La construction est en bois brut – une sorte de théâtre de Guignol au charme d’une mine de charbon. Le décor est posé pour que s’y déroule le drame de Woyzeck.
Nous sommes en Afrique du Sud, dans les années 80. Ce pays où la révolution industrielle battait son plein, était le cadre idéal pour William Kentridge et sa création autour de l’œuvre de Georg Büchner écrite à l’époque du Vormärz. Kentrige un artiste qui jouit d’une renommée internationale fait avec ses travaux aussi des incursions dans d’autres domaines artistiques. Il est à l’origine de cette version où des poupées sont mises en scène. Il est également le créateur de la base cinématographique que l’on aperçoit derrière les personnages sous forme de dessins en noir et blanc. Les poupées sont en bois et succinctement sculptées. Elles sont manipulées par des acteurs, qui sont tous visibles par le public. Cette forme d’expression double en quelque sorte les caractères représentés et rajoute une donnée psychologique supplémentaire à l’action.
Woyzeck, un homme rêveur qui réfléchit beaucoup au sens de la vie et à ses injustices est au service d’un capitaine. L’écran sur lequel défilent les dessins de Kentridge remplit trois fonctions : O y voit l’intérieur des différentes pièces, les paysages dans lesquels évoluent les personnages et on peut y apercevoir ce qui se passe à l’intérieur de la tête des différents protagonistes.
De cette façon on se rend compte dès le début que Woyzeck souffre de problèmes psychologiques. Pendant qu’il met la table règne un tel désordre dans ses pensées qu’il a du mal à poser l’assiette, les couverts et le verre comme il faut. Une belle scène, soulignée par la musique qui constitue aussi dans la scène suivante un élément important. Le médecin blanc qui fait des recherches sur des sujets vivants – Woyzeck en l’occurrence – met un stéthoscope sur l’oreille de Woyzeck. On entend des chants africains. Etonné, le médecin tourne le stéthoscope vers sa propre oreille – de la musique classique au violoncelle en sort. Il répète ce jeu à plusieurs reprises. Ses actes sont à chaque fois accompagnés par les dessins animés sur l’écran derrière lui qui illustrent les pensées de Woyzeck et celles du médecin.
Les pensées du serviteur tournent autour de Marie, l’amour de sa vie et son point d’encrage dans le chaos de ce monde incompréhensible et tellement injuste. Elle se montre résolue, sure d’elle, en jupe et cape à carreaux. Marie succombe aux charmes d’un travailleur de la mine qui fait valoir ses muscles au bon moment. Son infidélité fait de Woyzeck un assassin, qui fait payer sa colère et son désespoir justement à l’être humain dont il était le plus proche. La représentation caricaturale des deux protagonistes à la peau blanche est une critique ouverte du régime en place à cette époque-là en Afrique du Sud. Aucun des personnages noirs en revanche n’est intellectuellement capable de tenir l’échange. Une belle métaphore concerne le dressage de l’homme. On assiste à la transformation d’un rhinocéros en élève appliqué. Un maître de conférences noir intervient brièvement de temps en temps pour diverses explications. Il fait une démonstration des capacités de calcul du rhinocéros. A la question combien d’enfants pourrait bien avoir un monsieur assis dans la salle, il répond en grattant le sol avec ses sabots autant de fois que nécessaire. Le niveau de difficulté des questions monte sans cesse, jusqu’à ce que l’animal se tue par balle à la fin de l’acte de dressage. Il tire à la corde attachée à sa corne qui déclenche la gâchette du révolver qui est entre les mains du conférencier. Celui-ci vise l’animal qui commence justement à se défendre tout en déclenchant le mécanisme. A quoi sert l’éducation de l’homme si en dernier ressort celui-ci n’a acquis aucune indépendance ? Avec cette image pertinente, Kentridge a posé une question épineuse qui ne se pose pas seulement dans sa patrie, l’Afrique du Sud. Cette image restera pour longtemps gravée dans l’esprit des spectateurs et spectatrices.
Ces représentations au Théâtre National de Strasbourg sont les dernières de cette mise en scène. La première a eu lieu en 1992 en Afrique du Sud avec et par la « Handspring Puppet Compagnie ». Depuis, ce spectacle a tourné avec un succès énorme dans de nombreux pays. C’est une preuve irréfutable de l’universalité de son contenu qui continue à travers les décennies et les différents continents à toucher les hommes.
Le TNS a montré une fois de plus son orientation internationale qui est justement à Strasbourg bien à sa place. Une représentation spéciale pour les députés européens aurait été la bienvenue.
Ce spectacle est encore au programme du TNS jusqu’au 20 décembre.
Texte traduit de l’Allemand par Andrea Isker
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