Interview avec le compositeur autrichien Wolfgang Mitterer, réalisée à l’occasion de son séjour à Strasbourg pendant le Festival Musica.
Monsieur Mitterer, êtes-vous déjà venu au Festival Musica à Strasbourg ?
Oui, il y a deux ans, avec l’opéra « Massacre » et une performance en solo. Et le « Remix Ensemble » originaire de Porto a joué l’une de mes pièces ici : « go next ».
Cette fois-ci, vous êtes venu avec votre composition écrite en 2001 pour accompagner le film muet Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau et un travail tout récent, « Stop playing » qui date de cette année.
La musique pour Nosferatu était une commande du Konzerthaus de Vienne. Leur grand orgue s’y prêtait merveilleusement. Ici à Strasbourg je travaille sur un petit orgue électrique, un orgue « Fake ». Mais je compense son manque de profondeur avec l’aide de l’électronique. Je trouve que la salle est un lieu idéal pour le film. Dans le film il y a une scène où un vieux professeur d’université explique le miracle des plantes carnivores à ses étudiants. Là il y a un merveilleux rapport à la vieille, vénérable université strasbourgeoise. En ce qui concerne l’acoustique, en revanche, c’est plus difficile, car il faut équilibrer une résonnance de presque 6 secondes. Je saurai si c’est faisable ce soir, car avant que les 600 personnes ne soient dans la salle, je ne peux pas l’essayer.
Est-ce que « Nosferatu » a déjà été joué par quelqu’un d’autre avec votre notation ?
Jusqu’ici, Nosferatu a eu plusieurs accompagnateurs musicaux, mais il n’y a que moi qui joue ma propre partition. Je ne sais même pas si quelqu’un d’autre serait capable d’intégrer l’électronique à ce point. Cette œuvre laisse toujours une part ouverte à l’interprétation, même pour moi. C’est effectivement à chaque fois un peu différent.
Combien de fois l’avez-vous jouée jusqu’ici ?
Une dizaine de fois, je pense.
Est-ce que vous avez pu constater des différences concernant la réaction du public ?
Oui, c’est possible. Mais cela dépend du nombre de personnes présentes dans la salle. Un autre critère est celui du remplissage. Si la salle est pleine ou pas. C’est tout à fait différent de jouer dans une salle où se trouvent 1800 personnes qui se portent, les unes les autres et qui ont le sentiment de participer à un évènement. Ou alors si l’on se trouve devant une salle à moitié vide où les gens se demandent ce que cela peut bien être, étant donné que la salle est à moitié vide, justement. Cela à un rapport avec la psychologie. Quand j’ai la possibilité de distribuer des haut-parleurs dans la salle pour ainsi dire « masser » les gens avec les basses et quand un orgue puissant s’y rajoute, certaines personnes commencent à avoir peur. Mais le silence qui suit est d’autant plus profond et important. Mais cela dépend effectivement beaucoup du lieu et du public et aussi de mon propre état, même si c’est la chose la moins perceptible pour les gens.
De temps à autre, certains instruments trop petits ont un son ennuyeux. Bien entendu, on ne peut pas les comparer avec un grand orgue d’église. Mais l’électronique me permet de compenser cette différence. Je travaille aussi avec des œuvres qui ne sont pas totalement écrites, elles n’ont qu’une structure de fond à laquelle j’ajoute une improvisation. Ceci me permet aussi de m’adapter aux différents lieux et d’en tirer le meilleur parti.
Quand on lit les informations sur votre page internet et qu’on voit la liste de vos œuvres on ne peut pas faire autrement que de se demander : « Mais quand est-ce que cet homme dort ? »
Bien sur que je dors ! Mais je ne sais pas vraiment combien de morceaux j’ai écrit jusqu’ici. Je travaille beaucoup sur commande. Je ne peux pas me permettre d’écrire un opéra pour le mettre dans un tiroir ensuite. Pour écrire un opéra je mets un à deux ans, vous pouvez donc vous rendre compte que ce serait impossible. Et en plus, une fois l’opéra fini, on ne trouve personne pour le jouer. En ce qui me concerne, c’est différent : un directeur ou un intendant me pose la question si telle ou telle chose m’intéresserait ou me plairait et je travaille exactement dans ce sens. Parallèlement, je fais des recherches en permanence qui viennent enrichir ces travaux.
Préférez-vous travailler seul ou est-ce que vous trouvez le travail avec un orchestre, un chœur ou un ensemble plus satisfaisant ?
Un compositeur est seul la plupart du temps. Et un organiste aussi. J’aime énormément les improvisations libres en compagnie d’un trio ou d’un quartette. Dans ces cas-là on ne pense pas, si on doit faire telle ou telle chose, mais on sent ce qui va parfaitement. Et je peux m’adonner totalement à ce travail et avancer pas à pas – jusqu’à ce que je sois un état de transe. Quand je travaille avec de grandes formations, comme par exemple pour le « Turmbau zu Babel » qui a été joué dans le stade de foot de Linz, où 16 chefs d’orchestre et leurs chœurs ont collaboré, c’est quelque chose de fondamentalement différent. Dans ce cas, il faut que ma structure soit précise, sinon, rien qu’au niveau de la logistique, ce serait infaisable. Et je ne peux pas non plus demander aux gens qui font partie d’une chorale d’église, et qui ont parfois du mal à déchiffrer une partition, de travailler sur une partition compliquée. Dans ce cas de figure, tout en composant, je me retrouvais d’une certaine façon comme en train de voler au-dessus des évènements pour imaginer très précisément de quelle façon cela fonctionnerait. Quand je travaille pour un orchestre, je n’aime pas que le tromboniste n’intervienne que pour 3 mesures par exemple. Cela veut dire, qu’il faut qu’il compte 300 mesures jusqu’à ce que ce soit son tour et qu’ensuite, il s’ennuie. Je pense que non seulement c’est du gâchis et qu’on peut le supprimer dès le départ pour faire des économies. Cela a aussi un rapport avec de l’énergie perdue. Je trouve qu’il faut entendre l’énergie qui émane des musiciens. Quand 20 % des musiciens d’un orchestre ne participent pas, on le sent, car le flux d’énergie est différent.
Vous êtes – comme nous tous – entouré en permanence par des bruits.
Oui, comme par exemple à ce moment même, où l’on entend passer le tram.
Juste. Mais je pense qu’en plus de tout cela vous devez porter des sons dans votre tête avec lesquels vous êtes en train de travailler. Qu’est ce que le silence pour vous et est-ce que vous le vivez vraiment comme tel ?
Bien sur, comme tout être humain. Quand je suis en pleine nature, je suis ravi du silence. Quand je n’entends que du vent ou le bruit de l’eau, c’est du repos pour moi. Mais je crois aussi que la meilleure façon de faire de la musique, c’est de la faire en silence. Quand je prends par exemple une partition pour la lire dans le tempo et je fais dérouler la musique à l’intérieur de moi, j’en profite parfois davantage que dans une salle de concert. Dans une salle de concert, où j’ai le parfum de ma voisine dans le nez ou que la cantatrice connaît des problèmes avec sa coiffure. Je suis convaincu que chaque auditeur porte sa propre musique dans la tête, que ce qui se passe dans sa tête est différent chez chaque personne quand elle écoute de la musique. Cela dépend, si ce sont des amateurs ou des critiques de concerts, ces derniers étant convaincus d’être toujours obligés de tout comprendre.
Vous préférez les amateurs aux critiques alors ?
Dans ces cas-là je dis : bien ouvert ou bien savant. Tout ce qui est entre les deux, est difficile. Quelqu’un qui joue du free jazz entendra une œuvre autrement qu’un collègue compositeur.
Vous faites une grande différence entre la musique nouvelle et la musique contemporaine.
Oui, car la musique contemporaine de nos jours n’est plus obligatoirement nouvelle. Tout ce qui est déjà vieux de quelques années et que l’on a déjà entendu, n’est plus nouveau. La nouvelle musique apporte toujours une expérience auditive nouvelle, jamais encore vécue. Un jour j’étais très étonné quand un chanteur a mis Alban Berg dans le rang des compositeurs contemporains. Cela n’a plus rien à voir avec de la musique contemporaine. Quand on pense ce qui s’est passé rien que dans le domaine de la musique « POP » depuis les années 80. Entre les années cinquante et quatre vingt on a pratiquement toujours joué avec de vrais musiciens, ce qui est différent aujourd’hui. En ce qui concerne la construction des instruments, depuis une centaine d’années rien n’a vraiment changé. Dans le domaine de la technologie en revanche, beaucoup de choses ont évolué. L’électronique offre des possibilités nouvelles de faire de la musique. Elle permet de faire une « robe » sur mesure pour la musique. Je considère même que les compositeurs du spectralisme ne font plus non plus partie de la musique nouvelle. (N.B. La musique spectrale a connu son heure de gloire pendant les années 70 et après. Elle prenait en considération les sons supérieurs et parallèlement à cela la modification des couleurs des sons et de leurs structures.)
La nouvelle musique est passionnante parce que les critiques manquent de possibilités de comparaison. Pour faire naître des choses nouvelles, il est primordial que des lieux, où l’on organise des festivals pour la nouvelle musique, continuent à exister. Sans eux, aucune évolution n’est possible. Ce qui est également important pour moi, c’est de réussir à enthousiasmer les jeunes pour les nouveautés, pour des choses jamais entendues. Mais je ne suis pas un artiste moderne, car quand je pense que l’on considère Madonna comme une artiste, je ne veux pas en être un.
Qu’êtes-vous donc ?
Je suis compositeur. Un écrivain dirait qu’il est écrivain et non pas artiste. Je crois qu’il y a des confusions au niveau de la terminologie, la définition du terme est mal interprétée.
Vous êtes considéré comme quelqu’un qui nage à contre-courant. Est-ce que vous vous voyez également comme tel ?
Je crois qu’il est impossible de m’attribuer un style particulier. Je trouve intéressant de créer certains clichés pour ensuite les retourner ou les faire tomber. C’est une méthode dont on se servait déjà au baroque et plus tard, pendant le romantisme. Se détacher des traditions, jouer avec cela, expérimenter jusqu’où il est possible d’aller avec tout cela et de voir quelles associations naissent en même temps, c’est simplement passionnant.
Avez-vous des envies ou des projets à moyen ou long terme ?
Je pense que j’ai atteint tout ce qui est possible d’atteindre dans mon métier et j’ai donc à ce niveau-là pas d’envies particulières. Bien sur, si on jouait l’un de mes opéras à l’opéra de Sydney, ce serait génial, mais ce n’est pas indispensable pour satisfaire mon égo. D’un point de vue artistique, c’est la question de la notation qui reste totalement ouverte à mes yeux. La question concernant les têtes de notes devrait être complètement redéfinie. Car, quand je prends une écriture courante des années 90, la musique qui en résulte ne peut être qu’une musique des années 90. Pour moi personnellement, c’est un défi artistique.
Il n’y a vraiment rien que vous désireriez ?
En effet, je que j’aimerais faire un jour, c’est renouveler les brefs interludes musicaux pendant les matchs de hockey sur glace au canada, étant donné que ces interludes sont joués à l’orgue.
Vous vous intéressez au hockey sur glace ?
Non, pas du tout, mais il serait temps de faire quelque chose de totalement nouveau !
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker
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