La scène est éclairée de blanc. Trois hommes entrent en scène. Ils se positionnent à intervalles réguliers les uns des autres, ensuite ils s’immobilisent.
Tout à coup, les haut-parleurs diffusent des sons électroniques qui semblent mettre les trois hommes dans un état second. Ils commencent à bouger. Ils exécutent des mouvements debout, sans quitter leurs places respectives qui semblent leur être attribuées.
Il n’est pas question d’investir l’espace ou de traverser la scène. Ce sont plutôt leurs corps qui pulsent, qui sont secoués et bousculés par des puissances invisibles, matérialisées par le son.
Des coups invisibles, acoustiques fouettent ces corps encore et encore les obligeant ainsi à rester en mouvement. Des éléments de Break-dance se mêlent à la chorégraphie qui, bien que minimaliste, est extrêmement complexe. C’est un véritable défi physique pour les danseurs: à la fin de la performance, ils seront trempés de sueur.
Mais auparavant, des vagues parcourent leurs corps, leurs bras et leurs jambes semblent bouger comme «téléguidés» par une force extérieure. L’expression de leurs visages est neutre. Ce qui se passe ne semble pas les toucher, ni agréablement, nie désagréablement. Apparemment, les émotions n’ont aucun rôle à jouer. Ce qui compte, c’est le mouvement. Pendent les pauses, quand la langue électronique, acoustique qui fait fortement penser au rythme des machines d’une usine se tait, les danseurs s’arrêtent. Ils semblent recharger leurs batteries, recevoir de nouveaux stimuli ou changer de «programmation».
La lumière s’éteint brièvement et plonge la salle dans l’obscurité.
Kevin Mischel, Yvener Guillaume et Sofiane Tiet dansent la plupart du temps individuellement sur ce son vibrant que le public ressent physiquement. Les mouvements des trois danseurs sont rarement synchrones.
La lumière, tout comme le son, joue un rôle très important. Tantôt l’éclairage est si faible, que l’on a du mal à distinguer les silhouettes des danseurs, tantôt la lumière est si intense que les corps se détachent de la scène de telle manière qu’on a l’impression de pouvoir les toucher. A la fin du spectacle, la formation dans laquelle les hommes prennent congé de leur public à deux reprises les rapproche beaucoup les uns des autres. Mais malgré tout, il n’y a pas d’interaction entre eux. Chacun reste dans sa bulle, agité, victime.
Le chorégraphe japonais Hiroaki Umeda a créé cette année l’œuvre «Répulsion». Il est responsable de tout ce qui se passe sur scène : du son, de la lumière et de la chorégraphie bien sûr. Son ordinateur portable, semblable aux ordinateurs portables que nous possédons tous, contient toutes les données dont il a besoin pour ses spectacles. Un petit «clic», l’établissement d’une connexion avec la technique et ses danseurs peuvent commencer. C’est probablement la raison pour laquelle tout ce que fait Umeda semble être coulé en un seul bloc.
Dans sa chorégraphie «Haptic» créée en 2008, il est seul sur scène. Sa performance et la prestation des trois break-danseurs montrent des similitudes, mais le langage du corps d’Umeda est différent. Ses mouvements s’enchaînent de façon plus fluide, plus harmonieuse les uns après les autres. Le travail qu’il montre à son public est encore plus minimaliste que celui de ses prédécesseurs mais tout de même plein d’énergie : même si chacun de ses muscles est en mouvement, il donne l’impression d’être statique. Pendant de longues séquences, ses jambes sont mises à rude épreuve: à pas à peine perceptibles il avance et recule. L’espace n’a aucune importance, la lumière en revanche joue un rôle primordial. Le rouge intense, le violet discret, tamisé, le vert ou le jaune : chacune des couleurs a sa propre fonctionnalité. Elles s’interrompent là où intervient un changement de plan dans l’espace.
Hiroaki Umeda a créé ses premières chorégraphies dans une des pièces de son appartement. Depuis, il est resté fidèle à ce principe de «l’économie de l’espace». Il ne traverse pas la scène, il ne court pas dans tous les sens, mais il concentre toute son attention sur lui-même,
là où l’action, que l’on peut difficilement définir avec le terme «danse», trouve son expression. Dans cette chorégraphie la danse semble également être comme forcée par l’extérieur. Son moteur n’est en aucun cas la joie de vivre. De nouveau, des associations avec le monde du travail mécanisé s’imposent. C’est un phénomène particulièrement exacerbé au Japon.
Même si le danseur capte l’attention du public uniquement avec des mouvements minimes, l’œil du spectateur a fort à faire : il est en permanence sollicité par des couleurs très esthétiques qui, au fur et à mesure que le spectacle se déroule, finissent par faire l’effet d’une drogue. Cette enveloppe optique qui emplit l’espace dans sa totalité et le danseur apparemment statique se réunissent pour former un véritable «tableau vivant».
Le travail que l’artiste montre ici fait plus que simplement coller à notre époque. Il essaie de faire interagir plusieurs catégories artistiques entre elles, d’abolir leurs frontières. En agissant ainsi, il crée sa propre catégorie d’art non définie jusqu’ici. L’esthétique et les belles couleurs créent leur propre espace. La joie du public qui attend impatiemment chaque changement de couleur pour se plonger à nouveau dans ce caléidoscope visuel, est immense. Il n’y a que le corps de l’homme qui bouge au rythme des sons électroniques qui permet de définir l’action comme représentation dans un théâtre. Sans lui, ces espaces lumineux trouveraient leur place aussi bien dans n’importe quelle galerie d’art contemporain.
Vers la fin du spectacle, le rythme et les mouvements s’accélèrent et pendant les quelques instants de silence juste avant la fin, le public peut entendre jusqu’au dernier rang la respiration lourde du danseur. Comme s’il voulait dire en résumé: regardez ! La machine à créer des illusions que je vous ai montrée n’est autre qu’un être humain.
Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker.
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