce phénomène dans la collaboration à vie entre Karajan et les « Berliner Philharmoniker », une collaboration qui n’était pas vraiment exempte de problèmes. Un tel lien est en même temps une lourde charge.

Cela signifie que l’on ne peut pas comparer une telle collaboration à un mariage ?

Oui et non. Si on est marié depuis 10 ans tout en se voyant tous les jours, il peut arriver que l’on soit amené à faire une sorte de bilan au bout des dix ans pour se poser des questions : Jusqu’ici, nous avons emprunté tel et tel chemin, où voulons nous aller à l’avenir ? Dans le cas d’un orchestre, un lien sur une telle période n’est pas nécessaire pour qu’un projet aboutisse dans de bonnes conditions. Cela n’a aucun rapport avec une éventuelle adhésion à l’actuelle globalisation ou à la Jet-Set. Il s’agit plutôt d’imaginer de nouveaux projets et de les redéfinir à nouveau.

Qu’est-ce qui vous séduit dans votre nouvelle mission à Amsterdam, où vous allez assurer la direction de l’orchestre philharmonique d’Amsterdam, de l’orchestre de chambre et de l’opéra néerlandais ?

C’est pour moi un énorme défi car l’orchestre comporte les deux piliers musicaux. Le travail dans la fosse profitera à la salle de concert et vice-versa. Je suis obligé d’être sur place pendant 6 mois par an, ce qui est très intense.

A Amsterdam, on travaille l’opéra à un très haut niveau avec le «Stagione-principe», tout comme ici à Strasbourg, mais contrairement à ce qui se fait en Allemagne.  C’est très bien, car la 8e représentation peut toujours être merveilleuse, parfois meilleure que la première. Il faut ajouter que nous allons jouer tous les concerts dans la grande et belle salle du «Concertgebouw», ce qui est un luxe absolu.

Vous connaissez beaucoup d’orchestres dans le monde entier et également les publics. Pouvez-vous constater des différences ?

Oui, il y a des différences énormes. D’une part, concernant les salles, d’autre part concernant le public. La salle de concert est un instrument qui a une grande influence sur le son. Ici à Strasbourg, on est confronté à une situation où le public est assis dans des fauteuils capitonnés loin de l’orchestre. L’inconvénient de cette salle c’est que le son diminue après les premiers rangs. Il y aura peut-être une modification dans ce domaine à l’avenir. A Paris en revanche, le public est pratiquement «collé» sur vous et les ovations ne semblent jamais vouloir s’arrêter. Dans la « Concertgebouw » nous avons aussi affaire à une salle où l’on peut sentir le public, on peut même entendre sa respiration. Mais les gens là-bas sont complètement différents, ils se lèvent, font des «standing ovations» brèves mais intenses. Mais peu importe où l’on dirige, c’est toujours un évènement particulier quand on remarque que le public est acquis à votre cause et suit le concert avec une grande intensité. S’il y a des toussotements impatients ou s’il y a ce silence lourd de significations, cela fait une différence énorme.

Auriez-vous des souhaits qui devraient accompagner l’OPS après votre départ ?

Cet orchestre est cher à mon cœur et il y a bien des choses que je souhaiterais pour l’avenir : ce serait merveilleux si le nouvel opéra, dont on parle depuis si longtemps, était enfin construit. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas faisables dans les locaux actuels. Ce n’est pas bien que l’orchestre soit obligé de répéter dans de petites salles avec une acoustique insuffisante. Cela devrait changer. Et il y a certaines mouvances qui ne sont pas bonnes pour l’orchestre lui-même : Par exemple, pour des questions de restrictions budgétaires, il est question de réduire le nombre de musiciens permanents et de faire appel à des remplaçants pour réaliser les grands projets. Mais c’est voué à l’échec, car les remplaçants sont loin d’avoir le même niveau. Si on devait en arriver là, une perte de qualité serait tout de suite perceptible, et ceci non seulement pour les musiciens mais aussi pour le public, bien sûr. Il faut absolument s’opposer de toutes ses forces à ce genre de réflexions!

Il serait vraiment dommage et navrant que l’OPS, l’un des orchestres français les plus riches en traditions, ce véritable phare pour l’Alsace, soit mis en «veilleuse».

Je vous remercie vivement pour cet entretien !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Simon, tu es l’homme le plus heureux sur cette planète !

Simon, tu es l’homme le plus heureux sur cette planète !

TRPCESKI Simon 03@Fowler EMI Classics Medium

Simon Trpceski@Fowler-EMI Classics (Medium)

Interview avec le pianiste Simon Trpceski

Monsieur Trpceski, vous jouez pour la première fois à Strasbourg ?

Non, je suis ici pour la deuxième fois. La première fois, j’ai joué un concerto pour piano de Saint-Saëns. C’est un défi en soi, d’interpréter l’œuvre d’un compositeur français en France.

Alors, vous avez travaillé avec l’orchestre pour la deuxième fois. Avez-vous constaté des différences entre les deux concerts ?

L’orchestre a joué le dernier concert de Saint-Saëns superbement – mais il est censé maîtriser ce son, bien entendu. Avec Tchaïkovski, les choses sont un peu plus compliquées, car c’est un concert très connu et le chef d’orchestre doit en faire une histoire. Jakub Hrůša a su faire naître des sonorités aux couleurs merveilleuses. Il a beaucoup travaillé avec l’orchestre et il a obtenu beaucoup de choses. En ce qui concerne la collaboration entre Hrůša et moi, nous voulions essentiellement faire ressortir des nuances. Le son de l’orchestre était merveilleusement chaud. Il a joué de façon très professionnelle et les prestations des solistes étaient vraiment remarquables. Nous n’avons pu répéter ensemble que deux fois, pourtant j’aime jouer avec un orchestre comme s’il s’agissait de musique de chambre. Je peux dire que l’OPS fait partie des meilleurs orchestres de France, le meilleur étant l’Orchestre national de France, ensuite arrivent l’OPS et l’orchestre de Bordeaux à égalité.

La qualité d’un orchestre dépend en grande partie de la communication entre les musiciens et la communication avec le chef d’orchestre. La communication entre les musiciens aide énormément le chef d’orchestre. J’ai joué avec de nombreux orchestres internationaux et je sais, que les orchestres français sont capables d’atteindre un niveau très élevé. Je pense personnellement que l’on trouve les orchestres les plus exigeants en Angleterre. Mais je me souviens aussi d’une conversation que j’ai eue avec Lorin Maazel. D’après lui, l’orchestre capable de réagir le plus rapidement, c’est la Philharmonie de Baden-Baden.
En ce qui me concerne, il y a quelques grands orchestres avec lesquels je n’ai encore jamais joué, comme par exemple ceux de Leipzig, de Berlin, de Dresde et la Philharmonie de Vienne.

Sur votre page internet, tout en haut, comme s’il s’agissait d’un titre, on peut lire la citation suivante : «Per asper ad astra» ce qui signifie qu’on peut atteindre les étoiles en travaillant. Je n’ai encore jamais lu quelque chose de semblable chez aucun autre artiste. Qu’est-ce que ceci signifie pour vous ?

A vrai dire, c’est la devise de ma vie. C’est mon père qui a choisi cette citation latine et qui m’a familiarisé avec elle. Il faut que vous sachiez que la Macédoine, où je suis né, n’a pas une longue tradition dans la musique classique. Le premier orchestre a été fondé en 1944, nous sommes donc loin derrière les autres nations.
J’ai grandi pendant une période très turbulente. Après l’implosion de la Yougoslavie, le pays a entamé une période de transition dont il n’est malheureusement toujours pas sorti. Le pays était politiquement fini, ce qui était extrêmement difficile. Je suis né dans une famille pauvre, mes parents sont originaires de villages pauvres dans le sud-est respectivement sud-ouest du pays. Ils ont fait beaucoup d’efforts pour arriver à Skopje, la capitale. Pendant longtemps, nous avons connu de grandes difficultés, sans argent, sans aucune aide financière. Mais quelques amis de la famille ont fait confiance à mon père qui, croyant en moi, leur a parlé de moi. Ils m’ont aidé à financer quelques uns de mes voyages à l’étranger pour me permettre de participer à différents concours. Ce que Pavarotti a dit un jour, était aussi valable pour nous : « Nous possédions très peu dans notre famille, mais personne n’avait plus que nous ! »
Nous sommes trois frères et sœurs et nous avons vécu intensément avec notre famille et la communauté. De ma famille, j’ai reçu soutien et amour. J’étais le cadet, pour ainsi dire le bébé de la famille.

Comment êtes-vous arrivé à la musique ?

Par ma famille. A l’âge de 4 ans, j’ai commencé à jouer de l’accordéon. L’accordéon est un instrument traditionnel de la musique populaire chez nous. La musique populaire a une grande valeur dans mon pays. Mais à cette époque, on n’enseignait pas l’accordéon à l’école de musique. Plus tard, à l’école de musique justement, j’ai pris la décision de jouer du piano. Tout simplement, parce qu’il avait un clavier, que je connaissais déjà, du moins pour la main droite. La main gauche est tout de même différente, mais le piano avait des touches.
Ensuite, j’ai pu suivre des cours chez un couple russe, les Romanov. Tout de suite après la chute, ils ont quitté Moscou pour Skopje pour enseigner ici. J’ai eu de la chance, car j’avançais très vite. Bien sûr, j’ai travaillé dur et je me suis exercé beaucoup, mais cela m’a fait toujours très plaisir. Enfant, on a des rêves – mon rêve, c’était la musique. J’ai adoré la musique. A l’époque, internet n’existait pas, bien sûr. J’ai feuilleté les magazines, j’ai regardé les grandes salles de concert et je me suis demandé : « Est-ce que j’aurai un jour la chance de jouer dans une telle salle ? »
J’ai joué mon premier grand concert à l’âge de 15 ans avec la Philharmonie Macédoine. C’était la « Rhapsodie in blue » de Gershwin et je me suis dit : «Maintenant, fais ce qu’a dit Bernstein un jour. Va sur la scène et montre leur de quoi tu es capable.»

Et quand je suis allé en Italie et en Suisse pour participer à mes premiers concours, j’étais très curieux de savoir ce que l’on attendait de moi et selon quels critères le jury allait juger. Jamais je n’étais nerveux ou stressé par les concours. J’étais plutôt curieux de me mesurer aux autres et de savoir où j’en étais. Bien sûr, aux concours, j’ai aussi fait des expériences qui n’étaient pas vraiment belles, mais en vérité, gagner m’importait peu. Le simple fait de participer était pour moi une joie immense et m’a rendu fier. Vous savez, je vais vous raconter une petite histoire qui a un rapport avec le concert ici à Strasbourg. Le jour où a eu lieu ce concert à Strasbourg, c’était la date du dixième anniversaire du concours auquel j’ai participé à Londres, celui où l’on m’a «découvert» en quelque sorte. J’y ai pensé hier. Je n’ai pas gagné ce concours, je suis arrivé deuxième, mais cela m’était totalement égal. Pour moi, un rêve s’était réalisé : J’ai eu l’occasion de jouer à Londres avec le London Philharmonic Orchestra dans la Royal Festival Hall – que demander de plus ? La place que l’on m’a attribuée n’avait aucune importance. C’était pour moi comme un miracle. Mais j’ai eu ce que j’avais mérité : Une femme travaillant pour l’agence de concerts « IMG Artists » a assisté à mon concert. Elle est venue me voir pour me demander, si j’avais envie de travailler avec elle. Et c’est ainsi que tout s’est enchaîné. Un an plus tard, des gens d’EMI Classics ont entendu un de mes concerts à la Wigmore Hall à Londres et m’ont proposé un contrat.

Vous jouez combien de concerts par an ?

Pas tant que ça, peut-être 50 ou 60, mais je joue la totalité de mon répertoire. Donc, je ne fais pas de tournée où je ne joue que deux ou trois morceaux. Je joue plutôt des œuvres totalement différentes les unes après les autres. Mais ne n’aimerais pas non plus faire davantage. Je n’aimerais pas passer ma vie dans les avions, aux aéroports et dans les hôtels. Mon agence ne m’a jamais mis la pression à ce niveau-là non plus et je lui suis reconnaissant. Mais d’un autre coté, je n’admettrais jamais que l’on me mette la pression. Il faut aussi que je vive ma vie pour être inspiré. Si j’avais l’impression que la machine s’empare de moi, j’arrêterais tout de suite. Je n’ai aucun besoin de me faire valoir. Je suis ravi d’être avec mes amis et ma famille – home sweet home – c’est tout à fait vrai en ce qui me concerne. Demain je prendrai l’avion pour rentrer chez moi pour faire la fête en famille ce week-end. On fera griller un agneau et on s’amusera beaucoup. Je vis quelque chose de merveilleux mais j’essaie de rester aussi normal que possible. J’essaie de rester près de la terre en quelque sorte. C’est dans mes gènes, dans mon sang. J’espère avoir le potentiel pour évoluer encore dans mon métier, pour m’améliorer, mais j’aimerais aussi profiter de la vie autant que possible. Les 24 heures que compte une journée ne me suffisent pas. Il est très important de réussir à concilier sa vie professionnelle et sa vie privée – ce sont les deux cotés de la vie, n’est-ce pas ?

J’enseigne également à l’université de musique à Skopje. Je suis le premier artiste macédonien internationalement connu dans le domaine de la musique classique. C’est donc aussi une sorte de mission, même s’il est devenu plus difficile, de garder le niveau que j’ai actuellement. Mais mon père me disait aussi : « si tu t’organises bien, tu pourras tout faire. Je me considère comme quelqu’un de privilégié. Ma sœur m’a dit un jour : « Simon, tu es l’homme le plus heureux sur cette planète ! » C’est probablement le cas !

Avez-vous encore un rêve ?

Au mois d’août, l’un de mes plus grands rêves se réalisera : Je jouerai à Rio de Janeiro. J’ai eu deux rêves : l’un était de jouer à Paris, ce qui est fait, l’autre, de jouer à Rio ! Ce sera mon premier séjour au Brésil, et je suis ravi à l’idée d’y aller.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire à nos lectrices et lecteurs ?

Oui, j’aimerais les inviter à assister à autant de concerts classiques que possible. Il est médicalement prouvé que la musique classique est bonne pour la santé. Si les gens sont tout simplement contents et arrivent à se détendre, ils s’ouvrent et ont une vision différente des choses. J’ai appris, que la moyenne d’âge du public à Strasbourg est légèrement inférieure qu’ailleurs et j’en suis enchanté. Il y a tellement de musiques merveilleuses dans les salles de concert. Parfois, il m’arrive de composer de la musique pop, inspirée par la musique classique, comme la musique classique a été souvent inspirée par la musique populaire. La musique classique n’est pas toujours nécessairement «sérieuse» – il y a beaucoup de musique de danse dans les morceaux classiques. Si les gens vont au concert et écoutent cette musique, celle-ci peut les inciter à réfléchir différemment sur leur vie. Donc: Venez et réjouissez-vous de la musique !

Je vous remercie beaucoup pour cette interview et je vous souhaite beaucoup de bonnes choses pour l’avenir !

Merci à vous – et venez nous voir en Macédoine !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker

Ce qui est important, c’est de réagir spontanément!

Ce qui est important, c’est de réagir spontanément!

Barbara Engelhardt, curateur libre du «festival premières», est responsable du choix des pièces qui sont montées dans le cadre du festival à Strasbourg. C’est pour la 6e fois consécutive qu’elle conçoit ce programme en collaboration avec « Le-Maillon » et le TNS, le Théâtre National de Strasbourg.

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Barbara Engelhardt (c) Alexandre Schlub


Madame Engelhardt, jusqu’en 2001 vous avez été rédactrice en chef du journal « Theater der Zeit ». Comment êtes-vous arrivée à Strasbourg ?

Fin 2001 j’ai fait une «pause bébé» et j’ai quitté Berlin pour Paris où je me suis arrêtée. Quand mon mari, a changé pour prendre un poste à l’université de Strasbourg, j’ai rapidement commencé à collaborer avec les théâtres. Je connaissais Bernard Fleury (directeur du « Maillon », un théâtre scénique de théâtre contemporain européen) qui voulait renforcer la présence du théâtre germanophone à Strasbourg. Et moi, j’ai eu l’idée, de créer un réseau réunissant toutes les écoles de théâtre européennes où l’on enseigne la mise en scène. Une telle formation dans le domaine de la mise en scène existe aussi à l’école du théâtre national strasbourgeois. De cette façon, le concept commun d’un festival de théâtre contemporain est né, avec l’objectif de donner la possibilité aux jeunes gens, metteurs en scène ou acteurs, de se comparer et de voir comment on travaille dans d’autres pays. Nous voulions montrer des productions ayant fait l’objet d’un projet de fin d’études dans les différentes écoles. Très rapidement ce critère s’est avéré être trop réducteur et nous avons fini par aller voir ce qui se passait en dehors des écoles. En revanche, nous sommes restés fidèles à notre principe de n’offrir un podium qu’aux jeunes metteurs en scène qui sont au tout début de leur carrière.

Y a-t-il encore des différences régionales concernant le jeune théâtre contemporain ?

Tout d’abord, on peut évidemment déceler des tendances générales à l’intérieur de l’Europe, en ce qui concerne le maniement des textes, la musique ou alors les influences du cinéma etc. Mais malgré tout, les différences nationales existent : Elles sont dues à la formation et à la relation avec les différentes traditions théâtrales, où les jeunes artistes doivent trouver leur place. En Pologne et en Russie par exemple prédomine le culte du maître, ce qui implique en même temps l’influence de l’élève par cette personnalité artistique très forte.
En Allemagne, en revanche, on pourrait parler du principe de la « mise à mort du père », qui s’exprime dans le pire des cas dans une sorte de délire d’originalité et dans le meilleur des cas, le traitement des sujets et des contenus est empreint d’une grande confiance en soi.
En France, beaucoup de metteurs en scène sont arrivés au théâtre comme acteurs, chez les anglo-saxons, la nouvelle génération se heurte à des difficultés énormes étant donné la situation spécifique des structures et des subventions. Entre tous ces pôles il y a des tensions et beaucoup de mouvement. Il se trouve également qu’à l’intérieur des ensembles on est confronté à d’autres conditions de travail que celles qu’on rencontre avec les indépendants ou lorsque l’on fonde sa propre compagnie. Toutes ces conditions se retrouvent dans les différents projets, aussi bien dans la forme que le contenu. Un exemple : la mise en scène de « Per Gynt », monté par des diplômés du Reinhardt Séminaire à Vienne et joué cette année. Le fait de faire jouer des rôles à de jeunes acteurs du séminaire, initialement destinés à des acteurs d’un certain âge, était pour le metteur en scène un défi. Cela ne fonctionne que si la conception de la mise en scène en tient compte et s’avère au bout du compte concluante.

Grâce à votre collaboration avec « Le-Maillon » et le TNS, vous avez certainement un réseau de taille que vous pouvez utiliser ?

Oui, mais je dispose surtout de mon propre réseau développé pendant mon activité journalistique et au cours de toutes ces années où j’ai travaillé comme curateur de festival, pas uniquement pour «Premières» du reste. Et par ailleurs, je m’informe directement auprès des écoles de théâtre sur les projets intéressants. De plus, de temps en temps, certaines compagnies prennent l’initiative de me faire parvenir leurs projets. Pour aider les jeunes talents, je prends également des renseignements auprès des différentes scènes «off» ou alors auprès de théâtres spécifiques. Concernant cette recherche, le hasard a malgré tout souvent son mot à dire. Il est important de réagir spontanément : Quand un dossier parait intéressant, quand des jeunes metteurs en scène parlent de leur travail avec conviction, quand des questions, qui me semblent d’actualité, sont posées, il me faut monter dans le prochain train pour me faire une opinion du travail sur la scène.

Comment concevez-vous le contenu d’un festival ?

Nous ne fixons pas de thème : compte tenu de notre orientation, il serait impossible de le déterminer d’avance. Ce qui me paraît important, c’est la diversité du contenu et de l’esthétique. Les productions ne doivent pas se ressembler. Je n’aimerais pas restituer une image uniforme des générations. Je ne la conçois pas ainsi. Que les mises en scène soient d’un point de vue formel « parfaites », cela n’a pas beaucoup d’importance. Il ne faut pas perdre de vue que les jeunes metteurs en scène, filles ou garçons, se heurtent parfois également à certaines limites en réalisant leurs travaux. Il s’agit souvent de problèmes d’ordre financier qui ont évidemment des conséquences sur la distribution ou les décors. Mais une bonne dose d’imagination scénique et une esthétique conséquente peuvent pallier à ce genre de soucis, bien sur. Leurs travaux sont censés poser des questions ou traiter de sujets qui concernent vraiment le public d’aujourd’hui, également ici, à Strasbourg.

Y a-t-il un thème qui pourrait apparaitre comme commun aux différents pays?

Bien sur, il y a toujours des tendances et même des modes dans le théâtre. C’est aussi la faute de la culture internationale des festivals. Donc, quand on décèle certains sujets récurrents dans le cadre de «Premières», il s’agit plutôt d’un fil conducteur dont le spectateur participant à ce marathon de festivals ne prend conscience qu’ensuite. L’année dernière, on pouvait définir un thème : il s’agissait de traiter des biographies personnelles sur l’arrière-fond des réalités nationales respectives. Cette année, ce serait plutôt les rapports des jeunes générations aux anciens. Donc, la question est la suivante : Comment prendre du recul ? Contrairement à 1968, aujourd’hui cela se passe souvent sans combattre.
Comment trouver ma propre identité ? De nos jours, le questionnement est d’ordre plus personnel. Je ne vois plus de porte parole pour la jeune génération. Le point de départ pour un engagement politique est aujourd’hui différent comparé à avant. Il n’y a plus de groupes, de classes ou de couches dont on se sent proche et que l’on défend. La question d’identité se pose à travers son propre vécu. Cette année, dans le cadre du festival, nous avons monté une pièce de trois femmes turques intitulée «Le vilain petit être humain». Ayant subi l’exclusion, elles prennent leur propre expérience comme point de départ pour leur travail. Elles ont conscience du phénomène sociétal général, mais elles se posent la question de leur propre réaction par rapport au problème. Comment affronter la pression d’une majorité ?
Le point de départ de la production hollandaise est une biographie familiale. Nous montrons un volet d’un projet conçu en six parties dans lequel l’auteur et acteur se confronte à son père et se trouve avec lui sur la scène. Il s’agit de l’identité juive, d’une expérience personnelle avec des incursions dans d’autres domaines. Mais il est également question des mécanismes fondamentaux de l’antisémitisme et de la façon totalement différente des deux protagonistes de faire face à ces problèmes. La question de l’identité juive est vue sous un angle social et politique et non pas religieux. On pourrait dire, qu’il y a une certaine tendance à l’intimité. Dans la mesure où les «créateurs de théâtre» prennent des autobiographies comme point de départ c’est bien de l’intimité qu’il s’agit, mais d’une intimité orientée vers l’extérieur qui efface les frontières entre la réalité et la fiction.

D’après vous, quel effet peut avoir le théâtre sur le public aujourd’hui ?

Le théâtre n’est pas un ambassadeur de thèses et de constats clairs. C’est un média très sensuel qui traite les questions autrement que par exemple le cinéma ou la philosophie. Mais idéalement cela devrait être un endroit où l’on offre la possibilité de confronter les idées et les points de vue censés ouvrir l’être humain au monde. Il transporte le publique de façon ludique dans un monde différent, efface le quotidien et fait éclater les schémas de perception sans fixer des résultats ou des réponses. Il pose plutôt des questions. Le jeu avec les fictions et les illusions au théâtre n’a pas simplement une valeur de distraction étourdissante qui ne ferait rien d’autre que nier la réalité, mais il montre des mondes alternatifs aux réalités ou aux perspectives. Le théâtre travaille très directement avec le langage, la littérature, les images et la musique tout en se servant d’une incroyable diversité de signes.

Quelle est pour vous personnellement la plus forte motivation dans ce travail?

En donnant aux artistes la possibilité de participer au festival, je vois que je peux leur offrir une première expérience, leur transmettre une sorte d’énergie qui leur permettra de continuer sur leur lancée. Ce qui est important pour moi, c’est que les artistes en retirent un bénéfice : ou concrètement, quand les productions qui sont vues ici, sont invitées ailleurs, ou parce que les metteurs en scène et acteurs font ici des expériences, qui marquent leurs décisions artistiques, qui les confirment ou qui les incitent à la réflexion. Que nous misions sur l’échange et non pas sur la concurrence est très important. Je suis évidemment ravie que beaucoup d’entre aux restent en contact avec moi par la suite, qu’ils me parlent de leurs nouveaux projets, et sans arrière pensée, car ils ne peuvent être invités une 2e fois. L’écho grandissant que le festival rencontre à l’extérieur est bien entendu encourageant. Tout comme son ancrage dans la ville, c’est-à-dire auprès du public local. Bien que de nombreux collègues français spécialisés viennent pour voir toutes les pièces en un temps record pour faire leur «marché», il ne s’agit pas prioritairement de clientèle : Le festival est organisé en étroite collaboration par les deux grands théâtres de Strasbourg, pour le public local très ouvert à ce théâtre jeune et parfois surprenant.

Avez-vous des désirs concernant l’avenir du « Festival Premières » ?

Oui, en tous les cas, il faudrait qu’il continue. Je pense aussi que les discussions et les évènements organisés autour des représentations cette année sont très importants. Mais cela coûte de l’argent. Actuellement, Le Maillon et le TNS basculent les frais qui en résultent en grande partie sur leur budget de fonctionnement de la saison en cours. Pour cette raison, chaque nouveau partenaire compte énormément. C’est une particularité que deux théâtres qui au départ sont concurrents se soient unis pour réaliser un projet européen. Pour une ville comme Strasbourg, cela a une très grande valeur. Toute contribution de la ville ou des autres partenaires potentiels est la bienvenue.

Merci pour cet entretien.

Marc Schaefer – le compositeur de « DARIUS »

Marc Schaefer – le compositeur de « DARIUS »

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Marc Schaefer (c) Henri Parent


Interview mit Marc Schaefer, dem Komponisten des Darius
Monsieur Schaefer, qui a eu l’idée de Darius, l’histoire musicale pour un narrateur et orchestre ?

C’est mon idée. Et je l’ai eue il y a bien longtemps. C’est une histoire qui parle de la puissance des éléments naturels. Ce genre d’histoires existent dans beaucoup de cultures et n’ont pas vraiment d’auteur. En 1994, j’ai écrit des notes et je les ai enregistrées. J’ai eu aussi un livre entre les mains dans lequel une petite souris affronte le soleil, mais je n’ai jamais réussi à identifier l’auteur.
J’ai collaboré avec Emmanuel Hirsch, qui a signé les rimes. Pour commencer, je lui ai remis les petites notes avec la musique. Ensuite, il a écrit le texte et moi, j’ai fait plus de musique et ainsi de suite. En 1998, le travail était terminé, et maintenant, 12 ans plus tard, a eu lieu sa première. Il faut tout simplement être patient dans la vie !

Comment avez-vous commencé à composer de la musique ?

Un jour, une amie m’a demandé d’écrire une musique pour les changements de décor d’un théâtre de marionnettes. Il s’agissait de petites pièces de 10 à 15 secondes. Elle a apprécié mon travail et elle trouvait qu’avec la musique c’était plus amusant. Je n’écris pas de musique comme dans la classe Boulez, je ne suis pas non plus ancré dans la scène musicale. Je travaille pour moi, tout seul. Il m’est arrivé d’écrire quelque chose de curieux : J’ai écrit une musique de film pour un film qui n’a jamais été tourné par la suite. Normalement, c’est l’inverse : On écrit la musique pour un film, quand celui-ci est déjà terminé. Ensuite, il faut que tout aille vite, l’argent pour le film est dépensé depuis longtemps et on a une pression énorme quant au délai. Ça, je le savais. Un jour, quelqu’un, voulant faire un film sur Ettore Bugatti qui, comme vous le savez, a fondé son usine à Molsheim, est venu me voir. Bugatti était en son temps déjà une légende vivante. L’idée m’a séduit et je pensais prendre les devants pour ne pas être trop sous pression à la fin. J’ai fini la musique, mais le film n’a jamais été tourné ! J’ai donc fait une musique de film sans film ! Je pense que c’est unique, d’autant plus que cette musique a fait l’objet de plusieurs représentations: à Nice, à Angers, à Mulhouse et ici, à Strasbourg.

Avez-vous étudié la composition ?

Malheureusement non ! J’aurais beaucoup aimé, mais cela ne s’est pas présenté. J’ai fait des études de violon à Metz et ma professeure voulait à tout prix que j’aille à Paris. J’aurais beaucoup aimé faire des études de composition et j’aurais aimé apprendre à jouer du saxophone aussi. Simplement pour savoir ce qui est important pour les instruments à vent et de pouvoir ensuite me servir de cette expérience pour mes compositions. Au début du semestre je me suis inscrit en classe de composition, mais je n’ai eu qu’une seule leçon. Nous étions environ 20 jeunes gens et le professeur nous a demandés de composer un canon à trois voix construit sur quatre mesures et on avait en tout en pour tout une demi-heure pour le faire. Après cela, le professeur est passé dans les rangs pour ramasser les copies. Il a jeté très rapidement un œil exercé sur les feuillets pour en choisir cinq qui lui paraissaient suffisamment intéressants pour les faire jouer – dont le mien. Mais après, il y a eu un énorme scandale avec ma professeure de violon qui était convaincue que je perdais mon temps avec le saxophone et la composition. Et dans la mesure où j’étais en quelque sorte dépendant d’elle, j’ai fait à l’époque des remplacements dans l’orchestre de Metz, je n’avais que 16 ans et avec l’argent que je gagnais je pouvais aider ma famille, je n’ai pas fait d’études et j’ai continué à jouer dans l’orchestre pour gagner ma vie. Bien entendu, j’ai suivi des cours de théorie de la musique comme tous les autres au conservatoire, mais quant à la composition proprement dite, j’ai tout appris en autodidacte. Ma mère qui a bien plus que 80 ans aujourd’hui a gardé dans son portemonnaie le papier de la banque disant que celle-ci accordait le crédit demandé pour l’achat d’un saxophone pour moi. Ce saxophone n’a jamais été acheté, et j’ai commencé à composer bien plus tard, à l’âge de 40 ans pour être exact.

En travaillant sur Darius, avez-vous pensé à certains de vos collègues de l’OPS en particulier ?

Non, pas du tout. A ce niveau-là, il n’y a pas eu de rapport entre moi et l’orchestre. Quand j’étais en train d’écrire la musique, je ne savais pas que l’OPS allait jouer cette œuvre un jour!

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez entendu pour la première fois votre pièce jouée par l’orchestre ?

D’un coté, ce n’est pas facile de ne pas être joué du tout. Et d’un autre coté, quand ça arrive finalement, on a un peu peur. On a peur que la pièce puisse être trop facile. Mais je suis très heureux, car le public et les musiciennes et musiciens ont été enthousiastes. Bien entendu, quelques voix critiques se sont levées aussi, mais je sais comment gérer cette situation. Et j’ai apporté un certain nombre de petites corrections. J’ai remarqué par exemple qu’un certain son au moment où le soleil entre en scène, était trop faible. Il a fallu que je trouve une autre solution.

Vous faites partie d’un orchestre et vous dirigez vous-même. Avez-vous fait cela souvent ?

Oui. Une bonne vingtaine de fois, je crois. J’ai déjà fait des remplacements au pied levé et j’ai souvent assuré la direction d’orchestre avec l’OPS à l’extérieur, notamment dans de petits villages en Alsace. Je n’ai pas de problème avec mon propre orchestre. Car la seule chose qui compte pour diriger un orchestre, c’est la compétence. Si vous voulez, je suis en quelque sorte le chef d’orchestre secret de l’OPS. Ça a commencé il y a longtemps. Il y a eu de gros problèmes pendant les répétitions avec un chef d’orchestre. Le premier violon, à l’époque une femme, a fait savoir à la direction que la représentation ne pouvait avoir lieu et qu’il fallait chercher un remplaçant au plus vite. Et là, l’un des collègues a suggéré de faire appel à moi. La direction m’a convoqué et m’a posé la question, si je me sentais capable de diriger la représentation prévue dans 48 heures – et j’ai accepté ! Pour être honnête, il faut avouer que pendant les 48 heures précédant la représentation je n’ai fait qu’une chose : J’ai étudié la partition ! Mais tout s’est bien passé.

L’orchestre a-t-il son mot à dire concernant le chef d’orchestre ?

Ici, nous avons une tradition. Quand nous devons collaborer avec un nouveau chef d’orchestre, l’orchestre organise un vote et communique le résultat à la direction. Il est donc impossible que nous travaillions avec un mauvais chef d’orchestre. Un chef d’orchestre peut bluffer au travail – le public ne s’en rend pas forcément compte. C’est chose impossible en ce qui concerne les musiciens. Tous les musiciens qui jouent dans l’OPS sont passés par une sélection très rigoureuse. Pour un poste il y a 30 à 40 candidats, un seul est choisi, les autres sont remerciés. Rien que pour cette raison nous ne pouvons admettre de travailler avec un mauvais chef d’orchestre. Mais heureusement, la direction tient compte de notre avis.

Avez-vous déjà dirigé les concerts de la Saint Sylvestre de l’OPS ?

Oui, et non seulement dirigé. J’ai déjà fait le choix du programme et j’ai fait un certain nombre d’arrangements. En 1992, sous Guschlbauer, j’ai proposé pour la première fois le programme pour le concert. En l’occurrence il s’agissait de Lehár et de l’opérette. L’année d’après, c’est moi qui ai dirigé l’orchestre pour la première fois pour le concert de la Saint Sylvestre. Ensuite, j’ai entre autres conçu et dirigé un programme autour du sujet « Deauville pendant les années trente ». Un autre programme était exclusivement américain et s’appelait « Central Park ». En 2007, à l’occasion du centième anniversaire de Zarah Leander, nous lui avons dédié la soirée. C’était un concert extraordinaire avec la participation de la cantatrice suédoise Karin Pagmar. Elle a une voix incroyable et dès les premières secondes on pouvait percevoir une certaine tension dans le public. Mais c’était un grand succès. Quelques concerts plus tard, un vieux monsieur est venu me voir pour me remercier en disant : « Vous savez, c’était incroyable d’entendre à nouveau la musique de mon enfance ! » Cela m’a beaucoup touché. De jouer cette musique équivalait en quelque sorte de toucher à un fer chauffé à blanc. Je crois que cela a un rapport avec le fait que Zarah Leander a fait de la musique populaire. En revanche, quand nous jouons le « Capriccio » de Richard Strauss, il n’y pas d’objections. Même si la première de cet opéra a eu lieu en 1942 à Munich et que la position de Strauss à l’époque du nazisme est contestée.

Mais vous êtes le chef d’orchestre en titre d’un autre orchestre !

Oui, je suis le chef d’orchestre de l’ « Orchestre d’harmonie d’électricité de Strasbourg ». Cet orchestre d’instruments à vent est à ma connaissance le seul orchestre « survivant » parmi tous les orchestres d’entreprises qui ont existé un peu partout en France.
A l’époque, toutes les grandes entreprises avaient leur propre orchestre. Cette tradition n’existe plus aujourd’hui. Il y a encore un orchestre du métro parisien et un chœur à Air France, mais c’est tout. Notre orchestre a 80 membres et il est heureusement très vivant. Notre dernier concert etait dans la grande salle Erasme qui dispose de 2000 places. Nous avons été obligés de refuser plus de 400 personnes par manque de place ! Au mois de juin nous serons à Karlsruhe et fin juin nous allons enregistrer un CD. Si j’ai le temps, j’écris aussi pour l’orchestre et je fais des arrangements. Les programmes sont conçus en concertation avec un comité. Le concert du 24 avril s’intitulait « Amériques » et nous avons joué des morceaux américains très connus. Mais dans la mesure où aucun d’eux n’est écrit pour des instruments à vent, il a fallu que je refasse tous les arrangements. C’était un travail monstre !

J’ai vu que vous tenez la baguette dans votre main gauche. Est-ce inhabituel pour les musiciens?

Non, je ne pense pas. Ils y sont habitués, chez moi et personne n’a jamais rien dit – à une exception près : une fois, nous avons joué dans une ville où nous sommes retournés quelques années plus tard. Un homme s’est dirigé vers moi pour me dire : « La première fois, j’ai remarqué quelque chose de bizarre, mais je ne savais pas ce que c’était. Mais aujourd’hui j’ai trouvé : Vous tenez la baguette de la main gauche ! » C’était la seule et unique fois. Au fond, je suis gaucher. Mais à l’école on nous a obligés d’écrire de la main droite. Curieusement, j’ai réussi à développer une belle écriture. Mes deux fils sont gauchers aussi, et bien qu’on ait le droit d’écrire de la main gauche aujourd’hui, l’écriture de mon fils aîné n’est pas vraiment belle !

Vous allez prendre bientôt votre retraite !

Oui, si tout va bien, dans 3 1/2 ans. Et à partir de là je pourrai faire ce que j’aime : Peindre et composer.

Vous peignez ?

Oui, j’aime beaucoup ça. Mais je peins pratiquement exclusivement au couteau. J’aime appliquer la peinture en gros paquets que j’étale ensuite au couteau. De cette façon je peins essentiellement des paysages. Du temps où j’étais encore étudiant, j’ai pris le train trois à quatre fois par semaine. Un jour, l’un de mes amis avait un bloc de dessin sur lui. Je lui ai demandé de me montrer ce qu’il avait fait. C’était un paysage. J’ai pris un crayon à papier et avec quelques traits, j’ai mis les ombres. J’ai adoré ça et quand je suis rentré, il était clair pour moi qu’il fallait que je me procure des couleurs. D’abord, c’étaient des couleurs pour aquarelles, mais je suis passé assez rapidement à l’huile. Et comme à l’époque, je continue à peindre des paysages. Je déteste la ville. Dans une ville, je me sens comme pris en otage. A tous les coins de rue on vous colle une amende et il faut payer pour tout, tout de suite ! Ce n’est pas une vie pour moi. Je ne suis pas du tout farouche et j’aime le public ! Mais je mets la liberté au dessus de tout !

Je vous souhaite beaucoup de bonnes choses et beaucoup de temps pour composer et je vous remercie pour cet entretien !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker